Kitobni o'qish: «La vie et la mort du roi Richard II»
NOTICE
SUR
LA VIE ET LA MORT DU ROI RICHARD II
A mesure que Shakspeare avance vers les temps modernes de l'histoire de son pays, les chroniques sur lesquelles il s'appuie concourent plus exactement avec l'histoire véritable; et déjà, dans la Vie et la Mort de Richard II, les détails que lui fournit Hollinshed s'écartent peu des données historiques parvenues jusqu'à nous avec une certaine authenticité. A l'exception du personnage de la reine, pure invention du poëte, et abstraction faite du désordre que met dans la chronologie la négligence de Shakspeare à conserver aux événements leurs distances respectives, les faits contenus dans cette tragédie ne diffèrent en rien des récits historiques, si ce n'est sur le genre de mort qu'on fit subir à Richard. Hollinshed, qui a copié d'autres chroniqueurs, à donné à Shakspeare la relation qu'il a suivie; mais l'opinion la plus vraisemblable, et qui s'accorde le mieux avec le soin qu'on eut d'exposer publiquement Richard après sa mort, c'est qu'on le fit mourir de faim. Cette attention à sauver du moins les apparences matérielles du crime dont on s'inquiétait peu d'éviter le soupçon, commençait à s'introduire dans la féroce politique du temps; et Richard lui-même avait fait étouffer entre des matelas le duc de Glocester qu'il tenait prisonnier à Calais, publiant ensuite qu'il était mort d'une attaque d'apoplexie. Outre le penchant de Shakspeare à suivre fidèlement le guide historique qu'il avait une fois adopté, cette version lui permettait de conserver au caractère de Bolingbroke l'intérêt qu'il a répandu sur lui dans les les deux parties de Henri IV. Le choix entre différentes versions est d'ailleurs le droit le moins contesté et le moins contestable des auteurs dramatiques.
La tragédie de Richard II est donc, généralement parlant, assez conforme à l'histoire; et la manière dont le poëte a représenté la déposition de Richard et l'avénement au trône de Henri de Lancastre paraît singulièrement d'accord avec ce que dit Hume au sujet de cet avénement: «Il (Henri IV) devint roi, sans que personne pût dire comment ni pourquoi.» Mais il faut être, comme l'était Hume, tout à fait étranger au spectacle des révolutions, pour être embarrassé à dire comment et pourquoi le duc de Lancastre, après avoir agi quelque temps au nom du roi qu'il tenait prisonnier, se mit sans aucune peine à sa place. Shakspeare n'a pas cru nécessaire de l'expliquer: Richard est parti de Flintcastle avec le nom de roi à la suite de Bolingbroke; nous le revoyons signant sa propre déposition. Le poëte ne nous indique en aucune manière ce qui s'est passé; mais pour ne pas deviner comment s'est accomplie la chute de Richard, il faudrait que nous eussions bien mal compris ce qui nous a été présenté du spectacle de ses premières disgrâces: la conversation du jardinier avec ses garçons en complète le tableau en nous révélant leur effet sur l'opinion. C'est un trait de l'art de Shakspeare pour nous faire assister à toutes les parties de l'événement; il nous transporte toujours là où il frappe ses coups les plus décisifs, tandis que loin de nos yeux l'action poursuit son cours, et se contente de nous retrouver toujours au but.
Bien que cette tragédie ait été intitulée la Vie et la Mort de Richard II, elle ne comprend que les deux dernières années de ce prince, et ne contient qu'un seul événement, celui de sa chute, catastrophe à laquelle tout marche dès le début de la pièce. Cet événement a été considéré sous différentes faces, et une anecdote assez singulière nous a révélé l'existence d'une autre tragédie sur le même sujet, antérieure, à ce qu'il paraît, à celle de Shakspeare, et traitée dans un esprit tout différent. Quelques-uns des partisans du comte d'Essex, le jour qui précéda son extravagante tentative, voulurent faire jouer une tragédie où, comme dans celle de Shakspeare, on voyait Richard II déposé et tué sur le théâtre. Les acteurs leur ayant représenté que la pièce était tout à fait hors de mode et ne leur attirerait pas assez de monde pour couvrir leurs frais, sir Gilly Merrick, l'un d'entre eux, leur donna quarante shillings en sus de la recette. Ce fait est rapporté au procès de sir Gilly, et servit à sa condamnation.
L'entreprise du comte d'Essex eut lieu en 1601, et la pièce de Shakspeare avait paru, à ce qu'on croit, dès l'an 1597. Malgré cette antériorité, personne ne sera tenté de soupçonner qu'une pièce de Shakspeare ait pu figurer dans une entreprise factieuse contre Élisabeth. D'ailleurs la pièce en question paraît avoir été connue sous le titre de Henri IV, non sous celui de Richard II; et l'on est même fondé à croire que l'histoire de Henri IV en était le véritable sujet, et la mort de Richard seulement un incident. Mais, pour lever toute espèce de doute, il suffit de lire la tragédie de Shakspeare; la doctrine du droit divin y est sans cesse présentée accompagnée de cet intérêt que font naître le malheur et le spectacle de la grandeur déchue. Si le poëte n'a pas donné à l'usurpateur cette physionomie odieuse qui produit la haine et les passions dramatiques, il suffit de lire l'histoire pour en comprendre la cause.
Ce n'est pas un fait particulier à Richard II et à sa destinée, dans l'histoire de ces temps désastreux, que ce vague de l'aspect moral sous lequel se présentent les hommes et les choses, et qui ne permet aux sentiments de s'attacher à rien avec énergie, parce qu'ils ne peuvent se reposer sur rien avec satisfaction. Des partis toujours aux prises pour s'arracher le pouvoir, tour à tour vaincus et méritant leur défaite, sans que jamais un seul ait mérité la victoire, n'offrent pas un spectacle très-dramatique, ni très-propre à porter nos sentiments et nos facultés à ce degré d'exaltation qui est un des plus nobles buts de l'art. La pitié y manque souvent à l'indignation, et l'estime presque toujours à la pitié. On n'est pas embarrassé à trouver les crimes du plus fort, mais on cherche avec anxiété les vertus du plus faible: et le même effet se reproduit dans le sens contraire: des folies, des déprédations, des injustices, des violences ont amené la chute de Richard, l'ont rendue inévitable, et elles nous détachent de lui sous ce double rapport que nous le voyons se perdre lui-même et impossible à sauver. Cependant il serait aisé de trouver au moins autant de crimes dans le parti qui triomphe de son abaissement. Shakspeare pourrait, à peu de frais, amasser contre les rebelles des trésors d'indignation qui soulèveraient tous les coeurs en faveur du souverain légitime: mais un des principaux caractères du génie de Shakspeare, c'est une vérité, on peut dire une fidélité d'observation qui reproduit la nature comme elle est, et le temps comme il se présente: celui-là ne lui offrait ni héros supérieurs à leur fortune, ni victimes innocentes, ni dévouements héroïques, ni passions imposantes; il n'y trouvait que la force même des caractères employée au service des intérêts qui les rabaissent, la perfidie considérée comme moyen de conduite, la trahison presque justifiée par le principe dominant de l'intérêt personnel, la désertion presque légitimée par la considération du péril que l'on courrait à demeurer fidèle; c'est aussi là tout ce qu'il a peint. C'est, à la vérité, le duc d'York, personnage dont l'histoire nous fait connaître l'incapacité et la nullité, qu'il a choisi pour représenter ce dévouement toujours si ardent pour l'homme qui gouverne, cette facilité à transmettre son culte du pouvoir de droit au pouvoir de fait, et vice versa, se réservant, seulement pour son honneur, des larmes solitaires en faveur de celui qu'il abandonne. Pour quiconque n'a pas vu la fortune se jouant avec les empires, ce personnage ne serait que comique; mais pour qui a assisté à de pareils jeux, n'est-il pas d'une effrayante Vérité?
Dans un pareil entourage, où Shakspeare pouvait-il puiser ce pathétique qu'il aurait aimé à répandre sur le spectacle de la grandeur déchue? Lui qui a donné au vieux Lear, dans sa misère, tant de nobles et fidèles amis, il n'en a pu trouver un seul à Richard; le roi est tombé dépouillé, nu, entre les mains du poëte comme de son trône, et c'est en lui seul que le poëte a été obligé de chercher toutes les ressources: aussi le rôle de Richard II est-il une des plus profondes conceptions de Shakspeare.
Les commentateurs sont en grande discussion pour savoir si c'est à la cour de Jacques ou à celle d'Élisabeth que Shakspeare a pris les maximes qu'il professe assez communément en faveur du droit divin et du pouvoir absolu. Shakspeare les a prises ordinairement dans ses personnages mêmes; et il lui suffisait ici d'avoir à peindre un roi élevé sur le trône. Richard n'a jamais imaginé qu'il fût ou pût être autre chose qu'un roi; sa royauté fait à ses yeux partie de sa nature; c'est un des éléments constitutifs de son être qu'il a apporté avec lui en naissant, sans autre condition que de vivre: comme il n'a rien à faire pour le conserver, il n'est pas plus en son pouvoir de cesser d'en être digne que de cesser d'en être revêtu: de là son ignorance de ses devoirs envers ses sujets, envers sa propre sûreté, son indolente confiance au milieu du danger. Si cette confiance l'abandonne un instant à chaque nouveau revers, elle revient aussitôt, doublant de force à mesure qu'il lui en faut davantage pour suppléer aux appuis qui s'écroulent successivement. Arrivé enfin au point où il ne lui est plus possible d'espérer, le roi s'étonne, se regarde, se demande si c'est bien lui. Une autre espèce de courage s'élève alors en lui; c'est celui que donne un malheur tel que l'homme qui le subit s'exalte par la surprise où le plonge sa propre situation; elle devient pour lui l'objet d'une si vive attention qu'il ose la considérer sous tous ses rapports, ne fût-ce que pour la comprendre; et par cette contemplation il échappe au désespoir, et s'élève quelquefois à la vérité, dont la découverte calme toujours à un certain point: mais ce calme est stérile, et ce courage inactif; il soutient l'esprit, mais il tue l'action: aussi toutes les actions de Richard sont-elles de la dernière faiblesse; ses réflexions mêmes sur son état actuel décèlent un sentiment de sa nullité qui descend, en de certains moments, presque à la bassesse: et qui pourrait le relever, lui qui, en cessant d'être roi, a perdu, dans sa propre opinion, la qualité distinctive de son être, la dignité de sa nature? Il se croyait précieux devant Dieu, soutenu par son bras, armé de sa puissance; déchu de ce rang mystérieux où il s'était placé, il ne s'en connaît plus aucun sur la terre; dépouillé de la force qu'il croyait son droit, il ne suppose pas qu'il lui en puisse rester aucune: aussi ne résiste-t-il à rien; ce serait essayer ce qu'il suppose impossible: pour réveiller son énergie, il faut qu'un danger pressant, soudain, provoque, pour ainsi dire, à son insu, des facultés qu'il désavoue: attaqué dans sa vie, il se défend et meurt avec courage. Pour en avoir eu toujours, il lui a manqué de savoir ce que vaut un homme.
Il ne faut point chercher dans Richard II, non plus que dans la plupart des pièces historiques de Shakspeare, un caractère de style particulier: la diction en est peu travaillée; assez souvent énergique, elle est souvent aussi d'un vague qui laisse la raison absolument maîtresse de décider sur le sens des expressions, que ne détermine aucune règle de syntaxe.
Cette pièce est toute en vers, et en grande partie rimée. L'auteur paraît y avoir fait des changements depuis la première édition, publiée en 1597. La scène du procès de Richard, en particulier, manque tout entière dans cette édition, et se trouve pour la première fois dans celle de 1608.
LA VIE ET LA MORT
du
ROI RICHARD II
TRAGÉDIE
PERSONNAGES
LE ROI RICHARD II.
EDMOND DE LANGLEY, }
duc d'York,} oncles du
JEAN DE GAUNT, duc de} roi.
Lancastre. }
HENRI, surnommé BOLINGBROKE,
duc d'Hereford, fils de Jean de Gaunt,
ensuite roi d'Angleterre sous le nom
de Henri IV.
LE DUC D'AUMERLE, fils du duc
d'York.
MOWBRAY, duc de Norfolk.
LE DUC DE SURREY.
LE COMTE DE SALISBURY.
LE COMTE DE BERKLEY 1.
BUSHY, }
BAGOT,} créatures du roi Richard.
GREEN, }
LE COMTE DE NORTHUMBERLAND.
HENRI PERCY, fils de Northumberland.
LORD ROSS.
LORD WILLOUGHBY.
LORD FITZWATER.
L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.
L'ABBÉ DE WESTMINSTER.
LE LORD MARÉCHAL.
SIR PIERCE D'EXTON.
SIR ÉTIENNE SCROOP.
LE CAPITAINE d'une bande de Gallois.
LA REINE, femme de Richard.
LA DUCHESSE DE GLOCESTER.
LA DUCHESSE D'YORK.
Dames de la suite de la reine. Lords, hérauts, officiers, soldats, deux jardiniers, un gardien, un messager, un valet d'écurie, et autres personnes de suite.
La scène se passe successivement dans plusieurs parties de l'Angleterre et du pays de Galles
ACTE PREMIER
SCÈNE I
Londres. – Un appartement dans le palais
Entrent LE ROI RICHARD avec sa suite, JEAN DE GAUNT et d'autres nobles avec lui
RICHARD. – Vieux Jean de Gaunt, vénérable Lancastre, as-tu, comme tu t'y étais engagé par serment, amené ici ton fils, l'intrépide Henri d'Hereford, pour soutenir devant nous l'injurieux défi qu'il adressa dernièrement au duc de Norfolk, Thomas Mowbray, et dont nous n'eûmes pas alors le loisir de nous occuper?
GAUNT. – Oui, mon souverain, je l'ai amené.
RICHARD. – Réponds-moi encore: l'as-tu sondé? sais-tu s'il l'a défié, poussé par une vieille haine, ou s'il a cédé à la vertueuse colère d'un bon sujet, fondée sur quelque trahison dont il sache Mowbray coupable?
GAUNT. – Autant que j'ai pu le pénétrer sur cette question, c'est sur la connaissance de quelque danger dont Mowbray menace Votre Altesse, et non par aucune haine invétérée.
RICHARD. – Fais-les comparaître tous deux en notre présence; nous voulons entendre nous-même l'accusateur et l'accusé parler librement face à face, et se menaçant l'un l'autre du regard. (Sortent quelques-uns des gens de la suite du roi.) Ils sont tous deux hautains, pleins de colère, et, dans leur fureur, sourds comme la mer, impétueux comme la flamme.
(Rentrent les serviteurs avec Bolingbroke et Norfolk.)
BOLINGBROKE. – Que de longues années d'heureux jours échouent en partage à mon gracieux souverain, à mon bien-aimé seigneur!
NORFOLK. – Puisse chaque jour ajouter au bonheur de la veille, jusqu'à ce que le ciel, envieux des félicités de la terre, ajoute à votre couronne un titre immortel!
RICHARD. – Nous vous remercions tous deux: cependant il y en a un de vous qui n'est qu'un flatteur, à en juger par le sujet qui vous amène, c'est-à-dire l'accusation de haute trahison que vous portez l'un contre l'autre. – Cousin Hereford, que reproches-tu au duc de Norfolk, Thomas Mowbray?
BOLINGBROKE. – D'abord (et que le ciel prenne acte de mes paroles!) c'est excité par le zèle d'un sujet dévoué, et en vue de la précieuse sûreté de mon prince, que, libre d'ailleurs de toute autre haine illégitime, je viens ici le défier en votre royale présence. – Maintenant, Thomas Mowbray, je me tourne vers toi, et remarque le salut que je t'adresse; car ce que je vais dire, mon corps le soutiendra sur cette terre, où mon âme, divine, en répondra dans le ciel. Tu es un traître et un mécréant, de trop bon lieu pour ce que tu es, et trop méchant pour mériter de vivre, car plus le ciel est pur et transparent, plus affreux paraissent les nuages qui le parcourent; et pour te noter plus sévèrement encore, je t'enfonce dans la gorge une seconde fois le nom de détestable traître, désirant, sous le bon plaisir de mon souverain, ne point sortir d'ici que mon épée, tirée à bon droit, n'ait prouvé ce que ma bouche affirme.
NORFOLK. – Que la modération de mes paroles ne fasse pas ici suspecter mon courage. Ce n'est point par les procédés d'une guerre de femmes, ni par les aigres clameurs de deux langues animées que peut se décider cette querelle entre nous deux. Il est bien chaud le sang que ceci va refroidir. Cependant je ne peux pas me vanter d'une patience assez docile pour me réduire au silence et ne rien dire du tout: et d'abord je dirai que c'est le respect de Votre Grandeur qui me tient court, m'empêchant de lâcher bride et de donner de l'éperon à mes libres paroles; autrement elles s'élanceraient jusqu'à ce qu'elles eussent fait rentrer dans sa gorge ces accusations redoublées de trahison. Si je puis mettre ici de côté la royauté de son sang illustre, et ne le tenir plus pour parent de mon souverain, je le défie, et lui crache au visage comme à un lâche calomniateur et un vilain, ce que je soutiendrais en lui accordant tous les avantages, et je le rencontrerais quand je serais obligé d'aller à pied jusqu'aux sommets glacés des Alpes, ou dans tout autre pays inhabitable où jamais Anglais n'a encore osé mettre le pied. En tout cas, je maintiens ma loyauté, et déclare, par tout ce que j'espère; qu'il en a menti faussement.
BOLINGBROKE. – Pâle et tremblant poltron, je jette mon gage, refusant de me prévaloir de ma parenté avec le roi, et je mets à l'écart la noblesse de ce sang royal que tu allègues par peur et non par respect. Si un effroi coupable t'a laissé encore assez de force pour relever le gage de mon honneur, alors baisse-toi. Par ce gage et par toutes les lois de la chevalerie, je soutiendrai corps à corps ce que j'ai avancé, ou tout ce que tu pourrais imaginer de pis encore.
NORFOLK. – Je le relève, et je jure par cette épée, qui apposa doucement sur mon épaule mon titre de chevalier, que je te ferai honorablement raison de toutes les manières qui appartiennent aux épreuves chevaleresques; et une fois monté à cheval, que je n'en descende pas vivant si je suis un traître ou si je combats pour une cause injuste!
RICHARD. – Quelle est l'accusation dont notre cousin charge Mowbray? Il faut qu'elle soit grave pour parvenir à nous inspirer même la pensée qu'il ait pu mal faire.
BOLINGBROKE. – Écoutez-moi, j'engage ma vie à prouver la vérité de ce que je dis: Mowbray a reçu huit mille nobles 2 à titre de prêts pour les soldats de Votre Altesse, et il les a retenus pour des usages de débauche, comme un faux traître et un insigne vilain. De plus, je dis et je le prouverai dans le combat, ou ici ou en quelque lieu que ce soit, jusqu'aux extrémités les plus reculées qu'ait jamais contemplées l'oeil d'un Anglais, que toutes les trahisons qui depuis dix-huit ans ont été complotées et machinées dans ce pays ont eu pour premier chef et pour principal auteur le perfide Mowbray. Je dis encore, et je soutiendrai tout cela contre sa détestable vie, qu'il a comploté la mort du duc de Glocester; qu'il en a suggéré l'idée à ses ennemis faciles à persuader, et par conséquent que c'est lui qui, comme un lâche traître, a fait écouler son âme innocente dans des ruisseaux de sang; et ce sang, comme celui d'Abel tiré à son sacrifice, crie vers moi du fond des cavernes muettes de la terre; il me demande justice et un châtiment rigoureux: et, j'en jure par la noblesse de ma glorieuse naissance, ce bras fera justice, ou j'y perdrai la vie.
RICHARD. – A quelle hauteur s'est élevé l'essor de son courage! – Thomas de Norfolk, que réponds-tu à cela?
NORFOLK. – Oh! que mon souverain veuille détourner son visage, et commander à ses oreilles d'être sourdes un instant, jusqu'à ce que j'aie appris à celui qui déshonore son sang à quel point Dieu et les gens de bien détestent un si exécrable menteur.
RICHARD. – Mowbray, nos yeux et nos oreilles sont impartiales: fût-il mon frère, ou même l'héritier de mon royaume, comme il n'est que le fils du frère de mon père, je le jure par le respect dû à mon sceptre, cette parenté qui l'allie de si près à notre sang sacré ne lui donnerait aucun privilége et ne rendrait point partiale l'inflexible fermeté de mon caractère intègre. Il est mon sujet, Mowbray, toi aussi; je te permets de parler librement et sans crainte.
NORFOLK. – Eh bien! Bolingbroke, à partir de la basse région de ton coeur, et à travers le traître canal de ta gorge, tu en as menti. De cette recette que j'avais pour Calais, j'en ai fidèlement remis les trois quarts aux soldats de son Altesse: j'ai gardé l'autre de l'aveu de mon souverain, qui me devait cette somme pour le reste d'un compte considérable dû depuis le dernier voyage que je fis en France pour aller y chercher la reine. Avale donc ce démenti. – Quant à la mort de Glocester… je ne l'ai point assassiné: seulement j'avoue à ma honte qu'en cette occasion j'ai négligé le devoir que j'avais juré de remplir. – Pour vous, noble lord de Lancastre, respectable père de mon ennemi, j'ai dressé une fois des embûches contre vos jours, crime qui tourmente mon âme affligée; mais avant de recevoir pour la dernière fois le sacrement, je l'ai confessé, et j'ai eu soin d'en demander pardon à Votre Grâce, qui, j'espère, me l'a accordé. Voilà ce que j'ai à me reprocher. Pour tous les autres griefs qu'il m'impute, ces accusations partent de la haine d'un vilain, d'un traître lâche et dégénéré, sur quoi je me défendrai hardiment en propre corps: je jette donc à ce traître outrecuidant mon gage en échange du sien; je lui prouverai ma loyauté de gentilhomme aux dépens du meilleur sang qu'il renferme dans son sein; et pour ce faire promptement, je conjure sincèrement Votre Altesse de nous assigner le jour de l'épreuve.
RICHARD. – Gentilshommes enflammés de colère, laissez-moi vous diriger: purgeons cette bile sans tirer de sang. Sans être médecin, voici ce que je prescris: un ressentiment profond fait de trop profondes incisions; ainsi donc, oubliez, pardonnez, terminez ensemble et réconciliez-vous; nos docteurs disent que ce n'est pas la saison de saigner. – Mon bon oncle, que cette querelle finisse où elle a commencé: nous apaiserons le duc de Norfolk; vous, calmez votre fils.
GAUNT. – Il convient assez à mon âge d'être un médiateur de paix. – Jette à terre, mon fils, le gage du duc de Norfolk.
RICHARD. – Et toi, Norfolk, jette à terre le sien.
GAUNT. – Eh bien, Henri, quoi? L'obéissance commande; je ne devrais pas avoir à te commander deux fois.
RICHARD. – Allons, Norfolk, jette-le, nous l'ordonnons: cela ne sert de rien.
NORFOLK. – C'est moi, redouté souverain, qui me jette à tes pieds: tu pourras disposer de ma vie, mais non pas de ma honte; la première appartient à mon devoir; mais je ne te livrerais pas, pour en faire un usage déshonorant, ma bonne renommée, qui en dépit de la mort vivra sur mon tombeau. Je suis ici insulté, accusé, conspué, percé jusqu'au coeur du trait empoisonné de la calomnie, sans pouvoir être guéri par aucun autre baume que par le sang du coeur d'où s'est exhalé le venin.
RICHARD. – Il faudra bien que cette rage se contienne. Donne-moi son gage: les lions apprivoisent les léopards.
NORFOLK. – Oui, mais ils ne peuvent changer leurs taches. Effacez mon déshonneur, et je cède mon gage. Mon cher maître, le trésor plus pur que puisse donner cette vie mortelle, c'est une réputation sans tache: dépouillés de ce bien, les hommes ne sont plus qu'une terre dorée, une argile peinte. Le diamant précieux enfermé sous les dix verrous d'un coffre-fort, c'est un esprit hardi dans un coeur loyal. Mon honneur est ma vie, tous deux existent conjointement: si tu m'ôtes l'honneur, je n'ai plus de vie. Ainsi mon cher souverain, laisse-moi défendre mon honneur; c'est par lui que je vis, et je mourrai pour lui.
RICHARD. – Cousin, jetez votre gage: commencez-le premier.
BOLINGBROKE. – Que Dieu préserve mon âme d'un si horrible péché! Ne montrerai-je le front humilié à la vue de mon père, et démentirai-je ma fierté par la crainte d'un pâle mendiant, devant ce lâche que j'ai bravé? Avant que ma langue outrage mon honneur par une indigne faiblesse, et se prête à une si honteuse composition, mes dents déchireront le servile instrument de la crainte renégate, et le cracheront sanglant pour compléter sa honte, là où siége la honte, à la face de Mowbray.
RICHARD. – Nous ne sommes pas nés pour solliciter, mais pour condamner. Puisque nous ne pouvons vous rendre amis, soyez prêts, le jour de Saint-Lambert, à répondre sur vos vies: c'est là que vos épées et vos lances décideront les débats toujours grossissant de votre haine obstinée. Puisque nous ne pouvons vous adoucir, nous, verrons la justice manifester par la victoire de quel côté se trouve l'honneur. – Maréchal, ordonnez à nos officiers d'armes de se tenir prêts pour diriger ce combat domestique.