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Kitobni o'qish: «Quelques créatures de ce temps», sahifa 2

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BUISSON

C'est un livre, un gros livre dans un cuir de Russie bien grenu et de sauvage odeur. Il y a aux quatre coins des plats quatre pensées; il y a entre les nervures du dos cinq pensées, et au milieu de toutes ces fleurs de souvenir dorées de bel or fin se lit: Jules Buisson, Essais d'eaux-fortes.

Ce livre unique où une main amie a rangé, comme des reliques, toutes les pièces, a réuni tous les états, mettant devant ces chères images les vers explicatifs gravés eux aussi à l'eau-forte et faisant choix des tirages, et les échelonnant l'un après l'autre, – ce livre tient l'Œuvre d'un artiste. Feuilletez-le en ses pages; et vous aurez le recueil des imaginations de Buisson, de son premier à son dernier jour, – du jour où il fit une planche entre une leçon de M. Ducauroy et une leçon de M. Valette, au jour où il dit à sa pointe: Adieu, paniers! vendanges sont faites! et jeta aux champs ses bouteilles de vernis.

Buisson entra dans la vie positive à une belle sortie de collége. Il fit comme tout le monde, et alla s'asseoir sur les bancs de l'École de droit. Mais en son chemin, il rencontrait mille accidents de la vie, mille petites scènes animées qui sollicitaient coup d'œil et obtenaient souvenir. Au Luxembourg il voyait de beaux petits enfants rieurs qui jouaient près des bassins, puis s'asseyaient sur les bonnes de pierre, tout rouges de courir, laissant voir leurs mollets dodus. Souvent, dans les rues de la montagne Sainte-Geneviève, il laissait complaisamment tomber le regard sur des dogues muselés, rognés d'oreille et de queue, les bajoues piquées de poils rudes comme des soies de porc, le museau plissé et relevé pour montrer de petits crocs blancs, incisifs et entêtés, chiens tout nerfs et chair, sanglés dans leur peau, et les rognons et le train de derrière puissants comme chez certains monstres assyriens. Par les rues, il se cognait parfois à des habits grotesques, à des faces étranges, à des échappés d'un conte fantastique, des docteurs Pyramide ou des Pasquale Capuzzi. Lors son ami Prarond le poëte lui disait, aux heures des rimes conseillères:

 
J'ai trouvé des Goya cachés sous vos Pandectes,
Ami! j'ai dépisté parmi de longs discours,
Entre autres notes fort suspectes,
Que sur Papinien vous recueillez aux cours,
En marge et grimaçant dans des cadres fantasques,
Bien des nez de travers et bien des fronts cornus,
Bien des figures bergamasques,
Et des ânes prêtant ou réclamant leurs masques
A des visages bien connus.
 

Buisson oublia d'être juge, et se mit à dessiner des bouledogues. Et si bien il en dessina, si bien il en moula, si bien il en sculpta, qu'il eut à l'Exposition de 1842 «deux dogues», tableau acquis par la Société des amis des arts. Son tableau acheté, envie lui prit de graver son tableau, et il se trouva avoir et la pointe libertine de Chaplin, et la manière grasse et ressentie d'Hédouin dans son Étable, et la science du vernis mou de Marvy. Que si vous ouvrez le volume, et que vous passiez la garde de papier peigne, vous rencontrez tout d'abord ces deux chiens, l'un couché, l'autre debout sur ses pattes de devant et l'oreille inquiète, tous deux solidement accentués et étalant des contours comme tracés par une plume de roseau qui aurait poché victorieusement les ombres. Le sol, les murs, les accessoires du chenil, dans un certain brut pittoresque, viennent à l'œil dignes presque des bassets de Decamps.

Puis, il s'abandonna à rêver. Au réalisme de sa première œuvre succèdent les pensées tournées vers les créations imaginatives, les aspirations, les songeries par les champs de l'inconnu, les contours ondoyants et à peine entrevus, la recherche de l'idéal; à la réalité rigoureuse succède le dédain des pensées trop écrites. Une effacée réminiscence d'un tableau italien du musée de Tournai lui tourmente la main, et sur le cuivre, dans les griffonnages à toute bride d'un paysage de Cythère, s'enlèvent discrètement le beau corps et la gorge milésienne d'une jeune Muse endormie. Les Amours ont volé ses vêtements, ils les ont livrés au Zéphyre,

 
Zéphyre court de fleurs en fleurs,
Et l'on n'attrape point Zéphyre.
 

Par les fonds incertains, ce sont de mystérieuses envolées d'Amours, et les vagues des vêtements flottant dans l'air, – un rêve antique qui remonte au ciel sur le premier rayon de soleil.

Cet homme à la façon des soldats de Salvator, une toque à plume sur la tête, torse à moitié nu, se caressant sa longue barbe avec sa main, est Finsonius:

 
Belga Brugensis hic est, sed Parthenopensis amore
Artis Finsonius sceptra jocosa gerens.
 

-Une figure de peintre provincial retrouvée par un ami de l'aquafortiste, Philippe de Chennevières.

Buisson se plaisait à ces illustrations d'ouvrages écrits par des plumes qui lui étaient chères et de préférence aimées. Ils étaient quatre en ce temps heureux de la gaie jeunesse, qui pensaient ensemble, et se parlaient et se répondaient l'un à l'autre en tout: prose, rimes ou dessins. Aussi, presque toujours, Buisson se fait écho de la poésie et de l'amitié; et Prarond et Levavasseur chantent tour à tour sous sa pointe, à moins que les Contes normands ne lui donnent l'idée de dessiner une vieille Normande, le nez crochu, le bonnet de coton en révolte, une bouteille sous le bras, trouvant que le vent est rude, l'équilibre difficile, et le pont étroit, et chantant son Ave d'ivrognesse:

 
Ma bonne Vierge, laissez-mai passer
Je n'berai pus quand il fera ner.
 

Et tout après le «Chenil», le frontispice des fables de l'ami Prarond. Préault voulait exécuter ce frontispice en marbre. Des Amours entourent, avec la grâce perdue du XVIIIe siècle, un rustique médaillon de mademoiselle de la Sablière, jeté dans les feuilles. Au bas, les Amours jouent avec des fleurs, puis ils volent et s'asseyent et se renvolent, et le premier arrivé tend le bras et met une couronne de fleurs des champs sur la tête de l'hôtesse du fablier. – Et vraiment c'était un Clodion.

Mais Levasseur a dit quelque part:

 
La rime est une esclave
Qui de dame Raison
Fait le ménage et lave
La petite maison.
 
 
La maîtresse est hargneuse,
Et du soir au matin
La vieille besogneuse
Met de l'eau dans son vin.
 
 
La servante est folâtre
Et dérobe au tonneau
Le vin de la marâtre
Qu'elle met dans son eau.
 

Vite du giron de la servante décolletée, les épaules au vent, la chemise aux hanches, monte avec la fumée blanchâtre des fagots une ronde d'effrontés parpaillots qui embrassent et cajolent la servante, et grimpent boire le vin jusque sur le manteau de la cheminée. Bientôt voilà Buisson qui enfourche le balai, comme Penguilly; le fantastique le visite; et voilà les eaux-fortes de minuit. Tantôt c'est un cavalier fort maigre, et vêtu de noir, qui chante des séguedilles à la nymphe de l'Arnette; tantôt c'est un burg au haut d'un mont, soutenu par des consoles humaines; deux petits bonshommes grotesquement accoutrés sonnant de l'olifant, poussent avec leurs montures jusqu'au château magnifique, et dans un coin est accroupi, les coudes aux genoux et les mains aux oreilles, un petit Belzébuth cornu, grand comme l'ongle. – Eaux-fortes étranges, d'un ton roux qui rappelle l'encre rougie par le temps des dessins à la plume du Guerchin et du Vinci.

Que Levavasseur, après avoir lu une parade de Dominique, fasse Pierrot couveur et roi, Buisson regarde une image de Watteau, et lui fait deux Pierrots: Pierrot pendu, la lune le regardant:

 
Je n'aurais cru d'avance
Qu'on pût être si bien au bout d'une potence.
Que de sots préjugés on a sur terre, hélas
Quand on voit en passant ces choses-là d'en bas!
 

Puis Pierrot en collerette, son serre-tête noir un peu passant sous sa coiffe blanche, et faisant à deux mains un mémorable pied de nez; ceci est pour l'épilogue:

 
Tes dix doigts allongeant ton nez original
Nargueront le public dans un lazzi final.
 

Levavasseur raconte-t-il, en bon Normand, la vie de Corneille, Buisson ne manque, comme vous imaginez, si belle occasion de portrait.

Ici le fabuliste Prarond a le Cavalier et le cheval à faire sauter un fossé. Buisson se rappelle les fuites rapides, les croupes qui s'effacent, les cavaliers couchés à l'avant, les queues droites à l'horizon, les chevauchées tempétueuses, toute cette furia équestre qu'il livrait en ses heures de fièvre à des panneaux oubliés; il enlève d'un bond la fable de Prarond, et, la tête échauffée, sur un coin de la même planche, il jette pour l'ami Levavasseur une houle impétueuse de cavalerie tournoyante avec le mouvementé d'un Maturino dans un défilé du Guaspre. Dans ce griffonnis le Cid fait rage de la vieille épée de Murdora le Castillan. Écoutez le Romancero: «Il défit tous les Mores, prit les cinq rois, leur fit lâcher la grande prise et les gens qui allaient captifs.»

Buisson est allé en Normandie. Il a rapporté de la lande de Laugé de solides études, de véritables études normandes; il a rapporté «les chemins verts, les mares perdues dans l'ombre du soir, les ciels verts, la prime verdure d'avril sur les haies et sous les futaies, les nappes vertes des prés déroulées sous les bois, les tons bleus et violets si légers des arbres qui vont ouvrir leurs premiers bourgeons». Mais le pays de Goya l'appelle, et en l'automne de l'an 1845 son ami Levavasseur lui écrit:

Monsieur

Buisson, peintre français, fonda de las Naranjas, calle de Jovellanos.

 
C'est donc vrai, le soleil a des rayons étranges
Qui naturellement font mûrir les oranges!
Vous qui n'en aviez vu comme moi qu'au bazar,
-Enfants emmaillottés dans un papier de soie,
Vous en avez cueilli dans votre folle joie
Aux orangers de l'Alcazar,
 

Il court les Espagnes; il s'enivre de soleil, il s'enivre de haillons drapés avec un air de pourpre, de couleurs chatoyantes, d'ombres rousses, de terrains brûlés, d'horizons en incendie et de firmaments zébrés; il dessine le mendiant s'épouillant, et la manola alerte, et le presidio lézardé, et tout le peuple bariolé. Il essaye de fixer en des pages d'album cette lumière d'or, cette misère splendide. Il croque des brigands, lazaroni à fusils, se chauffant au crépuscule dans une gorge morne. Il court ce qu'on voit et ce qu'on montre, les Murillo de la rue et du Museo del Rey. Il s'éprend des vieux et des terribles, de Correa, d'Alonzo Beruguete, de Liaño, de Gaspar Becerra, de Dominique Théotocopuli.

D'Espagne, il rapporte un tableau: une cour au bas d'une église, au bas d'un énorme Christ en bois peinturluré, hommes et femmes bigarrés d'écharpes, de mantes, de chapeaux mahonnais, les uns poussant devant eux des troupeaux de cochons truites de rose; les autres, des ânes se pressant et se bousculant et tintinnabulant d'alcarazas. Le ciel est vert sombre avec des filets violets; un coloris brutal, un dessin violent; mais sous les crudités de ton et les inhabiletés de brosse, une riche palette, une méritante audace.

D'Espagne il rapporte une petite eau-forte, une carte de visite. Devant un terrain qui fuit à perte de vue, caillouteux et désolé comme les Alpujuras, près d'une source tarie, au pied du squelette d'une broussaille exfoliée, une tête coupée, les yeux clos, les lèvres entr'ouvertes, les veines du col bavant sur le sol une mare rouge; un souvenir des deux Sévillains pantelants, Valdès et Montanès.

Mais tournez la page des Valdès, des cauchemars, de l'école terrifique, et venez vite voir les beaux enfants, les méplats charnus, les faisceaux de plis aux jarrets, le potelé, le grassouillet, le dessin rebondi de l'enfance. Une statuette de Flamand, un Giotto enfant, lui donnent, celle-ci une étude, celui-là un succès. Une petite fille vue de dos lui livre un chef-d'œuvre. Il y a là les caresses de l'artiste, et, dit-on, du parent. Comme toutes les courbes sont pleines! comme la pointe lutine! comme elle rondit le long de ce galbe douillet! la réjouissante graisse étoilée de fossettes!

Salut, madame la Fable! Elle est vue de dos, laissant pendre un coin de draperie et se regardant dans un miroir:

 
Même quand elle prend, par un beau jour d'été
Au bord d'un fleuve ou sur le sable,
L'uniforme charmant de dame Vérité,
A certain regard effronté,
A cet air nonchalant, au miroir emprunté,
On reconnaît toujours la Fable.
 

Cette eau-forte, publiée par l'Artiste, est la gravure, moins trois Amours dans le ciel, d'un tableau de Buisson, qui joua de malheur. Il fut reçu à l'Exposition de 1848, le 23 février. Le lendemain, tout le monde exposait de droit. Un instant Buisson avait dû arriver vraiment au public: on avait parlé de lui pour illustrer l'Âne mort de Jules Janin.

1848 a dispersé le cénacle et mis un écriteau à la porte de l'atelier hospitalier. Mais Buisson n'a laissé partir ses amis qu'après qu'un chacun a eu un beau portrait à mettre en tête de ses œuvres. Il a gravé d'une pointe onctueuse la tête bien en chair du fabuliste; il a gravé avec la pointe fine d'Henriquel le profil élégant de Levavasseur; il a gravé la barbe de l'ami Philippe; et quand il les a eu tous pourtraicts, il n'a pas voulu que ces visages qui s'étaient fait face si longtemps fussent séparés. En mémoire des années qui ne reviennent pas, il les a tous réunis dans le frontispice du livre de M. de Chennevières, faisant de l'un une cariatide nue, sortant d'une gaine l'habit de l'autre, appuyant sa fantaisie architecturale sur la tête de celui-ci et la couronnant de son portrait:

 
Avec les cheveux en broussaille,
Le front saillant et les yeux creux,
Dent qui mord et bouche qui raille!
 

Et maintenant Jules Buisson plante ses choux près de Castelnaudary. Il ne grave plus, il ne peint plus. Il est marié; il cause engrais avec ses fermiers. Rarement il lit cette Comédie humaine que Balzac lui avait donnée pour avoir aidé à la décoration de son petit hôtel du faubourg du Roule. Il s'est retiré en un coin de grasse terre, oublieux de son talent passé; et si parfois du ciseau qu'il vient de se faire envoyer, il dégrossit une tête d'animal dans un tronc de poirier, c'est pour mettre au-dessus de la porte de ses étables.

NICHOLSON

Come and see
THE LORD CHIEF BARON NICHOLSON
At the Coal Hole tavern
STRAND1

L'affiche est ornée d'une énorme tête de Nicholson en perruque et en rabat.

En bas, à la bar2 de la taverne, vous payez un schelling; montez l'escalier, et entrez dans la salle. La salle est un rectangle recouvert jusqu'au plafond d'un papier couleur bois. Aux deux côtés de sa longueur sont figurées quatre cheminées surmontées de glaces dans des cadres de chêne, décorés d'arabesques en bronze. La salle est coupée de longues tables d'acajou; les tables sont entourées de bancs recouverts d'une moquette rouge jaspée de noir. Sur la table il y a des verres, des carafes, des bols de verre bleu qui servent de sucriers. Huit becs de gaz éclairent la salle. Aux murs est appendu le prospectus colorié d'une école de natation d'hiver; aux murs est accrochée à un clou une plaque de verre noir portant en lettres de cuivre le mot: Beds3. Dans le fond de la salle, le plancher ressaute d'un pied; et au centre de l'estrade s'élève, réservée au chef baron, une petite table où brûlent deux bougies. A côté des bougies, au-dessus d'un étain bien luisant, «la bonne vieille boisson écossaise, richement brune, mousse par-dessus les bords en glorieuse écume», comme dit Burns.

Aux pieds de Nicholson, sur un canapé au dossier de jonc, sont assis le greffier, le conducteur du conseil, l'avocat. Une petite barre en bois blanc, où viennent déposer les témoins, se dresse à la gauche du tribunal. Dans l'enceinte réservée est encore un grand piano à queue qui accompagne les chansons grivoises chargées de faire attendre le procès.

La table la plus rapprochée du tribunal reçoit le jury, jury qui se recrute parmi les buveurs de «gin» de bonne volonté. Un appel de noms imaginaires est fait. Chaque juré prend la Bible entre le pouce et l'index de la main droite, jure de juger d'après sa conscience, baise la Bible, et la passe à son voisin, qui fait de même, et la baise, et la repasse. Nicholson demande un cigare. L'huissier appelle la cause. Le conducteur du conseil, connu sous le nom du savant sergent, et qui s'est occupé avec succès du génie dramatique chez les anciens et les modernes, lit l'acte d'accusation. L'avocat, qui est un habile étudiant en droit, présente la défense. On appelle un témoin, puis un autre, puis un autre. Tantôt il vient une vieille fille les cheveux gris lui battant sur les joues, lunettes sur le nez, robe rosâtre à volants, mantelet de soie grise, chapeau avec des bouquets de bluets; la démarche intimidée, la voix mince et fluette, l'accent pudibond, croisant les bras sur la poitrine; une personnification femelle du shoking; puis c'est un garçon coiffeur qui entre «comme le torrent de la Moréna», qui monte à la barre comme on monte à l'assaut, qui frappe du poing, qui a un toupet jaune ébouriffé, qui se dépêche, qui crie, qui bredouille, qui répond avant qu'on l'interroge, qui raconte quand on lui dit de se taire, qui se démène, qui cherche machinalement et fiévreusement son tablier de sa main, qui s'essouffle, qui se mouche dans son tablier, les yeux hors la tête, la voix glapissante, haletant, prolixe, bavard et bavardant, toujours exubérant, toujours parlant; – et ce coiffeur et cette Anglaise, et ce blackguard et cette lady, c'est un homme, un seul homme, le même homme! Cet éternel témoin, le chef baron n'a-t-il pas raison de l'appeler «le plus comique dessinateur de types comiques, depuis la splénétique vieille fille jusqu'au garçon coiffeur avec son tablier à bavette»?

Mais Nicholson a un peu avancé la tête. Il a adressé une question au témoin, et toute la salle est partie d'un éclat de rire.

Nicholson est petit, apoplectique. D'énormes favoris noirs encadrent sa figure carrée et massive, comme la figure d'un financier d'Hogarth. Ses traits sont pleins et ronds; il a le teint frais; il a de petits yeux qu'il rapetisse encore en clignant et en plissant la paupière; et ce manége leur donne une indicible chafouinerie. Rominagrobis faisant le mort devait avoir cet œil demi-fermé, narquois et guetteur. Il a la grande perruque poudrée de chef baron à grands anneaux, tirant sur le front une ligne droite comme faite à la règle, et trouée au sommet par un petit trou qui laisse échapper la chaleur de la tête. Il a le rabat blanc, les manchettes et la grande robe noire. Nicholson ne rit jamais; il parle lentement; il a dans toute la physionomie comme une bonhomie bridoisonne, et comme une sournoiserie de vieux juge. Souvent, il fait avancer sa lèvre inférieure sur sa lèvre supérieure en homme de mauvaise humeur qui boude un mauvais argument. Il joue de façon exquise et de bonne comédie le perpétuel demi-sommeil d'un tribunal.

Nicholson se complaît aux causes d'adultère; il a fait son domaine des infortunes conjugales: tout le scandaleux judiciaire est bien venu de lui. En ces causes, les grasses façons de dire ont leurs coudées franches; les équivoques, les allusions, les demi-gros mots ont beau jeu dans ces libres plaisanteries, dont l'histoire du marron de Sterne est comme le type. C'est en plein croustillant que Nicholson excelle à faire les mille et une confusions de «l'Avocat patelin», à jeter au beau milieu d'une plaidoirie une interrogation cynique, à déchirer d'une phrase les gazes de pudeur de la défense; et pour peu que les tribunaux anglais aient évoqué quelque belle «conversation criminelle», aussitôt la parodie est prête, juge, avocat, greffier se donnant la main. Les causes s'improvisent, à peu près comme ces drôleries de la comédie italienne où les acteurs, avant d'entrer en scène, lisaient sur une pancarte accrochée dans les coulisses le canevas de leurs lazzis. Et cela dure tout autant qu'une petite pièce de nos boulevards: une vingtaine de jours, un mois. Nous avons vu toute une soirée débattre la vraisemblance d'un adultère en cab, avec des: Comment? que vous ne pourriez imaginer. – L'Anglais, qui aime à boire, va se coucher sur un verre de grog, et sur un résumé du chef baron de la plus impartiale salauderie.

Quelquefois la cour de justice du Trou à charbon évoque une cause politique réelle ou fictive; alors elle se met à être comme la face grotesque des haines anglaises. Tout Londres se rappelle le succès récent qu'obtint Nicholson avec son fameux procès: «Haynau et les ouvriers de la brasserie Barclay-Perkins.»

Licence singulière et sans précédent dans les mœurs d'un peuple! Parodie unique et surprenante! Le jury, et le juge, et l'accusé, et les témoins, et la défense, et l'accusation, – la Justice! abandonnés à tout l'humour d'un Swift de taverne, traduisant en libertines railleries l'amère parole de Shakspeare sur la jugeaillerie humaine: «L'homme, cet être vain et superbe, revêtu d'une autorité passagère, lui qui connaît le moins ce dont il est le plus certain, son existence fragile comme le verre, se plaît, comme un singe en fureur, à exercer les jeux de sa puérile et ridicule puissance à la face du ciel, et contriste les anges.» Et chez ce peuple religieux de sa loi, où les plus grands criminels baissent la tête sous la baguette du constable, cette farce quotidienne des assises anglaises! là, dans cette salle, un coquin de Rose-Mary-Lane que l'attorney enverra peut-être dans un mois à Botany-Bay, vient rire à cette répétition comique des vengeances sociales! Étrange comédie que cette comédie du Chief baron, où la Bible, et les balances, et le glaive sont chaque jour de l'année bafoués et traînés dans les éclats du rire! Étrange peuple où toute moquerie permise n'ôte rien au respect! où la caricature ne fait pas une rébellion! où, dans le fond d'une allée, au-dessus d'une bar à liqueurs, un homme peut, tous les soirs, toléré par la police anglaise, être l'Aristophane de la loi anglaise!

Nous ne voulons pas essayer une biographie de Benton Nicholson; c'est une célébrité que nous amenons sur le continent, et le public n'aime à entendre longuement parler que des gens qu'il connaît. Tout au plus, nous essayons quelques traits du Falstaff juge. «Les peintres, dit le vieil anecdotier, prennent la ressemblance de leurs portraits dans les yeux et les traits du visage où le naturel éclate plus sensiblement, et négligent le reste.» Ainsi faisons-nous, ne tentant qu'une animée silhouette et un buste rieur du Chief baron.

Nicholson a été rédacteur de quatre grands journaux; il a donné des articles au Times; il est l'auteur de Dombay et sa fille, roman dans la manière de Dickens. Après le succès de Gavarni in London, il a publié un journal périodique, sorte de Tintamarre anglais, intitulé Don Giovanni in London. Une chose que l'on ne sait guère, même en Angleterre, c'est que peu s'en est fallu que Nicholson ne fondât le Punch. Ce fut dans la chambre de Nicholson, alors prisonnier pour dettes, que fut discutée et résolue la venue au monde du drôlatique journal. M. A. Henning avait apporté le Charivari de Paris. Les questions matérielles du Charivari de Londres réglées, le bureau du journal fut ainsi composé: M. Nicholson, rédacteur; M. Landell, graveur; M. Last, imprimeur. Mais Nicholson ne put sortir de prison aussi vite qu'il le désirait, et MM. Last et Landell, privés du concours de Nicholson, appelèrent à la rédaction M. Gilbert Beckett, M. Henri Mayhew, M. Grattan, et M. Mark Lémon, qui fut le parrain du journal; et l'appela de ce bienheureux nom: Punch.

Nicholson commença son rôle sur une scène médiocre à la Tête de Garrick; mais il n'était alors qu'un juge d'occasion. Ce fut sous lord Melbourne que Nicholson fut élevé à la dignité de chef baron, et représenté dans une colossale peinture avec la robe d'hermine «de son feu regrettable confrère Jenterden». La première foi qu'il porta cette fameuse robe, il eut la visite de Jean Adolphus, le père du barreau anglais «qui joignait à l'esprit, à la sagesse, à la légale sagacité, le génie non encore vu de faire naître un scandale d'un scandale».

Depuis lors, sa réputation ne fit que grandir; il n'eut plus seulement des oisifs, ou de jeunes avocats venant apprendre «à cette mimique du Forum» la repartie vive et l'ironie improvisée, il eut des membres du parlement; que dis-je? il les fit jouer dans sa grave parade, et les fit s'asseoir comme jurés à son banc plaisant.

Ce fut un de ces jours-là sans doute que Nicholson, mis en verve par son public, prononça cette burlesquement sérieuse apologie de sa Mimic Court:

«Ce n'est pas, messieurs du jury, que je veuille médire du talent ou de la sagesse des cours inférieures, Courts of Chancery, Court of Queen's Bench Exchequer, Common-Pleas, Old-Bayley; non, messieurs, ils ont le génie, ils ont la science; mais, messieurs, il leur manque ce qui ne manque pas au savant conseil; il leur manque ce que nous avons: une bar au-dessous de la bar4. La bar du dessous donne l'inspiration, l'esprit, l'énergie à la bar du dessus. Messieurs du jury, croyez-vous que les arguments de sir William Follet perdraient de leur à-propos arrosés d'eau-chaude et de rhum? ou encore que les métaphores ingénieuses de L. Charles Phillips perdraient toute leur grâce pour tremper leurs lèvres à un verre de whiski? Songez encore, messieurs du jury, quel allégement ce serait à mon savant confrère Denman s'il pouvait seulement allumer un cigare et prendre un grog au gin. Messieurs du jury, la panacée des timidités, le coup de fouet de l'éloquence, le générateur de l'argument, le médecin de la raison, c'est un verre de champagne. Voltaire l'a dit:

«L'homme devient éloquent sous l'influence des grandes passions ou des grands intérêts. Mon grand intérêt, c'est l'excitant; ma grande passion, c'est le verre de champagne; et je suis appuyé par ce philosophe dans mon opinion que l'homme parle et argumente mieux sous l'impression des excitants que lorsqu'une sage sobriété siége seule, en son chagrin, sur le trône de l'intelligence.»

Nicholson est un homme de sport; c'est un parieur distingué. Un rédacteur du London-News nous disait qu'il avait une façon particulière de juger les chevaux à l'oreille. Il se fait remplacer pendant la saison des courses, où à Epsom, à Ascot, à Hampton, escortée de sa tente monstre en toile, sa seigneurie fatigue une salade, coupe une tranche de rosbeef, remplit un verre d'ale, «offrant le premier exemple du premier juge qui ait jamais vendu du bœuf à une course de chevaux».

Nicholson a un petit lever. Les boxeurs, les maquignons, quelques acteurs viennent lui faire leur cour. La ruelle est le rendez-vous des nouvelles du Ring; c'est l'endroit de Londres où on sait le mieux et le plus tôt combien de rounds a donnés Harry-Broome.

Ses occupations sévères de chef baron ne l'empêchent pas de revenir quelquefois à la littérature. Le grave emperruqué met alors à son esprit «des bas couleur de rose». Une fable s'échappe de sa plume entre deux résumés de la taverne:

L'AMOUR ET LA MORT

«L'Amour et la Mort convinrent de voyager ensemble. La Discorde les surprit au milieu de leur sommeil et mêla leurs flèches. C'est ainsi que l'Amour, quand il se propose de frapper les jeunes d'une tendre passion, tue souvent, et que la Mort, quand elle lance sur les vieux la flèche fatale, allume un doux attachement.»

Ne dirait-on pas le goût d'une odelette d'Anacréon? – Nicholson dit plaisamment, à propos de ses œuvres rimées, «qu'il est le plus pesant barde d'Angleterre, un barde de 266 livres».

Mais, après sa fable, vite il remonte à son siége, il retourne à sa baronnie; il recommence, applaudi, sa farce étonnante. Il sait que toute sa gloire est dans sa toge risible, et il se résume ainsi lui-même dans l'autobiographie de sa main qu'il nous a envoyée: «Je vous livre ceci, non comme une sérieuse archive, mais comme un satirique souvenir, mon objet étant toujours d'exciter un rire dans mon auditoire par ma moqueuse grandeur.»

1.Venez et voyez le grand juge Nicholson à la taverne du Trou au charbon, dans le Strand.
2.Comptoir.
3.Il y a des lits ici.
4.Jeu de mots sur le mot bar, qui signifie comptoir de marchand de vin, et barre de la justice.
Yosh cheklamasi:
12+
Litresda chiqarilgan sana:
28 sentyabr 2017
Hajm:
210 Sahifa 1 tasvir
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