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Kitobni o'qish: «Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855»

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PRÉFACE

De nombreuses générations de marins ont, au cours de ce siècle, étudié les livres du vaillant officier, dont nous publions aujourd'hui les Mémoires. Doué d'un esprit méthodique et clair, il publiait, dès 1824, le premier volume des Séances nautiques ou Traité du navire à la mer, suivi plus tard du Traité du navire dans le port, et apprenait ainsi les éléments de l'art du marin aux jeunes gens désireux d'exercer cette noble profession et que n'avaient pas découragés les revers.

Plus tard, lorsque les aspirants de la Restauration occupaient déjà dans leur Corps un rang élevé, il s'associait son gendre, le capitaine de vaisseau Pâris, mort, en 1893, vice-amiral et membre de l'Institut, et dont on n'a pas oublié la belle et originale figure. De la féconde collaboration de ces deux hommes distingués sortait, en 1848, le Dictionnaire de la marine à voile et de la marine à vapeur1, œuvre considérable, dont le succès dura longtemps et qui exerça une influence de premier ordre sur l'histoire des sciences nautiques dans notre pays.

Ce n'était pas seulement comme écrivain que les officiers de la Marine française connaissaient M. de Bonnefoux. À la Compagnie des Élèves de Rochefort, au Collège royal de Marine d'Angoulême, à l'École navale de Brest, beaucoup d'entre eux avaient apprécié, par eux-mêmes, son tact, sa connaissance des hommes, ses qualités d'éducateur.

Pendant sa laborieuse retraite, l'ancien commandant de l'Orion pouvait donc jeter un regard tranquille sur sa vie déjà longue, riche en œuvres et en services rendus au pays. Néanmoins il ne la considérait pas sans quelque amertume. Car la disproportion était grande entre le rêve de gloire de la jeunesse et les résultats de l'âge mûr. M. de Bonnefoux appartenait en effet à la génération des sous-lieutenants qui commencèrent l'épopée impériale, et il ne tint qu'à lui de suivre Bernadotte comme aide de camp. Il ne voulut pas rompre les liens qui l'unissaient à la Marine; mais il espérait un avenir de combats et de triomphes. Entouré de jeunes aspirants instruits comme lui, comme lui pleins d'ardeur et de patriotisme, il ne doutait pas des destinées de la Marine française. Les faits semblèrent d'abord justifier ses espérances, et nulle carrière ne commença d'une façon plus brillante que la sienne. Comment aurait-il regretté de ne pas prendre part aux exploits de la Grande Armée, quand, enseigne de vaisseau de vingt et un ans, il commandait la manœuvre sur la frégate la Belle-Poule, pendant sa croisière de trois années dans les mers de l'Inde, coupait vingt-six fois la ligne équinoxiale, et se distinguait, lors du combat soutenu contre le vaisseau de 74 canons, le Blenheim? Comment souhaiter une meilleure école que cette «navigation contre vents et marées dans des archipels semés de récifs dont, à cette époque, l'hydrographie était à peine esquissée, où souvent l'on faisait par jour quinze mouillages pour gagner une lieue2»? Seulement la déception fut extrême, lorsque le rêve prit fin brusquement et que M. de Bonnefoux se trouva prisonnier, à vingt-quatre ans, après le dernier et glorieux combat de la Belle-Poule. Avoir mené pendant trois ans la plus belle vie que puisse désirer un marin, vie de dangers, d'activité virile, de vigilance de tous les instants, pour aboutir aux cautionnements anglais et au ponton le Bahama! Le réveil était rude! Plus tard, à la catastrophe individuelle, s'ajouta la catastrophe nationale. La Marine, déjà beaucoup trop négligée par Napoléon, se trouva encore réduite, et elle n'avait pas, comme l'armée de terre, pour la consoler quelque peu dans la défaite suprême, le souvenir de prodigieuses victoires. Heureux les officiers auxquels échut la bonne fortune de prendre part aux derniers voyages de découvertes, ou de tirer le canon de Navarin! Je ne parle pas de ceux qui, comme Laurent de Bonnefoux, frère de notre auteur, et beaucoup d'autres, tombèrent en captivité avec le grade d'aspirant, et que le Gouvernement licencia à la paix. Parmi eux, cependant, plusieurs s'étaient conduits en héros.

Les Mémoires présentent le tableau fidèle de la vie de M. de Bonnefoux jusqu'en 1835, vingt ans avant sa mort. Considérée en elle-même et dans ses rapports avec l'histoire de la Marine pendant près de cinquante ans, cette vie ne manque pas d'intérêt. Après les riantes descriptions de Java ou de l'Île-de-France, les sombres tableaux des pontons anglais.

Pierre-Marie-Joseph de Bonnefoux naquit à Béziers, dans le Languedoc, le 22 avril 1782. Son père, Joseph de Bonnefoux, capitaine au régiment de Vermandois et chevalier de Saint-Louis, portait le nom de chevalier de Beauregard. Il appartenait à une famille noble de l'Agenais, qui avait fourni et qui fournissait encore de nombreux officiers à l'armée. En 1786, il comptait trois de ses neveux officiers d'infanterie comme lui, et un autre, lieutenant de vaisseau3.

La mère de P. – M. – J. de Bonnefoux, Catherine-Julienne-Gabrielle Valadon, était fille d'un médecin distingué de Béziers, ancien consul et apparenté aux premières familles du pays.

La vie était douce, à la fin du XVIIIe siècle, dans une ville comme Béziers4, placée sous un beau ciel et dans une situation charmante, fière de ses 18.000 habitants, de ses monuments et de son antiquité. La première enfance de M. de Bonnefoux s'y écoula très heureuse, et il conserva toujours beaucoup d'attachement pour sa ville natale, ainsi, du reste, que pour Marmande, berceau de sa famille paternelle, où il séjourna à diverses reprises.

Vint cependant le temps des études qu'il fit à l'École royale militaire de Pont-Le-Voy, où M. de La Tour du Pin, ministre de la Guerre, le fit entrer en qualité d'élève du roi, comme fils d'officier, chevalier de Saint-Louis. P. – M. – J. de Bonnefoux s'y montra élève appliqué et intelligent. Séparé des siens, ne recevant plus d'argent de sa famille ruinée par la Révolution, il n'en travaillait pas moins avec ardeur et se proposait d'achever à Pont-Le-Voy ses humanités, lorsque, vers la fin de 1793, le Gouvernement renvoya du collège les fils d'officiers, au nombre de deux cents.

À l'âge de onze ans et demi, J. de Bonnefoux se vit abandonné, à Tours, «avec un petit paquet de linge plié dans un mouchoir bleu, un assignat de trois cents francs, qui, alors, en valait à peine la moitié, un passeport et un certificat de civisme5».

Il s'agissait de traverser la plus grande partie de la France pour se rendre à Béziers. Le jeune écolier accomplit sans encombre ce long voyage; mais, quand il arriva sain et sauf dans la maison paternelle, il trouva son père en prison et sa mère malade.

Les années qui suivirent se passèrent pour J. de Bonnefoux, à Béziers et à Marmande; si les circonstances ne se prêtaient pas à des études régulières, il n'oublia pas ce qu'il avait appris à Pont-Le-Voy, et il compléta son instruction par des lectures sous la direction d'un vieil officier érudit et aimable, M. de La Capelière, autrefois employé au Canada; il fréquenta en même temps la société polie, qui commençait à se réunir de nouveau.

Si M. de La Capelière l'entretenait du Canada, son père lui parlait des Antilles où le régiment de Vermandois avait tenu garnison pendant plusieurs années. Ce qui entraîna J. de Bonnefoux vers la Marine, ce fut, cependant, moins ces conversations que l'exemple et les conseils de son cousin germain, Casimir de Bonnefoux, lieutenant de vaisseau à la fin de l'ancien régime et portant alors le nom de chevalier de Bonnefoux.

Grâce à ses relations, le père de notre auteur, déjà officier au régiment de Vermandois, avait jadis obtenu une place dans une École militaire pour le second fils de son frère aîné, Léon de Bonnefoux, ancien officier qui vivait dans ses terres auprès de Marmande avec ses quatre fils et ses deux filles. Sorti de cette École militaire aspirant garde de la Marine, Casimir de Bonnefoux garda toujours à son oncle une vive gratitude, et il en donna la preuve à ses deux fils.

Casimir de Bonnefoux appartenait à la Marine du règne de Louis XVI, la plus belle époque de l'histoire de la Marine française: «De l'honneur, du courage et des moyens», telle est la note qui figure à son dossier au Ministère de la Marine.

Aux qualités de l'homme de mer et aux talents de l'administrateur, il joignait les grâces de l'homme du monde. Élevé dans les salons du XVIIIe siècle, d'un esprit fin et cultivé, il savait conter et écrire. Son cousin, moins âgé que lui de vingt et un ans, apprécia vite sa bonté unie à une réelle fermeté; il le révéra et l'aima comme un père, et rien ne touche autant dans ces Mémoires que l'expression sincère et délicate de ses sentiments de respectueuse affection.

Lorsque J. de Bonnefoux entra dans la Marine, au mois de juin 1798, en qualité de novice à bord de la Fouine, il apportait donc avec lui de longues traditions d'honneur et de patriotisme. Formé à l'école des hommes du XVIIIe siècle, il conserva en outre toujours cette première empreinte.

Néanmoins il ne tarda pas à se trouver dans un milieu nouveau pour lui, milieu qui lui fut très sympathique et dont il subit l'influence. Promu aspirant de première classe, à la suite d'un brillant examen, le 13 avril 1799, il eut pour camarades des jeunes gens intelligents et instruits, pleins d'ardeur et qui lui inspirèrent l'amour du métier de marin.

Dans aucun corps, on le sait, l'émigration n'avait été aussi générale que dans la Marine6. Nulle part ailleurs, d'autre part, l'instruction technique des chefs, leur habitude du commandement, leur supériorité incontestée d'éducation importe davantage; car le salut commun dépend de la confiance réciproque et complète des officiers dans les matelots, des matelots dans les officiers.

L'émigration désorganisa donc la Marine française qui s'était couverte de gloire pendant la guerre de l'Indépendance d'Amérique. Le corps d'officiers de la Révolution souffrait du défaut de cohésion. Quelques-uns appartenaient à l'ancienne Marine; d'autres en grand nombre servaient autrefois en qualité d'officiers auxiliaires ou de pilotes; les derniers enfin sortaient de la Marine marchande, marins consommés pour la plupart, mais ne sachant pas naviguer en escadre.

La principale cause de nos revers doit cependant être cherchée, en dehors des embarras financiers, dans l'indiscipline des équipages, leur insuffisance numérique et leur peu d'expérience.

Si donc la Révolution ne put pas improviser une Marine, l'avenir ne s'annonçait pas sous de trop sombres couleurs à la fin du Directoire et au début du Consulat. Car les officiers des grades les moins élevés et les aspirants recrutés tous par la voie de l'examen, se faisaient remarquer par leur mérite et leur ardent amour du pays. Appartenant pour la plupart à la bourgeoisie aisée des villes du littoral, ils ne le cédaient en rien à ceux de leurs contemporains qui luttèrent contre l'Europe sur les champs de bataille de la Révolution et de l'Empire.

J. de Bonnefoux avait l'âme trop généreuse et l'esprit trop élevé pour ne pas rendre justice aux qualités des jeunes gens, dont il partageait les dangers et les travaux. C'est avec une franche admiration et une vive reconnaissance qu'il parle d'Augier, aspirant à bord du vaisseau le Jean-Bart, et plus tard de Delaporte, lieutenant de vaisseau de la Belle-Poule. Ils contribuèrent à faire de lui un excellent officier, observateur de premier ordre, manœuvrier habile, plein de zèle et de sang-froid. Le premier atteignait à peine vingt ans, le second à peine vingt-cinq.

En qualité d'aspirant de première classe, J. de Bonnefoux servit sur le vaisseau le Jean-Bart, la corvette la Société populaire, le vaisseau le Dix-Août, le cutter le Poisson-Volant et de nouveau sur le Dix-Août, placé sous les ordres de Bergeret, l'ancien et célèbre commandant de la Virginie, l'un des plus jeunes et l'un des meilleurs capitaines de vaisseau de cette époque. De 1799 à 1802, il navigua d'une façon constante soit sur les côtes de l'Océan ou de la Manche, soit dans la Méditerranée, dans laquelle il fit deux campagnes, la première avec l'escadre de l'amiral Bruix en 1799, la seconde avec celle de l'amiral Ganteaume qui, chargé, à la fin de l'année 1800, de porter des secours à l'armée française d'Égypte, échoua dans cette mission. Ce fut pendant cette dernière campagne que J. de Bonnefoux vit le feu pour la première fois. Le 24 avril 1801, il prit part au combat soutenu par le Dix-Août contre le vaisseau anglais Swiftsure. À la fin de la lutte pendant laquelle il s'était tenu aux côtés du commandant sur le banc de quart, ou avait rempli avec rapidité et intelligence diverses missions dans la batterie ou dans la mâture, il s'entendit dire avec joie les paroles suivantes par M. Le Goüardun, qui avait succédé à Bergeret: «Vous êtes un brave garçon, et je demanderai pour vous le grade d'enseigne de vaisseau.»

La paix d'Amiens survint, le Dix-Août rejoignit à Saint-Domingue l'escadre de l'amiral Villaret-Joyeuse; mais il ne tarda pas à rentrer à Brest, où M. de Bonnefoux, capitaine de vaisseau, adjudant général du port, fonction à laquelle correspond aujourd'hui celle de major général, remit à son cousin, avec une joie toute paternelle, son brevet d'enseigne, daté du 24 avril 1802.

Les années qui suivirent comptèrent parmi les plus heureuses de la vie de J. de Bonnefoux. Il eut la grande joie de faciliter à son tour l'entrée dans la Marine à son jeune frère Laurent, qui, à peine âgé de quatorze ans, s'engagea comme novice et subit avec succès, quelques mois après, l'examen d'aspirant de seconde classe, grâce aux leçons et à l'exemple de son aîné. Ce dernier, embarqué sur la frégate la Belle-Poule, reçut entre autres missions celle de diriger l'instruction des aspirants, parmi lesquels figurait son frère.

Un excellent officier, le capitaine de vaisseau Bruillac, commandait la Belle-Poule nom illustre dans les fastes de la guerre de l'Indépendance d'Amérique. Cette frégate, nouvellement construite et d'une marche excellente, appartenait à la division du contre-amiral Linois, le vainqueur d'Algésiras, division qui comprenait de plus le vaisseau-amiral, le Marengo, et les frégates l'Atalante et la Sémillante. Partie de Brest au mois de mars 1803, avant la rupture de la paix d'Amiens, l'escadre allait reprendre possession des établissements français de l'Inde. Elle portait avec le général de division Decaen, nommé capitaine-général des colonies placées au-delà du cap de Bonne-Espérance, un grand nombre de fonctionnaires et d'officiers. Je n'ai pas à raconter ici l'arrivée à Pondichéry, les atermoiements des autorités anglaises, qui connaissaient la reprise des hostilités, la façon dont l'escadre française échappa aux pièges de l'ennemi, les opérations contre Bencoolen, la recherche du convoi de Chine, sa rencontre et le lamentable échec qui suivit. Ces Mémoires jettent beaucoup de lumière sur tous ces faits et sur les longues croisières qui causèrent un sérieux préjudice au commerce anglais et ne furent pas sans gloire. Je me permets seulement de signaler le dramatique récit de la poursuite, entre Achem et les îles Andaman, de l'Héroïne par un vaisseau anglais de soixante-quatorze canons. Le commandant et le second de l'Héroïne, deux aspirants de la Belle-Poule, ayant l'un et l'autre moins de vingt ans, Rozier et Lozach, montrèrent, dans cette journée, autant d'habileté que de courage. Leurs noms méritent d'être tirés de l'oubli.

On sait comment finit la campagne de l'amiral Linois. Trois ans après son départ de Brest, le 13 mars 1806, l'escadre, réduite au Marengo et à la Belle-Poule, rencontra, à la hauteur des Açores, neuf navires que l'amiral s'obstina, malgré les objections du commandant Bruillac, à prendre pour des vaisseaux de la Compagnie des Indes. C'était l'escadre de l'amiral Warren et, après un dernier et glorieux combat, le Marengo et la Belle-Poule succombèrent. Ici encore M. de Bonnefoux apprend beaucoup de faits nouveaux et raconte de nombreux actes d'héroïsme, dus à d'obscurs matelots bretons.

La Belle-Poule prise, la fortune avait prononcé contre J. de Bonnefoux. La captivité interrompait brusquement cette carrière, commencée sous des auspices si heureux et qui s'annonçait si belle. Pendant cinq ans il lui fallut vivre dans les cautionnements de Thames, d'Odiham, de Lichfield, ou sur le ponton le Bahama, en rade de Chatham. «On appelait cautionnement, lisons-nous dans les Mémoires, les petites villes où étaient les divers dépôts d'officiers prisonniers, qui avaient la permission d'y résider après s'être engagés sur leur parole d'honneur à ne pas s'en écarter à plus d'un mille de distance, à rentrer tous les soirs chez eux au coucher du soleil et à comparaître deux fois par semaine devant un commissaire du Gouvernement. L'Angleterre accordait par jour dix-huit pence (trente-six sous) à chaque officier, quel que fût son grade…» Quant au ponton le Bahama, le Bureau des prisonniers y condamna J. de Bonnefoux, par une mesure arbitraire, à la suite d'une dénonciation inspirée par un sentiment de vengeance et d'articles de journaux; il séjourna vingt mois dans cette affreuse prison.

Elle ne fut pas cependant sans utilité pour le jeune enseigne; qui s'efforça avec un grand dévouement de moraliser et d'instruire ses malheureux compatriotes. Il mit en outre à profit ce temps d'épreuve pour se perfectionner dans l'étude de la langue et de la littérature anglaises, et il y composa son premier ouvrage, sa Grammaire anglaise, publiée quelques années plus tard.

Comme on le devine sans peine, les tentatives d'évasion ne manquaient pas sur le Bahama. Condamnés à l'inaction, ces hommes dans la force de l'âge mettaient à profit, pour essayer de recouvrer leur liberté, leurs admirables qualités d'énergie et de courage. Évadé plusieurs fois, J. de Bonnefoux ne réussit pas à passer la Manche. Chacune de ses évasions aboutissait à dix jours de cachot noir.

Le ministre des États-Unis en Angleterre parvint enfin à le faire sortir du Bahama. Ce diplomate gardait à M. Casimir de Bonnefoux, préfet maritime à Boulogne depuis 1803, une vive reconnaissance pour l'accueil qu'il avait trouvé chez lui. Il la lui témoigna en intervenant auprès du Gouvernement anglais dans l'intérêt de son cousin.

Depuis vingt-huit mois, J. de Bonnefoux se trouvait donc, au cautionnement de Lichfield, résigné à son sort et continuant avec méthode ses études, lorsqu'un contrebandier anglais vint lui remettre une lettre du préfet maritime, par laquelle ce dernier lui apprenait son échange en mer contre un officier anglais. M. Casimir de Bonnefoux engageait son cousin, gardé injustement, à se confier au contrebandier, qui le conduirait à Boulogne. Le jeune officier hésitait, retenu, malgré tout, par des scrupules de conscience. Il se décida cependant à fuir après avoir exposé ses raisons dans une lettre au Bureau des prisonniers et déclaré que, s'il réussissait, il se considérerait en France comme prisonnier sur parole.

À la suite d'une émouvante traversée, le bateau du contrebandier entrait dans le port de Boulogne, le 28 novembre 1811. Après huit ans d'absence, J. de Bonnefoux revoyait sa patrie et ses parents, son père très âgé, retiré à Marmande, et une sœur tendrement aimée, qui devint depuis la baronne de Polhes, mère de deux brillants soldats, le général de division baron de Polhes, le combattant d'Afrique, de Crimée, de Mentana, et le colonel de Polhes, qui se distingua pendant la campagne d'Italie et au siège de Strasbourg en 1870. Lieutenant de vaisseau depuis le 11 juillet, alors qu'il était encore en Angleterre, il devait ce traitement de faveur au rapport du commandant Bruillac sur le dernier combat de la Belle-Poule. Hélas! Laurent de Bonnefoux avait été moins heureux. Lui aussi s'était distingué dans ce combat. Proposé pour le grade d'enseigne de vaisseau avec de grands éloges, il resta aspirant de seconde classe jusqu'à la paix, époque où il fut licencié. Échangé en mer comme son frère, il suivit lui aussi le contrebandier venu de la part du préfet maritime; seulement le sort ne le favorisa pas, et il échoua dans sa tentative d'évasion.

Lieutenant de vaisseau, se considérant comme prisonnier sur parole, J. de Bonnefoux servit dans les ports de la fin de 1811 à 1814, en qualité d'adjudant (aide de camp) de son cousin, créé baron de l'Empire en 1809 et nommé en 1812 préfet maritime de Rochefort.

La paix et la première Restauration lui ouvrirent des perspectives nouvelles. Sur le point d'être nommé capitaine de frégate et d'obtenir le commandement de la Lionne, il espérait regagner le temps perdu, lorsque le retour de l'île d'Elbe vint encore une fois bouleverser sa vie. Se tenant à l'écart pendant les Cent Jours, il assista au passage de Napoléon à Rochefort, et le vit de près, à la préfecture maritime. L'empereur parti sur le Bellérophon, le Gouvernement de la seconde Restauration destitua le baron de Bonnefoux, dont on ne comprit pas la conduite parfaitement digne et empreinte du patriotisme le plus pur. La disgrâce du préfet rejaillit sur son cousin, le malheureux lieutenant de vaisseau, qui fut mis en réforme sans aucun motif.

Cette fois, toute espérance paraissait perdue, et J. de Bonnefoux songeait à obtenir le commandement d'un navire de commerce dans les mers de l'Inde. Il avait épousé, en 1814, une belle et charmante jeune fille qu'il adorait, Mlle Pauline Lormanne, dont le père, le colonel Lormanne, directeur d'artillerie à Rochefort, se vit, lui aussi, enlever sa situation en 1815. Néanmoins, grâce à sa prompte remise en activité et à la naissance de son fils Léon, en 1816, le jeune officier reprenait courage, lorsqu'une nouvelle catastrophe l'atteignit. Au commencement de 1817, sa femme mourait à l'âge de dix-neuf ans, le laissant veuf avec un enfant de quelques mois. À défaut de son père, qu'il avait perdu en 1814, J. de Bonnefoux alla chercher quelque consolation à sa profonde douleur auprès de son cousin, l'ancien préfet maritime retiré à la campagne, dans le voisinage de Marmande. Plus tard, sur les conseils de cet affectueux parent, il se décida à donner une nouvelle mère à son fils et épousa en secondes noces Mlle Nelly La Blancherie, fille d'un officier de Marine mort jeune. De cette union, qui fit le bonheur de sa vie, naquit une fille, Mlle Nelly de Bonnefoux, plus tard Mme Pâris.

Les armements cependant étaient très rares; au lieu de la navigation incessante des premières années de sa carrière, J. de Bonnefoux dut se résigner à la vie monotone des ports. Heureuses encore les circonstances qui le firent attacher pendant quatre ans sans interruption, de 1816 à 1820, en qualité de chef de brigade, à la 3e compagnie des élèves de la Marine, au port de Rochefort! car ces fonctions lui permirent de commencer la série de ses publications, joie et honneur de sa vieillesse. Elles révélèrent en outre chez lui des qualités éminentes destinées à s'affirmer plus tard avec éclat, et elles donnèrent une direction nouvelle à sa vie. Comme le dit en excellents termes M. le comte de Circourt dans la Notice déjà citée: «M. de Bonnefoux était éminemment propre à gouverner et instruire les jeunes gens destinés à la Marine. Il connaissait le prix de la direction, il avait eu le bonheur de rencontrer à plusieurs reprises des hommes capables qui la lui avaient fait subir avec profit; il savait la donner et la faire accepter; son esprit réfléchi l'avait dès longtemps habitué à coordonner ses observations et à les résumer en une théorie. Son caractère était affectueux, juste, patient et ferme.»

On le conçoit cependant, J. de Bonnefoux ne renonça pas sans regret ni sans lutte à cette vie active du marin, qu'il avait tant aimée. Décoré, en 1818, de la croix de Saint-Louis, portée par son grand'père, son père et tous les siens et à laquelle il attachait un grand prix, il obtint enfin, en 1821, le commandement de la goëlette la Provençale et de la station de la Guyane. Ses ambitions d'autrefois lui revinrent alors. Pendant cette campagne de deux ans, il déploya une grande habileté de marin et se montra hydrographe actif et expérimenté. Le Ministère de la Marine publia plus tard ses travaux d'hydrographie sous le titre de Guide pour la navigation de la Guyane. Observateur perspicace, il aborda enfin le problème colonial et développa à son retour, au Directeur des Colonies, un plan d'abolition progressive de l'esclavage, qui méritait l'attention des pouvoirs publics. Fort du devoir accompli, chaleureusement appuyé par le capitaine de vaisseau de Laussat, ancien gouverneur de la Guyane, M. de Bonnefoux se rendit à Paris aussitôt après son retour en France, ne doutant pas que le grade de capitaine de frégate fût la juste récompense de ses efforts. Hélas! cette fois encore, une déception l'attendait, et M. de Clermont-Tonnerre, ministre de la Marine, ne le comprit pas dans la grande promotion parue à cette époque. Ayant obtenu la décoration de la Légion d'honneur, pour laquelle le commandant Bruillac le proposait déjà en 1806, à la suite du dernier combat de la Belle-Poule, il dut revenir encore une fois au port de Rochefort, à la 3e compagnie des élèves de la Marine, et devint seulement, un an plus tard, le 4 août 1824, capitaine de frégate à l'ancienneté.

Après tant de traverses, M. de Bonnefoux méritait, on l'avouera, un dédommagement. Rencontrant à Paris son ancien camarade Fleuriau, autrefois aspirant sur l'Atalante, dans l'escadre de l'amiral Linois, alors capitaine de vaisseau, aide de camp du ministre M. de Chabrol, il apprit la vacance du poste de sous-gouverneur du Collège royal de la Marine, à Angoulême.

Présenté le lendemain à M. de Chabrol, il plut à ce dernier, qui se connaissait en hommes, et le montra ce jour-là. M. de Gallard, gouverneur du Collège royal de la Marine, ancien émigré, ami personnel de Charles X, membre de la Chambre des députés, passait peu de temps à Angoulême. M. de Bonnefoux, gouverneur par intérim d'une façon à peu près continue, put dès lors montrer ses éminentes qualités. L'École navale d'Angoulême atteignit sous sa direction un haut degré de prospérité. Les Marins de la Charente, qui se formèrent de 1824 à 1829, purent accueillir avec dédain cette plaisanterie facile. Comme leurs aînés des promotions précédentes, ils honorèrent la Marine et achevèrent l'œuvre des élèves des Écoles de l'Empire en apportant à bord un ordre admirable et une parfaite propreté. Le succès obtenu par M. de Bonnefoux fut donc complet et reconnu d'une façon unanime. Lorsqu'en 1827 le sous-gouverneur du Collège royal demanda un commandement, M. de Chabrol, qui n'avait pas quitté le Ministère de la Marine, prit une décision spéciale, en vertu de laquelle ses services à Angoulême, assimilés à ceux d'un gouverneur de colonie, comptèrent comme services à la mer. M. de Bonnefoux n'avait pas voulu sacrifier ses droits à l'avancement. Tranquille désormais de ce côté, il reprit avec zèle une tâche dont il comprenait l'importance. Par malheur, il ne songeait pas à l'instabilité ministérielle. Le Ministère, qui succéda à celui dont M. de Chabrol faisait partie, supprima le Collège royal de Marine et le remplaça par une École navale, établie en rade de Brest. Angoulême obtint cependant une compensation: en vue d'utiliser les magnifiques bâtiments du Collège royal, on créa dans cette ville une École préparatoire de la Marine, destinée à jouer, vis-à-vis de l'armée de mer, un rôle analogue à celui du Prytanée de la Flèche, et les bureaux du Ministère de la Marine en destinèrent le commandement à M. de Bonnefoux. M. de Gallard, s'étant mis sur les rangs, à la surprise générale, l'emporta néanmoins. L'ancien sous-gouverneur quitta donc Angoulême, au mois de novembre 1829, et s'estima heureux d'être nommé Examinateur pour la Pratique des marins, chargé de faire subir dans les ports du Midi les épreuves réglementaires aux futurs capitaines de la Marine marchande. Sa joie ne fut pas de longue durée; car si ses nouvelles fonctions l'intéressèrent vivement, elles l'empêchèrent de participer à l'expédition d'Alger.

Après la Révolution de 1830, il revint à Angoulême, avec le commandement de l'École préparatoire, qu'avait quittée M. de Gallard, et crut cette fois sa vie définitivement fixée et sa carrière tracée jusqu'à la fin. Pure illusion, puisque, quelques mois après, en mars 1831, avant même la fin de l'année scolaire, le Gouvernement supprimait l'École préparatoire de la Marine. M. de Bonnefoux s'était cependant acquis une si légitime réputation qu'après quatre nouvelles années, pendant lesquelles il reprit ses tournées d'examinateur dans le Midi ou siégea dans différentes commissions, l'amiral Duperré l'appelait en qualité de capitaine de vaisseau au commandement du vaisseau-école, l'Orion, en rade de Brest, ajoutant que, pour cette délicate mission, nul n'avait pu songer à un autre que lui. Le Ministre ne se trompait pas; car, pendant les quatre années de son commandement, du 7 novembre 1835 à la fin d'octobre 1839, M. de Bonnefoux fit preuve une fois de plus de ses éminentes qualités. Il ne tarda pas à rétablir la concorde dans l'état-major, la confiance réciproque des officiers vis-à-vis des élèves, des élèves vis-à-vis des officiers. Un savant contre-amiral, depuis longtemps dans le cadre de réserve, mais dont la carrière fut aussi utile que brillante, se souvient encore avec émotion de son ancien commandant; sans sa pénétration et sa connaissance des hommes, il était renvoyé de l'École navale.

Une grave déception attendait cependant encore M. de Bonnefoux. Aujourd'hui et depuis longtemps le commandement de l'École navale conduit d'une façon naturelle au grade de contre-amiral. Les services du commandant de l'École comptent comme services à la mer, et rien de plus légitime; car il n'est guère pour un officier fonction plus haute ni plus importante. Une loi de 1837 décida, au contraire, que nul ne pourrait être promu contre-amiral sans avoir servi effectivement trois ans à la mer dans le grade de capitaine de vaisseau, de telle sorte que le commandant de l'École navale se trouvait à cet égard dans une position inférieure à celle de ses officiers. Après s'être bercé pendant quelques mois d'illusions qui avaient leur source dans les déclarations faites par le Ministre à la Chambre des députés et à la Chambre des pairs, M. de Bonnefoux se décida à quitter l'École navale et à solliciter un commandement à la mer.

1.M. de Bonnefoux rédigea le premier volume ou Dictionnaire de la marine à voile, M. Pâris, le second ou Dictionnaire de la marine à vapeur.
2.Albert de Circourt, Notice sur le capitaine de vaisseau de Bonnefoux, p. 5 (Extrait des Nouvelles Annales de la Marine et des Colonies, numéro de mars 1856). M. le comte de Circourt, que l'Assemblée nationale de 1871 élut conseiller d'État, avait été aspirant de Marine. Il conserva de M. de Bonnefoux le souvenir le plus respectueux et le plus reconnaissant, jusqu'au jour où il s'éteignit lui-même, après une longue vie consacrée tout entière au travail et aux bonnes œuvres.
3.Le nom est quelquefois orthographié Bonafoux ou Bonnafoux; mais la véritable orthographe est Bonnefoux.
4.En 1772, l'abbé Expilly, dans son Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, dit au mot Besiers ou Béziers (Biterrae): «On ne connaît guère de situations plus charmantes que celle de la ville de Besiers: c'est ce qui a fait dire que, si Dieu voulait faire son séjour sur terre, il le ferait à Besiers: Si Deus in terris velit habitare, Biterris. Les mauvais plaisants ajoutent: ut iterum crucifigeretur.» Le même auteur ajoute un peu plus loin: «Que ce soit l'excellence du climat ou la qualité excellente des aliments qui donne aux hommes une bonne constitution et de l'esprit, il n'en est pas moins certain que la ville de Besiers a toujours été féconde en sujets d'un rare mérite.»
5.Voyez ces Mémoires, liv. I. ch. II.
6.Sur les officiers de Marine émigrés qui servaient comme dragons dans l'armée des princes, voyez un passage très beau et très ému de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, édition Biré, t. II, p. 56.
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26 iyun 2017
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