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Kitobni o'qish: «Othello», sahifa 5

Shrift:

OTHELLO. – Ah! ah! perfide! Envers moi! envers moi!

JAGO. – Quoi! encore, général? ne pensez plus à cela.

OTHELLO. – Va-t'en; fuis; tu m'as mis sur la roue! Je jure qu'il vaut mieux être trompé tout à fait que d'en avoir seulement quelque soupçon.

JAGO. – Comment, seigneur?

OTHELLO. – Quel sentiment avais-je des heures de plaisir qu'elle dérobait? Aucun. Je n'en souffrais point; je dormais bien la nuit suivante; j'avais l'esprit libre et l'humeur gaie; je n'ai point trouvé les baisers de Cassio sur ses lèvres. Quand celui qu'on a volé ne s'aperçoit point de ce qui lui manque, s'il n'en sait rien, c'est comme s'il n'avait rien perdu.

JAGO. – Je suis fâché de vous entendre parler ainsi.

OTHELLO. – Quand toute l'armée, soldats et pionniers, aurait goûté la douceur de ses charmes, si je n'en avais rien su, j'aurais été heureux. – Et maintenant, adieu pour jamais le repos de mon âme; adieu, contentement! Adieu, bataillons aux panaches flottants; adieu, grandes guerres, qui faites de l'ambition une vertu: oh! adieu pour toujours! Adieu, le coursier hennissant, et la trompette éclatante, et le fifre qui frappe l'oreille, et le tambour qui anime le courage, et la royale bannière, et tout l'appareil, l'orgueil, la pompe, l'éclat de la glorieuse guerre! Et vous, instruments de mort, dont les bouches terribles imitent la formidable voix de l'immortel Jupiter; adieu! adieu! La tâche d'Othello est finie.

JAGO. – Est-il possible, seigneur?

OTHELLO. – Misérable, compte qu'il faut que tu me prouves que ma bien-aimée est une prostituée: comptes-y bien: donne-m'en la preuve oculaire. (Il le saisit à la gorge.) Ou par la valeur de mon âme immortelle, il eût mieux valu pour toi naître un chien, que d'avoir à répondre à ma colère, maintenant que tu l'as éveillée.

JAGO. – En êtes-vous là?

OTHELLO. – Fais-le-moi voir; – ou du moins prouve-le de manière que ta preuve ne laisse ni place ni prise au moindre doute12; ou malheur à ta vie!

JAGO. – Mon noble seigneur…

OTHELLO. – Si tu la calomnies, et que tu me mettes à la torture, renonce à prier le ciel, étouffe tout remords, entasse horreurs sur horreurs, fais des actions qui épouvantent la terre et fassent pleurer le ciel; tu ne peux rien ajouter à ce que tu as déjà fait; tu ne peux rien faire qui consomme plus sûrement ta damnation.

JAGO. – O grâce! que le ciel me défende. Êtes-vous un homme? avez-vous une âme et votre raison? Dieu soit avec vous! Reprenez mon emploi. – O malheureux insensé, qui as vécu pour faire de ta droiture un vice! ô monde pervers! Prends-y garde, ô monde; prends-y garde; il est dangereux d'être honnête et sincère. Je vous remercie de cette leçon; j'en profiterai, et désormais je n'aurai plus aucun ami, puisque l'amitié suscite un pareil outrage.

(Jago veut sortir.)

OTHELLO. – Non, demeure. – Tu devrais être honnête!

JAGO. – Je devrais être sage: car la probité est une insensée qui travaille pour des ingrats.

OTHELLO. – Par l'univers, je crois que ma femme est vertueuse, et je crois qu'elle ne l'est pas: je crois que tu es honnête, et je crois que tu ne l'es pas. Je veux avoir quelque preuve. – Son image, qui était pour moi aussi pure que les traits de Diane, est maintenant noire et hideuse comme mon propre visage. S'il est des lacets, des poignards, des poisons, des flammes, des vapeurs suffocantes, je ne le souffrirai pas… Que je voudrais être satisfait!..

JAGO. – Je vois, seigneur, que la passion vous dévore: je me repens de l'avoir allumée en vous. Vous voudriez vous satisfaire?

OTHELLO. – Je le voudrais? – Oui, je le veux.

JAGO. – Et vous le pouvez: mais de quelle manière? comment voulez-vous être satisfait, seigneur? Voudriez-vous être le témoin… et la voir, la bouche béante, dans les bras d'un autre13?

OTHELLO. – Mort et damnation! oh!

JAGO. – Ce serait, je crois, une grave difficulté, que de les amener à vous offrir cet aspect. Que le diable les emporte, si jamais d'autres yeux que les leurs les voient dans les bras l'un de l'autre14. Quoi donc? Comment? que dirai-je? le moyen de vous satisfaire? Il vous est impossible de voir cela, quand ils seraient aussi éhontés que les chèvres, aussi ardents que les singes, aussi pétris d'orgueil que les loups, et aussi imprudents qu'on peut l'être dans l'ivresse. Mais cependant, si des indices et de fortes probabilités, qui vous mèneront tout droit à la porte de la vérité, suffisent à vous satisfaire, vous pouvez être satisfait.

OTHELLO. – Donne-moi une preuve vivante qu'elle est déloyale.

JAGO. – Je n'aime pas ce rôle; mais puisque, entraîné par mon zèle et ma sotte franchise, je me suis avancé si loin dans cette affaire, je poursuivrai. La nuit dernière j'étais couché près de Cassio, et tourmenté d'une violente douleur de dents, je ne pouvais dormir. – Il est des hommes dont l'âme est si abandonnée que dans leur sommeil ils révèlent leurs affaires. Cassio est de cette espèce. Dans son sommeil je l'entendis qui murmurait: Chère Desdémona, soyons circonspects, cachons nos amours! Et alors, seigneur, il saisit ma main, et en la serrant il s'écriait, ô douce créature! et puis il m'embrassait avec ardeur comme s'il eût voulu arracher des baisers qui croissaient sur mes lèvres, et il soupirait, et s'écriait: ô maudite destinée, qui t'a donnée au More15!

OTHELLO. – O monstrueux, monstrueux!

JAGO. – Ce n'était qu'un songe.

OTHELLO. – Mais ce songe révèle l'action qui l'a précédé. C'est une violente présomption, quoique ce ne soit qu'un songe.

JAGO. – Et ceci peut aider à ajouter aux autres preuves qui témoignent faiblement.

OTHELLO. – Je la mettrai en pièces.

JAGO. – Non. Soyez prudent; nous n'avons encore rien vu; il se peut encore qu'elle soit innocente. – Dites-moi seulement, n'avez-vous jamais vu un mouchoir parsemé de fraises dans les mains de votre femme?

OTHELLO. – Je lui en ai donné un pareil; ce fut mon premier présent.

JAGO. – Je ne sais pas cela; mais c'est avec un pareil mouchoir, qui j'en suis sûr était celui de votre femme, que j'ai vu aujourd'hui Cassio essuyer sa barbe.

OTHELLO. – Si c'est celui-là!..

JAGO. – Si c'est celui-là, ou tout autre qui soit à elle, cela, joint aux autres preuves, dépose contre elle.

OTHELLO. – Oh! que le misérable n'a-t-il quarante mille vies? Une seule est trop faible, trop chétive pour ma vengeance! Je vois maintenant que c'est vrai. – Regarde-moi, Jago; j'exhale ainsi tout mon fol amour; il est parti. – Lève-toi, noire vengeance, sors de ton antre obscur! Amour, cède à la tyrannique haine ta couronne et le trône de mon coeur! soulève-toi, ô mon sein, car tu es gonflé du venin de l'aspic.

JAGO. – Je vous en prie, contenez-vous.

OTHELLO. – Oh! du sang! Jago, du sang!

JAGO. – Patience, vous dis-je; vous changerez peut-être d'idée.

OTHELLO. – Jamais, Jago. Comme le Pont-Euxin dont les courants glacés et le cours uniforme ne subissent jamais l'action du reflux, et se précipitent sans relâche vers la Propontide et l'Hellespont, ainsi mes sanglantes pensées, dans la violence de leur cours, ne reviendront jamais en arrière, ne reflueront pas vers l'humble amour; il faut qu'elles aillent s'abîmer dans une vaste et profonde vengeance. Oui, par cette voûte immuable du ciel (il se met à genoux), j'engage ici ma parole avec le respect dû à un voeu sacré.

JAGO. – Ne vous levez pas encore. (Il se met aussi à genoux.) Soyez témoins, vous flambeaux toujours brûlants sur nos têtes, vous éléments qui nous enfermez de toutes parts, soyez témoins qu'ici Jago dévoue son esprit, son bras et son coeur au service d'Othello outragé. Qu'il commande, et, quelque sanglants que soient ses ordres, l'obéissance m'affranchira de tout repentir.

OTHELLO. – J'accepte ton dévouement, non avec de vains remerciements, mais avec une sincère reconnaissance; je vais à l'instant te mettre à l'épreuve: que dans ces trois jours je t'entende dire que Cassio ne vit plus.

JAGO. – Mon ami est mort! vous le voulez; c'en est fait. – Mais laissez-la vivre.

OTHELLO. – Qu'elle soit damnée, l'infâme traîtresse! oh! qu'elle soit damnée! Viens, suis-moi; je veux sortir et me pourvoir de quelque prompt instrument de mort pour ce charmant démon. De ce moment, tu es mon lieutenant.

JAGO. – Je suis à vous pour jamais.

(Ils sortent.)

SCÈNE IV

Toujours dans le château
Entrent DESDÉMONA et ÉMILIA suivies du BOUFFON

DESDÉMONA. – Savez-vous, drôle, où est caché le lieutenant Cassio?

LE BOUFFON. – Je ne puis dire qu'il soit caché quelque part16.

DESDÉMONA. – Quoi donc?

LE BOUFFON. – C'est un soldat, et, pour moi, dire qu'un soldat se cache, c'est le frapper.

DESDÉMONA. – Allons-donc, où loge-t-il?

LE BOUFFON. – Vous dire où il loge, ce serait vous dire par où je mens.

DESDÉMONA. – Que veut dire tout cela?

LE BOUFFON. – Je ne sais où il loge; et pour moi, supposer un logement et vous dire: «Il loge ici ou là,» ce serait mentir par ma gorge.

DESDÉMONA. – Pouvez-vous aller le chercher et vous informer du lieu où il est?

LE BOUFFON. – Je questionnerai tout le monde sur lui, et par mes questions, je dicterai les réponses.

DESDÉMONA. – Cherchez-le, dites-lui de venir, annoncez-lui que j'ai touché mon seigneur en sa faveur, et que j'espère que tout ira bien.

LE BOUFFON. – Ceci est à la portée de l'esprit d'un homme, et je vais l'entreprendre.

DESDÉMONA. – Où puis-je avoir perdu ce mouchoir, Émilia?

ÉMILIA. – Je ne sais, madame.

DESDÉMONA. – Crois-moi, j'aimerais mieux avoir perdu ma bourse pleine de crusades: et si mon noble More n'avait pas une belle âme où n'entrent point les bassesses de tant de jalouses créatures, il y en aurait assez pour lui donner de mauvaises pensées.

ÉMILIA. – Il n'est donc pas jaloux?

DESDÉMONA. – Qui, lui? Je crois que le soleil sous lequel il est né a purgé son sang de toutes ces humeurs.

ÉMILIA. – Regardez, le voilà qui vient.

DESDÉMONA. – Je ne le quitte plus qu'il n'ait rappelé Cassio. (Entre Othello.) Eh bien! seigneur, comment allez-vous?

OTHELLO. – Bien, ma bonne dame. (A part.) Oh! qu'il est difficile de dissimuler! – Comment vous portez-vous, Desdémona?

DESDÉMONA. – Bien, mon bon seigneur.

OTHELLO – Donnez-moi votre main. Cette main est moite, madame.

DESDÉMONA. – Elle n'a encore éprouvé ni les atteintes de l'âge, ni celles du chagrin.

OTHELLO. – Ceci dénote une grande fécondité et un coeur facile. – Chaude, chaude et moite! – Cette main dit qu'il vous faut de la retraite, moins de liberté, des jeûnes, des prières, des mortifications, de pieux exercices; car il y a ici un jeune et ardent démon, qui souvent se révolte: voilà une bonne main, une main bien franche!

DESDÉMONA. – Oh! vous pouvez bien le dire avec vérité, car ce fut cette main qui donna mon coeur.

OTHELLO. – Une main libérale! Jadis le coeur donnait la main; maintenant, dans notre blason moderne, c'est la main qu'on donne et non plus le coeur.

DESDÉMONA. – Je ne sais ce que vous voulez dire; revenons à votre promesse.

OTHELLO. – Quelle promesse, ma belle?

DESDÉMONA. – J'ai envoyé dire à Cassio de venir vous parler.

OTHELLO. – J'ai un rhume opiniâtre qui m'importune: prêtez-moi votre mouchoir.

DESDÉMONA. – Le voilà, seigneur.

OTHELLO. – Celui que je vous ai donné.

DESDÉMONA. – Je ne l'ai pas sur moi.

OTHELLO. – Non?

DESDÉMONA. – Non, en vérité, seigneur.

OTHELLO. – Vous avez tort. C'est une Égyptienne qui avait donné ce mouchoir à ma mère! et c'était une magicienne qui savait presque lire dans les pensées. Elle lui promit que, tant qu'elle le conserverait, il la rendrait toujours aimable et soumettrait complétement mon père à son amour; mais que si elle le perdait ou le donnait, les yeux de mon père ne la verraient plus qu'avec dégoût, et chercheraient ailleurs de nouveaux caprices. En mourant elle me le donna, et me recommanda, quand ma destinée me ferait épouser une femme, de le lui donner aussi. Je l'ai fait, et prenez-en bien soin. Conservez-le précieusement comme la prunelle de votre oeil. Le perdre ou le donner serait un malheur que n'égalerait aucun autre.

DESDÉMONA. – Est-il possible?

OTHELLO. – Cela est vrai. – Il y a une vertu magique dans le tissu de ce mouchoir. – Une prêtresse, qui deux cents fois avait vu le soleil parcourir le cercle de l'année, en ourdit la trame dans ses fureurs prophétiques; les vers qui ont fourni la soie étaient consacrés; et il fut teint avec la couleur de momie que d'habiles gens tiraient des coeurs de jeunes filles.

DESDÉMONA. – En vérité, cela est-il vrai?

OTHELLO. – Rien n'est plus vrai. Ainsi prenez-y bien garde.

DESDÉMONA. – Ah! plût au ciel que je ne l'eusse jamais vu!

OTHELLO. – Ah! pourquoi?

DESDÉMONA. – Pourquoi me parlez-vous d'un ton si brusque et emporté?

OTHELLO. – Est-il perdu? Est-il sorti de vos mains? parlez, ne l'avez-vous plus?

DESDÉMONA. – Le ciel nous bénisse!

OTHELLO. – Que dites-vous?

DESDÉMONA. – Il n'est pas perdu: mais quoi? quand il le serait?

OTHELLO. – Ah!

DESDÉMONA. – Je vous dis qu'il n'est pas perdu.

OTHELLO. – Allez le chercher, je veux le voir.

DESDÉMONA. – Oui, monsieur, je le pourrais; mais en ce moment, je ne veux pas. C'est une ruse de votre part, pour me faire perdre de vue ma demande. Je vous en prie, que Cassio rentre en grâce.

OTHELLO. – Trouvez-moi le mouchoir; j'augure mal…

DESDÉMONA. – Allons, cédez, vous ne retrouverez jamais un officier plus capable.

OTHELLO. – Le mouchoir!

DESDÉMONA. – De grâce, parlez-moi de Cassio.

OTHELLO. – Le mouchoir!

DESDÉMONA. – Un homme qui toute sa vie a fondé l'espoir de sa fortune sur votre amitié, qui partagea tous vos dangers.

OTHELLO. – Le mouchoir!

DESDÉMONA. – En vérité, vous méritez mes reproches.

OTHELLO. – Allez-vous-en! (Il sort.)

ÉMILIA. – Cet homme n'est-il pas jaloux?

DESDÉMONA. – Je n'avais encore rien vu de semblable! Sûrement il y a quelque charme dans ce mouchoir. Je suis bien malheureuse de l'avoir perdu!

ÉMILIA. – Ce n'est pas une année ou deux qui nous montrent le coeur d'un homme: d'abord ils sont comme affamés, et nous sommes leur proie; ils nous dévorent avec avidité; puis, quand ils sont rassasiés, ils nous repoussent. – Voyez! C'est Cassio et mon mari.

(Entrent Jago et Cassio.)

JAGO, à Cassio. – Il n'y a pas d'autre moyen: c'est elle qui peut l'obtenir. (Apercevant Desdémona.) Et voyez, le bonheur! Allez, pressez-la.

DESDÉMONA. – Qu'y a-t-il, bon Cassio? Quel nouveau sujet vous amène?

CASSIO. – Madame, toujours mon ancienne prière. Je vous en conjure, que par vos généreux secours je revienne à la vie et reprenne ma place dans l'amitié de celui que j'honore de tout l'hommage de mon coeur. Je ne voudrais pas essuyer tant de délais. Si mon offense est mortelle; si mes chagrins actuels, ni mes services passés, ni ceux que je me propose pour l'avenir ne peuvent racheter son amitié, en être instruit est du moins une grâce qui m'est due. Alors, je me revêtirai d'une satisfaction forcée, j'irai me jeter dans quelque autre route à la merci de la fortune.

DESDÉMONA. – Hélas! trop honnête Cassio, mes sollicitations ne sont pas maintenant à l'unisson de son âme. Mon seigneur n'est plus mon seigneur! Et je ne le reconnaîtrais pas si ses traits étaient aussi changés que son humeur. Que tous les saints esprits du ciel me soient propices, comme il est vrai que j'ai parlé pour vous de mon mieux, et que je suis restée en butte à son déplaisir pour m'être expliquée librement! Il vous faut patienter quelque temps: ce que je puis, je le ferai; et je tenterai pour vous plus que je n'oserais pour moi-même. Que cela vous suffise.

JAGO. – Mon seigneur est-il en colère?

ÉMILIA. – Il vient de sortir, et certes dans une étrange agitation.

JAGO. – Peut-il être en colère? J'ai vu le canon faire voler en l'air les files de ses soldats, et, comme le diable lui-même, venir emporter son frère jusque dans ses bras… Et il serait en colère! Il faut quelque chose de bien grave… Je vais aller le trouver. La chose doit être bien grave, s'il est en colère.

DESDÉMONA. – Je t'en prie, vas-y. – (Jago sort.) Sûrement quelque nouvelle importante arrivée de Venise, ou quelque complot tramé sourdement dans Chypre, et dont il aura découvert le secret, aura troublé la paix de son âme; et dans de tels cas l'humeur des hommes s'en prend à de petites choses, bien que ce soient les grandes qui les occupent: voilà comme nous sommes; que nous ayons mal à un doigt, le sentiment de la douleur se répand dans tous nos autres membres qui se portent bien; car enfin nous devons penser que les hommes ne sont pas des dieux. Nous ne devons pas toujours nous attendre, de leur part, à ces soins qui conviennent au jour des noces. Gronde-moi, Émilia; juge injuste que j'étais, je l'accusais dans mon âme de dureté, mais je reconnais maintenant que le témoin était suborné, et qu'il était faussement accusé.

ÉMILIA. – Je prie le ciel que ce soit, comme vous le croyez, quelque affaire d'État, et non aucune idée, aucun soupçon de jalousie, qui l'aigrisse contre vous.

DESDÉMONA. – Hélas! le malheureux jour! – Jamais je ne lui en donnai sujet.

ÉMILIA. – Mais les coeurs jaloux ne se satisfont pas de cette réponse: ils ne sont pas toujours jaloux pour quelque raison; mais ils sont toujours jaloux, parce qu'ils sont jaloux. La jalousie est un monstre qui s'engendre lui-même, et qui naît de lui-même.

DESDÉMONA. – Que le ciel écarte ce monstre du coeur d'Othello!

ÉMILIA. – Amen, madame!

DESDÉMONA. – Je veux l'aller chercher. Cassio, promenez-vous par ici. Si je le trouve disposé, je lui rappellerai votre demande, et je ferai tout ce que je pourrai pour en obtenir le succès.

CASSIO. – Je remercie humblement Votre Seigneurie.

(Desdémona et Émilia sortent.)
(Entre Bianca.)

BIANCA. – Ah! Dieu vous garde, cher Cassio!

CASSIO. – Qui est-ce qui vous fait sortir de chez vous? Comment vous portez-vous, ma belle Bianca? D'honneur, ma douce amie, j'allais de ce pas chez vous.

BIANCA. – Et moi j'allais chez vous, Cassio. Comment! me fuir une semaine entière, sept jours et sept nuits, huit fois vingt heures! Et les heures de l'absence des amants sont cent fois plus lentes que les heures du cadran. Oh! triste calcul!

CASSIO. – Excusez-moi, Bianca; tout ce temps j'ai été oppressé de pensées accablantes; mais avec moins d'interruptions j'effacerai le souvenir de cette longue suite d'absences. Chère Bianca (il tire de sa poche le mouchoir de Desdémona et le lui présente), copiez-moi ce dessin.

BIANCA. – Oh! Cassio, d'où vient ceci? C'est le don de quelque nouvelle amie? Ah! je devine la cause d'une absence que j'ai trop sentie. En êtes-vous là? Bien, bien!

CASSIO. – Allez, femme, rejetez vos vils soupçons dans la gueule du diable où vous les avez pris. Vous êtes jalouse, maintenant? Vous croyez que ceci vient de quelque maîtresse, que c'est un souvenir? Non, en bonne foi, Bianca.

BIANCA. – Eh bien! à qui appartient-il?

CASSIO. – Je n'en sais rien encore, ma chère. Je l'ai trouvé dans ma chambre; le travail m'en plaît fort: avant qu'on le redemande, comme cela arrivera probablement, je voudrais en avoir le dessin: prenez-le, copiez-le, et laissez-moi pour le moment.

BIANCA. – Vous laisser, et pourquoi?

CASSIO. – J'attends ici le général, et je n'ai pas envie, car ce ne serait pas une recommandation pour moi, qu'il me trouve accosté d'une femme.

BIANCA. – Et pourquoi, s'il vous plaît?

CASSIO. – Ce n'est pas que je ne vous aime.

BIANCA. – Non, non, vous ne m'aimez point: je vous prie, du moins reconduisez-moi quelques pas; et dites si je vous verrai de bonne heure ce soir?

CASSIO. – Je ne puis vous accompagner bien loin, car c'est ici même que j'attends; mais je vous verrai de bonne heure.

BIANCA. – C'est bon, bon. Il faut bien que je me plie aux circonstances.

(Ils sortent.)
FIN DU TROISIÈME ACTE

ACTE QUATRIÈME

SCÈNE I

Devant le château
Entrent OTHELLO et JAGO

JAGO. – Voulez-vous vous arrêter à cette pensée?

OTHELLO. – A cette pensée, Jago.

JAGO. – Quoi, donner en secret un baiser!

OTHELLO. – Un baiser que rien ne légitime!

JAGO. – Ou s'enfermer seule avec un amant, dans la nuit17, une heure ou deux, sans aucun mauvais dessein!

OTHELLO. – S'enfermer seule, Jago, et sans mauvais dessein! C'est vouloir user d'hypocrisie avec le diable. Ceux qui, avec des intentions pures, s'exposent ainsi, tentent le ciel, et le diable tente leur vertu.

JAGO. – S'ils s'en tiennent là, c'est une faute légère: mais si je donne à ma femme un mouchoir…

OTHELLO. – Eh bien?

JAGO. – Eh bien! alors il est à elle, seigneur; et dès qu'il est à elle, elle est libre, je pense, de le donner à qui il lui plaît.

OTHELLO. – Son honneur lui appartient de même: peut-elle aussi le donner?

JAGO. – L'honneur est un être invisible. Bien des femmes qui ne l'ont plus l'ont encore à nos yeux: mais pour le mouchoir…

OTHELLO. – Par le ciel, je l'aurais oublié volontiers. – Tu dis? – Oh! cette idée revient dans ma mémoire, comme sur la maison infestée revient le corbeau, présage de malheur. – Il a eu mon mouchoir!

JAGO. – Oui, qu'importe?

OTHELLO. – Cela se gâte, maintenant…

JAGO. – Que serait-ce si je disais l'avoir vu vous faire outrage, lui avoir entendu dire…? Car il est de par le monde des misérables qui, après avoir, à force de poursuites importunes, subjugué une maîtresse, ou reçu d'elle de volontaires faveurs, ne peuvent s'empêcher de bavarder.

OTHELLO. – A-t-il dit quelque chose?

JAGO. – Oui, seigneur; mais, soyez-en bien sûr, il n'a rien dit qu'il ne soit prêt à nier.

OTHELLO. – Qu'a-t-il dit?

JAGO. – Ma foi… qu'il a… Je ne sais pas ce qu'il a fait.

OTHELLO. – Quoi, quoi?

JAGO. – Été reçu…

OTHELLO. – Où?

JAGO. – Dans son lit.

OTHELLO. – Avec elle?

JAGO. – Avec elle, auprès d'elle. – Tout ce que vous voudrez.

OTHELLO. – Reçu dans son lit! – Avec elle! – Auprès d'elle! – Dans son lit! – O cela est horrible! – Le mouchoir! – Des aveux! – Le mouchoir! – Qu'il avoue et qu'il soit pendu pour son forfait. – Non, d'abord pendu, et il avouera après… – J'en frissonne. – Non, la nature ne serait point ainsi saisie et possédée par une passion souveraine, sans un motif réel18. – Non, ce ne sont point des paroles qui me bouleversent de la sorte! – Ses yeux! – Ses joues! – Ses lèvres! – Est-il possible? – Avoue. – Le mouchoir! – O démon!

(Il tombe sans connaissance.)

JAGO. – Opérez, mes poisons, opérez. Voilà comment se laissent prendre les fous crédules, et comment, malgré leur innocence, de chastes et vertueuses dames subissent les reproches. – Holà, seigneur! mon seigneur! Othello! (Entre Cassio.) Ah! Cassio, quelle nouvelle!

CASSIO. – Qu'est-il donc arrivé?

JAGO. – Mon seigneur vient de tomber dans une attaque d'épilepsie; c'est la seconde; il en eut une hier.

CASSIO. – Frottons-lui les tempes.

JAGO. – Non, laissez; il faut que cet engourdissement léthargique ait son libre cours, autrement vous le verrez écumer et passer bientôt à une sauvage frénésie. – Regardez, il s'agite: retirez-vous pour quelque temps; il va reprendre ses sens: dès qu'il m'aura quitté, j'ai à vous parler d'une affaire importante. (Cassio sort.) Eh bien! général, comment vous trouvez-vous? ne vous êtes-vous pas blessé à la tête!

OTHELLO. – Te moques-tu de moi?

JAGO. – Me moquer de vous? non par le ciel; je voudrais que vous supportassiez votre sort en homme.

OTHELLO. – Un homme qui porte des cornes n'est plus qu'une brute, un monstre.

JAGO. – Il y a donc bien des brutes et des monstres dans une grande ville?

OTHELLO. – L'a-t-il avoué?

JAGO. – Mon bon seigneur, soyez un homme. Croyez qu'un même sort attelle avec vous tout homme qui a subi le joug du mariage. Il y a, à l'heure qu'il est, des millions de maris qui la nuit dorment dans des lits où d'autres ont pris place, et qu'ils jureraient n'appartenir qu'à eux seuls. Votre situation vaut mieux: oh! c'est être le jouet de l'enfer, et subir les suprêmes moqueries du démon, que d'embrasser une prostituée et de reposer avec sécurité près d'elle, en la croyant chaste. – Non, que je sache tout; et sachant ce que je suis, je saurai aussi ce qu'elle doit devenir à son tour.

OTHELLO. – Oh! tu as raison! cela est certain.

JAGO. – Restez un moment à l'écart, et prêtez l'oreille avec patience. Tandis que vous étiez ici, il y a un moment, fou de votre malheur (passion indigne d'un homme tel que vous), Cassio est arrivé; je l'ai congédié en donnant à votre évanouissement une cause naturelle; mais je lui ai dit de revenir bientôt me parler, et il l'a promis. Cachez-vous dans cet enfoncement, et de là observez les airs moqueurs, les dédains, les sourires insultants qui viendront se peindre sur chaque trait de son visage. Je lui ferai raconter de nouveau toute l'aventure, où, comment, combien de fois, depuis quelle époque et quand il a été et doit être encore reçu par votre femme; remarquez seulement ses gestes; mais de la patience, seigneur, ou je dirai que vous n'êtes après tout que colère et que vous n'avez rien d'un homme.

OTHELLO. – Entends-tu, Jago? je serai bien prudent dans ma patience; mais aussi, entends-tu? bien sanguinaire.

JAGO. – Et ce ne sera pas sans raison; mais laissez venir le temps pour tout. Voulez-vous vous retirer? (Othello s'éloigne et se cache.) Maintenant je veux questionner Cassio sur Bianca. C'est une aventurière qui, en vendant ses caresses, s'achète du pain et des vêtements. Cette créature est passionnée pour Cassio; car c'est le fléau des filles de tromper cent hommes, pour être trompées par un seul. Quand on parle d'elle à Cassio, il ne peut s'empêcher d'éclater de rire. – Il vient. – Dès qu'il va sourire, Othello deviendra furieux, et son aveugle jalousie verra tout de travers les sourires, les gestes, les airs libres du pauvre Cassio. (Entre Cassio.) Eh bien! lieutenant, comment êtes-vous maintenant?

CASSIO. – D'autant plus mal, que vous me donnez un titre dont la privation me tue.

JAGO, élevant la voix. – Cultivez bien Desdémona et vous êtes sûr du succès. (Baissant le ton.) Oh! si cette grâce dépendait de Bianca, comme vos désirs seraient bientôt satisfaits!

CASSIO. – Ah! bonne petite âme!

OTHELLO, à part. – Voyez comme il sourit déjà.

JAGO, à voix haute. – Je n'ai jamais vu femme si passionnée pour un homme.

CASSIO. – Oh! la pauvre créature, je crois en effet qu'elle m'aime.

OTHELLO, à part. – Oui, il le nie faiblement, et sourit.

JAGO. – M'entendez-vous, Cassio?

OTHELLO, à part. – Maintenant il le presse de tout raconter. Va; poursuis: bien dit, bien dit.

JAGO. – Elle fait courir le bruit que vous comptez l'épouser: en avez-vous l'intention?

CASSIO. – Ha! ha! ha!

OTHELLO, à part. – Triomphes-tu, Romain? triomphes-tu?

CASSIO. – Moi l'épouser? Qui? une fille! Aie, je t'en prie, un peu meilleure opinion de mon esprit; ne lui crois pas si mauvais goût. Ha! ha! ha!

OTHELLO, à part.– Oui, oui, ils rient ceux qui remportent la victoire.

JAGO. – En vérité, le bruit court que vous l'épouserez.

CASSIO. – De grâce, parle vrai.

JAGO. – Je suis un drôle si je mens.

OTHELLO, à part. – As-tu fait mon compte? Bien, bien.

CASSIO. – C'est un propos de cette créature: elle s'est, dans son amour et sa vanterie, persuadée que je l'épouserais; mais je ne lui ai rien promis.

OTHELLO, à part. – Jago me fait signe: sans doute Cassio commence l'histoire.

CASSIO. – Elle était ici, il n'y a qu'un moment; elle me poursuit partout. L'autre jour j'étais sur le bord de la mer, causant avec quelques Vénitiens; tout à coup arrive la folle, et elle se jette ainsi à mon cou…

(Cassio peint, par son geste, le mouvement de Bianca.)

OTHELLO, à part. – S'écriant, ô mon cher Cassio! c'est ce que son geste exprime, je le vois.

CASSIO. – Et elle se pend à mon cou, et s'y balance, et pleure, et me tire, et me pousse. Ha! ha! ha!

OTHELLO, à part. – Il raconte maintenant comment elle l'a entraîné dans ma chambre. Oh! je vois maintenant ton nez, mais non le chien auquel je le jetterai.

CASSIO. – Il faut que j'évite sa rencontre.

JAGO. – Devant moi! Tenez, la voilà qui vient.

(Entre Bianca.)

CASSIO. – Ardente comme une chatte sauvage! – Mais celle-ci est parfumée. – (A Bianca.) Que me voulez-vous en me poursuivant de la sorte?

BIANCA. – Que le diable et sa femme vous poursuivent! Que me vouliez-vous vous-même, avec ce mouchoir que vous m'avez remis tantôt? J'étais une grande dupe de le prendre: et ne faut-il pas que j'en copie le dessin? Oui, sans doute, il est bien vraisemblable que vous l'ayez trouvé dans votre chambre, sans savoir qui peut l'y avoir laissé. C'est un don de quelque péronnelle, et il faut que j'en copie le dessin! (Elle lui jette le mouchoir.) Tenez, rendez-le à votre belle. Où que vous l'ayez pris, je n'en copierai pas un point.

CASSIO. – Comment, ma douce Bianca? Quoi donc? quoi donc?

OTHELLO, à part. – Par le ciel, voilà sûrement mon mouchoir!

BIANCA. – Si vous voulez venir souper ce soir, vous en êtes le maître; sinon, venez quand il vous plaira.

(Elle sort.)

JAGO. – Suivez-la, suivez-la.

CASSIO. – Il le faut bien, sans quoi elle va bavarder dans la rue.

JAGO. – Soupez-vous chez elle?

CASSIO. – Oui, c'est mon projet.

JAGO. – Peut-être pourrai-je vous y voir; car j'ai vraiment besoin de causer avec vous.

CASSIO. – Venez-y, je vous prie: voulez-vous?

JAGO. – N'en dites pas plus, partez.

(Cassio sort.)
(Othello s'avance.)

OTHELLO. – Comment le tuerai-je, Jago?

JAGO. – Avez-vous remarqué comme il s'applaudissait de son infâme action?

OTHELLO. – O Jago!

JAGO. – Et le mouchoir, l'avez-vous vu?

OTHELLO. – Était-ce le mien?

JAGO. – Le vôtre: je vous jure. Et de voir le cas qu'il fait de cette femme insensée, votre femme! Elle lui a donné ce mouchoir, et il l'a donné à sa maîtresse!

OTHELLO. – Je voudrais que son supplice pût durer neuf ans. – Une femme accomplie! une femme si belle! une femme si douce!

JAGO. – Allons, il faut oublier tout cela.

OTHELLO. – Oui; qu'elle meure, qu'elle périsse, qu'elle soit damnée cette nuit; elle ne vivra point. – Non, mon coeur est changé en pierre, je le frappe et cela me fait mal à la main. – Oh! l'univers n'avait pas une plus douce créature. – Elle était digne de partager la couche d'un empereur, et de lui imposer ses lois.

JAGO. – Eh! ce n'est pas là votre objet.

OTHELLO. – Qu'elle soit maudite! Je ne dis que ce qu'elle est en effet. – Si habile avec son aiguille! – Une musicienne admirable! – Oh! elle adoucirait en chantant la férocité d'un ours. – D'un esprit si élevé, d'une imagination si féconde!

JAGO. – Elle n'en est que plus coupable.

12.That the probation bear no hinge nor loopTo hang a doubt on.  Littéralement: Que la preuve n'ait ni crochet ni noeud où se puisse suspendre un doute.
13.Behold her topp'd.
14.Bolster.
15
  Voici le texte qu'il était impossible de traduire exactement:
And then, sir, would he gripe and wring my hand,Cry: – o sweet creature! – And then kiss me hard,As if he pluck'd up kisses by the rootsThat grew upon my lips; then lay'd his legOver my thigh and sigh'd and kiss'd and thenCri'd: «cursed fate gave thee to the Moor!

[Закрыть]
16.Dans l'impossibilité de rendre avec exactitude tous les calembours du bouffon, on a tâché de suppléer par des équivalents; il joue sans cesse sur les mots to lie, être couché, être dans quelque endroit, et to lie, mentir. Ce jeu de mots est très-fréquent dans Shakspeare.
17.Or to be naked with her friend abed
  An hour or more, not meaning any harm!
  OTH. —Naked abed, Jago, and not mean harm!
18.Nature would not vest herself in such shadowing passion without some instruction Les commentateurs ont tourmenté de mille façons le passage dont le sens tel que nous l'avons donné est parfaitement clair et d'accord avec les mots qui précèdent comme avec toute la situation.
Yosh cheklamasi:
12+
Litresda chiqarilgan sana:
13 oktyabr 2017
Hajm:
140 Sahifa 1 tasvir
Mualliflik huquqi egasi:
Public Domain

Ushbu kitob bilan o'qiladi