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Kitobni o'qish: «Quelques créatures de ce temps», sahifa 4

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CALINOT6

Pauvre innocente vie que cette vie de Calinot, qui semble écrite tout entière pour une parade des Funambules; écoulée doucement sans peur, sans reproche, sans haine, sans remords, sans regrets; innocente comme une parade où Pierrot, – Pierrot le mime, Pierrot le muet, – où Pierrot parlerait!

C'est une parade, si bien une parade, que, lorsque Camille, le metteur en scène, le souffleur de toutes ces naïvetés, n'est plus là pour lui donner la réplique, l'histoire et la légende prêtent toujours à Calinot pour partners de ses janotades deux autres drolatiques. Vous savez ce seigneur de la légende allemande entre deux chevaliers qui chevauchent à côté de lui, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche? Eh bien! comme le seigneur allemand Calinot chevauchait entre deux chevaliers: V… et L… – V… c'était la phrase française en habit de marquis; – L… c'était une mémoire qui toujours restait court, qui sans cesse buttait contre le mot propre, qui jamais ne le trouvait. C'est V… qui disait: «Il me semble que le crépuscule s'annonce, je vais mettre mon peplum; et encore, après avoir chaviré: «Je jure Dieu de ne plus mettre le pied dans cette caravelle!» C'est L… qui annonçait au piquet: «J'ai une tierce… en ce que tu sais bien, une quinte en ce que tu m'as dit, et un quatorze… en ce que tu viens de me dire.» Et ainsi il croissait, le bon Calinot, en grâces et en joyeux devis, entre ce lexique des Précieuses ridicules et cet incurable oublieur, entre ce purisme et cette paralysie!

Parades! – races perdues! ô vieux pitres! tout ce cortége de Momus populaire, les rires larges et les grosses bêtises, les paternelles niaiseries! Pantalons et Cassandres, vieux faiseurs de gaieté qu'on ressuscitait tout à l'heure, – ô Lapalisse! aïeul des naïvetés, – je vous le dis: Bobèche revivait en cet homme.

Et l'atelier, qui s'ennuyait de Jocrisse, s'est mis à compiler l'enchiridion de Calinot, avec un culte de philologue, et l'a augmenté, et l'a enrichi, et l'a pourléché, et s'est mis à déclamer ainsi ornée, cette rapsodie du théâtre de la Foire, pour faire suite à celle que chantait Dancourt en sortant du cabaret de la Cornemuse, en sorte que les écouteurs ont fini par être aussi incrédules à l'endroit de l'existence de Calinot qu'à l'endroit de l'archevêque Turpin.

Et pourtant il a si bien vécu, ce mortel désopilant, – qu'un jour il est mort-du choléra.

L'existence de Calinot a toutes sortes de tableaux: Calinot restaurateur, – Calinot logeur, – Calinot commis, – Calinot garde national. S'il fut tout cela, nul ne l'a jamais bien su. Le savait-il lui même? Il était de si bonne composition et faisait si peu de résistance à laisser mettre la main à ses souvenirs à y laisser ajouter! – Un beau jour, Camille lui persuada qu'il avait été marin; et, depuis ce jour-là, Calinot se rappelait tout au moins une fois par mois ses impressions de la Tremblante.

Un grand corps monté sur des jambes d'échassier; là-dessus, une tête blonde, chauve, inculte; de la barbe; les yeux bonasses; la tête ballant en avant; dans la pose, quelque chose comme le profil d'une canne à bec de corbin; une voix pleine d'embarras, obstruée de bredouillements, notée tout au long de notes innotables; – c'est ainsi fait qu'il a traversé la vie avec des vêtements trop larges sur son corps maigre, faisant rire tout le monde, et s'amusant de voir rire tout le monde.

Les tréteaux du Pont-Neuf ont eu leurs sténographes; pourquoi laisserait-on perdre ce monument de la bêtise française?

A côté de cette épopée de cynisme, toute sanglante, de cet «Allons-y gaiement!» de l'Abbaye de Monte-à-regret, – Jean Hiroux, – Calinot a sa place: c'est un lever de rideau avant la grande pièce.

Enfant, Calinot, en revenant de l'école, se bat avec un camarade, et attrape une grande écorchure au front. Au dîner, son père lui dit: Qu'est-ce que tu as là? – Papa, j'ai rien. – Mais si, tu as quelque chose. – Je me suis mordu au front! – Imbécile! est-ce qu'on se mord au front? – Tiens! je suis monté sur une chaise.

*
* *

Moi, j'aime bien mieux la lune que le soleil. Le soleil, à quoi ça sert? Il vient quand il fait jour, ce feignant-là! Au lieu que la lune, ça sert à quelque chose: ça éclaire.

Camille. – Veux-tu me mesurer ce tableau?

Calinot. – Avec quoi?

*
* *

Camille. – Prends le mètre, il est sur la table.

Calinot, mesurant: – Un mètre… heu… heu…

Camille. – Eh bien! combien a-t-il?

Calinot. – J'sais pas: le mètre n'est pas assez long.

Camille. – Prends garde à ta pie, voilà le chat.

Calinot. – Laisse donc! une pie, ça vit cent ans!

*
* *

«Monsieur,

«Envoyez-moi les deux Boissieu que je vous ai demandés…» Ici le marchand de tableaux meurt. Calinot finit la lettre: «Je vous écris le reste par la main de Calinot, mon premier commis, vu que je viens de mourir d'une attaque d'apoplexie.»

*
* *

Camille. – Que tu es bête!

Calinot. – C'est pas malin si je suis bête, on m'a changé en nourrice!

*
* *

Calinot voit un moineau dans le jardin de Camille; il l'ajuste. Il n'était pas bien pour le tirer; il remonte l'escalier à pas de loup; il ouvre bien doucement la porte de Camille, bien doucement la fenêtre de Camille qui dormait. – Pan!

Camille, se réveillant en sursaut. – Hé?.. hein? quoi?

Calinot. – Tiens! j'avais tiré tout doucement.

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* *

«Moi, d'abord, je n'aime pas les lâchetés. Quand j'écris une lettre anonyme, je la signe toujours.»

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* *

A M. le maître d'hôtel du Cheval blanc, à Rouen (Seine-Inférieure).

«Monsieur,

»Je vous prie de me renvoyer mon couteau-poignard que j'ai oublié sous mon traversin dans la chambre nº 23.

»Votre dévoué,

»Calinot.»

En cachetant la lettre, Calinot retrouve son couteau-poignard.

«Post-scriptum.-Ne vous donnez pas la peine de chercher mon couteau-poignard; je l'ai retrouvé.»

Camille. – Tu es bête!.. puisque tu l'as retrouvé…

Calinot. – C'est trop fort! Tu veux donc que cet homme s'échine à chercher mon couteau-poignard?

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* *

«Sont-ils bêtes ces gens qui donnent une lettre à un commissionnaire! ils se figurent qu'il la porte; il ne la porte jamais. Moi, quand je veux être sûr, je vais toujours avec le commissionnaire.»

*
* *

On proposait un parti à Calinot:

–Que diable veux-tu que je l'épouse, elle a le double de mon âge.

Camille. – Qu'est-ce que ça te fait?

Calinot. – Songe donc! quand j'aurai cinquante ans, elle sera centenaire.

*
* *

Camille. – Tâche donc de me rapporter des allumettes qui aillent.

Calinot remonte avec des allumettes.

Camille. – Cré mâtin! elles ne vont pas tes allumettes!

Calinot. – C'est bien drôle, ça; je les ai toutes essayées!

*
* *

Calinot, logeur. – Oh! monsieur, à tous les prix: dix, quinze, vingt-cinq. Voyez: la chambre est bien; c'est propre; il y a des rideaux, une table de nuit…

–Qu'est-ce que c'est que ça?

–C'est une truelle.

–Et ça?

–Du plâtre et du verre pilé.

–Tiens! pourquoi donc?

–C'est très-commode. Figurez-vous, monsieur, que la maison est infestée de rats. Quand vous en voyez un, vous sautez sur la truelle et vous bouchez le trou. Dans les chambres à quinze francs, ils vous mangeraient le nez: on vous donne un masque en verre.

*
* *

Dans son jardin de Romainville, Calinot avait un tas de gravois.

Camille. – Fais un trou, tu mettras ça dedans.

Calinot n'avait plus de gravois, mais il avait un tas de terre. «C'est que je ne l'ai pas fait assez grand!»

*
* *

Calinot disait: «Napoléon!.. un ambitieux! S'il était resté capitaine d'artillerie et mari de Joséphine, il administrerait encore la France!»

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* *

Calinot, capitaine instructeur: «Eh! là-bas, qu'est-ce qui lève les deux jambes?»

*
* *

Calinot, aux journées de juin: «Si je fais arriver mes hommes tous de front, les malheureux, ils vont tous être mitraillés!.. Si je faisais tête de colonne à droite, tête de colonne à gauche? – » Il commande: «Tour droite! tour gauche!» Tout le monde fait tour complet. Une fusillade terrible part de la barricade. La compagnie de Calinot est criblée. Le général arrive bride abattue: «Imbécile! vous faites tuer tous vos hommes! – Ah! taisez-vous donc! ça fait bien moins de mal que dans la poitrine!»

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* *

Calinot était à deviner un rébus du Charivari dans un café. – Le gazier sonne pour prévenir qu'il va éteindre. Au bout de cinq minutes, Calinot, toujours à son rébus, dit: Eh ben! a-t-il éteint, cet imbécile?

*
* *

Calinot. – Je viens de rendre service à un vieux camarade de la Tremblante. Ce pauvre diable! il n'avait pas mangé depuis deux jours. Je l'ai fait entrer dans une allée, je lui ai donné mes bottes.

Camille. – Et toi, comment t'es-tu en allé?

Calinot. – Ah! tu demandes toujours des explications.

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* *

Camille. – Mon escalier est noir comme le diable. Prends ce bout de bougie.

Calinot, au bas de l'escalier. – Les artistes sont si pauvres! Il en reste encore un grand bout. – Calinot remonte la bougie.

*
* *

Calinot au Salon. – Ducornet… né sans bras… Qu'éque ça fait, s'il a des mains?

Camille. – Eh bien! tu ne viens pas à l'enterrement de mademoiselle Mars? tous les artistes y seront.

Calinot. – Je ne vais à l'enterrement des gens que quand ils viennent au mien.

*
* *

Camille donne à Calinot une canne avec une très-belle pomme de Saxe. La canne est trop grande pour Calinot. – Calinot la rogne de la pomme.

Camille. – Pourquoi ne l'as-tu pas rognée du bas?

Calinot. – C'était en haut qu'elle me gênait.

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* *

Calinot malade, se plaignant de la sonnerie des cloches, qui lui brise la tête: – Pourquoi qu'on n'a pas mis de la paille dans la rue?

*
* *

Calinot, mourant du choléra. – Je meurs comme le Christ, à quarante-trois ans.

Camille. – Tu te trompes, mon ami, il est mort à trente-trois ans.

Calinot. – Eh ben! il est mort dix ans trop tôt.

ÉDOUARD OURLIAC

En ce temps-là, c'était le beau temps, le beau temps et l'âge d'or du roman. Par ces années de grâce littéraire, il y avait beaucoup de gens qui faisaient des livres, et il y avait, de gens qui en lisaient, plus encore que de gens qui en faisaient. Le lecteur de 1830 était un lecteur dévoué, incomparable, héroïque, inassouvi: il lisait tout. Que le livre eût un titre un peu affriandeur, le livre était enlevé. En ce temps, les maîtresses de cabinet de lecture, à ficeler les paquets de leurs abonnés, avaient les doigts comme des maîtresses de maison qui couvrent leurs confitures.

Aux vitrines, les lithographies pleines de meurtres, de femmes renversées par terre, de mares de sang, de lumières de coups de pistolets, de malédictions paternelles, s'étouffaient l'une l'autre. Ces lithographies étaient d'un faire féroce. Elles étaient plus hautes en couleur, et plus énergiquement crayonnées, et plus tirant l'œil les unes que les autres: on aurait dit des saltimbanques qui se disputent la foule à renfort de tapage. – Édouard Ourliac fit son entrée dans le monde littéraire à coups de lithographies; la première annonçait l'Archevêque et la Protestante (1832); celle qui suivit, Jeanne la Noire (1833). L'éditeur était Lachapelle, cet audacieux d'alors qui imprimait à peu près tout ce qu'on lui apportait, à la condition qu'on lui donnerait gratis un second roman, si le premier faisait son bout de chemin. Madame Cardinal, de la rue des Canettes, la bibliothécaire du roman moderne, vous dira qu'Ourliac lui recommandait de passer sous silence ces deux péchés de jeunesse, à qui lui demanderait son œuvre.

La voie d'Ourliac, Balzac l'a définie d'un mot, Ourliac retournait l'ironie de Candide contre la philosophie de Voltaire; et de l'ironie il essaya toujours de faire une arme d'Église. Il se moqua au nom du Christ. Là est l'originalité du talent d'Ourliac. Ne lui demandez ni une forme neuve, ni un cadre bien original. Il a un peu lu, et malheureusement il a beaucoup retenu. Mais où il est bien lui, comme mode d'idées, c'est dans ces nouvelles où il exhorte à la religion en raillant le siècle, et paradoxant ad majorem Dei gloriam. Cette façon singulière de faire servir à la maison du Seigneur les étais de la maison du diable, marquait un esprit osé, décidé à faire flèche de tout bois. Elle parut sans doute de bon aloi à de plus casuistes que nous; et Ourliac fit école de Rabelais de sacristie.

Peut-être bien, en ces baliverneries sérieuses et de consciences, y a-t-il un grain de trop gros paradoxe, et le réquisitoire du chrétien pourrait-il être moins partial. Peut-être bien y a-t-il exagération à mettre comme dans l'Épicurien, toujours l'indigestion à côté du souper, l'hôpital après l'amour, la santé à côté du jeûne et des macérations. Mais cela est sauvé par l'intention. – Puis, ces rieuses morsures d'un esprit antirévolutionnaire, il en use à toute outrance contre le journal, dans le conte humoristique des Phillophages. Les colères qui s'allument, les pavés qui se remuent, les gamins qui deviennent des héros, les révolutions qui mijotent, toutes les catastrophes privées et sociales, il porte tout cela au compte de ce carré de papier qu'on passe sous les portes le matin. La presse est pour lui «une correspondance bien réglée entre quelques gens qui ne pensent guère, et beaucoup qui ne pensent pas». – Là, dans le Bien des pauvres, c'est une ménippée, le rire aux lèvres, contre les hôpitaux, ou pour mieux parler contre la charité constitutionnelle Ourliac dit tous les biens de l'administration des hôpitaux et hospices civils de la ville de Paris. Il s'étend sur les difficultés de résoudre le problème d'obtenir entrée dans un hôpital sans être tout à fait mort. Il montre le médecin plus ami de la science que du malade. Il fait les infirmiers ivres, la miséricorde et la sollicitude nulles en cette maison des pauvres; et comme le conte approche de la fin, un curé entre en scène, qui argumente contre les réconforts laïques, appelant les hôpitaux «une voirie», et recommence le procès aux spoliateurs du clergé. Mais le pauvre Ourliac devait mourir dans une manière d'hôpital, et on ne peut guère lui en vouloir de s'être vengé par avance.

Ourliac était un petit homme imberbe comme un acteur, et pâle. Son teint était bilieux, son œil pétillant. Des lèvres minces et faites à point pour le persiflage complétaient un remarquable masque d'ironie. «Il n'avait rien, – dit-il quelque part de lui, sans se nommer, – il n'avait rien qui prévînt en sa faveur; point de cet air de franchise et d'étourderie qui sied à un jeune homme; une tenue circonspecte, peu de taille, un teint maladif, un visage désagréable, qui frappait pourtant; des traits mobiles, expressifs quand il s'animait, et un sourire qui n'était pas sans grâce.» Quand il avait bu, de pâle Ourliac passait blême; et alors, dans les dandinements et l'excitation de l'ivresse, son esprit mal d'aplomb entre la fièvre de tête et le mal de cœur, son esprit «mal réglé, peu choisi, tourné au sarcasme, mais fort plaisant», éclatait en pantagruéliques gaudisseries. Facétiant comme un Triboulet de lettres, il jetait au hasard ses joyeusetés intarissables. Il semblait qu'il tirât au sort dans une casquette les mots et les idées; et des phrases insolites, les plus étranges défis à la grammaire, des lazzis en dehors de toute syntaxe, toute une langue tordue comme un kriss malais, toute une littérature à lui, macaronique et inimitable, s'envolait de sa bouche crispée par les tournoiements de l'ébriété. Au milieu des rires qui accueillaient ses saillies, il restait grave et blême, presque humilié d'une galerie, comme un Debureau sur une chaise curule. Et, chose étonnante, de ce Pierrot dont il avait si bien la face, il avait aussi les mignons vices; il eût très-bien passé par les sept compartiments d'un dessin allemand des sept péchés capitaux. Il était voluptueux, goinfre, ladre, et, prudent; si prudent qu'il persuadait souvent le soir à un de ses amis qui s'en retournait de la rue d'Alger rue des Petits-Champs, que son plus court était de passer par les Batignolles. Ainsi, Ourliac se faisait reconduire jusque chez lui; mais il faut dire qu'il payait la reconduite de C… et charmait le chemin par des romans, récits, histoires, propos, bons contes, pantalonnades à dérider même un critique de livres ou un habitué de théâtres.

Quand, rompant sa chaîne de famille, et parti tout un jour de la maison paternelle, Ourliac courait les cabarets autour de Paris avec une bande d'amis, des artistes et des écrivains de son âge, – qui maintenant, sont d'aucuns des gens décorés et d'autres des maris, – Ourliac lâchait toute bride à sa verve. Il improvisait des chansons burlesques que les joyeux faisaient redire à tous les échos de la route du retour:

 
Le père de la demoiselle,
Un monsieur fort bien,
En culotte de peau,
Qui voulait tout savoir!
 

Sa licence, en ces parties de campagne, passait celle de tous autres; elle s'égayait jusqu'aux extrêmes crudités du cynisme; puis, quand sa farce de l'après-dîner avait tout à fait sombré dans l'ivresse, et qu'on le jetait dans une voiture, Ourliac, à qui le vin «reprochait», comme lui disait son ami Henri Monnier, était pris de terreurs et de remords. Des réminiscences religieuses l'assaillaient. Les souvenirs de son enfance passée chez les jésuites lui revenaient dans la conscience; et comme un évadé du purgatoire menacé d'une extradition, le glorieux paillard de tout à l'heure, étourdi, se persuadant que l'omnibus allait sur lui-même comme un toton, Ourliac disait à demi-voix, d'un ton effrayé: «Voilà sept fois que ce cocher fait tourner la voiture; et cependant je ne l'ai pas mérité!»

A ces petites fêtes sous les treille de la banlieue, quand il s'agissait de payer l'écot, Ourliac n'avait jamais que quarante sous dans sa poche. C'était le «nec plus ultra» de son appoint. On parfaisait le compte et tout était dit pour les amis d'Ourliac, mais non pour Ourliac. Il prenait de ces petites générosités subies, dont il ne devait rancune qu'à son avarice, une amertume et une âcreté de ressentiment qui devait plus tard éclater dans Collinet. Écoutez avec quelle vivacité et quel fiel amassé il met certains souvenirs dans son héros: «Il se sentait à certains égards au-dessous de ces jeunes gens bien vêtus qui lui faisaient politesse. Il se crut, du moins, obligé de les divertir. Il les défrayait du reste par des bouffonneries qu'il savait bien lui-même affectées de mauvais goût… Il plaisantait parce qu'il était pauvre, et que ces jeunes gens étaient riches; parce qu'il n'avait pas soupé, et qu'ils soupaient; parce qu'il était triste, affamé, parasite, indiscret; il plaisantait pour qu'on lui pardonnât, pour qu'on ne lui fît pas affront; lui qui avait du talent et de l'esprit, il plaisantait pour un déjeuner.»

Mais si vous voulez entrer en intime connaissance avec le fond de l'homme, lisez Suzanne. C'est le «moi» d'Ourliac se confessant lui-même, que ce livre. Tout le mauvais qu'il portait en lui, il se l'avoue, se souciant peu que ses amis le reconnaissent au visage, et faisant l'autopsie de ses misères morales avec un détail patient et une brutale franchise. La peinture de ces défaillances, de ce travail de l'envie, de ces exagérations poétiques, de cette sécheresse de cœur, de ce lyrisme aposté, de ces élans calculés, de ce despotisme d'égoïsme, de cette inquiétude de cerveau, de cette paresse de résolution et d'œuvre, de ces expansions épistolaires qui prenaient Ourliac à ses réveils d'orgie, de cette vanité sans entrailles, de cette intuition un peu obtuse du sentiment de l'honneur en l'attente du frein religieux, toutes ces maladies de l'esprit analysées à la loupe, et impartialement rapportées, donnent à Suzanne l'intérêt d'une dissection sur le vif. Quand M. d'Hautberchamp viendra lui demander raison, Lareynie ne rougira pas d'avouer qu'il a peur. Il ne tournera pas sa lâcheté en paradoxe nouveau: il jouera une merveilleuse scène de Tartuffe couard. Quand Lareynie a fait que mademoiselle des Ilets l'aime, il faut voir jusqu'au bout l'agonie de cette malheureuse, tuée à coups d'épingle, et les jalousies sans amour de Lareynie et les froides insultes. Il y a dans ce caractère un venin d'envie, un ragoût d'hypocrisie et de cruauté. Puis mademoiselle des Ilets martyrisée longuement, sciemment, impitoyablement, une fois morte de par lui, lorsqu'une révolution soudaine s'est faite en ce Lareynie, lorsqu'il s'est jeté à la religion, quand toute cette mauvaise instinctivité, toute cette méchante vie, ce méchant cœur, et ce cabotinage, il les a eu cachés sous une soutane, même chrétien, Lareynie ne s'humilie pas. Le vieil homme reparaît avec le vieux levain; et s'en prenant à l'état de la société et au temps, aux approches d'un an Mil social, d'avoir été le bourreau d'une femme, il jette au siècle son restant d'hypocondrie: «Je devais rester et mourir dans la condition où j'étais né. Mais dans quel malheureux temps vivons-nous? Quelle tempête a soulevé la lie de la société? Quelle politique insensée a rompu toute barrière et déchaîné toute passion? Quel anathème pèse sur cette jeunesse sans frein, sans principes, sans tradition, déshéritée, desséchée dans sa fleur comme une moisson maudite?»

Suzanne est l'œuvre capitale d'Ourliac. C'est une des plus consciencieuses, des plus fidèles, des plus habiles, des plus remarquables analyses de caractère qui nous aient été données depuis 1830.

Malheureusement, il faut revenir à cela: chez Ourliac, les ressouvenirs de style, d'intrigue et d'inventions épisodiques percent le fond presque partout. Collinet, -Collinet duquel la Revue parisienne prophétisait: «c'est une puissante et belle comédie dont on tirera peut-être quelque misérable vaudeville», -Collinet contient, déshabillée en prose, toute une scène du Roi s'amuse. Psyllé est du Perrault battu avec du Swift. Les Noces d'Eustache Plumet se ressentent du compagnonnage de Monnier. La Légende apocryphe emprunte au grand humoriste du XVIe siècle sa phrase énumératoire et chargée de mots. Dans Suzanne, on l'a dit, mademoiselle des Ilets est un calque de mademoiselle Delachaux de Ceci c'est pas un conte, de Diderot. Peters est parent de Krespel; cette scène fraîche du violon aux Champs-Élysées dans Geneviève, on la retrouve encore dans Suzanne. Dans la Confession de Nazarille, vous vous choquerez à des réminiscences flagrantes d'Eugène Sue, à des profils visiblement dessinés sur les deux profils de Ruy Blas et de don Salluste. Au reste, sur cette dernière œuvre, Ourliac n'avait pas grande illusion: «Je l'ai écrite en courant, – écrivait-il, – sans copie; je n'en ai point corrigé les épreuves, et j'en suis sur les épines. Ces morceaux si courts ne font jamais grand bien, quel que soit leur mérite; mais ils suffisent souvent à donner une idée parfaite de la pauvreté de l'auteur. C'est compromettant, comme on dit. Je crains que celui-là ne soit de ce dernier genre.»

En dehors de sa verve de partisan catholique, Ourliac a la recherche du cœur humain poussée jusqu'à l'infinitésimal psychologique, l'observation épigrammatique, le tour vif et relevé de saillies. S'il avait eu moins de mémoire, un procédé de style plus fertile et plus varié, nul doute qu'il n'eût fait sa place grande. Je ne citerai comme exemple de son talent débarrassé des préoccupations polémiques que cette Physiologie de l'écolier, un petit chef-d'œuvre, où laissant venir à lui, comme Jésus, les petits enfants, il a narré finement, joliment, curieusement, les mœurs et les allures de ces petites âmes qui apprennent l'espièglerie mieux que toute autre chose. Là, son analyse est charmante. Elle est comme une récréation dans une cour de pension.

Mais ce qui fit le plus pour la réputation d'Ourliac, ce fut un petit volume in-18, publié rue Cassette. L'exemplaire que j'en ai là porte par hasard, comme revêtement de sa garde, «la Cloche, l'Encensoir et la Rose,» chapitre 53 de quelque livre poétiquement mystique édité chez Waille.

Les Contes du Bocage, où vous avez lu cette belle supercherie filiale de mademoiselle de la Charnaye faisant accroire au vieux marquis aveugle les succès continus des chouans, alors que les bleus, enfin vainqueurs, traquent de buissons en buissons les obscurs Philopémens de la Vendée; les Contes du Bocage, tout ardents de l'esprit royaliste, valurent à Ourliac les chaudes sympathies de la presse religieuse.

Ourliac s'était marié. La Bruyère dit quelque part: «L'on ne voit point faire de vœux ni de pèlerinages pour obtenir d'un saint d'avoir l'esprit plus doux, l'âme plus reconnaissante, d'être plus équitable et moins malfaisant, d'être guéri de la vanité, de l'inquiétude et de la mauvaise raillerie.» – Le mariage ne fut pas heureux. Toutefois, on en était encore aux années de miel, et Ourliac, sur les bords de la Loire, veillait paternellement, l'esprit détendu et reposé, au succès de son petit volume. Il écrivait alors: «15 août 1843… Nous avons tous les soirs ici des nuits d'Opéra, une belle et pleine lune de l'autre côté de la rivière qui s'épanouit à travers nos feuillages comme une bombe lumineuse. De tous les coins de notre terrasse, le paysage fait tableau… Je suis entouré de belles choses à quatre ou cinq lieues de distance; j'ai visité avant-hier le château d'Azay sur l'Indre. J'ai toutes les peines du monde à croire que Chenonceaux soit plus beau: une vraie vignette anglaise, de la renaissance toute pure! et un parc! et des eaux! La vallée d'Azay est celle du Lys dans la vallée. Les habitants sont furieux contre l'auteur qui a trouvé leurs femmes laides… Je pêche à la ligne sans aller bien loin et avec succès. Je n'ai qu'à me baisser pour en prendre. Je pêche les ablettes par soixantaine. Je trouve à ce prix que tout ce qu'on a dit là-dessus sont des calomnies. C'est une belle chose que Paris; mais je n'en persiste pas moins à croire que nous ferions bien, sur le retour, de nous en venir par ici planter nos choux avec quatre ou cinq amis sensés. La nourriture saine, le bon vin, le repos, les jardins, le loisir, ont bien leur mérite. J'ajouterai qu'il y a ici de certains vins qui valent le champagne.» Cet apaisement de l'idée, ce calme, cet accommodement de l'esprit aux jouissances terrestres, ce souffle d'Horace, cette pente à une honnête «humerie» ne tinrent guère contre les avances et les engagements du parti catholique; et à quelque temps de là, Ourliac remerciait un rédacteur du National d'un compte rendu favorable, en essayant de le convertir, quatre pages de lettre durant.

Dès lors Ourliac appartenait à l'Univers, où il apporta les qualités de son esprit. Mais de ce corps malingre, épuisé, travaillé de longue main par les agitations et les anxiétés morales, une maladie de poitrine eut bon marché; et Ourliac, encore bien jeune, mourut à la maison de Saint-Jean-de-Dieu, rue Plumet.

6.Calinot, à l'heure présente, est une figure très-populaire. Théodore Barrière en a fait une pièce, et chaque jour le petit journal augmente d'une naïveté nouvelle le chapitre des naïvetés de ce petit-fils de Lapalisse. Mais en 1852, lorsque nous avons pour la première fois biographié Calinot, ce n'était encore qu'une légende flottante dans la blague des ateliers.
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