Faqat Litresda o'qing

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Kitobni o'qish: «La coucaratcha. I», sahifa 5

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Le commandant, qu'une longue et glorieuse carrière militaire avait mis à même de connaître parfaitement cette admirable classe d'hommes, monta sur la dunette, et, après une courte et énergique allocution: Eh bien! mes enfants, leur dit-il, est-ce que nous ne dansons pas ce soir? c'est pourtant le moment. Allons, allons, une ronde… Messieurs les officiers, donnez l'exemple…

A ces mots, la joie renaît sur toutes ces figures assombries; on monte des fanaux sur le pont, car la nuit était venue; on se prend par la main, et matelots, maîtres, officiers, sans distinction de rang, se prennent à danser sur le gaillard d'arrière du vaisseau. On chante des airs de France, des chansons de France, des refrains de France; et c'était chose bizarre que de voir douze cents hommes, qui allaient le lendemain courir à d'affreux périls, tournoyer avec gaîté sur une planche qui les séparait de l'abîme; et préludera à un effrayant combat naval par une valse joyeuse et folle. Il y avait enfin je ne sais quel vivant souvenir du pays dans ces chants nationaux, dans ces airs de nos fêtes, qui se perdaient dans l'immensité et allaient mourir aux oreilles des amiraux d'Ibrahim.

Au bout de deux heures, le commandant, ne voulant pas laisser trop fatiguer ces hommes, qui avaient besoin de toutes leurs forces et de toute leur énergie pour le lendemain, donna le signal de la retraite. On fit l'appel, et chacun prenant son hamac, descendit dans les batteries et se suspendit à sa place habituelle.

Quelque temps encore on put entendre des rires étouffés, d'énergiques saillies, des bons mots de corps de garde, de longues discussions sur le courage des Égyptiens, sur la manière d'éviter les brûlots… Puis, peu à peu toutes ces voix se turent, et le plus profond silence régna sur le vaisseau, qui naviguait sous une petite voilure en attendant le jour.

A ce tumulte bruyant et animé, succédait un calme imposant; chaque officier était descendu dans sa chambre étroite et obscure. Là, vinrent aussi éclore les pensées mélancoliques.

Alors chacun regarde avec amour ce réduit où se sont passées tant d'heures de molle rêverie, de délicieuse paresse, où sont éclos tant de brillants et fantastiques projets. L'un ouvre son bureau et relit encore une fois les lettres d'un vieux père, d'une maîtresse, d'une sœur. L'autre pense long-temps au passé, peu au présent; et pas à l'avenir; il étouffe un soupir de regret, chasse un noir pressentiment, et écrit quelques lignes à la hâte. Ce sont les dernières dispositions, les derniers vœux d'un soldat mourant; c'est une prière, un mot d'adieu… un souvenir pour une femme, pour une mère… qu'on remettra à un ami dans le cas où l'on serait tué…

Et l'on s'endort, et l'on dort bien, parce qu'avant tout on est homme de courage, parce que l'on a payé sa dette à la nature, à un sentiment vrai, et que le lendemain, au bruit du tambour, il faut être inflexible, froid et dur; et qu'au milieu des éclats de mitraille, du sifflement des boulets, du craquement des mâts et des cris des mourants, il reste peu de place dans le cœur pour un sentiment tendre, pour une fraîche pensée d'amour.

Mais, au moins ceux-là peuvent, pendant ces longs quarts qui précèdent le combat, évoquer de riantes images, et vivre quelques heures encore de cette vie de douces fictions; mais celui sur qui pèse une immense responsabilité? l'amiral? oh celui-là est bien malheureux, car il n'a pas une pensée à donner à sa vie intérieure, un battement de cœur à ses émotions d'homme! Dans le silence et la méditation, il lui faut calculer les milles chances d'une bataille meurtrière, les mouvements de l'escadre qu'il commande; il lui faut de l'audace pour concevoir, du sang-froid pour exécuter. Il ne dort pas, lui; il veille pour tous, car ils sommeillent tranquilles à l'abri de son nom. Aussi, à travers les deux fenêtres de l'arrière de la Syrène, on put voir, à la lueur d'une lampe, un homme, jeune encore, les yeux fixés avec une attention dévorante sur un plan de combat, sourire, et marquer avec égoïsme le poste de combat de sa frégate protégée, au plus fort du péril.

Une autre scène se passait sur l'avant du Breslaw. Maître Mulot et maître Rénard étaient assis chacun sur le bord d'une petite couchette qui bordait leur cabane commune; entre eux, était une bouteille et des gobelets de fer-blanc.

– Ainsi, c'est convenu, Rénard; dit Mulot… dans le cas où je serai déralingué… autrement dit tué…

– Eh! donc, matelot, je prends Georges avec moi.

– Ça t'embêtera peut-être?..

– Oui, mais que veux-tu qu'il fasse sans toi, ce pauvre petit. – Il n'y a rien de tel, vois-tu, Mulot, que l'œil d'un père. – Que l'œil d'un père pour voir si vous vous promenez bien sur un bout-dehors, et si vous serrez promptement une voile pendant un grain!

– Merci… oh bien merci… Rénard… car c'est étonnant, je ne peux pas surmonter ça… je suis sûr de filer mon câble demain… deux fois mon couteau s'est ouvert tout seul… hein?

– Eh! donc, c'est pas pour t'effrayer, mais c'est pas rassurant…

– Enfin, Dieu est Dieu… mais ça me vexe pour Georges.

– J'en aurai soin… Eh! donc, je te le promets…

– Pauvre petit!.. regarde donc comme il dort…

Et les deux marins s'approchèrent doucement d'un hamac, suspendu dans un coin de la cabane, là un enfant de dix ans, dormait paisiblement; et sa figure avait même pendant son sommeil, une expression de gaîté et de finesse singulière pour un âge aussi tendre…

Maître Mulot le considéra un instant en silence… Puis, ses yeux se mouillèrent, et une larme roula sur la joue de son fils.

– S…! dit-il en essuyant du revers de sa grosse main goudronnée, s… je ne suis pas un lâche… et tiens, Rénard… je voudrais que ce s… combat n'eût pas lieu…

– Eh! donc est-ce que je ne suis pas là?.. Matelot! s'écria Rénard en se jetant dans les bras de Mulot et fermant ses yeux pour qu'il ne vît pas qu'il pleurait aussi…

– C'est égal, Rénard… mon bon matelot… c'est égal… je ne suis pas tranquille… Ça t'est bien aisé à dire, toi, qui es sûr de ne pas y laisser ta peau à cette chienne de danse.

– Ça, c'est vrai, j'ai soufflé trois fois mon fanal, et trois fois je l'ai rallumé en le levant en l'air… Ainsi, je suis sûr de rester. Alors, qu'est-ce que t'as à craindre?

– Pauvre Georges, dit Mulot. – Lui qui est si vif et si espiègle… Enfin l'autre jour, je ris rien que d'y penser, n'a-t-il pas mis le grand panneau de la batterie en bascule, de façon que le petit gredin, s'est fait poursuivre par trois novices de ce côté-là… Lui qui savait la chose, a sauté par dessus le panneau, – et les trois sauvages de novices qui ne le savaient pas, ont cabané au fond du faux-pont; – même qu'il y a eu un de ces brutaux qui s'est arrangé les jambes si drôlement, que le major croyait qu'il faudrait lui en ôter une.

– Le fait est, Mulot, dit gravement Rénard, que Georges promet d'être un bien joli sujet, et qu'il a des dispositions que je soignerai si tu crèves… tu peux y compter.

– Enfin, mon vieux Rénard, adieu et merci, si je ne te revois pas après le bastringue.

Et ces deux hommes s'embrassèrent cordialement, après quoi ils s'étendirent sur leur couchette en attendant le point du jour, car on devait entrer de vive force dans la rade au lever du soleil.

LE COMBAT.
22 octobre 1827

Triste… triste…

GOETHE.

Voici le jour, voici que le soleil commence à dorer de ses rayons ces eaux si bleues, si fraîches, si transparentes de la Méditerranée, et c'est à travers une légère brume que se dessinent les hauts rochers de Sphacterie. Lève-toi, pauvre matelot; lève-toi, secoue tes membres engourdis, ploie ton hamac et cours aux roulements du tambour. – On parle bien et beaucoup du tranquille sommeil de ces héros qui dormaient avant le combat… Que de héros, mon Dieu, dans ces longues batteries! car leurs ronflements surmontent, je crois, le bruit de la caisse.

On monte, on fait l'appel, et c'est plaisir que d'entendre ces voix mâles et sonores répondre à chaque nom; seulement, chacun se dit, en regardant ses voisins avec l'air du plus grand intérêt: – Ce soir, peut-être, ces rangs si pressés seront éclaircis; ces voix, maintenant retentissantes, feront entendre des râlements sourds et étouffés, et ces bonnes figures brunies par le soleil seront pâles et sanglantes. – Mais, après tout, comme il faut des morts et des blessés, autant que ce soit eux que moi; – c'est si naturel!

A dix heures, chacun reçut l'ordre de se rendre à son poste de combat. Les armes furent montées sur le pont, et l'on ouvrit la soute aux poudres.

Je descendis alors dans la batterie de trente six; c'était un admirable spectacle! Le jour ne pénétrant que par les sabords, éclairait toutes les figures en reflet, à la manière Rembrand; puis, glissant sur les canons noirs et polis scintillait sur le brillant acier des platines, tandis que le milieu et l'avant de la batterie restaient dans l'ombre; seulement, par un caprice de la lumière, le fer des piques et des sabres qui garnissaient le cabestan luisait par intervalle comme autant de vifs éclairs. Tous les matelots, coiffés d'un petit chapeau de paille, vêtus seulement d'un pantalon et d'une chemise serrés autour des reins par une ceinture rouge, entouraient silencieusement leurs pièces.

Les mêches brûlaient, et chaque pointeur, appuyé sur la culasse du canon, tenait la longue corde qui fait jouer la batterie; car à bord les canons font feu comme des fusils, au moyen d'un chien et d'un bassinet.

A l'arrière, le plus ancien lieutenant du vaisseau donnait ses ordres à un enseigne et à quelques aspirants, qui devaient surveiller et hâter la manœuvre; puis Rénard, le maître canonnier, allait, venait, tournait et parlait, à chaque homme et à chaque canon, tantôt avec des menaces, tantôt avec des encouragements ou des flagorneries sans pareilles.

Arrivé près de la cinquième pièce de tribord il s'approcha, et, après un long et pénétrant coup d'œil jeté sur son affût: – Eh donc!.. c'est toi qui pointes ce canon-là, Guilbo? dit-il à un grand garçon qui jouait avec sa corne d'amorce.

– Oui, maître…

– Ah ça… tu connais son caractère… tu sais que c'est l'Enragé… qu'il porte dix toises de plus que les autres? mais qu'il a un fameux recul… Ainsi, veille à tes pattes…

– Merci, maître…

– Eh donc mes enfants, soyez attentifs; pour des novices, vous allez avoir celui de vous trouver à une fameuse danse. Surtout du calme, et n'ayez pas peur du sang; car, voyez-vous, quand une blessure saigne… c'est bon signe…

A ce moment Mulot sortit du faux pont, son visage était radieux et il tenait Georges par la main.

– Bonjour, matelot, dit-il à Rénard en lui frappant joyeusement la tête avec sa longue vue.

– Eh donc! mon vieux, nous sommes bien gais ce matin… Ah! tu sens la poudre… tu sens la poudre…

– D'abord… et puis… je suis sauvé; tu n'auras pas la scie de te charger de mon fils, car je verrai grandir Georges.

– Eh donc! qui t'a dit cela?

– Tiens, Rénard, ce matin, je n'y ai pas tenu; j'ai été trouver le capitaine de frégate qui est un bon, un ancien, et je lui ai dit: capitaine, vous me connaissez, je ne suis pas poltron, eh bien, au lieu d'être à la barre sur le pont, laissez-moi gouverner à la barre de rechange. – Mulot, qui me dit, on ne peut rien refuser à un vieux comme toi; vas-y, et veille au grain. – Tu vois, matelot, l'histoire de mon couteau me disait bien de craindre si j'avais été à mon poste, aussi c'est là que le boulet viendra pour me chercher, mais il ne trouvera rien du tout… vieux… rien du tout… sera-t-il vexé! Enfoncé le boulet… – S'écria le bonhomme en embrassant son fils.

– Oui, compte là-dessus, dit Rénard en lui-même… comme si celui qui de là-haut dirige les boulets qui nous envoient en dérive, comme si celui-là s'était jamais trompé… Il vous avertit par des présages, c'est déjà beaucoup.

– Aussi à tantôt, mon matelot, dit gaîment Mulot; tiens, je te laisse Georges, il est pourvoyeur à la onzième pièce.

– A tantôt, dit Rénard, mais avant embrasse-moi toujours.

– Bah! nous sommes parés toi et moi; après à la bonne heure.

– Après, murmura tristement Rénard, puis, tendant sa main au timonnier, – c'est égal, mon vieux… c'est une idée que j'ai comme ça.

– A la bonne heure, dit Mulot en se jetant dans les bras de son ami qui le pressa plus fortement que de coutume. – Ils se séparèrent, et Rénard, en le voyant monter dans la batterie de 18, s'écria douloureusement: – Ça me fait un ami de moins et un fils de plus. Sacrebleu! qu'il vive, mon vieux matelot, et j'adopte tous les mousses du onzième équipage, s'il le faut?

Un roulement de tambour prolongé annonça que le commandant inspectait les batteries; il descendit, et après un sûr et rapide examen des hommes et des pièces, il remonta sur le pont après avoir adressé à l'équipage quelques mots encourageants.

Il était alors midi; il vira de bord afin de ranger la côte de Morée et de doubler la pointe qui cache les fortifications de Navarin et forme l'entrée de la baie.

Cette manœuvre était claire et significative, mais quand l'Asia, portant le pavillon amiral anglais, suivi du Genoa et de l'Albion, donna dans la passe, on ne conserva plus de doute sur l'issue de l'événement.

Après eux venait la Sirène. A une légère embardée que fit le Breslaw on put la voir un instant, marchant avec grâce sous ses huniers et se dressant sous son pavillon.

– Cette vue électrisa les matelots qui se penchèrent aux sabords.

– A-t-elle l'air fier dit l'un.

– Eh donc… c'est qu'elle sait qui elle porte, mes garçons… C'est comme un cheval, voyez-vous, ça connaît son maître… Enfin un bateau marchand, une bouée, une cassine à calfats que monterait un amiral… ça se verrait toute de suite…

– Mais, maître Rénard, dit un autre, pourquoi donc les Anglais passent avant nous?

– C'est pour essayer les canons de Brahim, mes enfants, mais quand il s'agira de mordre, nous serons sur la même ligne. Allez, c'est pas notre amiral qui se laissera mettre le cap sur lui. C'est là un malin! Oh il n'y a pas moyen de voir, comme on dit, ce qu'il a dans son bidon… Il les a tous enfoncés avec ce qu'il appelle, je crois… sa… sa plomatie, maintenant il va recommencer avec ses canons, et soyez calmes, garçons, je l'ai vu exercer… il en joue drôlement du canon!

A ce moment l'immense porte-voix qui correspondait du pont à la batterie basse résonna et fit entendre ces mots: – Canonniers à vos pièces… et surtout ne faites pas feu avant l'ordre!..

Le lieutenant, l'enseigne et les aspirants répétèrent cet avis.

On doublait alors la pointe et l'on put apercevoir la ville et les forts qui s'élevaient en amphithéâtre, et sur la côte l'escadre turco-égyptienne embossée en fer à cheval, ayant à droite trois vaisseaux de ligne, au fond vingt frégates de 60, et sur la gauche d'autres frégates d'un moindre calibre, puis des corvettes et des bricks qui, formant une seconde et une troisième ligne d'embossage, devaient par leurs feux croisés soutenir les navires du premier rang.

Jamais je crois, de mémoire de marin, on n'avait vu un tel nombre de vaisseaux de guerre resserrés dans un aussi petit espace, dans une baie qui n'avait pas une lieue de profondeur.

Le plus grand silence régnait parmi les matelots qui regardaient attentivement les vaisseaux anglais mouiller bord à bord des Égyptiens à une portée de pistolet.

– Bon, dit tous bas Rénard, voici notre amiral qui ne se gêne pas, la meilleure place… vergue à vergue avec l'amiral turc… une frégate de 60 à bâbord, une autre à tribord, sans compter les corvettes… sacrebleu… quel beau mouillage… est-elle gourmande cette Sirène… il lui en faut trois à combattre… eh dame… voilà ce que c'est que d'être montée par un amiral qui veut faire culotter son pavillon à cette fumée-là… mais patience, notre commandant en mange aussi, et nous aurons notre part…

A l'entrée du port, à gauche étaient mouillés deux goëlettes et trois sacolèves. Le commandant de la corvette anglaise le Dearmouth envoya deux embarcations pour se saisir de ces bâtiments que l'on supposait être des brûlots… Les Anglais furent accueillis à coup de fusil par les Égyptiens, et presqu'au même instant un coup de canon, tiré par un bâtiment turc sur la Sirène, tua un homme de son équipage.

Aussitôt l'amiral de Rigny engagea le feu, les amiraux anglais et russe suivirent son exemple, et le combat devint général.

Au bout de dix minutes la brise qui soufflait avait entièrement cessé, neutralisé par les épouvantables détonnations de cent navires de guerre qui roulaient et retentissaient encore dans les montagnes qui cernent la baie, un immense dais de fumée planait au-dessus du bassin dont l'eau était criblée par tant de milliers de projectiles, qu'elle semblait troublée par des gouttes de pluie…

On ne voyait autour du Breslaw, qui profitait du dernier souffle de vent, qu'une vapeur noirâtre, éclairée de temps en temps par des flammes rapides, enfin ce beau navire atteignit le fond de la ligne d'embossage et mouilla par le travers d'un vaisseau turc, qui ayant pris l'amiral russe en poupe, faisait à son bord un ravage horrible par ses volées de bout en bout…

Cette effrayante canonnade colora tout à coup la batterie du Breslaw, les matelots restèrent silencieux et calmes… seulement quelques jeunes gens pâlirent, l'immense porte-voix résonna de nouveau et l'on entendit – feu, feu… tribord…

Ce commandement était à peine répété par les officiers, que la volée partit aux cris de vive le roi.

– Eh donc! bravo, mes garçons, s'écria Rénard qui, penché sur un sabord, avait suivi l'effet de la bordée, encore une pareille et le pavillon rouge verra que notre poudre est bonne.

– Prenez garde! prenez garde! cria-t-on sur le pont à l'entrée du grand panneau, un blessé! dégagez l'entrée de la cale. – En effet une espèce de fauteuil amarré avec des cordes s'affala peu à peu, et, lorsque l'homme tout sanglant qui descendait attaché sur cette machine, passa devant un petit mousse qui courait porter un boulet à la onzième pièce, on entendit une voix mourante s'écrier d'un ton déchirant: – Georges!.. C'était le vieux Mulot qui appelait son fils pour la dernière fois. – On lâcha une seconde volée: la fumée remplissait alors la batterie, et les cris discordants des mousses qui penchés à l'entrée de la soute aux poudres, demandaient des gargousses, se mêlaient au commandement des officiers et au bruit de l'artillerie.

Le combat était alors dans toute sa fureur, et la chaise suffisait à peine pour descendre les blessés dont les plaintes s'étouffaient bientôt dans les profondeurs de la cale.

Tout à coup, un sifflement aigu et rapide traverse la batterie, et deux coups secs, éclatants, retentissent. C'était un boulet ramé qui, entré par un sabord d'arcasse, ricocha sur deux pièces, tua un homme, en blessa deux, et se logea dans la préceinte.

– Otez-ça, dit Rénard en montrant le cadavre sanglant, ça distrait.

Un cri perçant se fit entendre à la huitième pièce. – Qu'est-ce donc, Rénard, demanda l'officier qui, calme et froid, commandait le feu par un mouvement de son épée. Le maître y courut et vit un chargeur dont le poignet avait été écrasé par un boulet sur la gueule de sa pièce.

– Eh donc dit Rénard, quel est ce braillard? il crie comme une mouette.

– Maître, dit le pointeur, c'est Mélon qui vient d'oublier sa main sur son canon et de laisser tomber le refouloir.

– Sainte Vierge! sainte Vierge! criait le pauvre novice breton qui voyait le feu pour la première fois, Sainte Vierge! c'est un mauvais poste que celui de chargeur.

– Eh donc! dit Rénard en le poussant dans la cale, va faire entortiller ton moignon; mais sacredieu, tais-toi! Si tu n'en manges plus n'en dégoûte pas les autres…

Allons, garçons, n'écoutez pas ce paroissien; c'est une fameuse place à prendre que la sienne, car le même coup n'arrive jamais deux fois.

– Ça c'est sûr, aussi j'y vais, maître, dit le servant de droite, à moi le refouloir… Et comme il s'avançait pour charger, un biscaïen lui fracassa l'épaule droite.

– Eh donc! c'est particulier. Ote-toi de là, mon garçon, va te faire panser, et voyons qui cédera de nous deux, dit Rénard en prenant la place du matelot blessé.

A cet instant, une des frégates turques que le Breslaw combattait, coupa ses câbles et laissa porter sur ce navire afin de tenter l'abordage.

– Je la vois encore, à son avant était sculptée une espèce de chimère colossale peinte en rouge avec des yeux verts… Au milieu de la vapeur bleuâtre de la poudre, elle s'avançait, s'avançait, et l'on distinguait ses passe-avant couverts de nègres et d'Arabes presque nus, armés de poignards et de haches… Puis, monté sur un porte-hauban de misaine, un officier égyptien, petit et assez jeune, vêtu de bleu avec un turban dont les plis en désordre flottaient sur son col. De sa main droite il semblait désigner le grand mât du vaisseau.

Tout à coup notre volée partit comme le beaupré de cette frégate allait s'engager dans nos haubans d'artimon. On entendit un cri effroyable, immense, qui un instant domina le bruit infernal du combat, et quand la fumée fut dissipée, on ne vit de la frégate égyptienne que son avant qui resta quelques secondes à la surface de l'eau, et disparut tout-à-fait en laissant une large traînée de matelots qui tentèrent de gagner le rivage ou de s'accrocher aux manœuvres pendantes le long du bord.

A cette vue l'équipage poussa des cris d'une joie frénétique qui augmentaient encore l'espèce d'ivresse causée par l'action du combat et l'odeur de la poudre.

Bientôt une rumeur sourde circula sur le pont, puis gagna les batteries, et l'on apprit enfin que le commandant La Bretonnière venait d'être blessé sur son banc de quart.

En effet, quelques minutes après le fatal fauteuil s'abaissa, portant le brave capitaine du vaisseau, qui s'arrêta et dit, oubliant ses douleurs: «Bravo, mes amis, le onzième équipage se couvre de gloire, de cinq frégates que nous avions à combattre, il n'en reste que deux; le feu du vaisseau turc est éteint; nous avons sauvé l'amiral russe. Continuez, mes amis… Continuez…»

Ces mots électrisent l'équipage. Vengeons notre commandant, s'écrièrent-ils, et malgré les cris des blessés et des mourants, malgré le vide que l'on apercevait à chaque pièce, les volées furent plus nourries que jamais. – Pointez à fleur d'eau, criait Rénard, à fleur d'eau, mes enfants, voyez, cette turque-là est déjà démâtée de son grand mât… Vingt boulets dans sa coque et c'est cuit.

A peine achevait-il ces mots, qu'une effroyable détonnation se fit entendre; une immense colonne de fumée blanche et compacte, très-étroite à sa base, se déroulant à son sommet en formes de larges volutes, enveloppa la frégate qu'on allait canonner, et quand cette vapeur s'éleva un peu au-dessus de la surface de l'eau, on ne vit que l'arrière du navire turc, qui flamboyait au milieu de la mer. Le capitaine avait mis le feu aux poudres et s'était fait sauter.

Le chien, dit Rénard, nous aura mordu en mourant, gare les débris et les éclats, j'aimerais mieux une franche bordée de 56…

En effet, les voyages réitérés de la chaise annoncèrent que les prédictions de Rénard s'étaient réalisées, et que l'explosion de la frégate nous avait couvert de débris brûlants, et tué ou blessé beaucoup de monde.

A chaque instant les boulets se croisaient dans les batteries, traversaient les œuvres vives, perçaient le pont, et c'est avec une singulière insouciance que les matelots les voyaient alors ricocher et bondir…

Il était cinq heures et demie, le roulement du canon s'affaiblissait, la fumée devenait moins intense, et l'on s'apercevait que le combat tirait à sa fin; à six heures, ce que l'on pouvait appeler comparativement du calme remplaça cette bataille meurtrière, la nuit s'approchait, la flotte égyptienne était totalement désemparée et les Turcs se jetaient à la côte en incendiant leurs bâtiments de commerce…

On fit alors prendre quelques moments de repos aux équipages, et on leur distribua des rafraîchissements.

Alors seulement les officiers que leur poste avait retenus dans les batteries purent monter sur le pont. Ce fut là une émotion impossible à décrire, ce qu'on ne peut comprendre qu'après l'avoir éprouvé.

Nous nous revîmes tous, et il faut savoir avec quel plaisir on se retrouve, on se serre la main, après avoir lutté pendant cinq heures contre un péril imminent. Ce fut du plus profond du cœur que chacun félicita son camarade de son bonheur.

Ce premier moment d'exaltation passé, on donna un coup-d'œil au vaisseau, à la rade…

Quelle différence… Ce matin il fallait voir ces agrès, ces manœuvres soigneusement rangées, ce pont si blanc, ces canons si luisants, ces drômes si étincelantes, tout cela ce soir est brisé, rompu, sanglant, les manœuvres éparses encombrent le pont, les vergues percées, hachées, pendent au travers des cordages, les voiles sont à jour, et le pont est rougi d'un noble sang.

Et quelle nuit, à chaque instant des explosions, à chaque instant des navires en feu qui, sans direction, se croisaient en tous sens et menaçaient de nous incendier, nous savions bien que nous avions l'avantage, mais nous ignorions nos pertes, seulement un canot de l'amiral russe vint remercier le Breslaw de l'assistance que ce vaisseau lui avait prêtée.

On illumina les batteries, les canonniers restèrent jusqu'au jour couchés près de leurs pièces, car on savait que les Turcs devaient, le lendemain, tenter un dernier effort, et engager de nouveau le combat avec une réserve qui n'avait pas donné pendant l'action.

Après avoir inspecté sa batterie, maître Rénard monta sur le pont et s'avança vers la roue du gouvernail où se tenait alors un timonnier… il s'aperçut en frémissant que la barre était ensanglantée. – Dis-moi, mon garçon, as-tu gouverné pendant l'affaire…

– Oui, maître Rénard, car c'est moi qui ai remplacé maître Mulot.

– Rénard frissonna.

Mais je croyais, ajouta-t-il, après un moment de silence… je croyais qu'il était à la barre de rechange dans la batterie de 18.

– Oui, maître Rénard, il allait y descendre, mais le voilier s'est mis à rire comme il passait, en disant: – Tiens, voilà un ancien qui s'affale en bas, parce que ça va chauffer… est-ce que les dents lui claquent? – En parlant par respect, maître Rénard, c'était une bêtise, parce que tout l'équipage savait que le maître timonnier était un bon, qui en avait vu des grises dans le temps de l'autre.

– Eh bien… achève…

– Alors maître Rénard, l'ancien est remonté, il a pris la barre en disant au voilier: – Si j'en reviens, ce sont tes dents qui claqueront. – Enfin, maître, à la première volée que le vaisseau turc nous a envoyé, j'étais là, tout près, j'ai fermé les yeux, et en les rouvrant j'ai vu maître Mulot couché par terre, la tête sur un habitacle… le boulet l'avait pris là… dit le jeune homme encore pâle à ce souvenir… là. – Et il montrait sa poitrine…

– C'est moi, maître, qui l'ai amarré sur la chaise, et je l'ai entendu qui disait bien bas… Je le savais… pauvre Georges! – Et voilà tout ce que j'ai vu, maître Rénard.

A ce moment on entendit des cris – qu'est-ce que c'est, demanda Rénard?

– Ah! maître, ce sont ces vermines de mousses qui jouent ensemble avec le petit Georges, je reconnais sa voix… Tenez, ils sont là, sur l'avant, près la poulaine.

Rénard se dirigea vers l'avant et vit une douzaine de mousses, noirs de poudre et de fumée qui entouraient Georges.

– Mais va donc te faire panser, lui disait l'un.

– Je te dis que non, je ne veux pas, moi; c'est rien du tout…

– Rien du tout, mauvais gamin, dit un canonnier, d'un air courroucé… rien du tout… C'est rien du tout que deux doigts d'emportés… Cette petite canaille-là est estropiée, et il dit que c'est rien du tout… Répète-le encore et tu vas voir! – dit le philanthrope, en levant la main sur Georges.

– Je vous dis, moi, reprit fièrement l'enfant qu'on ne me pansera pas maintenant, mon père le saurait… et ça le vexerait… Puisqu'il est blessé lui-même, faut pas que je l'inquiète pour une misère…

– Ah! oui, ton père… reprit le canonnier, – ton père… joliment… il est…

La phrase fut interrompue par le plus glorieux coup de poing qu'un homme ait jamais reçu; – te tairas-tu, carogne, dit maître Rénard en menaçant encore l'indiscret… Puis se retournant vers Georges.

– Toi, viens en bas, mon enfant…

– Voir mon père, maître Rénard, dit l'enfant en cachant sa main ensanglantée. – Non, mon petit… non… demain… ou après… en attendant, couche-toi là… près de cet affût… En attendant, c'est moi qui serai ton père. Entends-tu… je t'aimerai bien; mais sacredieu n'aies pas peur.

– Oui, maître Rénard, dit Georges tout tremblant… et n'osant pleurer, au souvenir du gros baiser que son père lui donnait tous les soirs.

– Sacredieu… pensa Rénard, en s'enveloppant dans sa capote… hier, à cette heure-ci, mon vieux matelot était près de moi… et aujourd'hui… pauvre Mulot, va.

Et il s'assit aux pieds de Georges, en attendant le jour.

Yosh cheklamasi:
12+
Litresda chiqarilgan sana:
30 sentyabr 2017
Hajm:
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Mualliflik huquqi egasi:
Public Domain

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