Kitobni o'qish: «Un mauvais pressentiment»
Blake Pierce
Blake Pierce est l’auteur de la populaire série de thrillers RILEY PAIGE. Il y a sept tomes, et ce n’est pas fini ! Blake Pierce écrit également les séries de thrillers MACKENZIE WHITE (cinq tomes, série en cours), AVERY BLACK (quatre tomes, série en cours) et depuis peu KERI LOCKE.
Fan depuis toujours de polars et de thrillers, Blake adore recevoir de vos nouvelles. N'hésitez pas à visiter son site web www.blakepierceauthor.com pour en savoir plus et rester en contact !
Copyright © 2016 par Blake Pierce. Tous droits réservés. Sauf dérogations autorisées par la loi des Etats-Unis sur le droit d’auteur de 1976, aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, distribuée sous quelque forme que ce soit ou par quelque moyen que ce soit, ou stockée dans une base données ou système de récupération, sans l’autorisation préalable de l’auteur. Ce livre électronique est réservé sous licence à votre seule utilisation personnelle. Ce livre électronique ne saurait être revendu ou offert à d’autres personnes. Si vous souhaitez partager ce livre avec une tierce personne, veuillez en acheter un exemplaire supplémentaire pour chaque destinataire. Si vous lisez ce livre sans l’avoir acheté ou s’il n’a pas été acheté pour votre seule utilisation personnelle, vous êtes prié de le renvoyer et d’acheter votre propre exemplaire. Merci de respecter le dur travail de cet auteur. Il s’agit d’une œuvre de fiction. Les noms, personnages, entreprises, organisations, lieux, évènements et péripéties sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou sont utilisés dans un but de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, n’est que pure coïncidence. Image de couverture : Copyright Anna Caczi, utilisée en vertu d’une licence accordée par Shutterstock.com
DU MÊME AUTEUR
LES ENQUÊTES DE RILEY PAIGE
SANS LAISSER DE TRACES (Tome 1)
REACTION EN CHAINE (Tome 2)
LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (Tome 3)
LES PENDULES À L’HEURE (Tome 4)
QUI VA A LA CHASSE (Tome 5)
A VOTRE SANTÉ (Tome 6)
DE SAC ET DE CORDE (Tome 7)
UN PLAT QUI SE MANGE FROID (Tome 8)
LES ENQUÊTES DE MACKENZIE WHITE
AVANT QU’IL NE TUE (Tome 1)
AVANT QU’IL NE VOIE (Tome 2)
AVANT QU’IL NE CONVOITE (Tome 3)
LES ENQUÊTES D’AVERY BLACK
RAISON DE TUER (Tome 1)
RAISON DE COURIR (Tome 2)
RAISON DE SE CACHER (Tome 3)
LES ENQUETES DE KERI LOCKE
UN MAUVAIS PRESSENTIMENT (TOME 1)
DE MAUVAIS AUGURE (TOME 2)
L’OMBLRE DU MAL (TOME 3)
PROLOGUE
Il vérifia sa montre : 14h59. La cloche de l’école allait sonner dans moins d’une minute. Ashley habitait à douze rues de l’école, soit un peu plus d’un kilomètre, et faisait généralement le trajet à pied. Sa seule crainte était qu’aujourd’hui, elle ait exceptionnellement de la compagnie en chemin.
Peu après la sortie du flot d’écoliers, il la vit se diriger vers la grand-rue, accompagnée de deux autres filles. Consterné, il les vit s’arrêter à un passage piéton en discutant. Ce n’était pas possible – il fallait que les deux filles s’en aillent, il fallait qu’Ashley se retrouve toute seule. Il le fallait.
Il sentit l’angoisse monter. C’était son jour, l’occasion parfaite. Assis à l’avant de sa fourgonnette, il s’appliqua à maîtriser ce qu’il surnommait son « moi véritable ». C’était son moi véritable qui faisait ses expériences particulières sur ses sujets d’étude, chez lui. C’était son moi véritable qui lui permettait de passer outre les hurlements et les implorations de ses sujets d’étude, afin de se concentrer sur ses précieuses recherches.
Il lui fallait dissimuler son ‘moi véritable’ avec soin : il devait se rappeler de les appeler ‘filles’ et non ‘sujets d’étude’. Il devait se rappeler d’utiliser de vrais prénoms, tels que « Ashley ». Il devait se rappeler qu’aux yeux des gens, il avait l’air parfaitement normal, et que tant qu’il agissait normalement, personne ne soupçonnerait ce qui était tapi au fond de lui.
Cela faisait des années qu’il se comportait de façon aussi normale que possible, et certains le qualifiaient même de beau parleur. Il s’en réjouissait, car cela signifiait qu’il jouait bien son rôle. Et, en se comportant de la sorte, il était parvenu à créer une vie, une vie que certains pouvaient envier. Ainsi, il pouvait se cacher au vu de tous. Aujourd’hui, toutefois, il sentait son « moi véritable » gonfler dans sa poitrine et le supplier d’être libéré, au point qu’il peinait à maîtriser ses désirs. Il lui fallait les contenir.
Il ferma les yeux et inspira profondément, essayant de se remémorer les instructions. Il inspira l’air pendant plusieurs secondes, avant de le laisser s’échapper en formant le son qu’il avait appris à faire.
« Ohhmmmm… »
Lorsqu’il rouvrit les yeux, il ressentit une bouffée de soulagement en voyant que les deux amies d’Ashley avaient tourné dans Clubhouse Avenue, pour se diriger vers le plan d’eau. Ashley, elle, continuait seule sa route sur la grand-rue, longeant le parc pour chiens.
Occasionnellement, elle ralentissait le pas à ce niveau, pour regarder les chiens jouer et pourchasser les balles de tennis qu’on leur envoyait. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, elle marchait d’un pas décidé, comme si elle avait un but précis en tête. Si elle avait su ce qui l’attendait, son pas n’aurait pas été aussi alerte.
À cette pensée, un rictus amusé se dessina sur son visage.
Il l’avait toujours trouvée attirante. Il calqua l’allure de la fourgonnette sur celle d’Ashley, prenant garde de laisser traverser les hordes de collégiens, tout en admirant sa silhouette mince et athlétique. Elle portait une jupe rose qui s’arrêtait au-dessus du genou, et un haut bleu moulant.
Il décida de passer à l’acte.
Un sentiment de calme l’envahit. Il s’empara de la cigarette électronique qui attendait sur le tableau de bord et appuya d’un geste léger sur l’accélérateur afin de parvenir à sa hauteur. Il l’interpella : « Salut. »
Surprise, elle jeta un coup d’œil dans la fourgonnette, les yeux plissés. De toute évidence, elle ne parvenait pas à l’identifier. « C’est moi », dit-il nonchalamment. Il arrêta le van et se pencha pour ouvrir la portière passager, afin qu’elle puisse distinguer son interlocuteur. Elle s’approcha pour mieux le voir, et sembla le reconnaître après un instant d’hésitation.
« Ah, salut. Désolée, fit-elle.
– Pas de problème » Il prit une longue bouffée de sa cigarette électronique. Elle observa l’appareil qu’il tenait.
« Je n’avais jamais vu de cigarette électronique pareille !
– Tu veux essayer ? »
Il avait posé la question du ton le plus désinvolte possible. Elle acquiesça et s’approcha de lui. Il se pencha également vers elle, comme s’il allait lui tendre sa cigarette. Mais quand elle fut à moins d’un mètre, il actionna un dispositif sur l’appareil, qui vaporisa un petit nuage d’une substance chimique droit sur le visage de la jeune fille. Sans attendre, il plaqua un masque sur son propre visage, afin de ne pas inhaler la substance.
Son geste avait été si rapide et discret qu’Ashley ne l’avait même pas remarqué – et son corps commença à s’affaisser avant qu’elle puisse réagir. Elle était déjà à moitié inconsciente, et penchée vers l’intérieur du véhicule. Il lui suffit de l’attraper et de la glisser sur le siège passager. Aux yeux d’un passant, elle aurait presque eu l’air de monter dans la fourgonnette de son propre chef.
Son cœur battait la chamade, mais il se força à rester calme. Il avait fait le plus dur.
Il tendit le bras au-dessus de son sujet d’étude pour fermer la portière, puis attacha la ceinture de sécurité sur le corps inerte, avant d’attacher la sienne. Enfin, il prit une dernière grande respiration – inspiration, expiration…
Lorsqu’il fut certain que la voie était libre, il repartit sur la route. Quelques rues plus loin, la fourgonnette s’inséra dans le trafic d’un après-midi comme les autres, dans le sud de la Californie. Il était un automobiliste comme les autres, frayant son chemin dans un océan de destins.
CHAPITRE 1
Lundi, en fin d’après-midi
La détective Keri Locke se promit de ne pas y aller.
Elle était la plus jeune parmi les agents du service « personnes disparues » du secteur Ouest du LAPD – la police de Los Angeles –, et l’on s’attendait d’elle qu’elle travaille plus dur que quiconque dans son service. Elle avait rejoint la police quatre ans plus tôt, et en avait aujourd’hui trente-cinq. Elle avait souvent l’impression qu’elle n’avait pas le droit à l’erreur, ni même d’avoir l’air de prendre une pause.
Autour d’elle, le service fourmillait d’activité. Au bureau d’à côté, une femme âgée, d’origine latino-américaine, recueillait le témoignage d’une victime de vol à l’arrachée. Un peu plus loin, on interrogeait un agresseur. C’était un après-midi typique de son quotidien, qui avait fini par devenir normal pour elle.
Et pourtant, comme d’habitude, une envie la démangeait, refusait d’être ignorée.
Elle céda. Elle se leva et prit la direction de la baie vitrée qui donnait sur Culver Boulevard. Plantée là, elle apercevait son faible reflet, qui semblait fantomatique sous les rayons dansants du soleil.
Fantomatique – c’était également l’impression qu’elle avait d’elle-même. Elle savait être une femme séduisante. 167 centimètres pour 59 kilos (60, pour être honnête), une chevelure blond cendré et une ligne qui n’avait pas trop souffert de la grossesse. Elle faisait encore tourner quelques têtes.
Mais il suffisait d’y regarder de plus près pour s’apercevoir que ses yeux marron étaient injectés de sang, son front creusé de rides prématurées, et son teint d’une pâleur, eh bien… fantomatique.
Comme tous les jours, elle portait une simple chemise rentrée dans un pantalon noir, et des chaussures plates, noires, qui lui donnaient l’air sérieux tout en lui permettant de courir. Ses cheveux étaient relevés en queue-de-cheval. C’était là son uniforme standard. La seule variable était la couleur de la chemise, qui changeait tous les jours. Cela renforçait le sentiment qu’elle avait de jalonner sa vie plutôt que de la vivre.
Keri perçut un mouvement du coin de l’œil et sortit de sa rêverie. Elles arrivaient.
En contrebas, Culver Boulevard était presque désert. Il était bordé d’une piste pour les vélos et les joggeurs. En général, en fin d’après-midi, les trottoirs étaient bondés, mais aujourd’hui régnait une chaleur accablante, sans un souffle d’air – alors même que la plage était à moins de dix kilomètres. Les parents qui d’ordinaire amenaient leurs enfants à l’école à pied avaient opté pour leurs voitures climatisées. Tous, sauf un.
À exactement 16 :12, réglée comme une horloge, une jeune fille de sept ou huit ans apparut, pédalant lentement sur son vélo. Elle portait une jolie robe blanche. Sa mère, plutôt jeune, était à la traîne derrière elle, le cartable de sa fille jeté sur l’épaule.
Keri sentit l’angoisse monter dans sa gorge et elle se retourna pour vérifier qu’on ne l’observait pas. Personne ne prêtait attention à elle. Alors, elle céda à l’envie qui la tenaillait depuis le début de la journée et fixa du regard la mère et sa fille.
Elle les contempla avec jalousie et ferveur. Malgré qu’elle les ait épiées un nombre incalculable de fois, elle ne parvenait pas à croire à quel point cette fillette ressemblait à Evie. Elle avait les mêmes cheveux blonds ondulés, les mêmes yeux verts, et le même sourire de guingois.
Elle resta debout au même endroit, dans un état second, bien après que la mère et sa fille eussent disparu.
Lorsque finalement elle se secoua et se décida à retourner à son bureau, sa voisine hispanique se préparait à partir. L’agresseur avait été entendu, et un nouveau délinquant menotté, l’air renfrogné, avait investi son siège, flanqué d’un agent de police.
Keri jeta un coup d’œil à l’horloge digitale suspendue au-dessus de la machine à café. 16 :22.
Je suis vraiment restée dix minutes entières devant cette fenêtre ? C’est en train d’empirer, pas le contraire…
Elle retourna à son bureau, tête baissée, s’efforçant de ne pas croiser le regard de ses collègues curieux. Elle s’assit et contempla la pile de dossiers sur son bureau. Le dossier Martine était presque achevé, et n’attendait que le tampon du procureur pour être transféré dans l’armoire des dossiers « en attente de procès ».
Le dossier Sanders était en suspens jusqu’à ce qu’elle obtienne le rapport de la police scientifique. La police du secteur Rampart, un quartier de Los Angeles, avait demandé aux agents du secteur Ouest de faire des recherches sur une prostituée dénommée Roxie. Cette dernière avait disparu, et une de ses amies leur avait expliqué qu’elle avait commencé à travailler dans le secteur Ouest. Ils espéraient qu’un agent du service de Keri pourrait le confirmer – ainsi, ils n’auraient pas besoin d’ouvrir un nouveau dossier.
Ce qui était délicat, dans les dossiers « personnes disparues », c’était qu’il est tout à fait autorisé de disparaître. Tout du moins, pour les adultes. La police avait un peu plus de marge de manœuvre lorsqu’il s’agissait de mineurs, en fonction de leur âge. Toutefois, de manière générale, rien n’interdit à un adulte de laisser tomber sa vie et disparaître. Cela arrive plus souvent qu’on ne l’imagine. Si rien n’indique une activité criminelle, les autorités ont des pouvoirs d’investigation limités. C’est pour cette raison que les dossiers tels que celui de Roxie passaient à travers les mailles du filet.
Keri se rendit compte que rien ne justifiait qu’elle reste au bureau passé 17h. Elle poussa un soupir de résignation.
Yeux fermés, elle visualisa le moment, dans moins d’une heure, où elle se verserait trois doigts de whiskey Glenlivet – peut-être quatre – après avoir regagné son bateau habitable Sea Cups. Elle mangerait des restes de plats chinois à emporter et regarderait quelques épisodes de Scandal. Si cette forme de psychothérapie maison venait à faillir, elle se retrouverait sur le divan de Dr Blanc, une perspective peu réjouissante.
Elle avait commencé à ranger ses dossiers, se préparant à partir, lorsque Ray fit irruption et s’affala dans la chaise en face d’elle, de l’autre côté du bureau qu’ils partageaient. Ray était officiellement l’agent Raymond Sands, de son petit nom Big, son collègue depuis presque un an, et son ami depuis sept ans.
Son surnom, « Big », lui collait tout à fait. Ray (car Keri ne l’appelait jamais « Big », inutile de flatter excessivement son ego), était en effet un grand gaillard noir d’1,93 mètres et 104 kg. Il avait un crâne chauve et luisant, une dent cassée, un bouc tiré au cordeau, et un penchant pour les chemises trop petites, qui faisaient ressortir ses muscles.
À quarante ans, Ray ressemblait toujours au boxeur olympique médaillé de bronze qu’il avait été à vingt ans, et au challenger professionnel, catégorie poids lourds, qu’il est resté jusqu’à 28 ans. C’est à cet âge-là qu’un petit boxeur gaucher mal rafistolé et plus petit que lui d’une tête lui avait éclaté l’œil droit et anéanti sa carrière. Ray avait porté un cache-œil pendant deux ans avant de se résoudre à se faire implanter un œil de verre. Ce qui lui convenait très bien.
Tout comme Keri, Ray avait rejoint le LAPD à un âge plus avancé que la moyenne. La trentaine entamée, il cherchait un sens à sa vie. Il avait grimpé les échelons très vite et était aujourd’hui le plus ancien détective du service des personnes disparues.
« Tu as la tête d’une femme qui ne rêve que de l’océan et d’un verre de whiskey, fit-il.
– Ça se voit tant que ça ?
– Je suis bon détective. Mes capacités d’observation sont sans pareille. En plus, tu as déjà évoqué deux fois ta palpitante soirée à venir…
– Que veux-tu, je suis acharnée dans mes projets, Raymond ».
Il sourit. Son œil trahissait la tendresse que son attitude cachait. Keri était la seule autorisée à l’appeler par son vrai prénom, et il lui arrivait d’abuser de sa prérogative en accolant au prénom des épithètes peu flatteuses. Il lui rendait sans hésiter la monnaie de sa pièce.
« Bon, écoute, Princesse Sourire, tu ferais mieux de passer les dernières minutes de ta journée de travail à vérifier le rapport de la police scientifique, pour le dossier Sanders… au lieu de rêver de ton whiskey alors qu’il fait encore jour !
– Boire la journée ? » Elle fit semblant de se vexer. « C’est acceptable si je commence après 17 heures, M. Hulk. »
Il allait répliquer quand le téléphone sonna. Keri décrocha avant que Ray ne puisse riposter. Elle lui tira la langue, taquine.
« Police de Los Angeles, service des personnes disparues. Agent Locke à l’appareil. »
Ray décrocha son combiné pour écouter, sans intervenir. La femme à l’autre bout de la ligne semblait jeune, fin de la vingtaine ou début de la trentaine. Avant même qu’elle ait expliqué pourquoi elle appelait, Keri sentit l’inquiétude dans sa voix.
« Je m’appelle Mia Penn. J’habite près de Dell Avenue, dans le quartier de Venice, du côté des canaux. Je m’inquiète pour ma fille, Ashley. Elle aurait du arriver à la maison à trois heures et demie, et elle savait qu’on devait aller à un rendez-vous chez le dentiste à 16h45. Elle m’a envoyé un message juste avant de partir de l’école à 15h mais elle n’est jamais arrivée à la maison, et elle ne répond pas aux appels et aux messages. Ça ne lui ressemble pas ! Elle est très responsable.
– Mme Penn, Ashley rentre-t-elle à la maison à pied ou en voiture ? demanda Keri.
– À pied, elle n’a que quinze ans. Elle n’a même pas commencé à préparer le code de la route ! »
Keri jeta un coup d’œil à Ray. Elle savait ce qu’il allait dire, et elle savait qu’il aurait raison. Mais quelque chose, dans la voix de Mia Penn, l’interpellait. Elle devinait que cette femme ne maîtrisait qu’à grand-peine sa panique, qui bouillonnait sous la surface. Elle voulait demander à Ray de passer outre le protocole habituel, mais elle ne parvenait pas à trouver une bonne justification.
« Mme Penn, je suis l’agent Ray Sands. Je me joins à la discussion. Je voudrais que vous respiriez calmement et que vous me disiez s’il est déjà arrivé que votre fille arrive en retard à la maison. »
Mia Penn se hâta de répondre, oubliant de respirer : « Oui, bien sûr » admit-elle, tentant de cacher son exaspération. « Comme je vous ai dit, elle a quinze ans. Mais elle a toujours appelé ou envoyé un message si elle avait plus d’une heure de retard. Et ça n’est jamais arrivé alors que nous avions un rendez-vous prévu ! ».
Ray répondit sans tenir compte du regard désapprobateur de Keri.
« Mme Penn, votre fille est mineure. En conséquent, les dispositions sur les personnes portées disparues sont différentes que s’il s’agissait d’un adulte. Nous avons plus de marge pour enquêter. Mais pour être honnête, une adolescente qui ne répond pas aux appels de sa mère et qui n’est pas rentrée deux heures après la sortie des cours, cela ne va pas provoquer une réaction immédiate, comme vous l’espérez. À ce stade, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Dans une situation comme celle-ci, le mieux que vous puissiez faire serait de venir au commissariat et faire un rapport. Ça serait une très bonne idée, ça ne coûte rien et ça pourrait accélérer les choses au cas où nous aurions besoin de mobiliser plus de moyens. »
Il y eut un long silence. Lorsque Mia Penn répondit, sa voix avait un accent tranchant qu’elle n’avait pas auparavant.
« Et dans combien de temps aurons-nous besoin de mobiliser plus de moyens, Monsieur l’agent ? demanda-t-elle. Est-ce que deux heures de plus suffiront ? Dois-je attendre qu’il fasse nuit ? Qu’elle ne soit pas rentrée demain matin ? Je parie que si c’était… »
Elle s’interrompit. Quoi qu’elle ait eu l’intention de dire, elle semblait savoir que ce serait contreproductif. Ray s’apprêtait à répondre mais Keri lui fit signe et lui adressa un regard signifiant « laisse-moi faire ».
« Écoutez, Mme Penn, c’est de nouveau l’agent Locke. Vous avez dit que vous habitez dans le quartier des canaux de Venice ? C’est sur mon chemin pour rentrer chez moi. Donnez-moi votre adresse email, je vous enverrai le formulaire pour déclarer une disparition. Vous pouvez commencer à le remplir et je m’arrêterai chez vous pour vous aider à le finir et pour le faire traiter plus vite. Ça vous va ?
– Oui, c’est très bien, agent Locke. Je vous remercie.
– Pas de problème. Et peut-être qu’Ashley sera rentrée d’ici là et je pourrai lui passer un savon sur la nécessité de répondre aux appels de sa mère. »
Keri ramassa ses clés et son sac, prête à se rendre chez les Penn. Ray n’avait pas dit un mot. Elle savait qu’il fulminait, mais elle ne voulait pas croiser son regard. S’il croisait son regard, il allait lui faire la leçon, et elle n’en avait aucune envie.
Mais apparemment, Ray avait bien l’intention de la sermonner :
« Les canaux de Venice ne sont pas sur ton chemin.
– C’est juste un petit détour, fit-elle sans le regarder. Je serai à la maison un peu plus tard que prévu, et alors ? Mon épisode de Scandal peut attendre. »
Ray se renfonça dans sa chaise.
« Et alors ? Alors, Keri, ça fait un an que tu es enquêtrice ici. Je suis content de t’avoir pour collègue, et tu as fait du super boulot, même avant d’obtenir ton insigne. Le dossier Gonzales, par exemple – je ne pense pas que j’aurais pu l’élucider tout seul, et pourtant ça fait dix ans que je travaille ici. Tu as un instinct pour ces choses, et c’est pour ça qu’on faisait appel à toi. C’est pour ça que tu as le potentiel pour être une grande enquêtrice.
– Merci… fit-elle, tout en sachant qu’il n’en avait pas fini.
– Mais tu as une faiblesse, et elle va te détruire si tu ne la maîtrises pas. Tu dois laisser le système de la police faire son travail. C’est pour ça qu’il existe. 75% de notre travail se résout tout seul dans les vingt-quatre heures, sans notre intervention. Nous devons laisser ces 75% de côté et se concentrer sur les 25% restants. Sinon, on va s’épuiser, et on risquerait de devenir improductifs, ou pire : contreproductifs. Et ce serait trahir les gens qui ont réellement besoin de nous. Notre travail, c’est aussi de choisir quels combats mener et lesquels abandonner.
– Ray, je ne demande pas qu’on déclenche une alerte enlèvement au niveau national. Je veux juste aider une maman inquiète à remplir un formulaire, et, je t’assure, c’est juste un petit détour pour moi.
– Et … ? demanda-t-il.
– Et il y avait quelque chose d’inquiétant dans sa voix. Elle a omis de nous dire quelque chose. C’est pour ça que je veux lui parler face à face. Il se peut que je me trompe, et dans ce cas, je m’en irai. »
Ray secoua la tête. Il tenta une dernière fois :
« Combien d’heures est-ce que tu as perdues à enquêter sur ce jeune sans-abri dont tu étais certaine qu’il avait disparu ? Quinze heures ? »
Keri haussa les épaules.
« Mieux vaut être trop prudent, murmura-t-elle.
– Mieux vaut être salariée que d’être virée pour mauvaise utilisation des ressources du département, rétorqua-t-il.
– Il est 17h passées.
– Et alors ?
– Ça veut dire que j’ai fini ma journée de travail. Et cette mère m’attend.
– On dirait que tes journées de travail ne finissent jamais. Appelle-la, Keri. Dis-lui de t’envoyer par email le formulaire, ou de t’appeler si elle a des questions. Mais tu dois rentrer à la maison. »
Elle avait atteint les limites de sa patience. « On se voit demain, M. Propre », lui dit-elle avec une tape sur l’épaule.
Elle se dirigea vers le parking, où l’attendait sa Toyota Prius. Elle essayait déjà de visualiser le trajet le plus court pour se rendre dans le quartier des canaux de Venice. Elle avait un sentiment d’urgence inexplicable.
Un sentiment très désagréable.