Kitobni o'qish: «Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I»
PRÉFACE
EST-IL donc vrai que l'Histoire ancienne soit un problème entièrement insoluble, et que nous soyons condamnés à n'avoir que des idées vagues, même sur cette partie à laquelle notre système d'éducation attache une importance religieuse? Quoi! depuis moins de 100 ans, l'esprit humain a su pénétrer une foule d'énigmes de la nature, dans l'Astronomie, dans la Physique générale et particulière; dans la Chimie, etc.; et il ne pourra deviner les logogriphes que lui-même s'est composés dans les récits de l'Histoire! D'où vient cette bizarrerie? J'interroge les observateurs des faits naturels; je leur demande par quelles méthodes ingénieuses et sûres ils on fait de si heureuses découvertes, vaincu de si subtiles difficultés? Ils me répondent «que c'est en rappelant les anciennes théories à de nouveaux examens; en dévoilant l'erreur ou la fausseté de certains faits qu'elles avaient établis comme bases; en n'admettant comme vrais que les faits constatés par l'expérience et par l'analyse; enfin en ne souscrivant à aucune assertion par le respect des noms et des autorités, mais seulement par l'évidence qui naît de la démonstration.»
Je me tourne vers les raconteurs d'événements humains, vers ces écrivains qui peuplent nos bibliothèques de volumes sur l'Histoire ancienne: je leur demande pourquoi, malgré leurs travaux savants et multipliés, nos connaissances n'ont fait, depuis 200 ans, aucun progrès par-delà le court espace de six siècles qui précèdent l'ère chrétienne? «Notre tâche, me disent-ils, est bien plus épineuse que celle des Physiciens: nous n'opérons pas comme eux sur des corps palpables, sur des faits soumis à l'évidence des sens: tels qu'un jury d'enquête, nous opérons sur des faits moraux qui ne sont pas présents, qui même n'existent plus, et qui nous sont racontés tantôt par des témoins, tantôt par des gens qui ne les ont pas vus: ces narrateurs parlant des langues diverses tombées en désuétude, c'est pour nous un premier obstacle d'être obligés de les apprendre; déja nous pouvons commettre bien des erreurs à les expliquer; ensuite il nous faut rechercher les faits ou plutôt les témoignages épars, souvent altérés par leur passage de bouche en bouche; il nous faut confronter les récits, apprécier la moralité et les préjugés des raconteurs; et sur quelques articles leurs contradictions sont si absolues, qu'il en résulte des difficultés inextricables.—Ce n'est pas tout, ajoute un savant critique du dernier siècle1, et ce n'est pas la seule ou la vraie raison de notre ignorance: il est une cause bien plus radicale que n'avouent pas mes doctes confrères: comme eux je m'étais persuadé que les difficultés qui les arrêtent dans l'Histoire, et surtout dans la Chronologie ancienne, devaient être insolubles en elles-mêmes, et je croyais qu'il y avait de la présomption à tenter ce que des hommes d'un grand nom n'avaient pu exécuter; mais lorsque j'ai parcouru les routes dans lesquelles ils ont marché, j'ai vu avec surprise que c'était aux seuls défauts de la méthode qu'ils ont suivie que l'on doit attribuer le peu de succès de leurs efforts; ils ont commencé par prendre leur parti dans les anciennes histoires, dans celles des temps antérieurs à Cyrus, et après cela ils semblent avoir étudié, non pour parvenir à la connaissance de ce qui est, mais pour trouver les preuves de ce qu'ils ont imaginé devoir être, etc.»
Je vous entends, judicieux Fréret; vous voulez dire que, par l'effet d'un préjugé ancien et dominant, nos érudits ont dénaturé les fonctions de l'un des témoins de l'antiquité, en ce qu'au lieu d'entendre avec impartialité les dépositions du peuple juif, ils les ont reçues avec un respect aveugle, et les ont érigés en décrets suprêmes, auxquels ils ont soumis, de gré ou de force, les témoignages de ses pairs.
Effectivement, si je parcours les livres écrits, depuis 200 ans sur l'Histoire ancienne, je vois leurs arguments, leurs systèmes fondés généralement sur ce principe: «Que la Chronologie du peuple juif est la règle indispensable de celle de tous les autres peuples, et que c'est à la mesure de son cadre qu'il faut allonger ou raccourcir toutes les Chronologies.»
Avec une telle méthode, est-il surprenant que nos connaissances soient restées stationnaires au même point où les ont laissées Joseph Scaliger et le P. Petau, il y a plus de 200 ans? et cela pouvait-il manquer d'être ainsi, lorsque les savants2 qui ont cultivé cette branche d'instruction ont été presque tous des ecclésiastiques qui, s'attribuant l'Histoire ancienne comme leur domaine à raison de ses rapports avec la création du monde, ont cru leur conscience et leur religion intéressées à soutenir l'infaillibilité du système juif.
Voulons-nous dissiper, du moins en partie, les ténèbres qui couvrent l'antiquité; il faut avant tout disposer nos yeux à reconnaître, à accepter la lumière de la vérité: il faut, dans l'interrogatoire ou dans l'audition des narrateurs, nous dépouiller de toute prédilection: en un mot, il faut, suivant la méthode des physiciens et des géomètres dans les sciences exactes, n'admettre par anticipation aucun fait, aucune assertion, dont la certitude, la vraisemblance morale n'aient été préalablement discutées et réduites à leur juste valeur.
C'est en cette disposition d'esprit qu'ont été faites les recherches suivantes que nous soumettons au lecteur; et parce que, de tous les objets de discussion et de tous les moyens d'épreuve, le moins irritant, le moins récusable est le calcul arithmétique, c'est sur la Chronologie, qui est l'arithmétique de l'histoire, que nous allons d'abord exercer notre critique: nous allons examiner, 1° quel degré d'exactitude et de correction présente le système chronologique juif considéré intrinséquement.
2° Sur quelles bases de faits ou de raisonnements il établit son autorité, abstraction faite de toute opinion dogmatique.
3° Quels ont été et quels ne peuvent être les auteurs des livres qui nous offrent ce système, fondant à cet égard nos arguments, nos preuves, uniquement sur les aveux implicites ou positifs de ces livres.
Ces bases posées, nous verrons quelles conséquences en résultent pour l'établissement de la Chronologie ancienne prise en général.
Commençons par les temps les plus connus, les plus susceptibles d'éclaircissement, et discutons d'abord la période des rois juifs, depuis Saül jusqu'à la ruine de Jérusalem, sous Sédéqiah, 687 ans avant notre ère.
RECHERCHES NOUVELLES SUR L'HISTOIRE ANCIENNE
CHAPITRE PREMIER.
Période des rois juifs
LE tableau ci-contre, dressé fidèlement d'après le texte du Livre des Rois, démontre à trois époques diverses, prises dans la liste des rois de Samarie et celle des rois de Jérusalem, des discordances de corrélation qui ne devraient pas exister; car, certains règnes devant commencer et finir ensemble à une même date selon le texte, les sommes d'additions devraient être les mêmes à l'époque où on les compare. Par exemple, dans la colonne des rois de Samarie, Section 1re, ces princes comptent 3 ans de plus que ceux de Juda.... Dans la 2e, une année seulement; et dans la 3e, ils ont 23 ans de moins.
Les deux premières différences sont des bagatelles que l'on peut expliquer et faire disparaître, en fondant ensemble les années premières et dernières de quatre ou cinq princes successifs; mais les 23 ans qui se trouvent en excès de la part des rois de Juda n'admettent pas de palliatifs. Les chronologistes ont composé de gros volumes sur ce problème, sans pouvoir le résoudre, parce que posant comme principe fondamental l'infaillibilité de chaque texte, il leur devient impossible de concilier ce qui est manifestement contradictoire. Non seulement les textes se contrarient dans les résumés additionnels, ils se contrarient encore, presqu'à chaque verset, dans les comparaisons respectives des règnes; par exemple, un texte dit (Reg. II, chap. 14, v. 23): «L'an 15 d'Amasias, roi de Juda, Jéroboam II devient roi d'Israël, et, l'an 15 de ce Jéroboam, Amasias termine un règne de 29 ans.» (Ibid. v. 17).
Donc Ozias, fils d'Amasias, lui succéda et régna l'an 16 de Jéroboam, et cependant le texte dit (chap. 15, vers. 1er), que ce fut l'an 27. Quelques chronologistes veulent trouver ici un interrègne qui aurait retardé le couronnement d'Ozias; mais cette hypothèse est détruite par l'expression formelle d'un passage qui dit: «Amasias étant mort, le peuple prit Ozias, dit Azarias, son fils, âgé de 16 ans, et il l'établit roi.» (Ibid. ch. 14, v. 21).
Cette faute de 27 ans se corrige en l'attribuant au copiste, qui aurait dû écrire 17: mais immédiatement après, une autre faute semblable se reproduit; car Jéroboam II ayant régné 41 ans, dont 15 ans du temps d'Amasias, il lui en doit rester 26 sur le régne d'Ozias; par conséquent Zakarie, fils de Jéroboam, lui sùccede l'an 27 (pour 28) d'Ozias, et cependant le texte dit l'an 38 (Reg. II, ch. 15, v. 8). Ce n'est pas tout; la confusion est telle dans ces comparaisons de règne à règne, que par suite de dates énoncées un prince se trouve engendrer à l'âgé de 10 ans.
«Rég. II, c. 16, V. 2.: «Achaz, fils de Joathan, lui succède âgé de 20 ans, et il en règne 16;» donc il vécut 36 ans.... Son fils Ézéqiah lui succède âgé de 26 ans.... Donc Achaz aurait été père à 11 ans, et eût engendré à 10 ans; ce qui en histoire serait si étrange, qu'on en eût sûrement fait la rémarque.
Il faut en convenir de bonne foi; presque toutes les dates comparées du Livre des Rois sont inexactes, et leur inexactitude forme un système tellement lié, qu'on ne saurait l'attribuer tout entier à la négligence des copistes.... Il est bien plutôt l'ouvrage d'u rédacteur même, qui composa cet extrait abrégé des archives officielles après le retour de Babylone. Nous n'entrerons pas dans les détails fastidieux et péu importants de tous les articles: nous nous bornerons à proposër pour les 23 ans de la Section III, deux corrections qui la redressent presque entièrement.
La première de ces corrections, admise déjà par plusieurs chronologistes, porte sur le règne d'Ozias, qui a reçu 10 ans de trop par suite d'une phrase équivoque, et qui a compté 52 au lieu de 42. Le texte dit3, «qu'après plusieurs années d'un règne glorieux, Ozias, surnommé Azarias, fut frappé de la lèpre; qu'il la garda jusqu'à sa mort, et que (selon là loi) il vécut séparé dans une maison écartée. Pendant ce temps Joathan, son fils, jugea le peuple à sa place [dans le palais du roi4].» En style hébraïque, juger c'est régner: ainsi Joathan régna à la place de son père encore vivant. Et combien de temps jugea-t-il? et auquel du père ou du fils le temps de ce règne a-t-il été compté? Plusieurs critiques ont fait cette question; en la répétant après eux, nous pensons que ce temps équivoque fut de 10 années, et que c'est lui qui, compté au père et au fils, a introduit un quiproquo de 10 ans; qui se montre partout. L'état primitif et vrai est qu'Azarias régna 42 ans seul, et 10 ans avec son fils: total 52. Joathan régna 6 ans seul et 10 avec son père: total 16. Mais pour ne l'avoir pas distingué, le rédacteur s'est jeté dans un dédale de contradictions: ces 10 ans et ces 6 ans sont si bien le nœud de la difficulté et le vrai moyen de solution, que sans cesse on les voit reparaître dans l'analyse et la décomposition des règnes: ce sont ces 10 ans qui ont occasioné la fausse date de l'avènement d'Ozias, placé à l'an 27 de Jéroboam au lieu de l'an 17 (ci-dessus). Ce sont eux qui ensuite ont réagi sur Zacharias, et l'ont fait succéder à Jéroboam l'an 38 au lieu de l'an 28 d'Ozias. Ce sont encore ces 10 ans qui, soustraits à l'âge de Joathan, âgé de 35 ans au lieu de 25, quand il règne avec son père, lui font engendrer à 16 ans, au lieu de 26, son successeur Achaz, qui à son tour resserré de ces 10 ans, engendra à 10 ans au lieu de 20. En rétablissant le règne d'Ozias seul à 42, et celui de Joathan, son fils, à 16, dont 10 du vivant d'Osias, tout rentre dans l'ordre; mais il reste encore aux rois de Juda un excès de 13 ans.
Ici l'autorité du célèbre manuscrit alexandrin, que nous verrons par la suite restituer au règne d'Amon, fils de Josiah, 10 ans qui lui ont été mal à propos enlevés, nous fournit le moyen d'en regagner 8 sur le règne de Phakée 1er; car au lieu de 2 ans que les textes vulgaires donnent à ce prince, fils de Manahem, ce manuscrit lit 10 ans. Cette même lecture se trouve dans Eusèbe (Chronicon, page 24) et, qui plus est, dans le Syncelle (page 202). Cette fois-ci il la préfère à celle d'Africanus, qu'il remarque ne donner que 2 ans à ce prince (comme le texte hébreu). Par conséquent beaucoup de manuscrits grecs des plus anciens se sont accordés à donner 10 ans à Phakée Ier; ce qui restitue 8 ans de plus à la branche d'Israël, et ne lui laissé plus qu'un déficit de 5 ans, ou plutôt de 3 ans et demi vis-à-vis celle de Juda; et parce que les deux premières sections d'Israël ont un excès de 4 ans, il se trouve que les trois sommes additionnées et compensées donnent 249 ans, ce qui ne différe que d'une seule année de la somme des rois de Juda, laquelle est de 250.
Ici se presentent quelques réflexions dictées par le sujet. Comment concilier, par exemple, les hautes idées que l'on a voulu se faire de l'origine et de la nature de ces livres juifs avec l'inexactitude, les négligences, les fautes matérielles de leur rédaction? et ces vices, l'on ne peut les mettre tous à la charge des copistes: si les calculs eussent été clairs et bien ordonnés, si les sommes partielles eussent été contrôlées par une addition résumée, les copistes n'eussent point commis tant de divagations. Ce désordre de la Chronique des Rois est une preuve sensible qu'aucune autorité publique n'a présidé à sa confection; qu'elle n'est point un ouvrage officiel, mais le travail volontaire d'un ou de plusieurs individus, sans caractère authentique, et dont le nom, par cela même, n'a point été apposé. Il est facile de concevoir comment les choses ont pu se passer. Tant que la puissance nationale subsista, les registres royaux, cités dans la Chronique, furent tenus avec plus ou moins d'exactitude, et il y eût des annales régulières et authentiques; mais quand les étrangers eurent violé le trône et brisé le sceptre; lorsque le roi d'Égypte, Nekos, maître de Jérusalem, eut déposé le roi et fouillé le trésor; lorsque le roi de Babylone, surtout, eut enlevé les vases, les ornements, pillé tous les genres de richesses et de monuments conservés; lorsqu'il eut déporté toutes les principales familles, on sent que dans la dévastation d'une ville prise d'assaut, d'un palais saccagé, d'un temple brûlé, la conservation des livres fut un soin secondaire, abandonné au zèle personnel et gratuit de quelque lettré, et par suite livré à tous les hasards qu'un ou plusieurs individus courent au milieu des calamités d'une guerre terrible..... Nombre de livres durent être vendus, brûlés, dispersés. Au retour de la captivité, tout débris échappé au naufrage devint plus précieux; mais des manuscrits volumineux et dispendieux durent exciter peu d'intérêt, et trouver peu d'amateurs dans une nation ignorante et ruinée. Il fallut que le sort suscitât quelque individu qui, réunissant le goût de la chose et les moyens d'exécution, fit l'abrégé où l'extrait que nous possédons: quels furent ses matériaux et quel fut son art d'en user? Voilà ce dont on ne peut juger que par l'induction de ce qui nous reste. Si cet individu eût été un homme de marque comme Esdras, il eût été connu et cité; si ses matériaux eussent été complets et passablement en ordre, il n'eût eu qu'à les classer; s'il eût eu l'esprit méthodique et la critique nécessaire à éclaircir les difficultés, il eût rédigé son travail avec une clarté qui n'eût pas permis tant de divagations aux copistes. Par exemple, s'il eût exprimé la durée positive du règne de Saül, cette durée se trouverait-elle en lacune dans tous les manuscrits sans exception et dans toutes les versions, à commencer par la version grecque sous Ptolomée? et s'il eût exprimé la durée totale des rois de Jérusalem, éprouverions-nous les variantes et les discordances où nous la voyons flotter? Cette omission capitale est la cause de tout le désordre de leur liste, en même temps qu'elle semble l'effet de l'hésitation et de l'incertitude du compilateur, qui n'a osé prononcer. Des copies premières ayant été faites de son manuscrit, ses premiers lecteurs en auront fait la remarque: l'on aura fait quelque calcul, quelques recherches; une opinion orale se sera établie entre les docteurs; quelque savant aura coté sur sa copie la somme qu'il aura crue vraie..... Supposons 473: par le laps du temps, par les effets des guerres et la dispersion des Juifs, cette tradition se sera perdue..... Quelques docteurs auront trouvé de l'équivoque dans le texte réellement vague qui est relatif au règne d'Ozias et à l'association de son fils..... Les uns auront compté les 10 ans de l'association, en dehors; les autres, en dedans du règne du père: un surplus de 10 ans se sera introduit; une branche de manuscrits aura compté 483; une autre branche soutenant le nombre 473, l'on aura voulu retirer les 10 ans de trop, et la soustraction sera tombée sur le règne d'Amon, fils de Josias, ainsi que nous le verrons; ces variantes doivent être très-anciennes, puisque nous les trouvons dans la version grecque de Ptolomée et dans l'historien Josèphe, dont les contradictions semblent tenir à la diversité des manuscrits qu'il a consultés et suivis, en exceptant néanmoins l'opinion qui lui fut imposée par la Synagogue asmonéenne dont il fut membre. Ces contradictions ne sont pas sans quelque résultat utile dans notre question; mais pour en saisir le fil il est nécessaire de remonter au règne de Saül.
La durée de ce règne, telle que l'énonce le texte hébreu, est absolument inadmissible.
«Saül [dit ce texte5] était âgé d'un an lorsqu'il régna, et il régna deux ans.» D'abord nous observons que le texte mot à mot ne dit pas d'un an, mais de..... an, laissant le nombre en lacune; et il n'est pas permis de traduire un sans le mot ahad, qui l'exprime. La première de ces données est si choquante, que personne n'a osé la défendre, au sens littéral: quelques interprètes ont recouru à des sens mystiques et allégoriques, qui ne signifient rien. La seconde est si contraire à tout l'historique du règne de Saül, qu'il est incontestable qu'une altération, ou plutôt une lacune existe ici dans le texte. Or, telle est l'antiquité de cette lacune, que la version grecque d'Alexandrie n'osant admettre deux données si absurdes, a préféré de supprimer le verset entier. Aucun manuscrit grec connu n'y supplée, et ceci fait peu d'honneur à l'exactitude des prétendus 70 docteurs: pour remplir l'omission et surtout pour corriger l'erreur seconde, les chronologistes ont invoqué deux écrivains juifs; l'un est l'historien Fl. Josèphe, qui dans ses Antiquités judaïques, dit6: que Saül régna 18 ans du vivant de Samuël, et 22 ans après la mort de ce prophète.... Par conséquent Saül aurait régné 40 ans; mais plusieurs graves objections s'élèvent contre cette donnée: tous les critiques sont d'accord que les manuscrits de Josèphe ont subi des altérations considérables dans leurs chiffres, de la part des copistes qui y ont porté des motifs de piété. Or, dans le cas présent, outre que les manuscrits dans l'idiome grec sont trop peu nombreux pour faire autorité, nous avons la version latine que le prêtre Rufin, ami de saint Jérôme, fit du texte grec de Josèphe, vers le temps du concile de Nikée; et cette version, qui sert de contrôle à nos manuscrits actuels, les dément ici...., car elle porte: «Saül régna 18 ans du vivant de Samuël et 2 ans (seulement) après la mort de ce prophète;» ce qui ne fait en tout que 20 ans.
De plus, Josèphe dans un autre passage7 des mêmes manuscrits grecs, corrige l'erreur des 22 ans, lorsque, récapitulant la durée des rois de Jérusalem, il dit: «Et ces rois régnèrent pendant «un espace de 514 ans, 6 mois, 10 jours, sur lesquels Saül, premier roi, mais qui ne fut point du sang de David, régna 20 ans.» La version de Rufin porte les mêmes nombres de 514 et 20: par conséquent les 22 du premier passage sont évidemment une erreur, ou plutôt une altération du copiste, qui a eu un motif que nous allons bientôt voir.
On peut demander où Josèphe a puisé cette instruction: nous ne dirons pas, dans les écrits des Juifs de son temps, qui furent très-ignorants; mais nous pensons qu'ici et dans plusieurs autres cas, il a emprunté d'un historien grec qui paraît avoir été bien instruit de ce qui concerne les Juifs. Cet historien est Eupolème, qu'il cite avec éloge dans son livre contre Appion8, et dont Eusèbe, parmi plusieurs fragments9, cite celui-ci: «Eupolème dit que Saül mourut vers la 21e année de son règne, que David régna 40 ans, etc.....» Eupolème nous est désigné comme la source où Alexandre Polyhistor puisa la plupart de ses récits sur les Assyriens et sur les Juifs; et Alexandre Polyhistor ayant vécu du temps de Sylla, il s'ensuit qu'Eupolème a pu vivre un siècle avant lui; et comme il paraît avoir beaucoup voyagé, il aura visité Alexandrie, y aura conversé avec des docteurs juifs qui, dans ce foyer de la traduction grecque, exécutée peut-être un siècle avant eux, ont pu avoir recueilli de bonnes traditions ou des notes marginales tirées de manuscrits anciens. Toujours est-il vrai que les fragments d'Eupolème portent un cachet particulier d'instruction sur les Juifs. Quant à la durée totale des rois de cette nation, que nous évaluons à 473 ans, non compris Saül, et à 493 en y ajoutant ce prince, cette somme ne diffère de celle du texte hébreu, qu'en ce qu'il ôte au roi Amon 10 ans que nous verrons lui appartenir dans l'article des Assyriens, et qu'il double les 10 ans premiers de Joathan que nous simplifions; cette identité autorise à croire que notre calcul est l'ancien et véritable; et il semble avoir été celui de l'historien Josèphe, en écartant les altérations et les contradictions de ses principaux passages. Par exemple, sa liste détaillée que nous présentons dans le tableau ci-joint, donne, selon la traduction latine de Rufin, un total de 492 ans; et si l'on compte pour 40 ans Joas qu'il ne compte que pour 39, l'on a juste 493 ans.
Il est vrai que sa liste grecque diffère beaucoup puisqu'elle compte 533 ans, Saül n'étant porté que pour 20..... Mais il y a erreur manifeste sur Salomon, qu'il porte pour 80, et qui, selon tous les textes, n'a que 40 ans. Supprimez ces 40 de 533, il vous reste 493, nombre vrai.
Nous avons vu que dans un autre passage Josèphe donne aux rois10 de Jérusalem 514 ans de durée, y compris les 20 de Saül: voilà une contradiction palpable avec les 533 de sa liste grecque, et un excès de 20 ans sur les 493 de sa liste latine. N'est-il pas à croire qu'ici il a compté Salomon pour les 40 ans qui lui appartiennent, mais que les copistes ont ajouté à Saül les 20 ans nécessaires à compléter les 40 qu'ils ont voulu établir? Alors cette altération serait antérieure à Rufin même, et l'on voit quels embarras des copistes infidèles jettent dans les textes des écrivains. Eh! comment cette audace n'aurait-elle pas existé dans des temps de barbarie, et dans le secret des copies écrites à la main, quand de nos jours Havercamp a osé introduire dans son édition imprimée, une altération choquante, un faux matériel, en écrivant 522 dans sa traduction latine, au lieu de 532 que porte le grec imprimé à coté11!
Le second écrivain invoqué par les chronologistes pour soutenir les 40 ans de Saül, est l'auteur des Actes des Apôtres. Cet anonyme fait dire (ch. XIII) à saint Paul, haranguant dans Antioche de Pisidie, que «Dieu ayant livré à nos pères le pays de Kanaan, leur donna des juges pendant environ 450 ans jusqu'à Samuel; puis, lorsqu'ils lui demandèrent un roi, il leur donna Saül pendant 40 ans.»
Ces deux nombres ont causé beaucoup d'embarras aux écrivains ecclésiastiques, parce que le premier est en contradiction formelle avec le Livre des Rois, qui dit que «depuis la sortie d'Égypte jusqu'à la fondation du temple, il ne s'écoula que 480 ans.» Saint Paul en supposerait plus de 570; et parce que le second ne se trouve dans aucun autre livre canonique, l'on ne conçoit pas d'où saint Paul l'a tiré. Cette difficulté, traitée théologiquement, nous paraît réellement insoluble; mais si nous l'examinons selon les principes naturels et généraux de la critique historique, nous demanderons d'abord quel est cet auteur des Actes, inconnu de temps et de lieu; quelles preuves fournit-il de l'authenticité de son livre, de l'époque même où il a paru, de la présence de son auteur au discours de saint Paul, de son exactitude à recueillir et à coter les nombres donnés par l'Apôtre? et parce que l'on ne peut rien répondre de satisfaisant à toutes ces questions, nous disons que ces nombres reposent uniquement sur la garantie personnelle d'un inconnu, sans date ni titre; que ces 450 ans résultent d'une manière d'évaluer le temps des juges que nous exposerons à leur article; et que les 40 ans de Saül semblent venir de la même source talmudique que les 80 ans de Salomon, système de doublement dont il existe encore d'autres exemples: néanmoins nous ne dirons pas que l'anonyme ait copié Josèphe; au contraire, nous sommes persuadés que c'est pour se conformer à ce passage des Actes des Apôtres, que les copistes dévots ont altéré celui de Josèphe, où le grec porte 22 au lieu de 2. Quoi qu'il en soit de l'origine de ces fautes, une analyse exacte de la vie de Saül achevera de démontrer que ce prince n'a pu et dû régner que 20 ans et non pas 40.
David avait trente ans lorsqu'après la mort de Saül il commença de régner à Hébron. (Sam. lib. II, c. V.) Il dut en avoir au moins 20 lorsqu'il fut présenté à ce roi pour combattre le géant; car lorsque Saül lui représente qu'il est jeune, tandis que son rival est un homme fait et expérimenté12, David lui répond que déja il a de ses mains étranglé un ours et un lion. Et peu auparavant l'officier, qui le recommande à Saül, avait dit que David était un jeune homme grand et fort13, propre à la guerre; ce qui ne saurait se dire d'un jeune garçon de 15 ou même de 18 ans. De là il s'ensuit que David vécut environ 10 ans avec Saül; donc Saül a dû commencer sa règne 10 années auparavant; et lorsqu'on lit attentivement son histoire depuis les chapitres VIII et IX, l'on est convaincu, que ces 10 années ont suffi à tous les événements, qui sont: 1º la guerre contre Nahas, roi des Ammonites, guerre qui fut la cause de l'élection de Saül: «Au bout d'un mois», est-il dit (ch. XI), «il marche au secours de la ville de Iabès, bat les Ammonites; et parce que sa première élection avait eu des opposants, Samuel profite de l'enthousiasme des Hébreux vainqueurs pour sacrer Saül une seconde fois…14» Après cette guerre d'une seule campagne, vient celle des Philistins, où, dès le début, son fils Jonathas se montre un guerrier aussi vigoureux que brave, ce qui comporte au moins 20 ans: par conséquent Saül, quand il régna, dut avoir au moins 41 ans; et si le texte actuel nous dit qu'il était âgé de 1 an, c'est sûrement parce que le premier chiffre 4 a disparu, et qu'originairement il y avait 41. Cette première donnée, qui se fonde sur des faits positifs, exclut les 40 ans de règne; car Saül aurait eu 80 ans lorsqu'il périt, tandis que le récit de sa mort le représente encore comme un guerrier plein de vigueur, et peint son fils Jonathas (qui aurait dû à cette époque avoir 60 ans), comme un homme d'environ 40 ans qui venait d'avoir un enfant (Miphiboseth). Ajoutez que Nahas, ce roi ammonite contre qui marche Saül, ne meurt que vers l'an 12 ou 15 de David (lib. II, c. X), en sorte qu'il eût régné plus de 55 ans, chose presque impossible dans un siècle où, pour être roi, il fallait étre déjà un homme de guerre. La guerre des Philistins occupe un ou tout au plus deux étés (ch. XIV); Saül, pour s'affermir, laisse tranquilles les Philistins trop puissants; mais pour tenir son peuple en haleine, il attaque 1º les Moabites, 2º les Ammonites, 3º les Iduméens, tous peuples pasteurs assez faibles; 4º les Syriens de Soba (au nord de Damas, vers Halep); puis il revient aux Philistins, et enfin à son expédition contre les Amalékites, par suite de laquelle l'impérieux Samuel le disgracie et sacre le jeune David. Or, si l'on fait attention qu'alors chez les Hébreux organisés à la manière des Druses de nos jours, il n'y avait point de troupes soldées subsistantes, mais que la guerre se faisait par convocation et levée en masse à chaque printemps, qu'elle ne durait ordinairement qu'une campagne, et n'était qu'une incursion de pillage pour récompenser les combattants; ces six ou sept guerres n'ont pu emporter plus de 9 à 10 ans, et par conséquent Josèphe paraît avoir eu raison de n'évaluer le règne total de Saül qu'a 20 années. Or, comme réellement c'est vers la fin de son règne qu'arrive la mort de Samuel15, tout concourt à prouver la vraisemblance des assertions de l'historien juif.
Les douze années de judicature qu'il attribue à Samuel, sont également très-probables; car supposons que ce prophète soit mort à 70 ou 72 ans, il aura abdiqué de 52 à 54; à cette époque (ch. XII), Samuel demandant au peuple assemblé un témoignage solennel de la pureté de sa gestion, il dit qu'il a les cheveux déja blancs: pour un homme d'État, usé d'affaires et de soucis depuis sa jeunesse, cette circonstance convient à cet âge. Ce serait donc vers 40 ou 42 qu'il aurait commencé de juger, et cela à l'époque de l'assemblée de Maspha. Or, 20 ans et 7 mois avant cette assemblée, avait eu lieu la bataille d'Aphek16, où les Philistins prirent l'arche, tuèrent les deux fils d'Héli, qui lui-même périt en apprenant ces désastres. Samuel à cette époque aurait eu environ 20 ans; et réellement lorsque l'on compare avec attention divers faits de sa jeunesse contenus dans les premiers chapitres; lorsqu'on examine avec défiance par quelles manœuvres habiles et secrètes, il parvint à supplanter la famille d'Héli; comment les vexations des enfants de ce grand-prêtre leur ayant suscité un parti ennemi, ce parti jeta ses vues sur Samuel pour les écarter du sacerdoce; comment un homme inspiré de Dieu, et protecteur secret du jeune Samuel, fit d'abord des remontrances à Héli, et lui annonça que Dieu écarterait sa maison du sacerdoce pour y placer un étranger qui serait l'objet de l'envie de sa famille; comment peu de temps après, Samuel prétendit avoir entendu la voix de Dieu qui lui tint exactement le même discours17; comment cette apparition ébruitée le fit regarder comme l'élu de Dieu et le successeur désigné d'Héli; enfin lorsque l'on considère dans tout le cours de sa vie, combien son caractère fut impérieux, dissimulé et jaloux de puissance, l'on pensera que dans l'anecdote de la vision du chapitre III, il joua un rôle habile et profond qui exige au moins l'âge de 20 ans.... Chez les Juifs, où il fallait 30 ans pour être sacrificateur, il fut encore trop jeune pour remplacer le grand-prêtre; mais il employa ce temps à se faire des partisans et à augmenter son crédit contre la famille puissante d'Héli: quand il se crut assez fort, il leva l'étendard à Maspha, âgé alors de 40. Dix ans après, vers l'âge de 50, il établit ses deux fils juges en une petite ville, pour accoutumer le peuple à leur obéir, et il put déjà avoir des enfants de 25 ans; mais leurs prévarications ayant excité des murmures, son ambition fut déçue, et il fallut que malgré lui il nommât un roi, d'où il résulta, dans l'organisation politique des Hébreux, un changement tout-à-fait semblable à celui qui, au Japon, substitua le Cubo au Daïri; c'est-à-dire, que tout le pouvoir exécutif passa de la main des prêtres aux mains laïques et militaires.
Deux autres contradictions se présentent encore dans Josèphe relativement à la durée des rois juifs: «Le temple, nous dit-il (lib. X, cap. 8), fut brûlé par Nabukodonosor l'an 18 de son règne, 11e de Sédéqiah, 470 ans 6 mois après sa fondation (par Salomon)». D'abord le Livre des Rois atteste que le temple fut brûlé l'an 19 de Nabukodonosor, par Nabuzardan, l'un de ses généraux; ensuite ces 470 ans sont une erreur manifeste: car le temple ayant été fondé l'an 4e de Salomon, si de la durée totale des rois 493 nous retranchons, 1° les 20 ans de Saül, 2° les 40 de David, 3° les trois premières années de Salomon, total 63; il ne nous reste que 430 et non pas 470 ans; or la différence de 430 à 470 est précisément de ces 40 ans, dont Josèphe a surchargé sans raison, le règne de Salomon, qu'il porte à 80 ans au lieu de 40… Mais si nous comptons ces 470 à reculons, c'est-à-dire en rétrogradant depuis l'an 11 de Sédéqiah, nous trouverons que leur première année coïncide juste à l'an 4 de David, au lieu de l'an 4 de Salomon. Cette méprise ne peut venir que de Josèphe… elle se reproduit au liv. XX, chap. 9, lorsqu'il dit: «Il y a eu dix-huit grands-prêtres depuis la fondation du temple jusqu'à sa ruine, par Nabukodonosor, en un espace de 466 ½.» Voilà encore une variante de 4 ans qui ne peut venir que de cet auteur: il est remarquable que ces 466 ½ comptés en remontant, tombent juste à l'an 8 de David, c'est-à-dire à la 1re année de l'occupation de Jérusalem, lorsque l'arche y fut transférée par ce prince; et cela en comptant Salomon pour 40 ans seulement, ce qui est exact en tout point. Au reste ce passage a le mérite d'indiquer que la liste des grands-prêtres a été un monument particulier, indépendant de toute autre chronique, duquel Josèphe, en sa qualité de fils de prêtre, a eu connaissance, mais dont il a fait emploi sans le discuter ni le confronter à ses autres calculs et autorités.