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Kitobni o'qish: «Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires»

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NOTICE SUR LA VIE ET LES ÉCRITS DE C.-F. VOLNEY

Le sage ramène tout au tribunal de la raison, jusqu'à la raison elle-même.

Kant.

On a cherché à établir comme un axiome que la vie d'un homme de lettres était tout entière dans ses écrits.

Il me semble au contraire que la biographie des écrivains doit être l'histoire raisonnée de leurs di verses sensations et de la contradiction de leur conduite avec leurs principes avoués. Si l'on excepte les Éloges des savants par Fontenelle, d'Alembert et Cuvier, presque toutes les notices de ce genre sont moins une analyse du génie et du caractère des hommes célèbres, qu'une liste exacte de leurs ouvrages; cependant, par l'influence même que ces productions ont eue sur leur siècle, les détails sur la vie privée de leurs auteurs rentrent dans le domaine de l'histoire; et l'histoire doit être moins la connaissance des faits, qu'une étude approfondie du cœur de l'homme. Les actions des héros qu'on se plaît à mettre sous nos yeux ne sont-elles pas moins propres à atteindre ce but, que l'exemple des vices ou des vertus dans les hommes qui ont prétendu enseigner la sagesse? Dans les premiers, une action d'éclat n'est souvent que l'élan d'un esprit exalté, que l'exécution rapide d'un dessein extraordinaire et spontané; dans les seconds, tout est le fruit d'une méditation soutenue: la vertu marque le but, la persévérance y conduit.

Pourquoi donc s'être plutôt attaché à nous conserver le souvenir de toutes les sanglantes catastrophes qu'à nous présenter une analyse sévère des mœurs et des sentiments des hommes remarquables? C'est que l'homme aime les images fortes et animées; c'est qu'on peut l'émouvoir plus par la profonde terreur des tableaux sanglants de l'histoire, que par les douces images des vertus privées.

L'étude de la vie des savants est digne de toute notre attention. Il est à la fois curieux et instructif d'examiner comment ont supporté les malheurs de la vie, ceux qui ont enseigné les préceptes d'une philosophie impassible. Leur histoire est un tissu de contradictions singulières. Le citoyen de Genève, qui consacre ses veilles au bonheur des enfants, abandonne froidement les siens; ennemi déclaré des préjugés, il n'ose les braver; ce cœur sensible est sourd aux cris de la nature, et cet esprit fort est sans cesse tourmenté par les fantômes bizarres de son imagination fiévreuse. Le plus grand génie de son siècle, Voltaire, qui porte des coups si audacieux au despotisme, sollicite et reçoit la clef de chambellan des mains de Frédéric. Newton, qui voue sa vie à la recherche de la vérité, commente l'Apocalypse. Le chancelier Bacon, le premier philosophe de l'Angleterre, fait un traité sur la Justice, et la vend au plus offrant. On pourrait multiplier les citations; ce ne seraient que de nouvelles preuves de l'imperfection de la nature de l'homme.

Cependant il est des savants qui, joignant l'exemple au précepte, n'ont jamais dévié des principes qu'ils ont enseignés. L'auteur des Ruines est de ce nombre; il nous est doux d'avoir à tracer la vie du philosophe éclairé, du législateur sage, et surtout de l'homme austère dont toute l'ambition fut d'être utile, et qui ne voulut composer son bonheur que de l'idée d'avoir hâté celui des hommes1.

«Les registres publics2 constatent que M. de Volney est né le 3 février 1757 à Craon, petite ville du département de la Mayenne. Il reçut les prénoms de Constantin-François. Son père déclara dès ce moment qu'il ne lui laisserait point porter son nom de famille3, d'abord parce que ce nom ridicule lui avait attiré mille désagréments dans sa jeunesse, et qu'ensuite, il était commun à dix mâles collatéraux dont il ne voulait point qu'on le rendît solidaire sous ce rapport. Il l'appela Boisgirais, et c'est sous ce nom que le jeune Constantin-François a été connu dans les colléges.

«Son père, Jacques-René Chassebœuf, devenu veuf deux années après la naissance de son fils, le laissa aux mains d'une servante de campagne et d'une vieille parente, pour se livrer avec plus de liberté à la profession d'avocat au tribunal de Craon, d'où sa réputation s'étendit dans toute la province.

«Pendant ses absences très-fréquentes, l'enfant reçut les impressions de ses deux gouvernantes, dont l'une le gâtait, l'autre le grondait sans cesse, et toutes deux farcissaient son esprit de préjugés de toute espèce et surtout de la terreur des revenants: l'enfant en resta frappé au point qu'à l'âge de onze ans, il n'osait rester seul la nuit. Sa santé se montra dès lors ce qu'elle fut toujours, faible et délicate.

«Il n'avait encore que sept ans, lorsque son père le mit à un petit collége tenu à Ancenis par un prêtre bas-breton, qui passait pour faire de bons latinistes. Jeté là, faible, sans appui, privé tout à coup de beaucoup de soins, l'enfant devint chagrin et sauvage. On le châtia; il devint plus farouche, ne travailla point, et resta le dernier de sa classe. Six ou huit mois se passèrent ainsi; enfin un de ses maîtres en eut pitié, le caressa, le consola; ce fut une métamorphose en quinze jours: Boisgirais s'appliqua si bien, qu'il se rapprocha bientôt des premières places, qu'il ne quitta plus.....»

Le régime de ce collége était fort mauvais, et la santé des enfants y était à peine soignée; le directeur était un homme brutal, qui ne parlait qu'en grondant et ne grondait qu'en frappant. Constantin souffrait d'autant plus, qu'il pouvait à peine se plaindre. Jamais son père ne venait le voir, jamais il n'avait paru avoir pour son fils cette sollicitude paternelle qui veille sur son enfant, lors même qu'elle est forcée de le confier à des soins étrangers. Doué d'une ame sensible et aimante, Constantin ne pouvait s'empêcher de remarquer que ses camarades n'avaient pas à déplorer la même indifférence de la part de leurs parents. Les réflexions continuelles qu'il faisait à ce sujet, et les mauvais traitements qu'il éprouvait, le plongeaient dans une mélancolie qui devint habituelle, et qui contribua peut-être à diriger son esprit vers la méditation. Cependant son oncle maternel venait quelquefois le voir. Aussi affligé de l'abandon dans lequel on laissait cet enfant que surpris de sa résignation et de sa douceur, il détermina M. Chassebœuf à retirer son fils de ce collége pour le mettre à celui d'Angers.

Constantin avait alors douze ans; il sentait sa supériorité sur tous ceux de son âge, et loin de s'en prévaloir et de se ralentir, il ne s'adonna au travail qu'avec plus d'ardeur. Il parcourut toutes ses classes d'une manière assez brillante pour qu'on en gardât long-temps le souvenir dans ce collége.

Au bout de cinq années, le jeune Constantin ayant fini ses études, brûlait du désir de se lancer dans le monde. Son père le fit revenir d'Angers, et ses occupations ne lui permettant pas sans doute de s'occuper de son fils, il se hâta de le faire émanciper, de lui rendre compte du bien de sa mère, et de l'abandonner à lui-même.

À peine âgé de dix-sept ans, Constantin se trouva donc maître absolu de ses actions et de onze cents livres de rente. Cette fortune n'était pas suffisante, il fallait prendre une profession; mais, naturellement réfléchi, et voulant tout voir par lui-même avant de se fixer, Constantin se rendit à Paris.

Ce fut un théâtre séduisant et nouveau pour le jeune homme, que cette ville immense où il se trouvait pour la première fois; mais au lieu de se laisser entraîner par le tourbillon, Constantin s'adonnait à l'étude: il passait presque tout son temps dans les bibliothèques publiques; il lisait avec avidité tous les auteurs anciens, il se livrait surtout à une étude approfondie de l'histoire et de la philosophie.

Cependant son père le pressait de prendre une profession, et paraissait désirer qu'il se fît avocat; mais Constantin avait un éloignement marqué pour le barreau, comme s'il avait pressenti que cette profession, quoique très-honorable, était au-dessous de son génie créateur. Il lui répugnait de se charger la mémoire de choses inutiles et qui ne lui paraissaient que des redites continuelles; l'étude des lois n'était en effet à cette époque qu'un immense dédale, qu'un mélange bizarre de lois féodales, de coutumes, et d'arrêts rendus par les parlements. La médecine, plus positive, et qui tend par une suite d'expériences au bonheur de l'homme, convint davantage à son esprit observateur. Il se plaisait à interroger la nature, à tâcher de pénétrer la profondeur de ses secrets, et de découvrir quelques rapports entre le moral et le physique de l'homme. Mais ce n'était pas vers ce seul but que se dirigeaient ses études; il continuait toujours ses recherches savantes, ses lectures instructives; et passant ainsi dans le travail un temps que tous les jeunes gens de son âge perdaient dans les plaisirs, il acquit un fonds immense de connaissances en tout genre.

Il suivit ses cours pendant trois années; ce fut dans cet intervalle qu'il composa un Mémoire sur la Chronologie d'Hérodote, qu'il adressa à l'Académie. Le professeur Larcher, avec lequel Constantin se trouvait en opposition, censura ce petit ouvrage avec amertume; notre jeune savant soutint son opinion avec chaleur, et prouva dans la suite qu'il avait raison quant au fond de la question. Quelques fautes légères s'étaient, il est vrai, glissées dans son ouvrage; mais plus tard, instruit par de longues études, il eut le rare mérite de se redresser lui-même dans ses Recherches nouvelles sur l'Histoire ancienne; quoi qu'il en soit, ce Mémoire fit quelque sensation, et mit son auteur en rapport avec ce qu'il y avait alors de plus célèbre à Paris.

Le baron d'Holbach surtout le devina, le prit en amitié, et lui fit faire la connaissance de Franklin. Celui-ci le présenta à madame Helvétius, qui l'invitait souvent à sa maison de Passy, où se réunissaient alors nombre de gens de lettres et de savants distingués. Nul doute que la société de tous ces hommes célèbres, que Constantin fréquentait souvent, n'ait beaucoup contribué à développer les brillantes dispositions dont il était doué. Il se dégoûta de plus en plus de toute espèce de profession: il aspirait, presque à son insu, à quelque chose de plus élevé.

Jeune encore, il avait déja vieilli dans la méditation, et son génie n'attendait que d'être livré à lui-même pour se développer et prendre un essor rapide. L'occasion ne tarda pas à se présenter; une modique succession lui échut:4 il résolut d'en employer l'argent à entreprendre un long voyage. Comme tous les grands hommes, il dédaigna les routes frayées, et choisit la plus inconnue et la plus périlleuse: il projeta de parcourir l'Égypte et la Syrie.

De tous les pays c'étaient les moins connus; après d'immenses recherches et de graves réflexions, Constantin résolut d'entreprendre de parvenir où tant d'autres avaient échoué. Pour se préparer à ce périlleux voyage, il quitta Paris, et se rendit chez son oncle.

Il ne se dissimulait ni les dangers ni les fatigues qui l'attendaient, mais aussi entrevoyait-il la gloire qu'il devait y acquérir. Il mesura d'abord l'étendue de la carrière, pour calculer, puis acquérir les forces qu'il lui fallait pour la parcourir.

Il s'exerçait à la course, entreprenait de faire à pied des voyages de plusieurs jours; il s'habituait à rester des journées entières sans prendre de nourriture, à franchir de larges fossés, à escalader des murailles élevées, à régulariser son pas afin de pouvoir mesurer exactement un espace par le temps qu'il mettait à le parcourir. Tantôt il dormait en plein air, tantôt il s'élançait sur un cheval et le montait sans bride ni selle, à la manière des Arabes; se livrant ainsi à mille exercices pénibles et périlleux, mais propres à endurcir son corps à la fatigue. On ne savait à quoi attribuer son air farouche et sauvage; on taxait d'extravagance cette conduite extraordinaire, attribuant ainsi à la folie ce qui n'était que la fermentation du génie.

Après une année de ces épreuves diverses, il résolut de mettre son grand dessein à exécution. De peur de n'être pas approuvé, il crut devoir le cacher à son père, mais il se hâta d'en faire part à son oncle. À peine lui eut-il communiqué qu'il ne s'agissait rien moins que de visiter des pays presque inconnus aux habitants de l'Europe, et dont les langages sont si différents des nôtres, qu'effrayé de la hardiesse de ce projet qu'il croyait impraticable, son digne ami ne négligea aucun moyen de l'en dissuader, mais en vain: Constantin fut inébranlable. «Ce qui distingue particulièrement un homme de génie, a dit un écrivain,5 c'est cette impulsion secrète qui l'entraîne comme malgré lui vers les objets d'étude et d'application les plus propres à exercer l'activité de son ame et l'énergie de ses facultés intellectuelles. C'est une espèce d'instinct qu'aucune force ne peut dompter, et qui s'exalte au contraire par les obstacles qui s'opposent à son développement.»

Aussi Constantin, loin de se rebuter, n'en était-il que plus impatient d'entreprendre son voyage; il voyait déja en idée des pays nouveaux; déja son imagination ardente franchissait l'espace, devançait le temps, et planait sur ces déserts où il devait jeter les premiers fondements de sa gloire.

Cependant il désirait depuis long-temps de changer de nom; celui que son père lui avait donné lui déplaisait; il résolut d'en prendre un autre. Il faut croire qu'il avait pour cela de fortes raisons; car son oncle l'approuva, s'occupa quelque temps de lui en chercher un convenable, et lui proposa enfin celui de Volney. Constantin le prit, et ce fut pour l'immortaliser.

Le jour fixé pour le départ étant arrivé, le jeune voyageur prit congé de ses amis, et s'arracha des bras de son oncle et de sa famille.

Un havre-sac contenant un peu de linge, et qu'il portait à la manière des soldats, une ceinture de cuir contenant six mille francs en or, un fusil sur l'épaule; tel était l'équipage de Volney. À peine fut-il à quelque distance d'Angers et au moment de le perdre de vue, qu'il s'arrêta malgré lui: ses regards se fixèrent sur la ville, ses yeux ne pouvaient s'en détacher; il abandonnait ce qu'il avait de plus cher, et peut-être pour toujours. Ses larmes coulaient en abondance, il sentit chanceler son courage; mais bientôt, rappelant toute son énergie, il se hâta de s'éloigner.

Il arriva bientôt à Marseille, où il s'embarqua sur un navire qui se trouvait prêt à mettre à la voile pour l'Orient.

À peine débarqué en Égypte, Volney se rendit au Caire, où il passa quelques mois à observer les mœurs et les coutumes d'un peuple si nouveau pour lui, mais sans perdre de vue toute l'étendue de la carrière qu'il voulait parcourir.

En méditant cette grande entreprise, l'intrépide voyageur avait non-seulement pour but de s'instruire, mais encore de faire cesser l'ignorance de l'Europe sur des contrées qui en sont si voisines, et cependant aussi inconnues que si elles en étaient séparées par de vastes mers ou d'immenses espaces. Il importait donc qu'il pût tout voir et tout entendre, il fallait pénétrer dans l'intérieur des divers états, et il lui était impossible de le faire avec sûreté sans parler la langue arabe, aussi commune à tous les peuples de l'Orient qu'elle est inconnue parmi nous. Pour surmonter ce nouvel obstacle, le jeune voyageur eut le courage d'aller s'enfermer huit mois chez les Druses, dans un couvent arabe situé au milieu des montagnes du Liban.

Là, il se livra à l'étude avec son ardeur ordinaire. Il eut d'autant plus de difficultés à vaincre qu'il était privé du secours des grammaires et des dictionnaires; il lui fallait, pour ainsi dire, être son propre maître et se créer une méthode; il sentit la nécessité et conçut le projet de faciliter un jour aux Européens l'étude des langues orientales.

Il employait ses moments de loisir à converser avec les moines, à s'informer des mœurs des Arabes, des variations du climat et des diverses formes de gouvernement sous lesquelles gémissent les malheureux habitants de ces contrées dévastées. Là, comme en Europe, il ne vit que despotisme, que dilapidation des deniers du peuple; là, comme en Europe, il vit un petit nombre d'êtres privilégiés s'arroger insolemment le fruit des sueurs du plus grand nombre, et, comptant sur les armes de leurs soldats, n'opposer aux clameurs du peuple que la violence et l'abus de leur force. Ces tristes observations augmentaient sa mélancolie habituelle: trop profond pour ne pas soulever le voile de l'avenir, il ne prévoyait que trop les malheurs qui devaient accabler une patrie qui lui était si chère, et dont il ne s'était éloigné que pour bien mériter d'elle.

Ce ne fut qu'après qu'il put converser en arabe avec facilité, qu'il prit réellement son essor: il fit ses adieux aux moines qui l'avaient accueilli, et, après s'être muni de lettres de recommandation pour différents chefs de tribu, il commença son voyage.

Il prit un guide qui le conduisit dans le désert auprès d'un chef auquel il était particulièrement adressé. Aussitôt qu'il fut arrivé près de lui, Volney présenta une paire de pistolets à son fils, qui accepta ce présent avec reconnaissance. Dès que le chef eut lu la lettre que Volney lui avait remise, il lui serra les mains en lui disant: «Sois le bien venu; tu peux rester avec nous le temps qu'il te plaira. Renvoie ton guide, nous t'en servirons: regarde cette tente comme la tienne, mon fils comme ton frère, et tout ce qui est ici comme étant à ton usage.» Volney n'hésita pas à se fier à l'homme qui s'exprimait avec tant de franchise: il eut tout lieu de voir combien les Arabes étaient fidèles à observer religieusement les lois de l'hospitalité, et combien ces hommes que nous nommons des barbares nous sont supérieurs à cet égard. Il resta six semaines au milieu de cette famille errante, partageant leurs exercices et se conformant en tout à leur manière de vivre.

Un jour le chef lui demanda si sa nation était loin du désert, et lorsque Volney eut tâché de lui donner une idée de la distance: «Mais pourquoi es-tu venu ici? lui dit-il.—Pour voir la terre et admirer les œuvres de Dieu.—Ton pays est-il beau?—Très-beau.—Mais y a-t-il de l'eau dans ton pays?—Abondamment; tu en rencontrerais plusieurs fois dans une journée.—Il y a tant d'eau, et tu le quittes!»

Lorsqu'ensuite Volney leur parlait de la France, ils l'interrompaient souvent pour témoigner leur surprise de ce qu'il avait quitté un pays où il trouvait tout en abondance, pour venir visiter une contrée aride et brûlante. Notre voyageur eût désiré passer quelques mois parmi ces bons Arabes; mais il lui était impossible de se contenter comme eux de trois ou quatre dattes et d'une poignée de riz par jour: il avait tellement à souffrir de la faim et de la soif qu'il se sentait souvent défaillir. Il prit congé de ses hôtes, et reçut à son départ des marques de leur amitié. Le père et le fils le reconduisirent à une grande distance, et ne le quittèrent qu'après l'avoir prié plusieurs fois de venir les revoir.

Allant de ville en ville, de tribu en tribu, demandant franchement une hospitalité qu'on ne lui refusait jamais, Volney parcourut toute l'Égypte et la Syrie. Il salua ces pyramides colossales, ces majestueuses ruines de Palmyre disséminées comme autant de rochers dans ces mers de sables, et comme les seules traces des nations puissantes qui peuplaient jadis ces plaines immenses, aujourd'hui si arides.

Observateur impartial et sage, il ne portait jamais de jugements d'après les opinions d'autrui; il voulait voir par lui-même, et il voyait toujours juste, parce que, sans passions et sans préjugés, il ne désirait et ne cherchait que la vérité.

Il employa trois années à faire ce grand voyage, ce qui paraît un prodige lorsqu'on vient à songer à la modique somme qu'il avait pour l'entreprendre. Il ne l'y dépensa pas tout entière, car à son retour il possédait encore vingt-cinq louis. Quelle sagesse ne lui a-t-il pas fallu pour vivre et voyager trois années entières dans un pays ravagé, où tout se paie au poids de l'or! Mais c'est que Volney fréquentait peu la société des villes; il était presque continuellement en voyage, et il voyageait avec la simplicité d'un philosophe et l'austérité d'un Arabe. Toujours à la recherche de la vérité, il avait renoncé à la trouver parmi les hommes; il suivait avec avidité les traces des temps anciens pour découvrir le sort des générations présentes. Occupé de hautes pensées, il aimait à errer au milieu des ruines, il semblait se complaire au milieu des tombeaux. Là il s'abandonnait à des rêveries profondes. Assis sur les monuments presque en poussière des grandeurs passées, il méditait sur la fragilité des grandeurs présentes; il s'accoutumait à suivre les progrès de la destruction générale, à mesurer d'un œil tranquille cet horrible abîme où vont s'engouffrer les empires et les générations, où vont s'évanouir les chimères des hommes. C'est là qu'il apprit à mépriser ce qu'il appelait les niaiseries humaines, qu'il puisa ces vérités sublimes qui brillent dans ses nombreux écrits, et cette rigidité de principes qui dirigea toujours ses actions.

Après un voyage de trois années, il revint en Europe, et signala son retour par la publication de son Voyage en Égypte et en Syrie. Jamais livre n'obtint un succès plus rapide, plus brillant et moins contesté. Il valut à son jeune auteur l'estime des gens instruits, l'admiration de ses concitoyens et une célébrité européenne: il en reçut des marques flatteuses.

Le baron de Grimm ayant présenté un exemplaire du Voyage en Égypte à Catherine II, eut l'obligeante attention de le faire au nom de Volney. L'impératrice fit offrir à l'auteur une très-belle médaille en or; mais lorsque, quelques années après, Catherine eut pris parti contre la France, Volney se hâta d'écrire à Grimm la lettre suivante en lui renvoyant la médaille:

Paris, 4 décembre 1791.

«Monsieur,

«La protection déclarée que S. M. l'impératrice des Russies accorde à des Français révoltés, les secours pécuniaires dont elle favorise les ennemis de ma patrie, ne me permettent plus de garder en mes mains le monument de générosité qu'elle y a déposé. Vous sentez que je parle de la médaille d'or qu'au mois de janvier 1788 vous m'adressâtes de la part de S. M. Tant que j'ai pu voir dans ce don un témoignage d'estime et d'approbation des principes politiques que j'ai manifestés, je lui ai porté le respect qu'on doit à un noble emploi de la puissance; mais aujourd'hui que je partage cet or avec des hommes pervers et dénaturés, de quel œil pourrai-je l'envisager? Comment souffrirai-je que mon nom se trouve inscrit sur le même registre que ceux des déprédateurs de la France? Sans doute l'impératrice est trompée, sans doute la souveraine qui nous a donné l'exemple de consulter les philosophes pour dresser un code de lois, qui a reconnu pour base de ces lois l'égalité et la liberté, qui a affranchi ses propres serfs, et qui, ne pouvant briser les liens de ceux de ses boyards, les a du moins relâchés; sans doute Catherine II n'a point entendu épouser la querelle des champions iniques et absurdes de la barbarie superstitieuse et tyrannique des siècles passés; sans doute, enfin, sa religion séduite n'a besoin que d'un rayon pour s'éclairer; mais en attendant, un grand scandale de contradiction existe, et les esprits droits et justes ne peuvent consentir à le partager: veuillez donc, monsieur, rendre à l'impératrice un bienfait dont je ne puis plus m'honorer; veuillez lui dire que si je l'obtins de son estime, je le lui rends pour la conserver; que les nouvelles lois de mon pays qu'elle persécute ne me permettent d'être ni ingrat ni lâche, et qu'après tant de vœux pour une gloire utile à l'humanité, il m'est douloureux de n'avoir que des illusions à regretter.

«C.-F. Volney.»

Le succès brillant qu'obtint le Voyage en Égypte et en Syrie, ne fut pas de ces succès éphémères qui ne sont dus qu'aux circonstances ou à la faveur du moment. Parmi les nombreux témoignages qui vinrent attester l'exactitude des récits et la justesse des observations, le plus remarquable sans doute est celui que rendit le général Berthier dans la Relation de la campagne d'Égypte: «Les aperçus politiques sur les ressources de l'Égypte, dit-il, la description de ses monuments, l'histoire des mœurs et des usages des diverses nations qui l'habitent, ont été traités par le citoyen Volney avec une vérité et une profondeur qui n'ont rien laissé à ajouter aux observateurs qui sont venus après lui. Son ouvrage était le guide des Français en Égypte; c'est le seul qui ne les ait jamais trompés.»

Quelques mois après la publication de son voyage, Volney fut nommé pour remplir les fonctions difficiles et importantes de directeur général de l'agriculture et du commerce en Corse; il se disposait à se rendre dans cette île, lorsqu'un événement inattendu vint y mettre obstacle.

La France, fatiguée d'un joug imposé par de mauvaises institutions, venait de le briser. Le cri de liberté avait fait tressaillir tous les cœurs français, et fait trembler tous les trônes. De toutes parts les lumières se réunissaient en un seul faisceau pour dissiper les ténèbres de l'ignorance. Le peuple venait de nommer ses mandataires, et Volney fut appelé à siéger parmi les législateurs de la patrie.

Sur une observation que fit Goupil de Préfeln, il s'empressa de donner sa démission de la place qu'il tenait du gouvernement, ne regardant pas, disait-il, un emploi salarié comme compatible avec l'indépendante dignité de mandataire du peuple.

Il prit part à toutes les délibérations importantes, et, fidèle à son mandat, il se montra toujours un des plus fermes soutiens des libertés publiques.

Malouet ayant proposé6 de se réunir en comité secret afin de ne point discuter devant des étrangers: «Des étrangers! s'écria Volney, en est-il parmi nous? L'honneur que vous avez reçu d'eux, lorsqu'ils vous ont nommés députés, vous fait-il oublier qu'ils sont vos frères et vos concitoyens? N'ont-ils pas le plus grand intérêt à avoir les yeux fixés sur vous? Oubliez-vous que vous n'êtes que leurs représentants, leurs fondés de pouvoirs? et prétendez-vous vous soustraire à leurs regards lorsque vous leur devez compte de toutes vos démarches et de toutes vos pensées?...... Ah! plutôt, que la présence de nos concitoyens nous inspire, nous anime! elle n'ajoutera rien au courage de l'homme qui aime sa patrie et qui veut la servir, mais elle fera rougir le perfide et le lâche que le séjour de la cour ou la pusillanimité aurait déja pu corrompre.»

Il fut un des premiers à provoquer l'organisation des gardes nationales; celles des communes et des départements, et fut nommé secrétaire dès la première année.

Il prit part aux nombreux débats qui s'élèverent lorsqu'on agita la proposition d'accorder au roi l'exercice du droit de paix et de guerre7.

«Les nations, dit-il, ne sont pas créées pour la gloire des rois, et vous n'avez vu dans les trophées que des sanglants fardeaux pour les peuples.....

«Jusqu'à ce jour l'Europe a présenté un spectacle affligeant de grandeur apparente et de misère réelle: on n'y comptait que des maisons de princes et des intérêts de familles; les nations n'y avaient qu'une existence accessoire et précaire. On possédait un empire comme des troupeaux; pour les menus plaisirs d'une fête, on ruinait une contrée; pour les pactes de quelques individus, on privait un pays de ses avantages naturels; la paix du monde dépendait d'une pleurésie, d'une chute de cheval; l'Inde et l'Amérique étaient plongées dans les calamités de la guerre pour la mort d'un enfant, et les rois, se disputant son héritage, vidaient leur querelle par le duel des nations.»

Il finit par proposer un décret remarquable qui se terminait par ces mots:

«La nation française s'interdit dès ce moment d'entreprendre aucune guerre tendante à accroître son territoire.»

Cette proposition fait honneur au patriotisme éclairé de Volney, et l'assemblée se hâta d'en consacrer le principe dans la loi qui intervint. Ce fut cette même année que, sur la proposition de Mirabeau, on s'occupa de la vente des domaines nationaux; Volney publia dans le Moniteur quelques réflexions où il pose ces principes:

«La puissance d'un état est en raison de sa population; la population est en raison de l'abondance; l'abondance est en raison de l'activité de la culture, et celle-ci en raison de l'intérêt personnel et direct, c'est-à-dire de l'esprit de propriété: d'où il suit que plus le cultivateur se rapproche de l'état passif de mercenaire, moins il a d'industrie et d'activité; au contraire, plus il est près de la condition de propriétaire libre et plénier, plus il développe les forces et les produits de la terre et la richesse générale de l'État.»

En suivant ce raisonnement si juste et si péremptoire, on arrive naturellement à cette conséquence, qu'un État est d'autant plus puissant qu'il compte un plus grand nombre de propriétaires, c'est-à-dire, une plus grande division de propriétés.

Jamais aucune assemblée législative n'avait offert une plus belle réunion d'orateurs célèbres. Dans les discussions importantes, ils se pressaient en foule à la tribune; tous brûlaient du désir de soutenir la cause de la liberté, mais de cette liberté sage et limitée, premier droit des peuples.

Tout le monde connaît ce mouvement oratoire de Mirabeau dans une discussion relative au clergé:.... Je vois d'ici la fenêtre d'où la main sacrilège d'un de nos rois, etc.;..... mais peu de personnes savent à qui ce mouvement oratoire fut emprunté. Vingt députés assiégeaient les degrés de la tribune nationale. «Vous aussi! dit Mirabeau à Volney qui tenait un discours à la main.—Je ne vous retarderai pas long-temps;—Montrez-moi ce que vous avez à dire.... Cela est beau, sublime;.... mais ce n'est pas avec une voix faible, une physionomie calme, qu'on tire parti de ces choses-là; donnez-les moi.» Mirabeau fondit dans son discours le passage relatif à Charles IX, et en tira un des plus grands effets qu'ait jamais produits l'éloquence.

C'était peu pour le représentant du peuple de se dévouer tout entier aux intérêts de son pays, il sacrifiait encore ses veilles à l'instruction de ses concitoyens.

1.Quelques jours avant de mourir, M. de Volney avait commencé l'histoire de sa vie; tout ce qui est marqué par des guillemets, est copié sur des notes écrites au crayon, et qui furent trouvées parmi ses papiers.
2.La Chambre des Pairs, l'Académie.
3.Chassebœuf.
4.À peu près 6,000 fr.
5.Suard, Vie du Tasse.
6.Moniteur du 28 mai 1789.
7.Moniteur du 20 mai 1790.
Yosh cheklamasi:
12+
Litresda chiqarilgan sana:
30 iyun 2018
Hajm:
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