Faqat Litresda o'qing

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Kitobni o'qish: «Quelques créatures de ce temps», sahifa 5

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BÉNÉDICT

Il habitait un divan vert quand je l'ai connu. Il avait pour draps un rideau en percaline lorsque les draps étaient à la blanchisseuse, et pour couverture un manteau d'Ojibewas en peau, tatoué en rouge de mille figures qui avaient peut-être l'intention de représenter une chasse aux bisons.

Le grand-père de Bénédict avait été un peintre de genre connu, et un vignettiste couru au temps où les journaux de mode recommandaient aux élégantes les casques à la romaine en satin jaune, les robes à l'anglaise, et les sabots chinois garnis de falbalas roses.

Son père était un mathématicien distingué.

A dix-sept ans, Bénédict, qui se destinait à Saint-Cyr, entra à l'école préparatoire de M. Loriol. – Il y passa un an, et y apprit le cornet à piston.

Bénédict revint chez son père, et se mit à travailler pour passer son baccalauréat.

Le père de Bénédict était attaqué de la poitrine. Il partit pour la Touraine. Dix jours après son départ, il reçut une lettre de son fils, qui lui demandait 300 fr. pour acheter un canot. Le bonhomme, qui n'avait plus grande force pour refuser, envoya l'argent.

Le canot de Bénédict lui amena des amis, et entre autres un jeune homme nommé Armand, entrepreneur des peintures au Jardin des plantes où son père était gardien en chef. Armand avait obtenu de dresser un petit théâtre dans une des serres; et les amis d'Armand répétaient là, avec leurs maîtresses, quelques petits vaudevilles qu'ils avaient l'ambition de jouer à Chantereine. Deux ou trois femmes dépareillées s'étaient jointes à la troupe bénévole. Gaillardement on détonnait le couplet. Les Finettes et les Nérines avaient cette volubilité de langue nécessaire pour traduire les Regnards du Palais-Royal. Presque tous les soirs, les répétitions avaient lieu au Jardin des plantes. Les acteurs étaient bien près de se prendre au sérieux, et les actrices jouaient pour sourire. Le public prié était indulgent comme un public qui ne paye pas; et M. de Saint-Albine eût reconnu que ce n'était pas demander l'impossible à ces comédiens de la prime jeunesse, que d'exiger «quand ils jouaient ensemble des scènes tendres, qu'ils fussent, pour ce moment, épris l'un de l'autre.» Et si bien ils l'étaient, qu'une belle blonde qui répondait au nom de Jenny, et qui avait pour 4000 fr. de meubles rue de Richelieu, prit Bénédict en affection.

Aux beaux jours, ils firent rouler tout aux environs de Paris leur chariot de Thespis. Ils jouèrent partout, – les beaux fils et les belles filles, – sur des planches posées sur des tonneaux, avec des lustres faits d'une herse où l'on plantait des bougies, quelquefois au profit d'eux-mêmes, souvent au profit des pauvres. – Bénédict passa l'été à apprendre dans la journée ses rôles pour le soir, par tous les sentiers de Chatou et de Saint-Cloud, sa Jenny au bras: il lui donnait le ton de ses couplets, elle lui donnait la réplique de son amour.

Mais voilà qu'il n'y a plus d'argent chez mademoiselle Jenny. Les meubles s'en vont. L'oreiller tout passequillé de rubans bleus, et le lit, et le tapis, et les chauffeuses, tout cela s'envole. – Bénédict n'hésita pas. Il prit sa maîtresse avec lui, dans l'appartement le son père. Les 125 fr. par mois qu'il touchait pour ses dépenses de poche ne lui suffisant plus, il réfléchit qu'il y avait trois pendules dans l'appartement, et que trois pendules cela faisait deux redites. Il mit deux pendules au mont-de-piété. Il réfléchit encore qu'un Voltaire en 95 volumes était une édition gênante, et en quatre voyages, aidé de sa maîtresse, il le déménagea chez madame Mansut.

Un matin, le portier de la maison entra tout effaré dans la chambre de Bénédict, et lui dit: «Monsieur, votre père qui est en bas!» – Bénédict descendit. – «Je sais tout, – lui dit son père. – Je vous donne huit jours pour que cette créature quitte la maison. Je reviendrai dans huit jours.»

Le jour même, Bénédict alla louer une petite chambre faubourg du Temple. Un ami le mena chez un juif du quai de la Tournelle, qui, moyennant des billets payables à sa majorité, lui fournit un mobilier en noyer de 700 fr. Bénédict s'installa là-dedans avec Jenny.

L'argent du père s'arrêta; et la misère frappa, brutale, au logis. La femme qui jadis ne fatiguait ses doigts qu'à porter des bouquets, se mit à piquer des selles de luxe et à colorier des images, se levant au matin pour ne cesser de travailler que l'aiguille ou le pinceau lui tombant des mains de fatigue, à onze heures ou minuit. Bénédict trouva à occuper sa journée au télégraphe qu'essayait alors de monter l'abbé Gonon. Il gagnait cent sous par jour, et le soir il pliait des enveloppes qui lui étaient payées 3 fr. le mille. Pourtant, en cette dure vie, et en cette chambre ouvrière, l'amour mettait des chansons. Un ou deux de leurs anciens camarades venaient encore le soir, et alors on se contait, à un petit feu avare de cotrets, quelques souvenirs des anciennes comédies qu'on répétait sur l'herbe. Souvent une actrice du Vaudeville, morte depuis, madame B… qui connaissait Jenny, venait voir le jeune couple, traversant comme une fée leurs ennuis journaliers, les égayant à ses grâces d'oiseau, à ses chants de fauvette; et sachant que leur tirelire fuyait, hélas! elle les emmenait dîner avec elle, ne voulant pas de leur écot, et leur disant qu'ils payeraient la prochaine fois.

«Bénédict, – dit un jour Jenny, nous avons assez mangé de misère comme ça. Il serait temps de nous retourner. On m'offre 1800 fr. pour aller à Limoges.

–Qui ça?

–Le directeur donc, M. Carrier de Richaux. Tu peux encore t'arranger avec ton père. C'est un service que je te rends en m'en allant là-bas. Je t'écrirai, d'ailleurs.»

A vingt-quatre heures de là, Bénédict frappait à la porte de la maison de santé du docteur Hoffmann, avenue Fortuné. C'était là qu'était venu habiter son père. La maladie l'avait gagné, et il sentait qu'elle ne devait plus s'en aller qu'avec lui.

«Mon père, – dit Bénédict, quand il fut en face du vieillard, je vais me faire comédien.»

Le vieillard pâlit soudainement, et porta son mouchoir à sa bouche. Il ne répondit pas.

«J'ai un engagement de premier comique pour Limoges, à 1500 fr. par an; mais je n'ai rien pour m'acheter des perruques et des costumes, et j'ai compté sur vous.»

Le vieillard dit à Bénédict: «Revenez demain.»

Le lendemain, le père était au lit. Il prit un billet de cinq cents francs dans un portefeuille sur sa table de nuit, le tendit à Bénédict, avec ce seul mot: «Partez.»

Bénédict descendit l'escalier, se jeta dans un cabriolet, et fondit en larmes.

Le jour où le théâtre de Limoges fit son ouverture, il arriva à Bénédict une chose assez romanesque. Le spectacle commençait par une sorte de prologue pot-pourri, où tous les personnages de la troupe paraissaient successivement, Bénédict fut placé dans l'avant-scène de droite. C'était là qu'il devait jouer son fragment de rôle. L'avant-scène de droite avait été louée pour madame la générale de R… et ses deux filles. Mais le directeur avait obtenu d'elle qu'elle voulût bien permettre qu'un étranger de passage dans la ville prît place dans sa loge. Voici donc Bénédict installé dans la loge de la générale, en habit noir et ganté frais. Il avait encore une tournure de fils de famille, et ses gestes, et les mille riens de la pose et du regard disaient un homme bien né. La conversation s'engagea entre madame de R… et Bénédict, madame de R… lui demandant «s'il croyait à une bonne troupe», et lui, répondant «qu'il n'avait pas grande confiance dans ces cabotins de province; et madame de R.***. – «Vous êtes de passage? – Quelques jours seulement… – Jolie actrice que cette blonde… – Peuh! – Et où habitez-vous? A l'hôtel de la Promenade, madame. – C'est le meilleur. – C'est le seul, m'a-t-on dit.» La conversation allait le même train que le prologue quand, à ces mots de l'actrice en scène: «Et pas de premier comique!» Bénédict, soudain levé et comme entrant dans la voix d'Arnal: «Le premier comique demandé voilà!» – Puis il acheva son bout de rôle, le public riant, madame de R… toute rouge, et ses filles se retournant pour voir. – «Oh! madame. – dit Bénédict en s'inclinant bien bas, quand il eut fini, – que d'excuses! – Cela n'en vaut vraiment pas la peine, monsieur», répondit madame de R… d'un ton piqué.

Deux mois se passèrent. – Un soir où Bénedict jouait Babiole et Joblot, à sa sortie, à la deuxième scène, il reçut une lettre qui portait ceci: «Monsieur, votre père vient de mourir. Veuillez venir à Paris le plus tôt possible, et passer à mon étude pour y régler les affaires de la succession.» – Bénédict suffoquait. La réplique venait. Le directeur le poussa. Il finit la pièce. Il avait des larmes plein la voix. On crut à un nouveau moyen comique. On applaudit.

A Paris, les tristes démarches et les tristes cérémonies faites, Bénédict apprit qu'il lui revenait 125 000 fr., plus 10 000 fr. de bons du Trésor. – Il acheta à Jenny des cadeaux.

En diligence, mille pensées lugubres l'assaillirent d'abord. Il lui sembla revoir son père, comme il l'avait vu la dernière fois son mouchoir sur la bouche, et la face maigre. Son dernier mot: «Partez», lui revibrait douloureusement dans la conscience, avec son accent précis… Puis, par un de ces jeux ironiques et irrespectueux où se plaît la pensée, son imagination sauta du cercueil de son père à sa maîtresse; et il songea au bonheur qu'elle allait avoir à se parer de tout ce qu'il lui rapportait; et tout songeant, il s'endormit.

–Monsieur, – dit le conducteur, – nous sommes à Limoges. – Bénédict abaissa la glace de la portière, et levant machinalement les yeux, il aperçut à une fenêtre du rez-de-chaussée de l'hôtel de la Promenade, sur une table, un bol de punch qui flambait et trois hommes attablés autour. Il descendit. Une main lui frappa sur l'épaule, c'était Alexis, l'un de ses camarades. – «Nous vous attendions, venez.» – Bénédict trouva près du bol de punch, Carini, le père noble, et de Richaux, le directeur. – «Et Jenny? dit Bénédict. – Nous avons une mauvaise nouvelle à vous apprendre, dit Carini. – Malade?.. morte?.. et la voix de Bénédict se strangula. – Rassurez-vous, reprit Carini, elle n'est ni morte, ni malade; seulement, en votre absence, elle ne s'est pas conduite… Elle vous a trompé. – Veut-elle se remettre avec moi? – Carini hocha la tête. – Et qui? dit Bénédict. – C'est moi, monsieur, – dit de Richaux en s'avançant. Bénédict prit une bouteille de champagne par le goulot, et leva le bras; Carini le retint. – Monsieur, dit froidement de Richaux, elle vous a aimé, elle ne vous aime plus. Quand nous nous battrions, je ne vois pas ce que cela changerait à votre position et à la mienne. – Que je la voie deux heures seulement, – fit Bénédict, – et… – On va vous mener chez elle» – dit de Richaux.

Jenny était sur son lit, les cheveux épars, dans une pose tragique. Elle s'était faite pâle avec de la poudre de riz. – «Ma mère! ma mère! s'écria-t-elle en voyant Bénédict amené par Carini qui se retira, dites que je suis une misérable! – Monsieur, ne me touchez pas!» et Bénédict se laissa prendre à cette scène de drame qu'il avait vu jouer cent fois à sa maîtresse sur les planches.

Au matin, Jenny reprit la promesse qu'elle avait faite à Bénédict de retourner avec lui à Paris. Jenny ne voulut plus partir. Bénédict la menaça de se tuer. Jenny promit encore pour retirer sa promesse peu après. Quatre ou cinq jours durant ce furent des reproches et des apaisements, des génuflexions et des révoltes, des jalousies et des miséricordes, des larmes et des trêves qui ne valent pas un récit, parce que cette déchirante bataille d'un amour vivant avec un amour mort est toujours la même. Enfin, lassée de ses obsessions, et pour avoir la paix, Jenny jura d'aller le retrouver dans huit jours.

Bénédict partit, le remords au cœur. Pour cette femme, il n'avait pas fermé les yeux de son père.

De retour à Paris, il reçut deux lettres de Jenny, à huit jours de distance. Dans la première elle lui demandait 200 francs pour faire le voyage. La seconde était ainsi conçue: «Cher enfant, je suis indigne de vous. Que diriez-vous de moi si je retournais avec vous maintenant que je suis déshonorée? Ah! vous penseriez peut-être que je veux profiter de la fortune qui vous est tombée. Adieu! Je vous renvoie les 200 francs que vous m'avez envoyés. Celle qui vous aime toujours.» Seulement-dit gravement Bénédict quand il raconte cette histoire, – les 200 francs n'y étaient pas.

Alors commença une noce énorme et royale. Entre les dix doigts de Bénédict l'argent coula comme l'eau. Ce fut un gala de trois ans, une table ouverte, une Cocagne, un festin toujours recommencé. Tous venants étaient accueillis; tous accueillis mangeaient. Les connaissances des amis arrivaient-elles au dessert, on relayait le dîner qui repartait de plus belle, et de la cave le vin remontait. C'était une auberge, une auberge et un mont-de-piété, cet appartement de la rue Notre-Dame-de-Lorette. Quand vous aviez mangé trois fois chez Bénédict, cela vous faisait un droit tout naturel à lui emprunter vingt francs. Bénédict avait cela d'agréable que ses habits allaient à toutes les tailles, que ses bottes allaient à presque tous les pieds, et que ses gants allaient à presque toutes les mains; – en sorte que ses habits, que ses bottes et que ses gants diminuèrent. Et puis, il paraît encore que son argent allait à toutes les poches, et comme il en laissait parfois sur sa cheminée, son argent fit comme ses habits. La troupe de Limoges s'étant débandée, Carini et Ernest, le second comique, dédoublèrent son lit et lui empruntèrent ses pantoufles. L'hôtel Bénédict prit vogue, et comme l'on soupait au homard, tous les drolatiques à jeun y abondèrent. «Onc ne vis maison de plaisantes gens si largement remplie.» Toutes les nuits l'on dansait, les refrains grivois battaient de l'aile contre les vitres jusqu'à l'aube! – Aux jours de soleil, la Seine, l'île Séguin, les matelottes chez Gentil ou à la Maison rouge, et encore les chansons sur l'eau.

Les billets de mille francs s'effeuillaient à tous les vents d'orgie: Bénédict les regardait s'en aller. Le bohémien Trimalcion s'était fait une vie à voir la face contente de tous les invités; et comme en une forêt de Bondy, il s'était tranquillement endormi en l'amitié de tous ces parasitismes.

–Bah! dit une fois Bénédict en se levant, si j'allais en Italie? – Je te suivrai, Bénédict, dit Carini. – Moi, je garde ton appartement, dit un nommé Vielleux, un ami de collége. – Et moi aussi, dit Ernest.

Ils partirent, Bénédict, Carini et la maîtresse de Bénédict. Le voyage n'eut rien de curieux, si ce n'est qu'à chaque ville Bénédict mettait deux louis dans le gilet de Carini pour qu'un homme de sa société fît figure; et qu'à chaque table d'hôte, la maîtresse de Bénédict descendait décolletée, en toilette de bal, avec des fleurs dans les cheveux.

A Milan, Bénédict avait dépensé trois mille francs. Il faut dire que Carini avait changé de gilet presque aussi souvent que la maîtresse de Bénédict avait changé de robe.

Bénédict partait pour Florence, quand un petit mot d'Ernest le rappela à Paris. Son mobilier saisi allait être vendu.

En partant, Bénédict avait laissé 200 francs à Vielleux pour payer un billet. Vielleux avait mangé les 200 francs, n'avait pas payé, et avait disparu. – Bénédict sauta du fiacre qui le ramenait des diligences, arracha les affiches jaunes qui annonçaient sa vente pour le lendemain, et courut payer chez le commissaire priseur. – Ernest lui dit que Vielleux avait très-mal agi, en abusant de l'argent qu'il lui avait confié; que, pour lui, il s'était occupé d'économie politique, et qu'ayant eu besoin de livres, il devait lui avouer qu'il avait mis au clou quelque chose de sa garde-robe. Si tu veux, – dit-il en terminant, – je te lirai cette nuit le livre que j'ai fait. C'est un travail sur les Enfants trouvés. – Bénédict l'en dispensa: il y avait trois nuits qu'il n'avait dormi.

Bénédict alla chez son notaire demander de l'argent. Le notaire mit sous les yeux de Bénédict quatre ou cinq pages de chiffres bien alignés. Bénédict passa à la dernière page, et y vit un total qui s'étalait sur six colonnes. Ce total fit réfléchir Bénédict. Il donna congé, vendit une partie de ses meubles, et s'assit résolûment devant son piano, dans un plus modeste appartement, rue des Martyrs. – Aux heures rêveuses, Bénédict avait laissé s'envoler quelques mélodies qui couraient la ville incognito, et avaient leur petite part de gaz et de célébrité aux cafés chantants et aux petits théâtres des boulevards. Bénédict, installé rue des Martyrs, ses amis se retirèrent peu à peu de lui, comme les rats d'une maison qui craque, lui laissant tous ses loisirs. Bénédict fit de sérieuses études d'harmonie; et dix romances dans un carton, il se rendit chez Leduc. L'éditeur trouva la musique charmante; mais, toute charmante qu'il déclarât la trouver, il répondit à Bénédict que cette musique «ne rentrait pas dans son cadre».

Bénédict apprit dans la journée qu'il venait de perdre ses quinze derniers mille francs dans une faillite. – Il est vrai qu'il vendit le même jour cinq francs une de ses romances à un de ses amis. L'ami l'exécuta le soir chez un oncle de Bénédict, et il eut le plus grand succès.

Il ne jugea pas utile de dire qu'il l'avait achetée à Bénédict. Il déclara même que ce pauvre Bénédict n'avait pas le sentiment musical, qu'il ne ferait rien de bon de sa vie. Du salon de l'oncle de Bénédict la romance passa dans un salon, puis dans un autre; en sorte que l'ami de Bénédict fut obligé d'acheter une seconde, une troisième, une quatrième romance, pour se continuer en son talent; et l'ami de Bénédict fut pendant l'hiver de l'année 1847 l'un des hommes les plus heureux de Paris.

Bénédict n'avait pas payé son terme. L'ami le recueillit chez lui généreusement; mais quand l'album de Bénédict eut défilé, et que Bénédict un peu découragé trouva moins, l'ami dit à Bénédict qu'il était obligé de manger dans sa famille; de façon que Bénédict se vit menacé de perdre l'habitude de dîner.

Bénédict était comme le Centurion de la pièce espagnole: il aurait pu sauter trois fois sans qu'un maravédis tombât de sa poche. Il se ressouvint qu'il avait prêté. Il se mit à faire tous les jours la battue des obligés, arrachant ce qu'on lui devait, tantôt quarante sous, tantôt cent sous, et subsistant ainsi. Mais l'alarme donnée de proche en proche sur ce créancier qui demandait l'aumône, on évita Bénédict.

A Noël, Bénédict réveillonna rue de Laval, dans un atelier où l'avait conduit Ernest, et gagna 3 francs au lansquenet. Le lendemain, avec ses 3 francs, Bénédict fit monter un sac de pommes de terre chez son ami. Il s'agissait d'attendre le jour de l'an, où la tante de Bénédict lui donnait 40 francs d'étrennes. Il attendait ainsi, se couchant quand il eut trop faim, la nouvelle année.

Au commencement de janvier, Bénédict alla rendre visite à l'atelier de la rue de Laval. Il y resta dix-huit mois.

C'était, en cet atelier, le phalanstère le plus étrange qu'on puisse voir. Ils étaient là, cinq qui campaient, tous jeunes, et d'une confiance effrontée en la Providence. Édouard et Paul étaient peintres; Maxence attendait pour savoir ce qu'il serait, et Alfred faisait les commissions. – Bénédict habitait, comme je vous ai dit, un divan vert au-dessous d'une panoplie. Paul logeait sur quatre planches et un matelas. Maxence et Édouard couchaient dans quelque chose que l'on appelait un lit, et Alfred faisait en sorte de dormir sur les quatre oreillers du divan de Bénédict rangés sur un grand coffre à bois. Tous les matins, il faisait faim à l'atelier. Avant déjeuner, Maxence préparait les terrains d'un panneau; Édouard, pendant ce temps, sabrait le ciel; et quand ils avaient fini, Paul en imaginait le motif à toute brosse. Le panneau fini, Alfred le descendait chez le propriétaire, brocanteur singulier, qui avait un magasin de chaussure à vis rue Montmartre, et un magasin de tableaux rue Notre-Dame-de-Lorette. Le propriétaire donnait d'ordinaire cent sous du panneau; et l'on avait de quoi dîner et déjeuner chez Tisserant, au haut de la barrière Pigale. – Bénédict avait déterré quelques leçons de solfége et apportait, par-ci par-là, ses quarante sous à la caisse. Au beau milieu de cette vie de hasard, il composait ses deux belles marches. – Un moment Paul faillit faire dîner régulièrement toute la société. Picot, le marchand de la rue du Coq-Saint-Honoré, lui payait vingt sous pièce des cartes de visite avec des emblèmes à l'aquarelle. Tout le monde s'y mit, même Bénédict. Mais cela ne fut qu'une lueur, et le propriétaire ayant été brûlé au deux cent quatorzième panneau, on tomba à dîner Au Désespoir, à sept sous par tête.

Puis, cela finit comme tous les phalanstères qui ne payent pas leur terme, par une envolée de chacun et par une saisie d'huissier.

Bénédict est devenu… J'allais, Dieu me pardonne! vous le nommer.

Yosh cheklamasi:
12+
Litresda chiqarilgan sana:
28 sentyabr 2017
Hajm:
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