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Kitobni o'qish: «Récits d'une tante (Vol. 3 de 4)»

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SEPTIÈME PARTIE
De 1820 à 1830

CHAPITRE I

Mes habitudes et mes habitués. – Récompense nationale au duc de Richelieu. – La reine de Suède le suit dans son voyage. – Salon de la duchesse de Duras. – Goût de madame de La Rochejaquelein pour la guerre civile. – Madame de Duras se fait auteur. – Mariage de Clara de Duras. – La duchesse de Rauzan.

J'aurai moins occasion dorénavant de parler de la politique des Cabinets; la retraite de mon père en éloignait ma pensée. Le désir de le tenir au courant m'avait, depuis quelques années, encouragée à m'enquérir des affaires publiques avec soin. Privée de ce stimulant d'un côté et assez refroidie par les événements de l'autre, je cessai de m'en occuper avec le même zèle.

Il m'arrivait bien de temps à autre quelque confidence, quelque révélation de dessous de cartes; mais je ne prenais plus la peine de m'informer de leur exactitude, de remonter aux sources, de suivre les conséquences et les résultats; et, hormis que j'en causais plus volontiers que les personnes qui n'y avaient jamais pris intérêt, hormis que je n'adoptais pas sans examen les nouvelles qui flattaient mes désirs, je n'étais guère mieux informée que tout le gros des gens du grand monde.

J'avais arrangé ma vie d'une façon qui me plaisait fort. Je sortais peu et, lorsque cela m'arrivait, ma mère tenait le salon, de sorte qu'il était ouvert tous les soirs. Quelques habitués s'y rendaient quotidiennement, et, lorsque l'heure des visites était passée, celle de la conversation sonnait et se prolongeait souvent très tard.

De temps en temps, je priais du monde à des soirées devenues assez à la mode. Mes invitations étaient verbales et censées adressées aux personnes que le hasard me faisait rencontrer. Toutefois, j'avais grand soin qu'il plaçât sur mon chemin celles que je voulais réunir et que je savais se convenir. J'évitais par ce moyen une trop grande foule et la nécessité de recevoir cette masse d'ennuyeux que la bienséance force à inviter et qui ne manquent jamais d'accourir au premier signe. Je les passais en revue, dans le courant de l'hiver, par assez petite portion, pour ne pas en écraser mon salon. L'incertitude d'y être prié donnait quelque prix à ces soirées et contribuait plus que tout autre chose à les faire rechercher.

Je voyais les gens de toutes les opinions. Les ultras dominaient dans les réunions privées, parce que mes relations de famille et de société étaient toutes avec eux; mais les habitués des autres jours se composaient de personnes dans une autre nuance d'opinion.

Nous étions les royalistes du Roi et non pas les royalistes de Monsieur, les royalistes de la Restauration et non pas les royalistes de l'Émigration, les royalistes enfin qui, je crois, auraient sauvé le trône si on les avait écoutés.

Je le reconnais, toutefois, nous-mêmes trouvions alors le ministère Decazes tombé dans l'ornière de gauche et prêtant une oreille trop bénévole aux théoriciens de la doctrine dont la plupart mettaient leurs arguments au service de leurs intérêts. Bien des gens auraient voulu se rallier autour du duc de Richelieu pour faire contrepoids à cette tendance qui effrayait. Non seulement il ne le désirait pas, mais encore il s'y refusait et s'était éloigné.

Monsieur Decazes, un peu repentant peut-être de sa conduite envers le duc, s'occupa avec empressement de lui faire décerner une récompense nationale; mais les germes d'ingratitude, soigneusement semés depuis quelques mois, avaient fructifié; et, lorsqu'on voulut faire valoir des services qu'on avait pris tant de peine à déprécier, on ne trouva nulle part assez d'élan pour résister aux malveillances des oppositions de l'extrême gauche et de l'extrême droite. Au lieu d'être votée d'acclamation, la récompense nationale fut discutée, disputée et ne passa qu'à une faible majorité.

Monsieur de Richelieu, le plus désintéressé des hommes, fut profondément blessé de la forme de cette transaction. Il employa la somme votée par les Chambres à une fondation dans la ville de Bordeaux. Accoutumé à la frugalité et à la simplicité, ses revenus personnels suffisaient de reste à ses besoins.

Il était entré à l'hôtel des affaires étrangères apportant tout son bagage dans une valise; il en sortit de même; mais, malgré cette modestie, il se sentait autant qu'homme de France. Il se souciait peu que ses services fussent mal rémunérés, mais il était cruellement blessé qu'ils ne fussent pas mieux appréciés.

Il était donc profondément dégoûté des affaires et ne voulait y rentrer ni comme chef d'opposition, ni, encore moins, comme chef du gouvernement. C'était un forçat délivré de ses chaînes et il formait le bien ferme propos de ne jamais les reprendre.

Le désir de jouir de la liberté qu'il avait reconquise l'engagea à faire un voyage dans le Midi. Il ne s'attendait guère à la nouvelle persécution qu'il allait y trouver.

La femme de Bernadotte avait passé l'hiver de 1815 en Suède. La rigueur du climat ayant excité une maladie cutanée qui se porta sur son visage, cette espèce de lèpre, jointe aux regrets qu'elle conservait de Paris, lui avait rendu l'habitation de Stockholm si intolérable qu'elle n'avait pu consentir à y prolonger son séjour. Elle était établie à Paris, dans son hôtel de la rue d'Anjou où elle avait une espèce d'existence amphibie. Ses gens et l'ambassadeur du Roi son époux l'appelaient Votre Majesté, le reste de l'univers madame Bernadotte.

Louis XVIII la recevait le matin dans son cabinet pour rendez-vous d'affaires. Elle n'allait pas chez les autres princes, ni à la Cour. Du reste, elle faisait des visites à ses anciennes amies sur le pied de l'égalité, et vivait dans une coterie assez restreinte. Je l'ai souvent rencontrée chez madame Récamier où elle n'avait en rien une attitude royale. Quoiqu'elle se fît annoncer: la reine de Suède, elle n'exigeait ni n'obtenait aucune distinction sociale.

Vers la fin du ministère de monsieur de Richelieu, elle eut quelque démarche à faire pour un de ses parents. Elle écrivit au ministre et lui demanda une audience. Monsieur de Richelieu se rendit chez elle (comme cela se pratiquait autrefois, par tous les ministres, pour toutes les femmes de la société, usage dont monsieur de Richelieu a seul conservé la tradition de mon temps). Il fut très poli. Ce que madame Bernadotte désirait réussit; il vint lui-même l'en informer. Elle l'invita à dîner; il accepta.

Il ne se doutait guère qu'il jetait les fondements d'une frénésie qui l'a poursuivi jusqu'au tombeau. Madame Bernadotte s'était prise d'une telle passion pour le pauvre duc qu'elle le suivit à la piste pendant son voyage. Cela commença par lui paraître extraordinaire. Il ne comprenait pas comment elle se trouvait toujours arriver trois heures après lui dans tous les lieux où il s'arrêtait.

Bientôt il ne put se dissimuler que lui seul l'y attirait et l'y retenait. L'impatience le gagna. Il cacha sa marche et ses projets, fit des crochets, choisit les plus tristes résidences, les plus méchantes auberges. Peines perdues, la maudite berline arrivait toujours trois heures après sa chaise de poste. C'était un cauchemar!

Il sentait, de plus, combien cette poursuite finirait par prêter au ridicule. Il trouva le moyen de faire savoir à la royale héroïne de grande route qu'il était décidé à retourner sur-le-champ à Paris si elle persistait à le suivre. Elle, de son côté, s'informa d'un médecin si les eaux que le duc devait prendre étaient essentielles à sa santé. Sur la réponse affirmative, elle se décida à faire trêve à ses importunités et passa la saison des eaux à Genève; mais, à peine fut-elle terminée, qu'elle se remit en campagne; et cette persécution qu'il espérait pouvoir mieux conjurer à Paris qu'ailleurs y ramena le duc, bien plus que l'ouverture de la session.

La maison de madame de Duras était toujours la plus agréable de Paris. La position de son mari à la Cour la mettait en rapport avec les notabilités de tout genre, depuis le souverain étranger qui traversait la France jusqu'à l'artiste qui sollicitait la présentation de son ouvrage au Roi. Elle avait tout le tact nécessaire pour choisir dans cette foule les personnes qu'elle voulait grouper autour d'elle; et elle s'était fait un entourage charmant, au milieu duquel elle se mourait de chagrin et de tristesse.

Le mariage de sa fille aînée avec monsieur de La Rochejaquelein lui avait été un véritable malheur. Elle y avait constamment refusé son approbation et ne consentit pas même à assister à la cérémonie, lorsque madame de Talmont, ayant atteint vingt et un ans, se décida à la faire célébrer. Le duc de Duras, quoique très récalcitrant, accompagna sa fille à l'autel.

Il est assez remarquable qu'elle s'est mariée deux fois le jour anniversaire de sa naissance, à l'époque juste où la loi le permettait. Le jour où elle a eu quinze ans, elle a épousé le prince de Talmont au milieu des acclamations de sa famille, et, le jour où elle en a eu vingt et un, elle a épousé monsieur de La Rochejaquelein, malgré sa réprobation.

Le grand mérite de monsieur de La Rochejaquelein, aux yeux de sa nouvelle épouse, était son nom vendéen et l'espoir qu'elle serait appelée à jouer un rôle dans les troubles civils de l'Ouest.

Félicie de Duras sortait à peine de l'enfance lorsque le manuscrit de monsieur de Barante (connu sous le nom des Mémoires de madame de La Rochejaquelein), circula dans nos salons. Ce récit s'empara de sa jeune imagination. Depuis ce temps, elle a constamment rêvé la guerre civile comme le complément du bonheur, et, pour s'y préparer, dès qu'elle a été maîtresse de ses actions, elle a été à la chasse au fusil, elle a fait des armes, elle a tiré du pistolet, elle a dressé des chevaux, elle les a montés à poil, enfin elle s'est exercée à tous les talents d'un sous-lieutenant de dragons, à la grande désolation de sa mère et à la destruction de sa beauté qui, avant vingt ans, avait succombé devant ce régime de vie.

Madame de La Rochejaquelein s'est donné depuis 1830 la joie de courir le pays le pistolet au poing, d'y fomenter des troubles, d'y attirer beaucoup de malheurs et de ruines. Je ne sais si la réalité de toutes ces choses lui aura paru aussi charmante que son imagination, les lui avait représentées; mais elle est plus excusable qu'aucune autre personne de s'être jetée dans la guerre civile, car c'était son rêve depuis l'âge de douze ans.

Sa belle-mère, la princesse douairière de Talmont, à qui le mariage avec monsieur de La Rochejaquelein plaisait, principalement, je crois, parce qu'il désolait la duchesse de Duras, conserva le nouveau ménage chez elle. Elle a laissé toute sa fortune à Félicie qu'elle semblait aimer passionnément et qui était encensée jusqu'à la fadeur dans le petit cercle de cet intérieur. Je lui ai entendu adresser cette phrase par un des habitués de sa belle-mère:

«Princesse, permettez-moi de prendre la liberté de vous dire que vous avez toujours parfaitement raison.» Je n'en ai jamais oublié l'heureuse rédaction.

Madame de Duras cherchait, quoique un peu honteusement, à recueillir la succession de madame de Staël. Elle était elle-même effrayée de cette prétention et aurait voulu qu'on la reconnût sans qu'elle eût à la proclamer. Ainsi, par exemple, n'osant pas arborer le rameau de verdure que madame de Staël se faisait régulièrement apporter après le déjeuner et le dîner et qu'elle tournait incessamment dans ses doigts, dans le monde comme chez elle, madame de Duras avait adopté des bandes de papier qu'un valet de chambre apportait in fiocchi sur un plateau après le café et dont elle faisait des tourniquets pendant toute la soirée, les déchirant les uns après les autres.

Elle s'occupait dès lors à écrire les romans qui ont depuis été imprimés et auxquels il me semble impossible de refuser de la grâce, du talent et une véritable connaissance des mœurs de nos salons. Peut-être faut-il les avoir habités pour en apprécier tout le mérite. Ourika retrace les sentiments intimes de madame de Duras. Elle a peint sous cette peau noire les tourments que lui avait fait éprouver une laideur qu'elle s'exagérait et qui, à cette époque de sa vie, avait même disparu.

Ses occupations littéraires ne la calmaient pas sur ses chagrins de cœur que l'attachement naissant de monsieur de Chateaubriand pour madame Récamier rendait très poignants, et ses chagrins de cœur ne suffisaient pas à la distraire de son ambition de situation.

Elle n'avait pas de garçon. Le second mariage de sa fille aînée l'avait trop irritée pour s'occuper de son sort. Elle reporta toutes ses espérances sur la seconde, Clara, à qui elle voulut créer une existence qui montrât à Félicie tout ce qu'elle avait perdu par sa rébellion.

Elle choisit Henri de Chastellux et obtint de lui qu'il consentirait à changer son nom pour celui de Duras, avec la promesse qu'en épousant Clara il hériterait du duché et de tous les avantages que les Duras auraient pu faire à leur fils. En conséquence, nous assistâmes à la messe de mariage du marquis et de la marquise de Duras, mais, lorsque nous revînmes le soir, la duchesse de Duras, à la suite d'une visite de monsieur Decazes, nous présenta, en leur place, le duc et la duchesse de Rauzan. C'était un ancien titre de la maison de Duras que le Roi avait fait revivre en faveur des nouveaux époux. Il avait voulu que ce présent de noces arrivât par l'intermédiaire du favori que la duchesse de Duras avait, malgré les répugnances de parti et les réticences de salon, employé pour obtenir que l'hérédité du titre et de la pairie du duc de Duras fussent assurés à Henri de Chastellux.

Il ne manqua pas de gens pour le blâmer d'avoir quitté un nom qui valait bien celui de Duras; mais, à mon sens, il s'est borné à mettre deux duchés et une belle fortune dans la maison de Chastellux, car ses enfants seront Chastellux, malgré les engagements contraires qu'il a pu prendre.

Madame de Duras se complut à entourer Clara de tous les agréments, de toutes les distinctions, de tous les amusements qui peuvent charmer une jeune femme, afin surtout de faire sentir à madame de La Rochejaquelein le poids de son mécontentement. Elle se vengeait comme un amant trahi, car toutes ses préférences avaient été pour Félicie et, même en cherchant à la tourmenter, elle l'adorait encore. Au surplus, elle ne parvint jamais à diviser les deux sœurs qui restèrent tendrement unies, à leur mutuel honneur, quoique l'aînée fût traitée comme une étrangère dans la maison paternelle où l'autre semblait posée sur un autel pour être divinisée.

Les contemporaines de madame de Rauzan ont établi qu'elle était fort bornée. Je ne puis être de cet avis. Elle a beaucoup de bon sens, un grand esprit de conduite; elle est très instruite, sait plusieurs langues dont elle connaît la littérature. Peut-être n'a-t-elle pas beaucoup d'esprit naturel, mais elle en a été tellement frottée pendant ses premières années qu'elle en est restée suffisamment saturée pour me satisfaire pleinement.

Je ne sais si je m'aveugle par l'affection que je lui porte, mais elle me paraît à cent pieds au-dessus de la plupart de celles qui la critiquent.

CHAPITRE II

La princesse de Poix. – Son salon. – Anecdote sur la princesse d'Hénin. – La comtesse Charles de Damas. – L'abbé de Montesquiou. – Le comte de Lally-Tollendal. – Salon de la marquise de Montcalm. – Rapports de famille du duc de Richelieu. – La duchesse de Richelieu. – Mesdames de Montcalm et de Jumilhac.

Quoique je restasse habituellement chez moi, je fréquentais pourtant deux salons, en outre de celui de madame de Duras, ceux de la princesse de Poix et de la marquise de Montcalm. J'étais accueillie chez madame de Poix avec une bonté extrême et je m'y plaisais.

Ce monde, absolument différent de celui auquel on était accoutumé, mais qui prenait encore vif intérêt à tous les événements du jour, représentait le siècle dernier, se mettant à la fenêtre pour voir passer celui-ci. Une jeune personne qui causait y devenait sur-le-champ l'objet d'une gâterie générale et d'acclamations obligeantes que, tout en les trouvant intempestives, on recevait très bénévolement; du moins, tel est l'effet qu'elles faisaient sur moi.

La princesse de Poix était la plus aimable vieille femme que j'aie rencontrée. Elle joignait aux grâces de l'esprit, aux douceurs du commerce le plus facile, un caractère digne et ferme qui la rendait également propre à être chef de famille et centre de la société. La conduite exemplaire de sa jeunesse lui donnait le droit d'être indulgente dans sa vieillesse, et elle en usait avec assez de discernement pour que sa protection fût honorable et secourable.

Elle est morte comblée d'ans, de respect et de considération, ayant survécu à toutes ses intimités et même à son fils, le duc de Mouchy dont la perte l'a cruellement éprouvée et a hâté sa fin. Elle supportait, depuis plusieurs années, un état de cécité complet avec une patience admirable, usant de tous les moyens rationnels d'adoucir cette calamité et se soumettant aux inconvénients irrémédiables avec la résignation courageuse et enjouée qui peut en atténuer la souffrance.

Madame de Poix n'ayant jamais émigré, son salon avait peu subi l'influence de la Révolution. Une partie des personnes qui s'y rencontraient chaque soir conservaient l'habitude quotidienne de s'y retrouver depuis quarante ans. Les autres, après une absence plus ou moins longue, étaient venues s'y rallier en se rangeant de nouveau aux formes et au ton dont la vieille maréchale de Beauvau était restée, jusqu'à très récemment, l'exemple et l'oracle. On se trouvait ainsi rattaché directement à la société du temps de Louis XV.

Les enfants et les petits-enfants de la princesse, après avoir dîné et passé quelque temps auprès d'elle, allaient chercher les plaisirs du grand monde vers neuf heures. Ils étaient remplacés par mesdames de Chalais, d'Hénin, de Simiane, de Damas, et messieurs de Chalais, de Montesquiou, de Damas, de Lally, etc. qui s'y réunissaient chaque soir. D'autres habitués étaient moins fidèlement exacts, et toute la bonne compagnie de Paris passait en visite dans ce salon.

Les personnes que j'ai nommées formaient la coterie proprement dite, d'ancienne date assurément, car, longtemps avant la Révolution, mesdames les princesses de Poix, de Chalais, d'Hénin et de Bouillon, étaient connues à la Cour sous le titre des princesses combinées.

Le ton de cette société était monté à un degré d'enthousiasme et à une sensiblerie pour les petites choses qui semblaient très exagérés à notre génération, rappelée à la simplicité par l'importance des événements, mais qui ne manquaient ni de grâce ni d'obligeance. Un mot un peu heureux, échappé dans la conversation, était relevé avec une approbation qui allait souvent jusqu'à l'applaudissement manuel. Les exclamations: Qu'elle est charmante! Qu'il a d'esprit! etc., se distribuaient en face fort bénévolement.

Madame de Staël avait conservé quelque chose de cette tradition; mais, plus jeune, elle l'arrangeait mieux aux habitudes du siècle dont elle avait davantage essuyé le frottement.

Dans le salon de madame de Poix, une histoire quelque peu attendrissante faisait couler une profusion de larmes; c'était aussi un reste d'habitude de la jeunesse de ces dames où les cœurs sensibles étaient fort à la mode.

On racontait de la princesse d'Hénin, qui professait un sentiment passionné pour madame de Poix, qu'un soir où celle-ci était fort souffrante, madame d'Hénin fut obligée de la quitter pour aller faire son service de dame du palais à Versailles. Le lendemain matin, madame de Poix reçoit une lettre de sa jeune amie: «Elle lui écrit n'ayant pu dormir de la nuit; elle a compté toutes les heures et, lorsque celle qui devait amener le redoublement a sonné, elle-même a ressenti une espèce de frisson. Elle en est tout épouvantée! Serait-ce un pressentiment? Elle ne peut résister à son trouble et fait partir un homme sur-le-champ. Elle ne vivra pas jusqu'au retour; de grâce qu'on la rassure, etc., etc.»

Madame de Poix, très touchée de l'état de madame d'Hénin, écrit en toute hâte qu'elle a passé une assez bonne nuit et fait entrer le valet de chambre pour lui remettre son billet:

«Allez vite porter ma réponse à madame d'Hénin… Elle a donc passé une bien mauvaise nuit?

– Je ne sais pas, princesse.

– Était-elle bien souffrante ce matin?

– On n'était pas entré chez elle quand je suis parti.

– Elle ne vous a donc pas donné sa lettre elle-même?

– Si fait, princesse, la princesse me l'a remise hier au soir.»

Madame de Poix rit un peu des frissons de son amie, mais cela ne changea rien à leur intimité qui s'est prolongée jusqu'à la mort. Il faut ajouter que madame d'Hénin était la plus affectée de toutes ces dames, et madame de Poix la plus naturelle aussi bien que la plus aimable et la plus raisonnable.

Madame de Simiane, dont j'ai déjà parlé au sujet de monsieur de Lafayette, avait été la jolie femme par excellence de la Cour de Louis XVI et conservait une grande élégance, beaucoup d'agrément et tout autant d'esprit qu'il en fallait pour être encore charmante dans sa gracieuse bienveillance.

Madame de Chalais, avec plus d'esprit, n'avait pas le même besoin de plaire, mais cependant beaucoup de bonté.

La comtesse Charles de Damas, moins vieille que ces autres dames et dont l'intimité était de relation plus que de sympathie, a toujours passé vis-à-vis de ses contemporaines pour avoir prodigieusement d'esprit. Je n'en ai jamais vu trace; mais je me récuse, ne pouvant avoir raison contre l'opinion générale. Toujours gémissante, toujours larmoyante, elle me représentait «la plaintive élégie en longs habits de deuil», et ses sentiments étaient trop affectés pour jamais m'émouvoir. Peu de jours avant ses couches, son mari la trouva toute en larmes:

«Qu'avez-vous, ma chère amie?

– Hélas! je pleure mon enfant.

– Hé! bon Dieu, quelle idée, pourquoi le perdriez-vous?

– Le perdre! ah! cette affreuse pensée me tuerait! Mais, hélas, ne vais-je pas m'en séparer?

– Vous en séparer? Vous comptez le nourrir.

– Il ne sera plus dans mes entrailles.»

Cette enfant, née d'entrailles si maternelles, n'a pas hérité de ces affectations. Elle est une des personnes les plus distinguées et les plus naturelles de mon temps. Je suis liée avec elle depuis notre mutuelle enfance. Elle avait épousé en premières noces monsieur de Vogué qui se tua en tombant de cheval.

Madame de Damas n'omit aucun soin pour entretenir la douleur de sa fille au plus haut degré de violence. Mais elle finit par s'affranchir et épousa César de Chastellux, le frère aîné d'Henry devenu duc de Rauzan.

Je reviens au salon de madame de Poix où madame de Chastellux, au surplus, se trouvait fréquemment.

L'abbé de Montesquiou y régnait. C'est encore une de ces personnes d'esprit que je n'ai jamais su apprécier. Je ne lui en refuse pourtant pas; mais il l'a employé à faire des sottises comme homme public et à se rendre insupportable par son aigreur comme homme privé.

Aussi, un certain monsieur Brénier, médecin de Nancy, député de la Chambre introuvable et qui avait été adopté par la société ultra à cause de la violence de ses opinions, disait-il un jour à l'abbé de Montesquiou, qui donnait un de ses coups de griffes aux ministres ses successeurs:

«Monsieur l'abbé, vous ne devriez jamais oublier que vous avez de très grands droits à être fort modeste.»

Cette brutalité expulsa le médecin de la société, et personne n'y perdit, car il était aussi absurde que grossier, mais le mot resta.

Monsieur de Lally a fait des requêtes, des mémoires, des discours, des tragédies, des satires, des panégyriques des morts, bien plus d'éloges des vivants. Je ne sais si rien de tout cela le mènera à la postérité. Ses contemporains l'ont appelé le plus gras des hommes sensibles, on aurait pu ajouter le plus plat des hommes bouffis. Peut-être cela tenait-il à l'affaiblissement de l'âge, mais je ne l'ai jamais vu que plein de ridicules et d'affectation, répandant des larmes à tout propos, pleurant sur l'enfance, pleurant sur les vieillards, pleurant pour la gloire, pleurant pour la défaite, pleurant de joie, pleurant de tristesse, enfin toujours pleurnichant. Je le voyais beaucoup au Palais-Royal, où il jouait son grand jeu, interrogeant tous les enfants, jusqu'à ceux au maillot, s'attendrissant de leurs réponses, et les encensant avec un excès de flatterie qui n'avait pas cours en ce lieu.

Je ne parlerai pus des autres hommes de la société de madame de Poix. Quelques-uns s'étaient renouvelés depuis la Révolution et n'appartenaient pas à son temps. Messieurs de Chalais et de Damas étaient de fort bons et loyaux personnages, mais nullement remarquables.

Le salon de madame de Montcalm était composé de gens de notre âge, et, jusqu'à la mort de son frère le duc de Richelieu, il a eu une teinte politique très marquée.

Le duc de Richelieu avait été marié, a dix-sept ans, à mademoiselle de Rochechouart qui en avait douze. Selon l'usage du temps, on l'avait envoyé voyager. Pendant les trois années de son absence, il recevait de fréquentes lettres de sa jeune épouse, remplies de grâce et d'esprit. À son instante prière, elle lui envoya son portrait où il retrouva les traits, un peu plus développés, du petit minois enfantin gravé dans son souvenir.

Madame la comtesse de Chinon (c'est le nom que portait le jeune ménage) ayant accompli sa quinzième année, le mari fut rappelé. Plein d'espérance, il débarqua à l'hôtel de Richelieu. On vint au-devant de lui sur l'escalier.

Le vieux maréchal, son grand-père et le duc de Fronsac, son père, avaient placé entre eux un petit monstre de quatre pieds, bossue par devant et par derrière, qu'il présentèrent au comte de Chinon comme la compagne de sa vie. Il recula de trois marches et tomba sans connaissance sur l'escalier. On le porta chez lui. Il se dit trop souffrant pour paraître au salon, écrivit à ses parents sa ferme détermination de ne jamais accomplir un hymen qui lui répugnait si cruellement, fit demander des chevaux de poste dans la nuit même, prit en désespéré la route d'Allemagne et alla faire les campagnes de Souvarow contre les Turcs.

La duchesse de Fronsac, seconde femme de son père, avait trouvé moyen de pénétrer jusqu'à lui, pendant son court séjour à Paris et de lui présenter deux petites sœurs charmantes, dont il emporta le gracieux souvenir.

Lorsque, quinze ans plus tard, la tourmente révolutionnaire étant un peu calmée, il obtint par la protection de l'empereur Paul Ier, au service duquel il était entré, la permission de venir faire un voyage en France sous le consulat de Bonaparte, il rapporta cette agréable image, et retrouva deux petites bossues qui ne cédaient guère à sa femme dans leur tournure hétéroclite. Toutefois, mieux aguerri, il ne prit pas la fuite.

Ce ne fut qu'après avoir vendu ses biens, payé les dettes de la succession et distribué sa part de l'héritage paternel à ses deux sœurs qu'il reprit le chemin de la Crimée où il s'occupait à fonder la ville d'Odessa.

La difficulté des communications, pendant la Révolution, avait tenu le duc de Richelieu dans la même ignorance sur la tournure de ses sœurs que la discrétion mal entendue de sa famille sur celle de sa femme. Il lui en était resté une sorte de répugnance instinctive pour les bossues.

Longtemps après, ayant été nommé tuteur de sa nièce, mademoiselle d'Hautefort, devenue baronne de Damas, et la trouvant aussi contrefaite, il ne put s'empêcher de s'écrier en serrant la main d'un homme de ses amis:

«Ah! par Dieu, c'est trop fort, je suis donc né pour être poursuivi, enguignonné de bossues!»

Si le petit monstre de quinze ans, présenté à monsieur de Richelieu, lui avait inspiré une répugnance invincible, son propre aspect, en revanche, avait produit un effet bien différent. Son air noble, sa charmante figure avaient confirmé l'impression préparée par une correspondance tendre qui se poursuivait fort activement entre les deux jeunes époux.

Sous une enveloppe si hideuse, madame de Richelieu portait un esprit élevé et un cœur généreux. Elle ne s'occupa qu'à réconcilier les deux familles à la fuite intempestive de monsieur de Richelieu, offrit à celui-ci de l'assister dans toutes les tentatives pour faire casser son mariage et accepta comme une faveur le refus qu'il en fit. Avertie par la conduite de son mari des disgrâces personnelles que la tendresse de ses parents avait cherché à lui dissimuler, elle ne voulut pas s'exposer aux dédains du monde et à la pitié des indifférents. Elle se retira dès lors dans une belle terre (Courteilles), à vingt lieues de Paris, qu'elle a constamment habitée jusqu'à sa mort.

Quoique bien jeune encore au moment où la Révolution éclata, ses vertus lui avaient déjà acquis de l'influence; elle l'employa à maintenir la tranquillité dans ses environs. Elle fut la providence de toute la famille Richelieu, et, loin de jamais témoigner du ressentiment au duc, elle a constamment employé les recherches les plus délicates à l'entourer des soins d'une amitié désintéressée, renfermant dans son sein tout ce qui pouvait sembler dicté par un sentiment plus vif.

Le duc de Richelieu, vaincu par des procédés si généreux et assez noble lui-même pour pardonner à une personne qu'il avait si grièvement offensée, allait quelquefois, depuis la Restauration, la voir au château de Courteilles où il était reçu avec une joie extrême.

Leur âge à tous deux aurait fini par rendre cette existence simple et facile; je suis persuadée qu'au moment où la mort l'a enlevé, monsieur de Richelieu était près de s'établir à Courteilles. Quant à sa femme, rien ne l'aurait décidée à affronter le monde de Paris dont elle s'était retirée avant d'y être entrée.

Madame de Montcalm était l'aînée des deux sœurs du duc de Richelieu. Un très mauvais état de santé l'autorisait à ne point quitter une chaise longue, et l'espoir de dissimuler sa taille lui donnait la patience de se soumettre à cette sujétion. Elle montrait un beau visage, et le reste de sa personne était enveloppé de tant de garnitures, de châles, de couvre-pieds que sa difformité était presque entièrement cachée.

Yosh cheklamasi:
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25 iyun 2017
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