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Kitobni o'qish: «Essai historique sur l'origine des Hongrois»

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PRÉAMBULE

S'il est vrai qu'au point de vue historique, les renseignements pris sur les lieux sont précieux à recueillir, et qu'un écrivain peut demander d'utiles secours au peuple qui fait le sujet de ses études, il faut reconnaître que c'est principalement en recherchant les origines de ce peuple qu'il sera tenu de le consulter.

Une nation venue de loin s'empare d'une contrée nouvelle; elle s'y établit, et combat pendant plusieurs siècles ses nouveaux voisins. Les chroniques de ces derniers vous donneront peut-être sur les guerres qui auront été faites des éclaircissements suffisants. Mais qui pourra dire d'où est sortie cette nation inconnue, qui vous apprendra son origine, si ce n'est la nation elle-même? Elle n'a pas encore d'annalistes. Mais attendez qu'elle se fixe, qu'elle forme un état stable: aussitôt de patients écrivains vont se mettre à l'œuvre, et rapporteront, sans même retrancher de leurs récits les suppositions fabuleuses, les traditions qui se sont encore conservées. De là l'importance, pour chaque peuple, des historiens nationaux.

Les données de ces chroniqueurs ne seront pas vos seules ressources. Il vous restera encore à voir cette nation elle-même, à observer sa physionomie, ses mœurs, à étudier sa langue, à la connaître enfin. Les renseignements que vous puiserez ainsi seront plus sûrs que les hypothèses des peuples voisins qui ont vu camper tout à coup au milieu d'eux une nation étrangère.

Ce n'est pas dans le but de rechercher les origines des Hongrois que j'ai primitivement visité la Hongrie. Mais il est impossible de faire un long séjour dans le pays sans étudier cette question historique, l'une de celles qui intéressent au plus haut point le voyageur. J'étais arrivé avec des idées toutes faites. Je publie celles que j'ai rapportées. Peut-être obtiendront-elles la confiance du lecteur, puisque ce ne sont pas les miennes, mais qu'elles appartiennent aux Hongrois eux-mêmes.

La question de l'origine des Hongrois a été diversement résolue. Jornandès fait descendre les Huns des femmes que Filimer, roi des Goths, chassa de son armée, parce qu'elles entretenaient un commerce avec les démons. Cette origine diabolique, qui s'est étendue aux Hongrois, a eu plus de défenseurs qu'on ne serait tenté de le croire, et bien après Jornandès un écrivain ne trouvait pas d'autre moyen d'expliquer le mot magyar qu'en le faisant dériver de magus, magicien1. Les uns disent que les Hongrois sont des Lapons2; les autres écrivent qu'ils sont Kalmoucks3, et pensent donner plus de force à leur opinion en invoquant une ressemblance de physionomie imaginaire. Les Hongrois sont d'origine turque, dit-on encore; leur langue le prouve: les empereurs de Constantinople les nommaient Τουρκοι, et encore aujourd'hui les Turcs les appellent de «mauvais frères», parce qu'ils leur ont fermé l'entrée de l'Europe. Un autre les confond avec les Huns, et les fait venir du Caucase sous le nom de Zawar4. D'autres enfin les appellent Philistéens ou Parthes, et leur donnent la Juhrie ou Géorgie pour patrie. Les quinze ou vingt noms différents que dans diverses langues les chroniqueurs ont donnés aux Hongrois augmentent encore les difficultés qui entourent nécessairement une question de ce genre, quand on veut rechercher leurs traces dans l'histoire.

C'est surtout en Allemagne qu'on s'est occupé de l'origine des Hongrois. En France on paraît s'en être rapporté à nos savants voisins, qui, placés plus près de la Hongrie et pouvant puiser à des sources plus certaines, semblaient appelés à résoudre le problème. Or en Allemagne on a adopté l'opinion émise par Schlœzer, illustre professeur de Gottingue, qui n'hésite pas à donner aux Hongrois une origine finnoise; d'où il suit que nous sommes portés à croire qu'ils sont effectivement Finnois d'origine.

Je n'ai certes pas la prétention de décider une question semblable: mon seul but est de rappeler ce que les Hongrois ont pensé et écrit à ce sujet, et dont, il faut l'avouer, on n'a guère tenu compte. Il a été dit que les Magyars ont parfaitement admis l'origine qu'on leur suppose, et qu'ils se donnent eux-mêmes pour Finnois. Cela est inexact. Un petit nombre d'entre eux, séduits par l'attrait d'une idée nouvelle, ont écrit, il est vrai, dans ce sens à la fin du siècle dernier. Mais ce sont surtout les Slaves de la Hongrie, qu'il faut bien se garder de confondre avec les Hongrois, qui ont adopté l'opinion de Schlœzer: ils méritent la même confiance que les autres écrivains étrangers, ni plus ni moins. Pour les Magyars, ils ont assez protesté contre l'espèce d'arrêt qu'on avait rendu sans les entendre; et ils ont protesté, dans ces derniers temps, en vue d'une idée sérieuse. En effet, l'opinion des savants a une conséquence positive, qui, si elle devait échapper à des hommes d'étude, frappe vivement tous les Hongrois, et aujourd'hui plus que jamais: c'est-à-dire que, la Hongrie étant habitée par cinq millions de Finnois d'une part, et de l'autre par six millions de Slaves, les empereurs de Russie, dans un avenir qui peut-être n'est pas bien éloigné, pourraient élever des prétentions sur ce royaume, ou au moins le comprendre entre les pays sur lesquels, comme chefs de la grande famille slave et de la grande famille finnoise, ils ont l'ambition d'exercer leur influence.

Ces prétentions, au reste, ne seraient pas nouvelles. Pierre le Grand dit ouvertement au prince Rákótzi, en Pologne, que les Hongrois étaient des sujets fugitifs de son empire, partis de la Juhrie5; et il est constaté que, si Rákótzi ne tira pas alors des Russes les secours qu'il pouvait en attendre, ce fut parce qu'il se défia de la pensée intime du tzar6. Il est également hors de doute que les dissertations historiques tendant à prouver que les Magyars sont les frères des Finnois-Russes furent toujours extrêmement goûtées à Saint-Pétersbourg. Schlœzer reçut une croix russe après avoir mis en avant l'idée de l'origine finnoise. Samuel Gyarmathi dédia à Paul Ier l'ouvrage dans lequel il s'efforçait de démontrer l'affinité des langues finnoise et magyare7, et l'empereur ne manqua pas de témoigner à l'écrivain toute sa satisfaction. Enfin, dans l'année 1826, l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, de sa propre inspiration ou non, prenait encore la peine de rechercher l'origine des Hongrois, quoiqu'il y ait au cœur de l'empire russe des populations dont l'origine eût été bien plus intéressante à trouver.

Telle est l'importance politique, c'est là le mot, que l'on peut donner à une question en apparence purement spéculative.

§ 1
LES HONGROIS SONT-ILS FINNOIS?

Nous arrivons à l'examen des preuves apportées par Schlœzer et ses partisans. Les écrivains allemands invoquent, à l'appui de leurs assertions, une phrase du chroniqueur russe Nestor, et l'affinité des langues hongroise et finnoise.

Pesons leurs arguments. Recherchons ensuite si les deux langues ont une affinité quelconque. Nous terminerons par une comparaison rapide des deux races, qu'on a trop négligé de faire jusqu'ici.

Voyons d'abord la phrase de Nestor:

«Dans l'année 898, les Hongrois passèrent devant Kiew sur une montagne, qui est appelée aujourd'hui hongroise. Ils venaient du Dnieper, et restèrent là sous des tentes, parce qu'ils marchaient comme les Polowtsi. Ils étaient venus d'Orient, passèrent de hautes montagnes nommées montagnes hongroises, et commencèrent à guerroyer avec les Valaques et les Slaves qui habitaient là8»

À cette phrase, qui a le mérite d'être fort claire, on ajoute le commentaire suivant: il y avait au treizième siècle, dans le pays des Finnois, une contrée où l'on parlait la langue magyare, et qui, avant l'époque du trajet des Hongrois décrit par Nestor, s'appelait Ugra, Ugorskaja; par conséquent les Hongrois ont dû partir de ce pays, puisqu'il portait leur nom avant qu'ils se missent en marche, et qu'ils y ont laissé des compatriotes. On prouve que cette contrée s'appelait Ugra, Ugorskaja, avant l'émigration des Magyars, en citant ce fait «que, dans la langue dés nouveaux arrivants, les hommes de Moscow reconnurent celle des habitants d'Ugra». On prouve en outre qu'on y parlait hongrois au treizième siècle en s'appuyant sur l'autorité de voyageurs, tels que le moine Julian (1240), Plan Carpin (1246), envoyé chez les Mongols par le pape Innocent IV, et Rabruquis (1253), envoyé par saint Louis, roi de France, puis, quand les preuves manquent aux assertions, on a recours à des étymologies incroyables: on dit, par exemple, que Magyar et Baschkir sont un seul et même mot.

Que les Hongrois aient campé dans cette partie de l'Europe comprise entre le Jaïk, la mer Caspienne et le Volga, c'est ce dont personne ne doute. Qu'une séparation ait eu lieu dans cette contrée entre les bandes émigrantes, c'est encore ce que l'on peut soutenir. En effet, les Magyars ont marché vers la Pannonie en laissant en chemin des milliers d'hommes, comme cela arrivait dans toute émigration. On aurait tort de penser que tous les Hongrois fixés aujourd'hui en Europe sont venus dans le même temps. Les Sicules de la Transylvanie, les Hongrois qui vivent dans les Puszta, les Steppes, et ceux qui habitent la Moldavie, se sont suivis à des siècles d'intervalle.

Ce fut une tradition non interrompue chez les Magyars, même après qu'ils se furent définitivement établis en Pannonie, qu'une grande partie de leurs frères s'étaient séparés d'eux pendant la route. Tant que les Magyars cherchèrent à s'avancer vers l'occident, c'est-à-dire jusqu'à Geyza, ils s'occupèrent peu de ces compagnons éloignés qui pouvaient les rejoindre dans la suite; ils continuèrent à aller plus avant, sans y penser davantage. Mais lorsqu'ils eurent renoncé à la vie nomade et aventureuse, quand le royaume de Hongrie se forma, s'organisa, les Magyars commencèrent à s'inquiéter de ceux qui étaient restés en chemin et qui ne venaient pas. Diverses expéditions furent entreprises dans le but de les amener en Hongrie.

La première paraît avoir eu lieu deux siècles après Geyza. «Quatre moines se dirigèrent vers l'Asie pour chercher leurs frères; ils voyagèrent long-temps par terre et par mer, bravant toutes sortes de fatigues, mais sans succès. Un seul, nommé Othon, dans une contrée habitée par des payens rencontra quelques hommes de sa langue qui lui apprirent où se trouvaient les autres; mais il n'entra pas dans leur pays, et revint au contraire en Hongrie pour prendre des compagnons et tenter un nouveau voyage. Malheureusement il mourut huit jours après son retour.» Cette phrase est non pas traduite, mais tirée d'un manuscrit du Vatican qui donne le récit de la seconde expédition.

Elle fut entreprise en 1240 sous Béla IV. Le moine hongrois Julian et trois autres religieux firent route vers Constantinople, voguèrent trente-trois jours sur la mer Noire, arrivèrent dans le pays de Sichia (terra Sichia), et après une marche de treize jours dans un désert, où ils ne virent ni hommes ni habitations, ils atteignirent l'Alanie chrétienne (Alaniam christianam). Ils y restèrent six mois; mais, ayant épuisé leurs ressources, et se trouvant réduits aux suprêmes nécessités, ils se résolurent à vendre deux d'entre eux comme esclaves. Ces deux moines ne savaient pas labourer et ne trouvaient pas d'acheteurs: ils pensèrent donc à retourner dans leur patrie. Les deux autres traversèrent pendant trente-sept jours un désert où ils ne rencontraient aucune route, et arrivèrent à Bunda, ville du pays des Sarrasins. Ils gagnèrent ensuite une seconde ville du même pays, où le compagnon de Julian mourut. Julian, resté seul, devint esclave d'un prêtre avec lequel il se rendit dans une grande ville d'où pouvaient sortir cinquante mille guerriers. Là il rencontra une femme hongroise, puis vers le Volga il trouva beaucoup de Magyars qui l'entourèrent avec joie et le questionnèrent sur leurs frères chrétiens: ils parlaient la pure langue magyare. Quoiqu'ils fussent payens, ils n'adoraient aucune idole. Ils ne cultivaient pas la terre, se nourrissaient de viande de cheval, et buvaient du sang et du lait de jument. Ils savaient par tradition qu'ils étaient les frères des Hongrois chrétiens; mais ils ignoraient complètement où ces derniers étaient établis. Leur bravoure les avait rendus redoutables: vaincus par les Tatars, leurs voisins, ils avaient ensuite fait alliance avec eux et ravagé ensemble quinze royaumes. Julian rencontra parmi eux des Tatars, et l'envoyé du khan tatar, lequel parlait plusieurs langues (ungaricum, rhutenicum, cumanicum, teutonicum, sarracenicum et tartaricum). Il fut sollicité par ses frères de rester avec eux; mais deux raisons le déterminèrent à revenir en Hongrie: il craignit qu'en convertissant à la foi catholique les Hongrois payens, il ne donnât l'éveil aux rois barbares qui se trouvaient placés entre eux et les Hongrois chrétiens; il craignit également de mourir avant de revoir ses compatriotes, et d'emporter le secret de sa découverte. En conséquence il quitta ses frères payens, et, se faisant indiquer une route plus directe, il retourna en Hongrie après avoir encore voyagé par terre et par mer.

Vraisemblablement ces deux expéditions, dont on n'aurait pas eu connaissance sans le manuscrit du Vatican, ne furent pas les seules que les Magyars tentèrent. Bonfinio écrit que Mathias Corvin, ayant appris par des marchands qu'il y avait des hommes de sa race dans un pays éloigné, résolut de les appeler en Hongrie, et que la mort seule l'empêcha de mettre ce projet à exécution.

Il est certain que les Hongrois qu'on cherchait étaient restés dans cette contrée située entre le Jaïk, le Volga et la mer Caspienne. C'est en arrivant vers ces parages que le moine Julian trouve ses compatriotes. Le tort des écrivains allemands est de placer la Grande-Hongrie, comme on l'appelle, aux sources du Volga, et de s'appuyer sans raison sur les récits des voyageurs, lesquels, comme il est évident, font mention du pays situé à l'embouchure de ce fleuve9

Remarquons en effet la route suivie par les moines dans les deux expéditions. Les premiers voyagent trois ans par terre et par mer. Ont-ils pris la route de Moscou? Éavidemment non. Ils se sont dirigés vers l'Asie, comme le manuscrit le rapporte. Les seconds vont à Constantinople s'embarquer sur la mer Noire, et traversent des déserts pour arriver au Volga. Ont-ils pensé à aller chercher leurs compatriotes en passant devant Kiew et en gagnant Moscou? Évidemment non. Une phrase du manuscrit montre qu'ils ne savaient pas à la vérité où les trouver. Inventum fuit in gestis Hungarorum christianorum quod esset alla Ungaria major… Sciebant etiam per scripta antiquorum quod ad orientem essent; ubi essent, penitus ignorabant. Mais, s'ils ignoraient la position certaine de cette Hongrie, ils étaient sûrs du moins qu'elle était située à l'orient, et non pas au cœur de la Russie, comme le veulent les écrivains allemands. Nestor écrit: Ils étaient venus de l'Orient; il ne dit pas: Ils étaient venus du Nord.

C'est donc dans cette contrée dont nous avons fixé les limites qu'avait eu lieu la séparation entre les bandes. La plus grande partie des émigrants était descendue vers le sud-ouest, tandis que quelques milliers de guerriers avaient fait halte près de la mer Caspienne. C'est pourquoi les moines traversaient la mer Noire et cherchaient le Volga.

Ainsi, en disant que le peuple magyar partit du pays d'Ugra, passa devant Moscou et alla guerroyer avec les Valaques et les Slaves, les écrivains allemands se trouvent en opposition frappante avec les traditions hongroises, qui, au treizième siècle, étaient encore assez fortes pour que des hommes isolés allassent, à travers mille dangers, chercher leurs compatriotes à l'orient.

Plan Carpin dit que «la Cumanie a immédiatement au Nord, après la Russie, les Mardouins, les Bilères, c'est-à-dire la Grande-Bulgarie, les Bastargues ou la Grande-Hongrie…» Les noms des peuples qui environnent la Grande-Hongrie prouvent qu'il n'est pas ici question des sources du Volga, et on est confirmé dans cette pensée par une phrase de Plan Carpin qui vient ensuite: «À l'ouest sont la Hongrie et la Russie.» Bien certainement, si Plan Carpin a rencontré des Magyars près du Volga, c'est à l'embouchure de ce fleuve. En outre, dans l'atlas manuscrit de Pierre Vesconte d'Ianna, dressé en 1318, et qui se trouve dans la bibliothèque impériale de Vienne, ainsi que dans d'autres cartes du même siècle, on voit le nom de Comania ou Chumania au nord de la mer d'Azow10. Si la Cumanie était située au nord de la mer d'Azow et la Grande-Hongrie au nord de la Cumanie, immédiatement après la Russie, c'est-à-dire vers l'est, il est clair que la Grande-Hongrie n'était pas éloignée de l'embouchure du Volga, tandis qu'elle était séparée par une grande distance des sources de ce fleuve.

Ce ne sont pas là les seuls faits sur lesquels nous nous appuyons. Nous trouvons dans les historiens bysantins, qu'il faut toujours consulter quand on parle des Hongrois, que les Magyars étaient campés près du Volga et de la mer Caspienne à l'époque où on prétend qu'ils étaient encore réunis aux Finnois. On lit en effet dans Siméon, Léon le Grammairien, Zonare et Ménandre, que «l'ambassadeur de Justin, Zemarchus, envoyé chez Dsabul, chef des Turcs, rencontra les Hongrois qui habitaient entre le Jaïk et le Volga.» Il s'agit positivement ici des Hongrois, car les historiens grecs ont soin de les distinguer des Turcs. Cette ambassade est de 569. Or on prétend que les Magyars se séparèrent des Finnois en 625.

Les écrivains allemands sont donc démentis par les historiens bysantins, lesquels montrent les Magyars dès 569 près de la mer Caspienne. Ils sont de plus combattus par les traditions hongroises, qui placent précisément dans cette contrée la Grande-Hongrie, quand ils croient la trouver aux sources du Volga. Est-il un argument ou un fait qui démente des preuves puisées à deux sources si différentes? Aucun. Et quand on fait venir les Magyars de la Laponie, de la Carélie ou de la Finlande, s'appuie-t-on sur quelque autorité? Nullement. Ce prétendu voyage des Hongrois à travers la Russie ne se retrouve dans aucun des historiens du Nord. Ni Starcater, l'auteur le plus ancien, car il écrivait au neuvième siècle; ni Evinn Salda Piller, qui vivait au dixième; ni Adam de Brême, du onzième; ni Saxo Grammaticus, du douzième; ni Snorro Sturleson, du treizième; ni Petrus Teutoburgicus, du quatorzième siècle, n'en font mention.

Notons en passant que les savants allemands sont loin de présenter une concordance d'opinion qui approche de cet accord signalé entre les historiens grecs et les traditions hongroises. Engel, par exemple, écrit: Pars Hungarorum e Lebedia per Patzinacitas pulsorum directe versus Persidem, tanquam in vetus aliquod et consuctum domicilium properarunt11.

Il ajoute que les Magyars restèrent en Lebedie deux cent trois ans. Mais l'année de leur apparition en Hongrie est 884: de là ôtez 203, reste 681. Ce dernier chiffre, comparé à 625, l'année de la prétendue séparation, donne une différence de cinquante-six ans. Les Hongrois, qui n'ont pu habiter la Perse qu'après avoir quitté les Finnois, ne seraient donc restés que cinquante-six ans dans cette contrée. Est-ce à un pays habité cinquante-six ans qu'on donne le nom de vetus et consuctum domicilium? Sur l'observation que cela est absurde, on s'empresse de reculer la date de la séparation convenue jusque là: chacun la rejette le plus loin possible, et, de sentiment en sentiment, de siècle en siècle, nous arrivons jusqu'à Gebhardi, qui la place avant l'ère chrétienne. Accordez, s'il y a moyen, toutes ces opinions divergentes.

On a remarqué que jusqu'ici il n'a pas été parlé des historiens hongrois. C'est parce qu'on les accuse de dire tout autre chose que la vérité. Nous avons consulté les historiens grecs, dont on n'a pas encore mis la véracité en doute, et les relations des voyageurs que les écrivains allemands s'empressent eux-mêmes de citer. Mais puisque nous sommes en droit de faire retomber sur Schlœzer le reproche d'inexactitude qu'il adressait à tous les historiens nationaux, nous rappellerons que ces écrivains ne parlent pas une seule fois des sources du Volga, tandis qu'ils font camper les Hongrois à l'embouchure de ce fleuve dans le même temps que les historiens bysantins. En effet, qu'on jette les yeux sur une carte d'Europe, on verra que les rivages de la mer Caspienne étaient un lieu de halte naturel entre l'Asie, d'où venaient les Magyars, et la Pannonie, où ils sont arrivés.

En résumé donc, les écrivains qui, complétant les renseignements fournis par Nestor, font partir les Magyars d'une Hongrie placée aux sources du Volga et leur tracent une route à travers la Russie, avancent des faits qui ne sont confirmés par aucun historien du Nord, et qui sont démentis de la manière la plus formelle par les récits des voyageurs, par les traditions hongroises du treizième siècle, et par les historiens hongrois appuyés des historiens bysantins.

On peut faire une observation qui seule prouverait que les Hongrois n'appartiennent pas à la race finnoise.

Il existe en Transylvanie deux cent mille hommes appelés Székely, Sckler ou Siculi, mais qui sont Hongrois, comme les Cumans et les Jaziges de la Hongrie. Ils se donnent eux-mêmes pour Hongrois, et ils ont la même langue, le même caractère et la même physionomie que les Magyars. Ils sont fixés dans le pays depuis le cinquième siècle. C'est un fait historiquement prouvé. Or comment expliquer la présence en Transylvanie d'une tribu finnoise dès le cinquième siècle?

Il est impossible de répondre à cette question. On ne s'explique la présence des Sicules qu'en acceptant les traditions hongroises et les historiens hongrois.

Passons à la seconde preuve produite par les écrivains allemands, l'affinité des langues.

On a dit qu'une foule de mots semblables se retrouvaient en hongrois et en finnois, et que les deux langues avaient une même grammaire.

Gyarmathi, dans un ouvrage qui a été cité, donne une suite de pages contenant des mots hongrois et finnois avec la traduction latine en regard. Des dictionnaires comparatifs ont été publiés. Au moment où l'on ouvre ces livres, en voyant cette file imposante de colonnes, on est sur le point de se croire convaincu. Mais que doit-on penser quand, en les parcourant un instant, on trouve les mots suivants comme exemples de similitude.


Gyarmathi a comparé les Évangiles écrits en langue finnoise et magyare. Il lui a été impossible dans beaucoup de chapitres de trouver la moindre ressemblance de mots; et même, dans les quelques uns qu'il donne, il a omis à dessein un grand nombre de versets qui auraient nui à l'effet qu'il veut produire. Celui que je transcris, quoiqu'il ne contienne que neuf versets sur quarante-deux, est encore un des plus complets, car souvent Gyarmathi n'a osé citer qu'un seul verset par chapitre.

CHAPITRE X DE SAINT JEAN

Note 12: Dans ces exemples, Gyarmathi a commis des erreurs volontaires. Au lieu de citer simplement le texte hongrois de l'Évangile, il l'a défiguré de manière à le rapprocher le plus possible du texte finnois. Comme le sens est toujours altéré, je relèverai chaque fois le changement. Ici, par exemple, van oroz n'a pas une tournure hongroise. Les Hongrois sous-entendent toujours le mot van, «est». Gyarmathi l'a mis pour que le v de ce mot correspondît au w du finnois waras, «voleur». Au lieu de van oroz, il y a dans le texte hongrois lopo.


Note 13 : Énekit veut dire «son chant». Ce mot est mis à cause du finnois œnens, quoique les deux mots ne se ressemblent guère. Il y a dans le texte hongrois szavåt, «sa voix».

Note 14 : Hiv veut dire «fidèle». L'auteur l'a placé à cause du finnois hywæ. On lit dans le texte hongrois , «bon.» Dans aucune langue bon et fidèle ne sont synonymes.

Note 15 : Le texte hongrois dit esmérem, «je connais». Tudom, qui doit se rapprocher du finnois tunnen, veut dire «je sais». – «Je sais mes brebis» n'a pas de sens en hongrois.

Note 16 : Il y a dans le texte hongrois esmértetem, «je suis connu». Tudnak signifie «je suis su», et n'a pas de sens ici.


Note 17: Honny veut dire «patrie»; honnyból, «de la patrie.» Cette expression dans ce cas est absurde. On ne peut pas dire la patrie des brebis pour désigner le lieu où elles sont enfermées. Le texte hongrois dit akolból, «de la bergerie».

Note 18 : V. plus haut.

Note 19: V. plus haut.


Note 20: Ösömnek veut dire «à mon ancêtre» (c'est une tournure hongroise, le datif au lieu du génitif). Il y a dans le texte hongrois atyámnak «à mon père».

Note 21: Minden signifie «tous». On lit dans le texte hongrois sokan, «beaucoup». Dans aucune langue, ces deux mots ne sont synonymes.

Note 22 : V. plus haut.

Note 23: Minden tére hozzája veut dire «tous revinrent». Le texte hongrois dit sokan mennek, «beaucoup allèrent», ce qui est tout différent.


Rappelons que c'est là peut-être le chapitre qui contient le plus de preuves de cette ressemblance qu'on prétend établir entre les deux langues. Qu'eût pensé le lecteur de cette affinité dont on parle tant, si nous avions dit: Dans tout le chapitre XXV des actes des apôtres, qui contient vingt-sept versets, on n'a trouvé que la ligne suivante qui donnât des exemples de similitude, ou si nous avions copié l'un après l'autre tous les chapitres dont on n'a rien cité du tout parce qu'avec la meilleure volonté du monde (nous pouvons employer cette expression), il était impossible d'y trouver la moindre ressemblance de mots?



Celui qui parla le premier des rapports du hongrois et du finnois fut un de ces Slaves de la Hongrie dont on a invoqué à tort l'opinion comme étant celle des Hongrois, Sajnovicz. Dans la joie de sa découverte il s'écria: Demonstratio idioma Hungarorum et Lapponum idem esse, et il écrivit une liste interminable de mots comparés. Schlœzer, on va le voir, prit plus froidement les choses, et trouva le idem beaucoup trop fort. Ce fut, je crois, Sajnovicz qui donna cette chanson esthonienne que les Hongrois devaient comprendre, et qui a toujours été pour eux fort inintelligible12.




On se demande si c'est bien sérieusement qu'on a supposé de l'analogie entre le hongrois et le finnois, car il est impossible de trouver dans tous ces exemples quatre mots semblables. Quand on lit le français, l'italien ou l'espagnol, on reconnaît à chaque ligne le latin. Le valaque même, qui de tous les idiomes latins s'éloigne le plus de la langue-mère, a conservé des rapports évidents. J'ouvre le bréviaire valaque, et j'en copie la première phrase comparée avec la phrase latine.



Mais que dire de cette chanson esthonienne, et de ces évangiles, et de ces dictionnaires comparatifs?

Au reste, pour répondre aux écrivains qui admettent que les deux langues se composent des mêmes mots, on peut se borner à rappeler ce qu'a dit Schlœzer, lequel a attaché son nom à l'idée de l'origine finnoise. Dans ce cas son jugement n'est pas suspect. La liste des mots comparés de Sajnovicz, dit-il, ne donne pas plus de cent cinquante-quatre exemples, et si on retranche les dérivés, il n'en reste pas même la moitié. D'après Schlœzer lui-même, il n'y a donc environ que soixante-dix exemples sur lesquels on puisse s'appuyer. Mais qu'y a-t-il de surprenant dans ce fait que les deux langues ont soixante-dix mots communs? Il est certain que les Magyars ont été en contact avec les peuplades finnoises. N'est-il pas naturel que des peuples si différents, venus de si loin, apportant des idées si diverses, se soient pris mutuellement quelques mots? Les Hongrois ont de même dans leur langue autant de mots allemands, plus encore; quelques uns sont empruntés au latin, et même, en cherchant bien, on trouvera dans la langue hongroise soixante mots français, outre que nous avons en français une dizaine de mots hongrois13. En conclurez-vous que les Magyars sont Allemands, Latins ou Français?

Et d'ailleurs, peut-on nier qu'il existe entre toutes les langues une certaine fraternité, de même qu'il existe une fraternité de race entre tous les hommes? De là vient qu'on a constaté entre le hongrois et le slave autant de rapports qu'entre le hongrois et le finnois.

La ressemblance d'une centaine de mots ne prouve pas l'affinité entre deux langues, et montre seulement que les nations qui s'en servent se sont pris mutuellement quelques expressions. Des peuples de même race doivent nécessairement avoir les mêmes racines, les mêmes mots primitifs. Ils doivent au moins donner les mêmes noms aux sentiments ordinaires à l'homme. Ces analogies, il est impossible de les montrer dans les langues hongroise et finnoise.

On objectera que les deux langues ont une même grammaire: voyons donc jusqu'à quel point cela est vrai.

Leem, Fielstrœm, Hœgstrœm, Ganander, Comenius, Fogel, Eccard, et beaucoup d'autres philologues, ont fait des conjectures sur la langue hongroise, mais ne la savaient pas. «Leurs inventions n'ont servi qu'à nous faire sourire», me disait un Hongrois; et, comme le remarque fort bien Sajnovicz, on ne peut absolument rien tirer de leurs observations. Heureusement le hongrois Gyarmathi a essayé de prouver cette affinité. Nous avons donc là quelque chose de sérieux à examiner.

L'ouvrage de Gyarmathi est très au dessous de son titre, qui est fort ambitieux. Il consiste en près de trois cents pages qui toutes contiennent des colonnes de mots comparés, dans le genre de ceux qu'on vient de lire. Çà et là sont quelques remarques fort courtes, placées en tête des chapitres et qui aboutissent à dire: Voici comment se forment dans les deux langues les terminaisons, ou bien: Voici comment se forment les comparatifs. Ces lignes sont suivies d'exemples qui montrent les comparatifs et les déclinaisons. De là vous passez aux colonnes d'adverbes, de prépositions, etc. Mais quant à la démonstration que ces langues sont grammaticalement semblables, vous la cherchez en vain, quoique le titre l'annonce hautement.

Quelques années avant, quand il n'était pas encore admis que les Hongrois se rattachaient à la race finnoise, Gyarmathi, qui connaissait parfaitement sa langue, avait publié un ouvrage dans lequel il en faisait ressortir les principaux caractères. Il n'avait alors aucun but: il n'écrivait pas systématiquement; il cherchait seulement à montrer le génie de la langue hongroise, «qui, comme il le rappelait, a des qualités qui lui sont propres et ne peut être comparée qu'aux langues de l'Orient»14.

1.Le nom de Hongrois vient du latin Hungari, qui lui-même dérive de l'allemand Ungarn. Dans leur langue, les Hongrois se nomment Magyar (prononcez Mâdiâr).
2.Jos. Hager, Wien, 1793.
3.Spittler, Berlin, 1794.
4.Dankovski, Pressburg, 1823.
5.Mathias Bel.
6.V. les Mémoires du prince François Rákótzi.
7.Affinitas linguæ hungaricæ cum linguis fennicæ originis grammatice demonstrata. Gottingæ, 1799.
8.Nestor. Russische Annalen, in ihrer Slowenischen Grundsprache: erklært und übersetz von Aug. Lud. V. Schlœzer. Gœttingen, 1802. V. une brochure intitulée Abkunft der Magyaren. Pressburg, 1827.
9.Ces Hongrois se seront peut-être fondus avec les Tatars, auxquels, d'après le manuscrit de Vatican, ils étaient déjà réunis au treizième siècle. Peut-être aussi auront-ils marché vers le Caucase, où se trouvent aujourd'hui encore des Magyars. (V. le voyage de Besse, dont quelques extraits sont placés à la fin de ce travail.)
10.Besse, Voyage en Crimée, au Caucase, etc.
11.Viennæ, 1791.
12.Cette chanson a été reproduite en entier dans un article de M. André Horváth (Tudományos Gyüjtemény, 1823, 2k Kötet. – Collection scientifique de Pesth), dont la lecture m'a été fort utile. Il est intitulé: Les Hongrois ne sont pas Finnois, A' Magyar nemzet nem Fenn.
13.«Heiduque, trabant, hussard, schako, kolback, dolman, soutache», sont des mots hongrois francisés.
14.Gyarmathi, Leçons raisonnées de langue hongroise. Clausenbourg, 1794 (en hongrois).
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28 sentyabr 2017
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