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Kitobni o'qish: «La coucaratcha. II», sahifa 7

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DAJA

Quelle folie de ne savoir pas se borner à n'aimer la créature que comme on doit aimer ce qui est sujet à périr!

Confessions de Saint-Augustin, LIV. IV, ch. VII.

CHAPITRE PREMIER

…Je venais de faire une campagne de deux ans dans l'Inde. De retour à Paris depuis six mois, j'avais pour maîtresse la femme d'un de mes amis d'enfance.

C'était une fort jolie femme, un véritable type de race et de distinction; frêle, blanche, délicate, nerveuse, pâle avec de grands yeux bruns qui voyaient à peine; l'air fier et hautain; un pied charmant; une main et une taille divines; de l'esprit; de l'âme! de l'âme… ni peu ni trop, mais juste ce qu'il en fallait pour mettre quelque poésie dans notre liaison, sans tomber dans les exigences et les ennuis de la passion

Un soir que nous avions dîné seuls, mon ami, sa femme et moi, il demanda sa voiture et dit:

– Je vous quitte, Jenny, car j'ai affaire et c'est votre jour d'Opéra je crois…

– Oui, répondit Jenny; mais j'ai donné ma loge aux Bressac.

– Et que ferez-vous?

– Je ne sais trop… Comme c'est le mercredi de madame d'Arville, j'irai peut-être un moment…

Je me levai, et me disposais à sortir avec mon ami quand sa femme me dit:

– Je ne vous renvoie pas, au moins; je n'ai demandé ma toilette que pour neuf ou dix heures…

– Je m'inclinai…

– Sans doute, si tu n'as rien à faire, reste avec ma femme, tu lui tiendras compagnie: car j'ai un diable de rendez-vous de notaire que je ne puis remettre.

– Adieu, Jenny, dit-il à sa femme en lui baisant la main; et, se tournant vers moi: «N'oublie pas que j'irai te prendre demain à deux heures, pour aller voir cet hôtel de la rue de Londres.

Et il sortit.

Quand le roulement de la voiture de mon ami m'eut appris son départ définitif, je quittai ma chaise, et j'allai m'asseoir sur la causeuse près de Jenny.

– Voyez pourtant ce que je vous sacrifie, Arthur!.. me dit-elle avec un soupir.

Cette réflexion était si étrange après une intimité de trois mois, si peu en harmonie avec ce qui venait de se dire et de se passer, que n'y comprenant en vérité rien du tout, je lui répondis:

– Comment… Jenny… quel sacrifice!..

– Elle ne me répondit rien, prit sa cassolette sur une petite table, me tourna le dos, et se mit à jouer avec ce bijou d'un air boudeur et piqué.

– Ah! lui dis-je en baisant ses jolies épaules, – je conçois. – Ecoutez, ma chère; – nous sommes convenus d'être francs… je veux donc vous dire ce qui vous contrarie. – Vous m'avez parlé de sacrifice parce que vous avez peut-être lu ce matin le roman de quelque passion malheureuse, ou que le cours fantasque de vos idées vous porte à causer ce soir faute et remords. D'honneur, je ne vous aurais pas refusé cette distraction, si j'avais été prévenu, si vous aviez amené ce sujet plus naturellement… Mais, en vérité, cela venait si peu à propos, au moment où ce cher Octave vous quittait pour son notaire, que je n'ai pu réprimer un mouvement de surprise… Or, cette surprise vous empêche d'utiliser la disposition d'esprit dans laquelle vous étiez ce soir, et vous m'en voulez… Est-ce cela?

Jenny sourit presque…

– Allons, j'ai deviné juste, et puisque nous sommes en veine de franchise, laissez-moi donc vous dire que, d'ailleurs c'était un mauvais thême… que le sacrifice. – Entre nous et dans une liaison comme la nôtre, qu'est-ce que vous sacrifiez? Etre adorée et environnée de soins, d'hommages, avoir la conscience de tout ce qu'on fait pour vous plaire, vous appelez cela vous sacrifier! A la bonne heure… c'est une conséquence de l'habitude où nous sommes, nous autres, de vous remercier du bonheur que nous vous donnons…

– A merveille!.. Et notre réputation? et nos principes?

– Voilà un double emploi de mots, réputation dit tout. Eh bien! en ne s'écrivant pas, et en ayant pour amant un galant homme qui sache vivre, la réputation demeure intacte.

– J'admets cela… et nos principes?

– Oui… mais moi je n'admets pas vos principes…

– Arthur… vous déraisonnez, ou vous êtes d'une fatuité ridicule.

– Mais c'est au contraire parce que je ne suis pas fat, et que je me compte pour fort peu que je ne crois pas aux principes…

Comment voulez-vous sérieusement que je puisse croire à l'influence de ce que vous appelez vos principes, – quand je vois un aussi mince mérite que le mien en triompher? Et encore le mérite n'est rien… Si au moins je vous avais prouvé mon amour par un dévoûment sans bornes, une constance désintéressée, parfaite; mais non; je ne vous avais jamais vue, il y a six mois; je me suis occupé de vous comme on s'occupe de toutes les femmes; vous m'avez accueilli comme on accueille tous les hommes, et j'ai été heureux, parce que le bonheur entrait dans nos arrangements de position, de relation. Vous ne me devrez pas plus que je vous dois, nous avons cherché chacun nos convenances, nous les avons trouvées; jouissons-en, mais ne parlons pas de sacrifice.

– En vérité, ne dirait-on pas que ce mot doit être rayé de notre langue!..

– Et le remords!.. n'est-ce pas un sacrifice que de s'y exposer?

– Mais nous avons traité la question du remords en parlant de la réputation. Le remords… c'est la peur d'être découvert… Or, avec de la prudence et du mystère… on n'a pas de remords.

– Vous êtes dans un de vos jours de paradoxes: soit! c'est une coquetterie de votre part… parce que vous savez que rien ne me séduit et ne m'amuse autant que les paradoxes… Aussi, à bien prendre, mon amour pour vous n'est-il…

– Qu'un paradoxe.

– Vous l'avez dit… Mais, pour en revenir à notre discussion, vous niez donc qu'une femme puisse faire un sacrifice à son amant?

– Pas du tout… Je nie qu'entre nous jusqu'à présent, nous nous soyons fait le moindre sacrifice; et je dirai plus… c'est que si quelqu'un en a fait, c'est plutôt moi…

– C'est fort amusant!.. et comment cela?

– Ecoutez donc, Jenny, vous êtes mariée, et je ne le suis pas; vous n'avez pas à songer à un avenir, vous; et je me trouve dans la même position qu'une jeune personne à établir qui a un amant…

– Fou que vous êtes!

– Le fait est si vrai que si je mourais demain, j'aurais sur mon cercueil une couronne de roses blanches et de beaux draps blancs; et, mon Dieu! tout autant d'emblêmes de candeur et de pureté qu'un ange de seize ans qui va monter au ciel… ce que c'est que le monde!..

– Et les occasions dans lesquelles une femme peut faire un sacrifice à son amant sont fort rares sans doute, Monsieur? reprit Jenny.

– Heureusement, – fort rares, presqu'impossibles à rencontrer, en France surtout… grâces à nos mœurs et à notre divine corruption, qui, jusque dans le vice, veulent l'aise, le repos, et surtout la liberté.

– Et ailleurs?

– Oh! ailleurs c'est différent… Dans un pays presque sauvage, cela se peut… cela est… cela même a été… je puis le dire…

– Ah! mon Dieu! un fait personnel à vous peut-être?..

– Mais oui… peut-être…

– Oh! racontez-moi donc cela, je vous en prie!

– Si j'étais fat… je dirais que vous seriez jalouse… j'aime mieux dire que cela vous ennuierait.

– Vous savez bien que non, que rien ne m'intéresse autant que de vous entendre parler de vos voyages… Mais vous voulez en parler si rarement… – Voyons… Arthur, je vous en prie… Oh! conte-moi cela… je le veux!..

– Eh bien! écoute donc, dis-je à Jenny. —

CHAPITRE II

«Il y a de cela environ dix-huit mois, j'étais dans l'Inde. L'amiral *** m'avait chargé d'une mission assez importante pour… (pardonnez-moi cet horrible mot) pour Vizagapatnam. Je partis de Madras, je remplis mes instructions, et je revins… Je n'étais plus qu'à quinze lieues de cette ville, lorsqu'un accident, arrivé à un des hommes qui portaient mon palanquin, m'obligea de m'arrêter dans un village appelé Tschina-Marmelong (encore pardon du nom); mais dans l'Inde, ils sont tous comme ça.

«Je ramenai avec moi un de mes officiers, excellent homme, nommé Duclos, qui n'avait qu'un défaut: c'était d'aimer à savoir le matin ce qu'il devait faire dans la journée, et de se désespérer quand un événement imprévu venait bouleverser ses arrangements.

«Or, à défaut d'événements imprévus, moi je me chargeais toujours de déranger ses plans, parce qu'alors rien ne m'amusait tant que sa colère et ses lamentations. Tu conçois bien qu'en route il faut se distraire.

«Quand M. Duclos eut bien gémi sur le retard qui nous retenait dans la chaudrerie de ce village, il me dit: – Enfin nous voilà tranquilles jusqu'à demain… que ferons-nous? J'aime à savoir sur quoi compter (c'était son mot).

« – Mais… lui dis-je, ce que nous pouvons faire de mieux, c'est de souper et de nous coucher ensuite, et de dormir si les moustiques nous le permettent.

« – A la bonne heure, me répondit l'excellent homme, car j'aime à savoir sur quoi compter… Je vais donc aller me promener dans cette rizière en attendant l'heure du repas; cela me donnera de l'appétit, et me préparera à bien dormir.

«Il s'en fut, et je me promis bien qu'il souperait, qu'il se coucherait, et qu'il dormirait le moins qu'il me serait possible.

«La chaudrerie se remplissait de voyageurs; une chaudrerie, Jenny, est un caravansérail, une auberge publique fondée par de bonnes âmes, où l'on trouve pour rien l'eau et le couvert, et dans quelques endroits des aliments pour les pauvres.

«Bientôt notre compagnie fut augmentée d'une troupe de daatcheries ou danseuses ambulantes, accompagnées de leurs musiciens.

«Après que ces bayadères, selon le vœu de leur religion, qui prescrit deux ablutions par jour, eurent été se baigner dans l'étang, la conductrice ou bidda de la troupe vint me saluer en me présentant un bouquet, et me demander, au nom de sa compagnie, la permission de danser devant moi.

«Cette demande fut pour moi un coup du ciel. Je décidai mentalement qu'au lieu de souper, de se coucher et de dormir, le malheureux, ou plutôt l'heureux Duclos ne souperait pas, assisterait au bal, et veillerait toute la nuit.

«Je dis donc à cette femme que j'aurais le plus grand plaisir à voir danser sa troupe, mais qu'il fallait attendre pour cela l'arrivée de mon camarade.

«A peine eus-je fait connaître ma détermination, que tous les assistants témoignèrent leur joie par les exclamations de nela doré! maaradjha! ce qui veut dire grand prince et brave seigneur.

«On mit donc de petites lampes d'argile sur les niches pratiquées à cet usage dans les murs de la chaudrerie; j'ordonnai à mes porteurs d'aller abattre de nombreuses branches de tamarin et de manguiers, dont on joncha la grande salle… Je fis apporter le matelas de mon palanquin dans un coin; mon fidèle Fritz me fit un bowl de punch à l'arrach… J'allumai mon kouka, et j'attendis Duclos…

Tu aurais ri comme moi, Jenny, en voyant l'air étonné, stupide de ce pauvre homme à l'aspect de tout ce monde, de cet éclat, de cette verdure éclairée par les lampes, de cet air de fête enfin qui semblait présager quelque chose de si fatal pour son souper et son sommeil.

«Il se fit jour à travers la foule, et s'approchant de moi… – Eh bien! me dit-il… nous ne soupons donc plus à présent? C'est insoutenable, avec vous on ne peut compter sur rien… Encore une fois… nous ne soupons donc plus?

« – Pas du tout, mon cher monsieur Duclos… puisque nous sommes au bal… Et pour preuve, j'ordonnai à mon principal corelis d'aller prévenir les bayadères.

« – Au bal, au bal… alors pourquoi me faites-vous compter sur le souper et le sommeil?.. Je m'arrange dans cette idée, maintenant c'est le contraire…

« – C'était une surprise, mon cher Duclos…

« – Mais, mon Dieu, vous savez que justement ce que j'abhorre le plus au monde, c'est une surprise…

« – Madame Duclos ne vous a donc jamais souhaité votre fête avec une couronne et des pétards, monsieur Duclos?..

« – Si Monsieur… me répondit-il, mais nous tressions la couronne ensemble quinze jours à l'avance, et c'est moi qui allumais les pétards.

« – Allons, un verre de punch à la santé de madame Duclos, qui ne vous faisait pas de surprise…

« – Je vous remercie bien, Monsieur. – Quand je m'attends à boire du punch, je bois du punch; quand je m'attends à souper, je soupe, – ou si je ne soupe pas, au moins je ne bois pas de punch, – me répondit-il d'un air piqué.

«Le fait est qu'il était désespéré; car cet excellent homme poussait si loin cet amour du prévu, que lors de notre combat de Tarifa, en 18… ce qui le contraria le plus fut, non pas le danger qu'il affronta avec une froide intrépidité, mais ce fut le désordre que cet incident inattendu jeta dans sa journée.

«La danse commença, – elles étaient sept bayadères. La musique résonna, et fit retentir la chaudrerie des sons perçants des cymbales, des caresas, des matatans et autres instruments du pays.

«C'est qu'en vérité, Jenny, elles étaient charmantes: leur costume était si séduisant, leurs cheveux si noirs, si lisses; et puis les petites plaques d'or attachées à un filet de soie pourpre qu'elles se posent sur le sommet de la tête, leurs longues boucles d'oreilles, les anneaux d'or et d'argent qui entourent leurs jambes et leurs bras… leurs robes d'étoffe de soie rayée, attachées sur les hanches avec une ceinture d'argent battu…; tout cela était si élégant, si oriental… leurs poses enfin lascives et passionnées, avaient un caractère si particulier, que j'eusse donné et donnerais encore vingt de vos brillants ballets d'Opéra pour cette danse naïve des daatcheries dans une pauvre chaudrerie du Carnate.

«Quand le bal eut duré environ une heure, je leur fis signe de cesser, au grand chagrin de Duclos, dont les yeux s'animaient, et qui avait fini par jouir de la danse, du kouka et du punch, comme s'il s'y fût attendu depuis huit jours…; de Duclos, qui, paraissant oublier les couronnes conjugales et les pétards de madame Duclos, semblait s'abandonner à des pensées malhonnêtes.

«Comme je parlais passablement la langue hindoue, je remerciai ces bonnes filles, en les assurant que Rambhé, la déesse de la danse, ne les surpassait pas; mais je les priai de chanter quelque peu…

«Mes louanges leur plurent, les surprirent beaucoup de la part d'un Européen; et elles me demandèrent ce qu'elles pourraient chanter pour m'être agréable. – Je leur indiquai la Kamie, que j'aimais beaucoup et que j'avais déjà entendue à Surate.

Elles me chantèrent donc les aventures de la princesse Bedd'hia, épopée maratte pleine de grâce et de fraîcheur.

«Il était minuit lorsque leurs chants cessèrent. Elles voulurent commencer un autre giez ou poëme; mais je les remerciai, et après que, selon l'usage, j'eus offert à la première danseuse mon présent sur un plateau couvert de feuilles de bétel et de noix d'arèque, – tous les spectateurs se retirèrent, les uns dans leurs huttes, les autres dans la chaudrerie.

«Duclos voulut se coucher (il ne soupa pas) sous l'appentis; quant à moi je fis porter mon palanquin sous un énorme cocotier, et je m'y étendis, respirant avec délice l'odeur vive et pénétrante de cette végétation si nourrie et si parfumée…

«A peine étais-je endormi qu'un mouvement fait à la couverture de mon palanquin m'éveilla… Qui est là? dis-je assez étonné…

«Une voix de femme me répondit:

«C'est moi, monsieur, la bidda des daatcheries; je viens vers vous avec mille compliments de la jeune fille au corset jaune et à la couronne de mongaries, – Daja. – Son cœur s'est ouvert en votre faveur comme le sourdjoupers s'ouvre aux rayons du soleil!

«Recevez le bétel qu'elle vous a préparé elle-même. Elle est assise au pied de votre palanquin, où elle attend vos ordres.

«Le diable m'emporte, Jenny, si je me rappelais la danseuse au corset jaune! D'ailleurs, j'avais envie de dormir, je voulais repartir le lendemain de bonne heure pour Madras; et puis enfin ces avances m'eussent peut-être convenu la veille, le lendemain, – mais alors elles ne me convenaient pas. Aussi je remerciai la bidda de son honnête intervention, et l'engageai à aller offrir le bétel d'amour à mon ami Duclos, dans l'intention de lui ménager une surprise de plus.

«Tembrane meharsa! Dieu seul est grand! me répondit la bidda; ce qui me parut peu concluant relativement à la surprise que je l'engageais à faire à Duclos. Elle s'en alla.

«Le lendemain, les corelis nous éveillèrent. Duclos était prêt, et nous nous disposions à partir, lorsque les daatcheries vinrent prendre congé de moi.

Je cherchais, par pure curiosité… la jeune fille au corset jaune… elle n'y était pas… Je la demandai à la bidda, qui l'appela. Elle vint un moment sur la porte de la chaudrerie, me regarda avec fierté, colère et mépris, porta ensuite la main sur la poitrine pour me saluer, et disparut.

«Nous partîmes. A cent pas de la chaudrerie, je soulevai un des pans de mon palanquin; et comme je regardais dans la direction du village, je vis avec étonnement Daja qui paraissait avoir pleuré; car elle s'essuyait les yeux, et deux de ses compagnes semblaient la consoler…»

– Mais était-elle jolie, cette fille? me demanda Jenny avec impatience.

– Ravissante et faite à peindre! lui répondis-je.

CHAPITRE III

«Je ne sais pourquoi, pendant toute la route, continuai-je en souriant du léger nuage qui avait obscurci le front de Jenny, je ne sais pourquoi le souvenir de Daja me poursuivit. J'avais beau me dire que ce n'était après tout qu'une fille, une de ces bayadères qui se livrent au premier venu; j'avais beau me faire tous les raisonnements du monde, boire du punch, faire courir mes porteurs, mâcher du bétel, ménager des surprises à Duclos, ou fumer de l'opium: rien ne pouvait me distraire de la pensée qui m'obsédait.»

– Et c'était une fille? me demanda Jenny.

– Oh! tout ce qu'il y a de plus fille! «Enfin, n'y pouvant plus tenir, le soir de notre arrivée à Tunipatnam, au moment où nos porteurs allaient se coucher… j'allai trouver Duclos.

«L'excellent homme se préparait à monter dans son hamac qu'il avait amoureusement suspendu dans un coin bien obscur de la nouvelle chaudrerie où nous venions d'arriver.

«L'infortuné Duclos ne soupçonnait pas le moins du monde le but de ma visite; car me montrant avec complaisance l'installation de son hamac, qui à vrai dire donnait envie de s'y coucher, tant cela était bien arrangé, frais et tranquille:

« – Avouez, me dit le brave homme, que je vais passer une fameuse nuit dans ce bon petit coin-là!»

– En vérité, Jenny, il me fallut un courage surhumain pour sacrifier Duclos à Daja, pour renverser d'un souffle ce bonheur si bien apprêté: j'eus ce courage, cet admirable courage.

« – Je suis désolé, mon cher Duclos, lui dis-je, mais nous repartons à l'instant… nous retournons sur nos pas…

« – Farceur de commandant! – me dit Duclos en sautant d'un bond dans son hamac, et faisant avec calme toutes ses dispositions pour sa nuit, arrangeant son oreiller, poussant son traversin… tant il était loin de penser à l'affreux imprévu qui le menaçait…

« – Je ne plaisante pas, monsieur Duclos, dis-je très sérieusement, nous partons… Voici mes porteurs qui viennent me prendre… J'ai fait aussi prévenir les vôtres.

«Duclos se croyait sous l'obsession d'un horrible cauchemar… – Retourner sur ses pas! à cette heure!.. retourner!.. se lever!.. disait-il à voix entrecoupée en se tâtant pour voir s'il n'était pas le jouet d'une illusion…

« – Oui, il faut partir… et à l'instant… Voyons, Duclos, du courage…

« – Allons donc! je ne pars pas… non je ne partirai fichtre pas! dit tout à coup mon homme se raidissant dans son hamac comme un désespéré, et me regardant d'un air hagard.

« – Monsieur Duclos, lui dis-je, j'ai pu oublier un instant que j'étais votre supérieur, maintenant je vous l'ordonne.

« – Mais monsieur, pourquoi retourner?

« – Monsieur, je n'ai de compte à rendre qu'à l'amiral, et vous devez m'obéir aveuglément…

«M. Duclos, ne répondit pas un mot, s'habilla, fit décrocher son hamac, monta dans son douli et suivit mon palanquin. Duclos était bleu de colère.

«Mon intention était, Jenny, de rencontrer les bayadères, la bidda m'ayant dit qu'elles se rendaient aussi à Madras. Comme il n'y avait pas d'autre chemin que celui où nous voyagions, j'étais sûr de mon fait; aussi marchâmes-nous toute la nuit.»

– Et ce malheureux M. Duclos? me demanda Jenny.

«En arrivant le matin au village où je croyais rencontrer les danseuses, je m'arrêtai, avant que d'entrer à la chaudrerie.

«Je fis appeler M. Duclos, et pour m'en débarrasser, je lui dis:

« – Je veux bien oublier, monsieur, votre scène inconvenante d'hier, et vous donner une nouvelle marque de ma confiance; vous allez monter sur le morne qui est situé vers le nord-ouest. Emportez votre graphomètre et votre niveau, – et relevez un plan exact de toute la partie du pays qui s'étend entre la direction du nord-ouest au sud-ouest du compas.

« – Mais pourquoi n'avoir pas fait cela hier… et à quoi bon?.. C'est le premier plan depuis Vizagapatnam… me répondit Duclos étonné au dernier point.

«Je coupai court à son interrogation avec ma réponse habituelle, – que je ne devais de compte de ma conduite qu'à l'amiral; – et l'excellent Duclos se chargea de ses instruments et descendit dans le nord-ouest, en faisant des suppositions à perte de vue sur la nécessité qui m'obligeait de revenir sur mes pas pour lever le plan de Jaffanapatnam.

«Alors, faisant diriger mon palanquin vers la chaudrerie, j'arrivai par une longue allée de cocotiers qui ombrageait un fort bel étang maçonné dans lequel se baignait beaucoup de monde, et entre autres, tout à l'extrémité, une petite troupe de femmes.

«Tout à coup, j'entends un cri perçant sortir de ce groupe; je regarde avec plus d'attention, et je reconnais Daja, ma danseuse au corset jaune, qui venant de se baigner avec ses compagnes, ne faisait que sortir de l'eau, car elle avait encore son pagne de bain.

«La pauvre fille m'avait reconnu, je lui fis signe d'approcher; elle s'enveloppa d'une grande couverture de coton blanc et accourut toute honteuse.

– «Daja, je viens pour toi, lui dis-je… pour te chercher… Veux-tu venir avec moi?

«Elle leva ses grands yeux noirs, et n'osait pas comprendre.

« – Veux-tu Daja?

« – Avec vous?..

« – Oui, Daja, venir avec moi à Madras…

«Alors cette pauvre fille, tremblant de tous ses membres et n'ayant pas sans doute la force de me répondre, me regarda comme en extasse, joignit ses deux mains avec force, et me fit signe de la tête qu'elle y consentait.»

– Et vous emmenâtes cette créature? me demanda Jenny.

«Oui, ma chère, dans un douli que je pus me procurer; et je repartis pour Madras avec ce bon Duclos, qui m'apporta son plan, et crut qu'une haute combinaison diplomatique se liait et au mystérieux douli dont il ne soupçonnait pas le contenu, et au plan qu'il avait levé par un soleil ardent.

«Enfin le bon homme oublia sa marche rétrograde. Seulement un soir en me montrant son verre qu'il allait porter à ses lèvres, il me dit: – Voyez-vous, quelqu'un maintenant me dirait: Vous vous attendez à boire un verre d'arack, et à vous coucher après, n'est-ce pas, monsieur Duclos? Eh bien! non, au lieu de cela, vous allez vous en aller mesurer la pagode de Mehemonpa, à douze milles d'ici. Je répondrais à ce quelqu'un-là: Cela ne m'étonnerait pas…

« – Et vous auriez raison, dis-je à Duclos, qui pourtant cette fois huma son verre d'arack, et passa la nuit comme il s'était proposé de le faire: car depuis que j'avais Daja je ne ménageais plus de surprise à mon compagnon.»

– Ah ça? mais le sacrifice? me demanda Jenny; jusqu'ici il me semble que c'est vous.

– Attends donc, lui dis-je en voulant l'embrasser.

Elle me repoussa… en me disant: Une fille… ah!..

– C'est-à dire, Jenny, une fille, oui, mais qui, par une bizarrerie singulière, était restée pure au milieu de cette troupe ambulante. Elle ne s'y était engagée que depuis environ six mois; jusque-là elle avait vécu chez sa mère. Mais, dans une de ces guerres sans nombre qui ravagent le Carnate, sa mère avait été tuée, son champ dévasté, et pour vivre elle s'était en allée avec les daatcheries. Or, quand elle me vit, son cœur n'avait pas parlé; il parla, et elle me le dit tout naïvement.

– Et vous avez cru à cela? me dit Jenny…

– Mais que vous êtes singulière, Jenny! il faut bien que cela soit vrai, au moins une fois… et cette enfant n'avait pas seize ans.

Yosh cheklamasi:
12+
Litresda chiqarilgan sana:
30 sentyabr 2017
Hajm:
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