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Césarine Dietrich

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Et reprenant avec moi, sous le coup de l'émotion, le tutoiement de son enfance:

– Je te jure, s'écria-t-il, que cette fille est insensée ou méchante. Elle est habituée à tout dominer, elle veut mettre son pied mignon sur toutes les têtes!

– Non, lui dis-je, elle est bonne. C'est une enfant gâtée, un peu coquette, voilà tout. Qu'est-ce que cela te fait?

– C'est vrai, ma tante, qu'est-ce que cela me fait?

– Pourquoi trembles-tu?

– Je ne sais pas. Est-ce que je tremble?

– Tu es aussi en colère qu'elle. Voyons, que s'est-il passé? que te disait-elle quand je suis arrivée? T'avait-elle donné réellement rendez-vous ici?

– Oui, un domestique m'avait remis, au moment où j'allais me retirer, car je ne compte point passer la nuit au bal, un petit carré de papier… L'ai-je perdu?.. Non, le voici; regarde: «Dans la petite galerie arrangée en bosquet, au pied du plus grand vase, sous le plus grand arbuste, tout de suite.» Est-ce toi, marraine, qui as écrit cela?

– Nullement, mais on peut s'y tromper. Césarine avait une mauvaise écriture quand je suis entrée dans la maison. Elle a trouvé la mienne à son gré, et l'a si longtemps copiée qu'elle en est venue à l'imiter complètement.

– Alors c'est bien elle qui me donnait ce rendez-vous, ou, pour mieux dire, cette sommation de comparaître à sa barre. Moi, j'ai été dupe, j'ai cru que tu avais quelque chose d'important et de pressé à me dire. J'ai jeté là mon par-dessus que je tenais déjà, je suis accouru. Elle était assise sur ce divan, lançant les éclairs de son éventail dans l'ombre bleue de ce feuillage. Je n'ai pas la vue longue, je ne l'ai reconnue que quand elle m'a fait signe de m'asseoir auprès d'elle, tout au fond de ce cintre, en me disant d'un ton dégagé:

– Si on vient, vous passerez par ici, moi par là; ce n'est pas l'usage qu'une jeune fille se ménage ainsi un tête-à-tête avec un jeune homme, et on me blâmerait. Moi, je ne me blâme pas, cela me suffit. Écoutez-moi; je sais que vous ne m'aimez pas, et je veux votre amitié. Je ne m'en irai que quand vous me l'aurez donnée.

Étourdi de ce début, mais ne croyant pas encore à une coquetterie si audacieuse, j'ai répondu que je ne pouvais aimer une personne sans la connaître, et que, ne pouvant pas la connaître, je ne pouvais pas l'aimer.

– Et pourquoi ne pouvez-vous pas me connaître?

– Parce que je n'en ai pas le temps.

– Vous croyez donc que ce serait bien long?

– C'est probable. Je ne sais rien du milieu qu'on appelle le monde. Je n'en comprends ni la langue, ni la pantomime, ni le silence.

– Alors vous ne voyez en moi que la femme du monde?

– N'est-ce pas dans le monde que je vous vois?

– Pourquoi n'avez-vous jamais voulu me voir en famille?

– Ma tante a dû vous le dire; je n'ai pas de loisirs.

– Vous en trouvez pourtant pour causer avec des gens graves. Il y a ici des savants. Je leur ai demandé s'ils vous connaissaient, ils m'ont dit que vous étiez un jeune homme très-fort…

– En thème?

– En tout.

– Et vous avez voulu vous en assurer?

– Ceci veut être méchant. Vous ne m'en croyez pas capable?..

– C'est parce que je vous en crois très-capable que mon petit orgueil se refuse à l'examen.

Elle n'a pas répondu, ajouta Paul, et, reprenant ce jeu d'éventail que je trouve agaçant comme un écureuil tournant dans une cage, elle s'est écriée tout d'un coup:

– Savez-vous, monsieur, que vous me faites beaucoup de mal?

Je me suis levé tout effrayé, me demandant si mon pied n'avait pas heurté le sien.

– Vous ne me comprenez pas, a-t-elle dit en me faisant rasseoir. Je suis nourrie d'idées généreuses. On m'a enseigné la bienveillance comme une vertu soeur de la charité chrétienne, et je me trouve, pour la première fois de ma vie, en face d'une personne dénigrante, visiblement prévenue contre moi. Toute injustice me révolte et me froisse. Je veux savoir la cause de votre aversion.

J'ai on vain protesté en termes polis de ma complète indifférence, elle m'a répondu par des sophismes étranges. Ah! ma tante, tu ne m'as jamais dit la vérité sur le compte de ton élève. Droite et simple comme je te connais, cette jeune perverse a dû te faire souffrir le martyre, car elle est perverse, je t'assure; je ne peux pas trouver d'autre mot. Il m'est impossible de te redire notre conversation, cela est encore confus dans ma tête comme un rêve extravagant; mais je suis sur qu'elle m'a dit que je l'aimais d'amour, que ma méfiance d'elle n'était que de la jalousie. Et, comme je me défendais d'avoir gardé le souvenir de sa figure, elle a prétendu que je mentais et que je pouvais bien lui avouer la vérité, vu qu'elle ne s'en offenserait pas, sachant, disait-elle, qu'entre personnes de notre âge, l'amitié chez l'homme commençait inévitablement, fatalement, par l'amour pour la femme.

J'ai demandé, un peu brutalement peut-être, si cette fatalité était réciproque.

– Heureusement non, a-t-elle répondu d'un ton moqueur jusqu'à l'amertume, que contredisait un regard destiné sans doute à me transpercer.

Alors, comprenant que je n'avais pas affaire à une petite folle, mais à une grande coquette, je lui ai dit:

– Mademoiselle Dietrich, vous êtes trop forte pour moi, vous admettez qu'une jeune fille pure permette le désir aux hommes sans cesser d'être pure; c'est sans doute la morale de ce monde que je ne connais pas… et que je ne connaîtrai jamais, car, grâce à vous, je vois que j'y serais fort déplacé et m'y déplairais souverainement.

Si je n'ai pas dit ces mots-là, j'ai dit quelque chose d'analogue et d'assez clair pour provoquer l'accès de fureur où elle entrait quand tu es venue nous surprendre. Et maintenant, ma tante, direz-vous que c'est là une enfant gâtée un peu coquette? Je dis, moi, que c'est une femme déjà corrompue et très-dangereuse pour un homme qui ne serait pas sur ses gardes; elle a cru que j'étais cet homme-là, elle s'est trompée. Je ne la connaissais pas, elle m'était indifférente; à présent elle pourrait m'interroger encore, je lui répondrais tout franchement qu'elle m'est antipathique.

– C'est pourquoi, mon cher enfant, il ne faut plus t'exposer à être interrogé. Tu vas te retirer, et, quand tu viendras me voir, tu sonneras trois fois à la petite grille du jardin. J'irai t'ouvrir moi-même, et à nous deux nous saurons faire face à l'ennemi, s'il se présente. Je vois que Césarine t'a fait peur; moi, je la connais, je sais que toute résistance l'irrite, et que, pour la vaincre, elle est capable de beaucoup d'obstination. Telle qu'elle est, je l'aime, vois-tu! On ne s'occupe pas d'un enfant durant des années sans s'attacher à lui, quel qu'il soit. Je sais ses défauts et ses qualités. J'ai eu tort de t'amener chez elle, puisque le résultat est d'augmenter ton éloignement pour elle, et qu'il y a de sa faute dans ce résultat. Je te demande, par affection pour moi, de n'y plus songer et d'oublier cette absurde soirée comme si tu l'avais rêvée. Est-ce que cela te semble difficile?

– Nullement, ma tante, il me semble que c'est déjà fait.

– Je n'ai pas besoin de te dire que tu dois aussi à mon affection pour Césarine de ne jamais raconter à personne l'aventure ridicule de ce soir.

– Je le sais, ma tante, je ne suis ni fat, ni bavard, et je sais fort bien que le ridicule serait pour moi. Je m'en vais et ne vous reverrai pas de quelques jours, de quelques semaines peut-être: mon patron m'envoie en Allemagne pour ses affaires, et ceci arrive fort à propos.

– Pour Césarine peut-être, elle aura le temps de se pardonner à elle-même et d'oublier sa faute. Quant à toi, je présume que tu n'as pas besoin de temps pour te remettra d'une si puérile émotion?

– Marraine, je vous entends, je vous devine; vous m'avez trouvé trop ému, et au fond cela vous inquiète… Je ne veux pas vous quitter sans vous rassurer, bien que l'explication soit délicate. Ni mon esprit, ni mon coeur n'ont été troublés par le langage de mademoiselle Dietrich. Au contraire mon coeur et mon esprit repoussent ce caractère de femme. Il y a plus, mes yeux ne sont pas épris du type de beauté qui est l'expression d'un pareil caractère. En un mot, mademoiselle Dietrich ne me plaît même pas; mais, belle ou non, une femme qui s'offre, même quand c'est pour tromper et railler, jette le trouble dans les sens d'un homme de mon âge. On peut manier la braise de l'amour sans se laisser incendier, mais on se brûle le bout des doigts. Cela irrite et fait mal. Donc, je l'avoue, j'ai eu la colore de l'homme piqué par une guêpe. Voilà tout. Je ne craindrais pas un nouvel assaut; mais se battre contre un tel ennemi est si puéril que je ne m'exposerai pas à une nouvelle piqûre. Je dois respecter la guêpe à cause de vous; je ne puis l'écraser. Cette bataille à coups d'éventail me ferait faire la figure d'un sot. Je ne désire pas la renouveler; mon indignation est passée. Je m'en vais tranquille, comme vous voyez. Dormez tranquille aussi; je vous jure bien que mademoiselle Dietrich ne fera pas le malheur de ma vie, et que dans deux heures, en corrigeant mes épreuves, je ne me tromperai pas d'une virgule.

Je le voyais calme en effet; nous nous séparâmes.

Quand je rentrai dans le bal, Césarine dansait avec le marquis de

Rivonnière et paraissait fort gaie.

Le lendemain, elle vint me trouver chez moi.

– Sais-tu la nouvelle du bal? me dit-elle. On a trouvé mauvais que je fusse couverte de diamants. Tous les hommes m'ont dit que je n'en avais pas encore assez, puisque cela me va si bien; mais toutes les femmes ont boudé parce que j'en avais plus qu'elles, et mes bonnes amies m'ont dit d'un air de tendre sollicitude que j'avais tort, étant une demoiselle, d'afficher un luxe de femme. J'ai répondu ce que j'avais résolu de répondre:

«Je suis majeure d'aujourd'hui, et je ne suis pas encore sûre de vouloir jamais me marier. J'ai des diamants qui attendent peut-être en vain le jour de mes noces et qui s'ennuient de briller dans une armoire. Je leur donne la volée aujourd'hui, puisque c'est fête, et, s'ils m'enlaidissent, je les remettrai en prison. Trouvez-vous qu'ils m'enlaidissent?»

 

Cette question m'a fait recueillir des compliments en pluie; mais de la part de mes bonnes amies c'était de la pluie glacée. Dès lors j'ai vu que mon triomphe était complet, et mes écrins ne seront pas mis en pénitence.

– J'aurais cru, lui dis-je, que vous auriez quelque chose de plus sérieux à me raconter.

– Non, ceci est ce qu'il y a eu de plus sérieux dans mon anniversaire.

– Pas selon moi. Le rendez-vous donné à mon neveu est une plaisanterie, je le sais, mais elle est blâmable, et vous m'en voyez fort mécontente.

Césarine n'était pas habituée aux reproches sous cette forme directe, toute la préoccupation de sa vie étant de faire à sa tête sans laisser de prétexte au blâme. Elle fut comme stupéfaite et fixa sur moi ses grands yeux bleus sans trouver une parole pour confondre mon audace.

– Ma chère enfant, lui dis-je, ce n'est pas votre institutrice qui vous parle, je ne le suis plus. Vous voilà maîtresse de vous-même, émancipée de toute contrainte, et, comme votre père a dû vous dire que désormais je n'accepterais plus d'honoraires pour une éducation terminée, il n'y a plus entre vous et moi que les liens de l'amitié.

– Ta vas me quitter! s'écria-t-elle en se jetant à genoux devant moi avec un mouvement si spontané et si désolé que j'en fus troublée; mais je craignis que ce ne fût un de ces petits drames qu'elle jouait avec conviction, sauf à en rire une heure après.

– Je ne compte pas vous quitter pour cela, repris-je, à moins que…

Elle m'interrompit: Tu me dis vous, tu ne m'aimes plus! Si tu me dis vous, je n'écoute plus rien, je vais pleurer dans ma chambre.

– Eh bien! je ne te quitterai pas, à moins que tu ne m'y forces en te jouant de mes devoirs et de mes affections.

– Comment la pensée pourrait-elle m'en venir?

– Je te l'ai dit, ce n'est pas l'institutrice, ce n'est même pas l'amie qui se plaint de toi, c'est la tante de Paul Gilbert; me comprends-tu maintenant?

– Ah! mon Dieu! ton neveu… Pourquoi? qu'y a-t-il? Est-ce que, sans le vouloir, je l'aurais rendu amoureux de moi?

– Tu le voudrais bien, répondis-je, blessée de la joie secrète que trahissait son sourire: ce serait une vengeance de son insubordination; mais il ne te fera pas goûter ce plaisir des dieux. Il n'est pas et ne sera jamais épris de toi. Tu as perdu ta peine; on perd de son prestige en perdant de sa dignité.

– C'est là ce qu'il t'a dit?

– En ne me défendant pas de te le redire.

– L'imprudent! s'écria-t-elle avec un éclat de rire vraiment terrible.

– Oui, oui, repris-je, j'entends fort bien la menace, et je te connais plus que tu ne penses, mon enfant; tu crois m'avoir tellement séduite que je ne puisse plus voir que les beaux côtés de ton caractère; mais je suis femme, et j'ai aussi ma finesse. Je t'aime pour tes grandes qualités, mais je vois les grands défauts, je devrais dire le grand défaut, car il n'y en a qu'un; mais il est effroyable…

– L'orgueil n'est-ce pas?

– Oui, et je ne m'endors pas sur le danger. C'est une lutte à mort que tu entreprends contre ce chétif révolté que tu crois incapable de résistance. Tu te trompes, il résistera. Il a une force que tu n'as pas: la sagesse de la modestie.

– Tout le contraire du délire de l'orgueil? Eh bien! si j'étais aussi effroyable que tu le dis, tu allumerais le feu de ma volonté en me montrant quelqu'un de plus fort que moi, tu me riverais au désir de sa perte; mais rassure-toi, Pauline, je ne suis pas le grand personnage de drame ou de roman que tu crois. Je suis une femme frivole et sérieuse; j'aime le pour et le contre. La vengeance me plairait bien, mais le pardon me plaît aussi, et, du moment que tu me demandes grâce pour ton neveu je te promets de ne plus le taquiner.

– Je ne te demande pas de grâce, c'est à moi de t'accorder la tienne pour ce méchant jeu qui n'a pas réussi, mais qui voulait réussir, sauf à faire mon malheur en faisant celui de l'être que j'aime le mieux au monde. Pour cette faute préméditée, lâche par conséquent, je ne te pardonnerai que si tu te repens.

Je n'avais jamais parlé ainsi à Césarine, elle fut brisée par ma sévérité; je la vis pâlir de chagrin, de honte et de dépit. Elle essaya encore de lutter.

– Voilà des paroles bien dures, dit-elle avec effort, car ses lèvres tremblaient, et ses paroles étaient comme bégayées; je ne reçois pas d'ordres, tu le sais, et je me regarde comme dégagée de tout devoir quand on veut m'en faire une loi.

– Je t'en ferai au moins une condition: si tu ne me donnes pas ta parole d'honneur de renoncer à ton méchant dessein, je sors d'ici à l'instant menu pour n'y rentrer jamais.

Elle fondit en larmes.

– Je vois ce que c'est, s'écria-t-elle; tu cherches un prétexte pour t'en aller. Tu n'as plus ni indulgence ni tendresse pour moi. Tu fais tout ce que tu peux pour m'irriter, afin que je m'oublie, que je te dise une mauvaise parole, et que tu puisses te dire offensée. Eh bien! voici tout ce que je te dirai:

» Tu es cruelle et tu me brises le coeur. C'est l'ouvrage de M. Paul; il ne m'a pas comprise, il est mon ennemi, il m'a calomniée auprès de toi. Il était jaloux de ton affection, il la voulait pour lui seul. Le voilà content, puisqu'il me l'a fait perdre. Alors, puisque c'est ainsi, écoute ma justification et retire ta malédiction. Ton Paul n'était pas un jouet pour moi, je voulais sérieusement son amitié. Tout en la lui demandant, je sentais la mienne éclore si vive, si soudaine, que c'était peut-être de l'amour!

– Tais-toi, m'écriai-je, tu mens, et cela est pire que tout!

– Depuis quand, répliqua-t-elle en se levant avec une sorte de majesté, me croyez-vous capable de descendre au mensonge? Vous voulez tout savoir: sachez tout! J'aime Paul Gilbert, et je veux l'épouser.

– Miséricorde! m'écriai-je; voici bien une autre idée! Assez, ma pauvre enfant! ne devenez pas folle pour vous justifier d'être coupable.

– Qu'est-ce que mon idée a donc de si étrange et de si délirant? ne suis-je pas en âge de savoir ce que je pense et ne suis-je pas libre d'aimer qui me plaît? Tenez, vous allez voir!

Et elle s'élança vers son père, qui venait nous chercher pour nous faire faire le tour du lac.

– Écoute, mon père chéri, lui dit-elle en lui jetant ses bras autour du cou; il ne s'agit pas de me promener, il s'agit de me marier. Y consens-tu?

– Oui, si tu aimes quelqu'un, répondit-il sans hésite.

– J'aime quelqu'un.

– Ah! le marquis…

– Pas du tout, il n'est pas marquis, celui qui me plaît. Il n'a pas de titre; ça t'est bien égal?

– Parfaitement.

– Et il n'est pas riche, il n'a rien. Ça ne te fait rien non plus?

– Rien du tout; mais alors je le veux pur, intelligent, laborieux, homme de mérite réel et sérieux en un mot.

– Il est tout cela.

– Jeune?

– Vingt-trois ou vingt-quatre ans.

– C'est trop jeune, c'est un enfant!

J'empêchai Césarine de répliquer.

– C'est un enfant, répondis-je, et par conséquent ce ne peut être qu'un brave garçon dont le mérite n'a pas porté ses fruits. N'écoutez pas Césarine, elle est folle ce matin. Elle vient d'improviser le plus insensé, le plus invraisemblable et le plus impossible des caprices. Elle met le comble à sa folie en vous le disant devant moi. C'est un manque d'égards, un manque de respect envers moi, et vous m'en voyez beaucoup plus offensée que vous ne pourriez l'être.

M. Dietrich, stupéfait de la dureté de mon langage, me regardait avec ses beaux yeux pénétrants. Il vint à moi, et, me baisant la main:

– Je devine de qui il s'agit, me dit-il; Césarine le connaît donc?

– Elle lui a parlé hier pour la première fois.

– Alors elle ne peut pas l'aimer! et lui?..

– Il me déteste, répondit Césarine.

– Ah! très-bien, dit M. Dietrich en souriant; c'est pour cela! Eh bien! ma pauvre enfant, tâche de te faire aimer; mais je t'avertis d'une chose, c'est qu'il faudra l'épouser, car je ne te laisserai pas imposer à un autre le postulat illusoire de M. de Rivonnière. Je me suis aperçu hier au bal du ridicule de sa situation. Tout le monde se le montrait en souriant; il passait pour un niais; tu passes certainement pour une railleuse, et de là à passer pour une coquette il n'y a qu'un pas.

– Eh bien! mon père, je ne passerai pas pour une coquette, j'épouserai celui que je choisis.

– Y consentez-vous, mademoiselle de Nermont? dit M. Dietrich.

– Non, monsieur, répondis-je, je m'y oppose formellement, et, si nous en sommes là, au nom de mon neveu, je refuse.

– Tu ne peux pas refuser en son nom, puisqu'il ne sait rien, s'écria Césarine; tu n'as pas le droit de disposer de son avenir sans le consulter.

– Je ne le consulterai pas, parce qu'il doit ignorer que vous êtes folle.

– Tu aimes mieux qu'il me croie coquette? Il pourrait m'adorer, et tu veux qu'il me méprise? C'est toi, ma Pauline, qui deviens folle. Écoute, papa, j'ai fait une mauvaise action hier, c'est la première de ma vie, il faut que ce soit la dernière. J'ai voulu punir M. Paul de ses dédains pour nous, pour moi particulièrement. Je lui ai fait des avances avec l'intention de le désespérer quand je l'aurais amené à mes pieds. C'est très-mal, je le sais, j'en suis punie; je me suis brûlée à la flamme que je voulais allumer, j'ai senti l'amour me mordre le coeur jusqu'au sang, et si je n'épouse pas cet homme-là, je n'aimerai plus jamais, je resterai fille.

– Tu resteras fille, tu épouseras, tu feras tout ce que tu voudras, excepté de te compromettre! Voyons, mademoiselle de Nermont, pourquoi vous opposeriez vous à ce mariage, si l'intention de Césarine devenait sérieuse? Cela pourrait arriver, et quant à moi je ne pense pas qu'elle pût faire un meilleur choix. M. Gilbert est jeune, mais je retire mon mot, il n'est point un enfant. Sa fière attitude vis-à-vis de nous, ses lettres que vous m'avez montrées, son courage au travail, l'espèce de stoïcisme qui le distingue, enfin les renseignements très-sérieux et venant de haut que, sans les chercher, j'ai recueillis hier sur son compte, voilà bien des considérations, sans parler de sa famille, qui est respectable et distinguée, sans parler d'une chose qui a pourtant un très-grand poids dans mon esprit, sa parenté avec vous, les conseils qu'il a reçus de vous. Pour refuser aussi nettement que vous venez de le faire, il faut qu'il y ait une raison majeure. Il ne vous plaît peut-être pas de me la dire devant ma fille, vous me la direz, à moi…

– Tout de suite, s'écria Césarine en sortant avec impétuosité.

– Oui, tout de suite, reprit M. Dietrich en refermant la porte derrière elle. Avec Césarine, il ne faut laisser couver aucune étincelle sous la cendre. Craignez-vous d'être accusée d'ambition et de savoir-faire?

– Oui, monsieur, il y a cela d'abord.

– Vous êtes au-dessus…

– On n'est au-dessus de rien dans ce monde. Qui me connaît assez pour me disculper de toute préméditation, de toute intrigue? Fort peu de gens; je suis dans une position trop secondaire pour avoir beaucoup de vrais amis. La faveur de mon neveu ferait beaucoup de jaloux. Ni lui ni moi n'accepterions, sans une mortelle souffrance, les commentaires malveillants de votre entourage, et votre entourage, c'est tout Paris, c'est toute la France. Non, non, notre réputation nous est trop chère pour la compromettre ainsi!

– Si notre entourage s'étend si loin, il nous sera facile de faire connaître la vérité, et soyez sûre qu'elle est déjà connue. Aucune des nombreuses personnes qui vous ont vue ici n'élèvera le moindre doute sur la noblesse de votre caractère. Quant à M. Paul, il ferait des jaloux certainement, mais qui n'en ferait pas en épousant Césarine? Si l'on s'arrête à cette crainte, on en viendra à se priver de toute puissance, de tout succès, de tout bonheur. Voilà donc, selon moi, un obstacle chimérique qu'il nous faudrait mettre sous nos pieds. Dites-moi les autres motifs de votre épouvante.

– Il n'y en a plus qu'un, mais vous en reconnaîtrez la gravité. Le caractère de votre fille et celui de mon neveu sont incompatibles. Césarine n'a qu'une pensée: faire que tout lui cède. Paul n'en a qu'une aussi: ne céder à personne.

– Cela est grave en effet; mais qui sait si ce contraste ne ferait pas le bonheur de l'un et de l'autre? Césarine vaincue par l'amour, forcée de respecter son mari et l'acceptant pour son égal, rentrerait dans le vrai, et ne nous effrayerait plus par l'abus de son indépendance, Paul, adouci par le bonheur, apprendrait à céder à la tendresse et à y croire.

 

– En supposant que ce résultat pût jamais être obtenu, que de luttes entre eux, que de déchirements, que de catastrophes peut-être! Non, monsieur Dietrich, n'essayons pas de rapprocher ces deux extrêmes. Ayez peur pour votre enfant comme j'aurais peur pour le mien. Les grandes tentatives peuvent être bonnes dans les cas désespérés; mais ici vous n'avez affaire qu'à une fantaisie spontanée. Il y a une heure, si j'eusse demandé à Césarine d'épouser Paul, elle se serait étouffée de rire. C'est devant mes reproches que, se sentant coupable, elle a imaginé cette passion subite pour se justifier. Dans une heure, allez lui dire que vous ne consentez pas plus que moi; vous la soulagerez, j'en réponds, d'une grande perplexité.

– Ce que vous dites là est fort probable; je la verrai tantôt. Laissons-lui le temps de s'effrayer de son coup de tête. Je suis en tout de votre avis, mademoiselle de Nermont, excepté en ce qui touche votre fierté. S'il n'y avait pas d'autre obstacle, je travaillerais à la vaincre. Je suis l'homme de mes principes, je trouve équitable et noble d'allier la pauvreté à la richesse quand cette pauvreté est digne d'estime et de respect; je tiens donc la pauvreté pour une vertu de premier ordre de M. Paul Gilbert. Sachez qu'en l'invitant à venir chez moi je m'étais dit qu'il pourrait bien convenir à ma fille, et que je ne m'en étais point alarmé.

Quand M. Dietrich m'eut quittée, je me sentis bouleversée et obsédée d'indécisions et de scrupules. Avais-je en effet le droit de fermer à Paul un avenir si brillant, une fortune tellement inespérée? Ma tendresse de mère reprenant le dessus, je me trouvais aussi cruelle envers lui que lui-même. Cet enfant, dont le stoïcisme me causait tant de soucis, je pouvais en faire un homme libre, puissant, heureux peut-être; car qui sait si mademoiselle Dietrich ne serait pas guérie de son orgueil par le miracle de l'amour? J'étais toute tremblante, comme une personne qui verrait un paradis terrestre de l'autre côté d'un précipice, et qui n'aurait besoin que d'un instant de courage pour le franchir.

Je ne revis Césarine qu'à l'heure du dîner. Je la trouvai aussi tranquille et aussi aimable que si rien de grave ne se fût passé entre nous. M. Dietrich dînait à je ne sais plus quelle ambassade. Césarine taquina amicalement la tante Helmina au dessert sur le vert de sa robe et le rouge de ses cheveux; mais, quand nous passâmes au salon, elle cessa tout à coup de rire, et, m'entraînant à l'écart:

– Il paraît, me dit-elle, que ni mon père ni toi ne voulez accorder la moindre attention à mon sentiment, et que vous ne me permettez plus de faire un choix. Papa a été fort doux, mais très-roide au fond. Cela signifie pour moi qu'il cédera tout d'un coup quand il me verra décidée. Il n'a pas su me cacher qu'il me demandait tout bonnement de prendre le temps de la réflexion. Quant à toi, ma chérie, ce sera à lui de te faire révoquer ta sentence. Je l'en chargerai.

– Et, dans tout cela vous disposerez, lui et toi, de la volonté de mon neveu?

– Ton neveu, c'est à moi de lui donner confiance. C'est un travail intéressant que je me réserve; mais il est absent, et ce répit va me servir à convaincre mon père et toi du sérieux de ma résolution.

– Comment sais-tu que mon neveu est absent?

Parce que j'ai pris mes informations. Il est parti ce matin pour Leipzig. Moi, j'ai résolu de mettre à profit cette journée pour me débarrasser une bonne fois des espérances de M. de Rivonnière.

– Tu lui as encore écrit?

– Non, je lui ai fait dire par Dubois, son vieux valet de chambre, qui m'apportait un bouquet de sa part, de venir ce soir prendre une tasse de thé avec nous, de très-bonne heure parce que je suis encore fatiguée du bal et veux me coucher avec les poules. Il sera ici dans un instant. Tiens, on sonne au jardin, le voilà.

– C'est donc pour être seule avec lui que tu as voulu dîner seule aujourd'hui avec ta tante et moi?

– C'est pour cela. Entends-tu sa voiture? Regarde si c'est bien lui; je ne veux recevoir que lui.

– Faut-il vous laisser ensemble?

– Non certes! je ne l'ai jamais admis que je sache au tête-à-tête. Ma tante nous laissera, je l'ai avertie. Toi, je te prie de rester.

– J'ai fort envie au contraire de te laisser porter seule le poids de tes imprudences et de tes caprices.

– Alors tu me compromets!

On annonça le marquis. Je pris mon ouvrage et je restai.

– J'avais besoin de vous parler, lui dit Césarine. Hier au bal vous avez fait mauvaise figure. Le savez-vous?

– Je le sais, et puisque je ne m'en plains pas…

– Je ne dois pas vous plaindre? mais moi, je me plains du rôle de souveraine cruelle que vous me faites jouer. Il faut porter remède à cet état de choses qui blesse mon père et qui m'afflige.

– Le remède serait bien simple.

– Oui, ce serait de vous agréer comme fiancé; mais puisque cela ne se peut pas!

– Vous ne m'aimez pas plus que le premier jour?

– Si fait, je vous aime d'une bonne et loyale amitié; mais je ne veux pas être votre femme. Vous savez cela, je vous l'ai dit cent fois.

– Vous avez toujours ajouté un mot que vous retranchez aujourd'hui. Vous disiez: Je ne veux pas encore me marier.

– Donc, selon vous, je vous ai laissé des espérances?

– Fort peu, j'en conviens; mais vous ne m'avez pas défendu d'espérer.

– Je vous le défends aujourd'hui.

– C'est un peu tard.

– Pourquoi? quels sacrifices m'avez-vous faits?

– Celui de mon amour-propre. J'ai consenti à promener sous tous les regards mon dévouement pour vous et à me conduire en homme qui n'attend pas de récompense; votre amitié me faisait trouver ce rôle très-beau, voilà qu'il vous paraît ridicule. C'est votre droit; mais quel remède m'apportez-vous?

– Il faut n'être plus amoureux de moi et dire à tout le monde que vous ne l'avez jamais été. Je vous aiderai à le faire croire. Je dirai que, dès le principe, nous étions convenus de ne pas gâter l'amitié par l'amour, que c'est moi qui vous ai retenu dans mon intimité, et, si l'on vous raille devant moi, je répondrai avec tant d'énergie que ma parole aura de l'autorité.

– Je sais que vous êtes capable de tout ce qui est impossible; mais je ne crains pas du tout la raillerie. Il n'y a de susceptible que l'homme vaniteux. Je n'ai pas de vanité. Le jour où la pitié bienveillante dont je suis l'objet deviendrait amère et offensante, je saurais fort bien faire taire les mauvais plaisants. Ne jetez donc aucun voile sur ma déconvenue; je l'accepte en galant homme qui n'a rien à se reprocher et qui ne veut pas mentir.

– Alors, mon ami, il faut cesser de nous voir, car, moi, je n'accepte pas la réputation de coquette fallacieuse.

– Vous ne pourrez jamais l'éviter. Toute femme qui s'entoure d'hommes sans en favoriser aucun est condamnée à cette réputation. Qu'est-ce que cela vous fait? Prenez-en votre parti, comme je prends le mien de passer pour une victime.

– Vous prenez le beau rôle, mon très-cher; je refuse le mauvais.

– En quoi est-il si mauvais? Une femme de votre beauté et de votre mérite a le droit de se montrer difficile et d'accepter les hommages.

– Vous voulez que je me pose en femme sans coeur?

– On vous adorera, on vous vantera d'autant plus, c'est la loi du monde et de l'opinion. Prenez l'attitude qui convient à une personne qui veut garder à tout prix son indépendance sans se condamner à la solitude.

– Vous me donnez de mauvais conseils. Je vois que vous m'aimez en égoïste! Ma société vous est agréable, mon babil vous amuse. Vous n'avez pas de sujets de jalousie, étant le mieux traité de mes serviteurs. Vous voulez que cela continue, et vous vous arrangerez de tout ce qui éloignera de moi les gens qui demandent à une femme d'être, avant tout, sincère et bonne.

– Je commence à voir clair dans vos préoccupations. Vous voulez vous marier?

– Qui m'en empêcherait?

– Ce ne serait pas moi, je n'ai pas de droite à faire valoir.