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Kitobni o'qish: «Henri VI. 3», sahifa 4

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SCÈNE VI

Bruyante alarme. Entre CLIFFORD blessé

CLIFFORD. – C'est ici que le flambeau de ma vie va s'éteindre; ici qu'il va mourir, ce flambeau qui, tant qu'il a duré, a éclairé les pas du roi Henri! O Lancastre! je m'effraye de ta chute, bien plus que de la séparation de mon âme et de mon corps. Par mon zèle et par la crainte, je t'avais attaché bien des amis; mais maintenant que je tombe, ton parti sans consistance va se dissoudre, et l'affaiblissement de Henri va augmenter la force du superbe York. Le peuple grossier se rassemble comme en été le font les mouches, et où volent les mouches, si ce n'est vers le soleil? Et qui brille maintenant, sinon les ennemis de Henri? O Phébus! si tu n'avais jamais consenti que Phaéton gouvernât tes fougueux coursiers, jamais ton char enflammé n'eût embrasé la terre! Et toi, Henri, si tu avais su régner en roi, régner comme ton aïeul et ton père ont régné, ne donnant jamais de prise à la maison d'York, on ne l'eût pas vu s'élever, ce nuage de mouches d'été. Et moi, non plus que dix mille autres, n'aurions pas laissé notre mort à pleurer à nos veuves! Et toi, tu posséderais aujourd'hui en paix ta couronne! car qui fait croître les mauvaises herbes, sinon la douceur de l'air? qui enhardit les brigands, sinon l'excès de la clémence? – Mais les plaintes sont superflues, et mes blessures sont incurables. Point de chemin pour fuir, point de force pour aider à la fuite. L'ennemi est inexorable, il n'aura nulle pitié; et de sa part je n'ai pas mérité de pitié. L'air est entré dans mes blessures mortelles, une plus abondante effusion de sang me fait défaillir. – Venez, York et Richard, et Warwick et tous les autres: j'ai percé le coeur de vos pères, venez percer le mien.

(Il s'évanouit.)
(Alarmes et retraite. Entrent Édouard, George, Richard, Montaigu, Warwick, et une partie de l'armée.)

ÉDOUARD. – Respirons maintenant, milords; notre bonne fortune nous permet un instant de repos, et de ses paisibles regards adoucit le front menaçant de la guerre. Un détachement poursuit cette reine sanguinaire, qui conduit le tranquille Henri, tout roi qu'il est comme une voile, enflée par un vent impétueux, conduit avec puissance un large navire à travers les flots qui le combattent. – Mais pensez-vous, lords, que Clifford ait fui avec eux?

WARWICK. – Non: il est impossible qu'il ait échappé. Votre frère Richard, je le dirai, quoiqu'il soit ici présent, l'a marqué pour le tombeau; et quelque part qu'il puisse être, il est sûrement mort.

(Clifford pousse un gémissement et meurt.)

ÉDOUARD. – Quelle est l'âme qui vient de prendre de nous ce triste congé?

RICHARD. – C'est un gémissement semblable à celui de la mort au moment où l'âme et le corps se séparent.

ÉDOUARD. – Voyez qui c'est; et à présent que la bataille est finie, ami ou ennemi, qu'on le traite avec douceur.

RICHARD. – Révoque cet ordre de clémence; car c'est Clifford, qui, non content d'avoir, en abattant Rutland, coupé la branche dont les feuilles commençaient à se développer, a enfoncé son couteau meurtrier jusque dans la racine d'où s'élevait gracieusement cette tendre tige, a égorgé notre auguste père le duc d'York.

WARWICK. – Allez; qu'on ôte la tête élevée sur les portes d'York, la tête de votre père, que Clifford y a fait mettre, et que la sienne l'y remplace: il faut lui rendre la pareille.

ÉDOUARD. – Qu'on m'apporte cet oiseau de mauvais augure pour ma maison, qui n'a jamais fait entendre à nous et aux nôtres que des chants de mort. Enfin la mort étouffe ses menaçants et sinistres accents, et cette bouche qui ne prédisait que le malheur a perdu la parole.

(On apporte le corps de Clifford.)

WARWICK. – Je crois qu'il n'a plus l'usage de ses sens. – Réponds, Clifford: connais-tu celui qui te parle? – Le nuage épais de la mort obscurcit en lui les rayons de la vie: il ne nous voit point, il n'entend point ce que nous lui disons.

RICHARD. – Oh! que ne peut-il nous voir et nous entendre! Mais peut-être en est-il ainsi, et n'est-ce qu'une feinte habile pour se soustraire aux insultes qu'il a fait subir à notre père au moment de sa mort.

GEORGE. – Si tu le crois, tourmente-le de tes mots piquants.

RICHARD. – Clifford, demande grâce, pour ne pas l'obtenir.

ÉDOUARD. – Clifford, repens-toi, pour te repentir en vain.

WARWICK. – Clifford, cherche des excuses pour tes offenses.

GEORGE. – Tandis que nous cherchons des tourments pour t'en punir.

RICHARD. – Tu aimas York, et je suis le fils d'York.

ÉDOUARD. – Tu sentis la pitié pour Rutland, j'en aurai pour toi.

GEORGE. – Où est le général Marguerite pour vous défendre maintenant?

WARWICK. – Ils t'insultent, Clifford: réponds-leur par tes imprécations familières.

RICHARD. – Quoi! pas une imprécation? Allons, tout va mal, quand Clifford ne peut pas garder une seule imprécation pour ses amis. A cela je reconnais qu'il est mort; et, j'en jure par mon âme, s'il ne fallait que le sacrifice de ma main droite pour te racheter deux heures de vie, où je pusse, au gré de ma haine, t'accabler de mes outrages, je la couperais; et du sang qui en sortirait, j'étoufferais l'infâme dont la soif insatiable n'a pu être assouvie par celui d'York et du jeune Rutland.

WARWICK. – Oui, mais il est mort. Coupez la tête du traître, et élevez-la à la place où est celle de votre père. (A Édouard.) A présent, marchons en triomphe vers Londres, pour t'y voir couronner roi de l'Angleterre. De là Warwick fendra les mers de France, et ira demander la princesse Bonne pour ton épouse. Par ce noeud, les deux pays seront unis l'un à l'autre; et quand tu auras la France pour amie, tu ne craindras plus les ennemis maintenant dispersés, qui espèrent se relever encore; car bien que leur dard ne puisse plus blesser à mort, cependant attends-toi à les entendre encore bourdonner et importuner tes oreilles. Je veux d'abord te voir couronner; et ensuite, si c'est le bon plaisir de mon seigneur, je traverserai les mers de la Bretagne, pour conclure ce mariage.

ÉDOUARD. – Qu'il en soit, cher Warwick, ainsi que tu le voudras; car c'est toi dont les épaules vont soutenir mon trône, et jamais je n'entreprendrai la chose que tu n'auras pas conseillée ou consentie. – Richard, je vais te créer duc de Glocester; et toi, George, duc de Clarence. – Warwick, comme nous-même, tu feras et déferas à ton gré.

RICHARD. – Que je sois plutôt duc de Clarence, et George duc de Glocester; car le duché de Glocester est trop fatal.

WARWICK. – Allons donc, cette remarque est d'un enfant. – Richard, sois duc de Glocester. – Maintenant, marchons vers Londres, pour vous voir prendre possession de tous ces honneurs.

FIN DU SECOND ACTE.

ACTE TROISIÈME

SCÈNE I

Une forêt de chasse dans le nord de l'Angleterre
Entrent DEUX GARDES-CHASSE armés d'arbalètes

PREMIER GARDE-CHASSE. – Il faut nous cacher dans cet épais bocage, car bientôt le daim viendra au travers de la clairière; et nous resterons à l'affût sous le couvert, pour choisir des yeux le plus beau du troupeau.

SECOND GARDE-CHASSE. – Moi, je resterai sur la hauteur et ainsi nous pourrons tirer tous deux.

PREMIER GARDE-CHASSE. – Cela ne se peut pas: le bruit de ton arbalète effarouchera le troupeau, et mon coup sera perdu: restons ici tous les deux, et visons le meilleur de la troupe; et, pour passer le temps sans ennui, je te conterai ce qui m'est arrivé un jour, à cette même place où nous allons nous poster aujourd'hui.

SECOND GARDE-CHASSE. – Je vois venir un homme: demeurons jusqu'à ce qu'il soit passé.

(Entre le roi Henri déguisé, un livre de prières à la main.)

LE ROI. – Je me suis dérobé de l'Écosse par pure tendresse pour ma patrie, et pour la saluer encore de mes regards avides de la revoir. Non, Henri! Henri! cette terre n'est plus à toi: ta place est remplie, ton sceptre est arraché de tes mains, et le baume qui te consacra est effacé. Nul genou fléchi ne reconnaîtra ton empire, d'humbles solliciteurs ne se presseront plus sur tes pas pour t'exposer leurs droits: nul homme n'aura recours à toi pour obtenir justice; car, comment pourrais-je assister les autres, moi qui ne peux pas m'aider moi-même?

PREMIER GARDE-CHASSE. – Hé! voici un daim dont la peau sera bien payée au garde-chasse: c'est le ci-devant roi8; saisissons-nous de lui.

LE ROI. – Acceptons avec résignation ces cruelles adversités; car les sages disent que c'est le meilleur parti.

SECOND GARDE-CHASSE. – Que tardons-nous? Mettons la main sur lui.

PREMIER GARDE-CHASSE. – Attends encore: écoutons-le parler un moment.

LE ROI. – La reine et mon fils sont allés en France implorer des secours; et, suivant ce que j'apprends, le tout-puissant Warwick y est allé aussi demander la soeur du roi de France, pour épouse d'Édouard. Si cette nouvelle est vraie, pauvre reine, et toi, mon fils, vous avez perdu vos peines; car Warwick est un adroit orateur, et Louis un prince facile à gagner par des paroles éloquentes: ainsi, ce qui va arriver, c'est que Marguerite pourra d'abord intéresser le roi; car c'est une femme bien faite pour exciter la compassion; ses soupirs porteront une atteinte au coeur du prince: ses larmes pénétreraient un coeur de marbre, le tigre s'adoucirait à la vue de son affliction, et Néron serait touché de pitié s'il entendait, s'il voyait ses plaintes et ses larmes amères. Oui, mais elle vient pour demander, et Warwick pour donner. Elle est à la gauche du roi, implorant du secours pour Henri; et Warwick à la droite, demandant une épouse pour Édouard. Elle pleure, elle dit que son Henri est déposé. Warwick sourit, et annonce que son Édouard est couronné, à la fin, pauvre malheureuse, la douleur lui ôte la force de parler! tandis que Warwick expose les titres d'Édouard, pallie ses injustices, accumule de puissants arguments, et finit par détacher, d'elle le roi qui promet sa soeur, et tout ce qu'on voudra, à l'appui du roi Édouard et de son trône. O Marguerite! voilà ce qui va t'arriver. Et toi, pauvre créature, tu seras rejetée parce que tu es venue délaissée.

SECOND GARDE-CHASSE. – Dis; qui es-tu, toi, qui parles de rois et de reines?

LE ROI. – Plus que je ne parais, et moins que je ne devais être par ma naissance. Je suis un homme du moins, car je ne puis être moins. Les hommes peuvent parler des rois; pourquoi ne le pourrais-je?

SECOND GARDE-CHASSE. – Oui; mais tu parles comme si tu étais toi-même un roi.

LE ROI. – Eh bien! je le suis: en pensée, c'est tout ce qu'il faut.

SECOND GARDE-CHASSE. – Mais si tu es un roi, où est ta couronne?

LE ROI. – Ma couronne est dans mon coeur, et non pas sur ma tête. Elle n'est point ornée de diamants ni de pierres venues de l'Inde. On ne la voit point: ma couronne s'appelle contentement; c'est une couronne que les rois possèdent rarement.

SECOND GARDE-CHASSE. – Eh bien! si vous êtes un roi couronné de contentement, votre couronne, le contentement et vous, voudrez bien trouver votre contentement à nous suivre; car, comme nous présumons que vous êtes ce roi que le roi Édouard a déposé, comme nous sommes ses sujets, et que nous lui avons juré obéissance, nous vous arrêtons comme son ennemi.

LE ROI. – Mais n'avez-vous jamais fait de serment que vous ayez ensuite violé?

SECOND GARDE-CHASSE. – Non, jamais un serment de cette espèce, et nous ne commencerons pas aujourd'hui.

LE ROI. – Où habitiez-vous lorsque j'étais roi d'Angleterre?

SECOND GARDE-CHASSE. – Ici dans ce pays, où nous demeurons aujourd'hui.

LE ROI. – Je fus sacré roi à l'âge de neuf mois. Mon père et mon grand-père furent rois, et vous avez juré d'être mes fidèles sujets; répondez à présent: n'avez-vous pas violé vos serments?

PREMIER GARDE-CHASSE. – Non, car nous n'avons pu être vos sujets qu'autant que vous étiez roi.

LE ROI. – Eh quoi, suis-je mort? Ne suis-je pas un homme en vie? Ah! pauvres gens, vous ne savez pas ce que vous jurez! Voyez, comme d'un souffle j'écarte cette plume de mon visage, et comme l'air me la renvoie; obéissant à mon haleine, quand elle sort de ma bouche, cédant à un autre souffle quand il se fait sentir, et toujours maîtrisée par le vent le plus fort: telle est votre légèreté, hommes vulgaires. Mais ne violez pas vos serments: mes douces représentations ne tendent point à vous rendre coupables de ce péché. Allez où vous voudrez, le roi se laissera commander. Soyez rois, ordonnez, et j'obéirai.

PREMIER GARDE-CHASSE. – Nous sommes les fidèles sujets du roi, du roi Édouard.

LE ROI. – Et vous redeviendriez de même les sujets de Henri, si Henri était à la place où est le roi Édouard.

PREMIER GARDE-CHASSE. – Nous vous sommons, au nom de Dieu et du roi, de venir avec nous devant nos officiers.

LE ROI. – Au nom de Dieu, je suis prêt à vous suivre; que le nom de votre roi soit obéi! Que votre roi accomplisse la volonté de Dieu, et moi je me soumets humblement à sa volonté.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

A Londres, un appartement dans le palais
Entrent LE ROI ÉDOUARD, RICHARD, DUC DE GLOCESTER, CLARENCE ET LADY GREY

LE ROI ÉDOUARD. – Mon frère Glocester, le mari de cette dame, sir John Grey, a été tué à la bataille de Saint-Albans. Ses terres ont ensuite été confisquées par le vainqueur. La demande de sa veuve aujourd'hui, c'est de rentrer en possession de ces terres. Nous ne pouvons en bonne justice les lui refuser, car c'est pour la querelle de la maison d'York9 que ce brave gentilhomme a perdu la vie.

GLOCESTER. – Votre Grandeur fera très-bien de lui accorder sa requête: il serait honteux de la refuser.

LE ROI ÉDOUARD. – Oui, honteux. – Mais cependant je veux différer encore un moment.

GLOCESTER, à part, à Clarence. – Oui: en est-il ainsi? Je vois que la dame aura quelque chose à accorder avant que le roi lui accorde son humble demande.

CLARENCE, à part. – Il n'est pas novice; comme il sait prendre le vent!

GLOCESTER, à part. – Silence!

LE ROI ÉDOUARD. – Veuve, nous examinerons votre requête. Revenez dans quelque temps savoir nos intentions.

LADY GREY. – Très-gracieux seigneur, je ne puis supporter de délais: qu'il plaise à Votre Majesté de me donner à présent sa décision; et, quel que puisse être votre bon plaisir, je m'en contenterai.

GLOCESTER, à part. – Vraiment, veuve? je vous garantis bien que vous aurez toutes vos terres, si ce qui lui plaira vous plaît aussi. – Combattez plus serré, ou, sur ma parole, vous attraperez quelque coup.

CLARENCE, à part. – Je ne crains rien pour elle, à moins d'une chute.

GLOCESTER, à part. – Dieu l'en préserve! car il prendrait son avantage.

LE ROI ÉDOUARD. – Dis-moi, veuve, combien as-tu d'enfants?

CLARENCE, à part. – Je crois qu'il a intention de lui demander un enfant.

GLOCESTER, à part. – Allons donc; je veux être fustigé s'il ne lui en donne plutôt deux.

LADY GREY. – Trois, mon gracieux seigneur.

GLOCESTER, à part.-Vous en aurez quatre, si vous voulez vous laisser gouverner par lui.

LE ROI ÉDOUARD. – Ce serait pitié qu'ils perdissent le patrimoine de leur père.

LADY GREY. – Laissez-vous donc attendrir, auguste souverain, et accordez-moi cette grâce.

LE ROI ÉDOUARD. – Lords, retirez-vous à l'écart: je veux éprouver le jugement de cette veuve.

GLOCESTER. – Libre à vous; car vous en aurez toute liberté jusqu'à ce que la jeunesse prenne la liberté de vous quitter, et ne vous laisse plus que la liberté des béquilles.

LE ROI ÉDOUARD. – A présent, dites-moi, madame, aimez-vous vos enfants?

LADY GREY. – Oui; aussi chèrement que moi-même.

LE ROI ÉDOUARD. – Et ne feriez-vous pas beaucoup pour leur bien?

LADY GREY. – Pour leur bien, je saurais supporter quelque mal.

LE ROI ÉDOUARD. – Travaillez donc; regagnez les terres de votre mari pour le bien de vos enfants.

LADY GREY. – C'est pour cela que je suis venue trouver Votre Majesté.

LE ROI ÉDOUARD. – Je vous dirai le moyen de rentrer dans la possession de ces biens.

LADY GREY. – Ce sera m'attacher pour toujours au service de Votre Majesté.

LE ROI ÉDOUARD. – Et quel genre de service puis-je attendre de toi si je te les donne?

LADY GREY. – Tout ce que vous commanderez, et qui sera en mon pouvoir.

LE ROI ÉDOUARD. – Vous allez faire des objections à ce que je vais vous proposer.

LADY GREY. – Non, mon gracieux seigneur, à moins que la chose ne me soit impossible.

LE ROI ÉDOUARD. – Tu en feras, quoique tu puisses faire ce que j'ai envie de te demander.

LADY GREY. – Certainement alors je ferai ce que me commandera Votre Grâce.

GLOCESTER, à part.-Il la presse vivement; à force de pluie le marbre finit par s'user.

CLARENCE, à part.-Il est rouge comme le feu: il faudra bien que la cire finisse par se fondre.

LADY GREY. – Eh bien! qui arrête Votre Majesté? Ne me fera-elle point connaître ma tâche?

LE ROI ÉDOUARD. – C'est une tâche aisée; il ne s'agit que d'aimer un roi.

LADY GREY. – Cela est bien simple, puisque je suis votre sujette.

LE ROI ÉDOUARD. – Eh bien, je te donne de grand coeur les terres de ton mari.

LADY GREY. – Je prends congé de Votre Majesté, en lui rendant mes humbles grâces.

GLOCESTER, à part.-Le marché est conclu: elle le ratifie par une révérence.

LE ROI ÉDOUARD. – Non, demeure: ce que j'entends, ce sont les fruits de l'amour.

LADY GREY. – Et ce sont aussi les fruits de l'amour que j'entends, mon bien-aimé souverain.

LE ROI ÉDOUARD. – Oui; mais je crains bien que ce ne soit dans un autre sens. Quel amour crois-tu que je sollicite de toi, avec tant d'ardeur?

LADY GREY. – Mon amour jusqu'à la mort, ma reconnaissance, mes prières; cet amour, en un mot, que peut demander la vertu, et que la vertu peut accorder.

LE ROI ÉDOUARD. – Non, sur ma foi, ce n'est pas d'un tel amour que j'entends parler.

LADY GREY. – Ce que vous entendez n'est donc pas ce que je croyais?

LE ROI ÉDOUARD. – Mais à présent vous devez entrevoir ce que j'ai dans l'âme.

LADY GREY. – Jamais mon âme n'accordera ce qui fait le but de vos désirs, s'il est vrai que j'aie touché le but.

LE ROI ÉDOUARD. – Pour te parler sans détour, j'aspire à ton lit10.

LADY GREY. – Pour vous répondre sans détour, j'aimerais mieux coucher en prison.

LE ROI ÉDOUARD. – En ce cas, tu n'auras pas les terres de ton mari.

LADY GREY. – Eh bien, mon honneur sera mon douaire; car je ne les rachèterai pas à ce prix.

LE ROI ÉDOUARD. – Tu fais par là grand tort à tes enfants.

LADY GREY. – Par là, Votre Majesté fait tort en même temps à eux et à moi. Mais, puissant seigneur, ce désir folâtre ne s'accorde guère avec la tristesse de ma requête; veuillez me congédier avec un oui ou un non.

LE ROI ÉDOUARD. – Oui, si tu dis oui à ma requête; non, si tu dis non à ma demande.

LADY GREY. – En ce cas, non, mon seigneur; et je n'ai rien à vous demander.

GLOCESTER, à part. – La veuve ne le goûte pas: elle fronce le sourcil.

CLARENCE, à l'écart. – C'est le galant le plus gauche de toute la chrétienté.

LE ROI ÉDOUARD, à part. – Ses regards annoncent qu'elle est remplie de vertu; ses discours décèlent un esprit incomparable. Ses perfections réclament un trône; de façon ou d'autre, elle est faite pour un roi; elle sera ou ma maîtresse, ou reine de mon royaume. (Haut.) Que dirais-tu si le roi Édouard te choisissait pour reine?

LADY GREY. – Cela est plus facile à dire qu'à faire, mon gracieux seigneur. Je suis une sujette faite pour souffrir vos plaisanteries, mais nullement faite pour devenir souveraine.

LE ROI ÉDOUARD. – Aimable veuve, je te jure, par ma grandeur, que je n'en dis pas plus que je n'ai dessein de faire. Il faut que tu sois à moi.

LADY GREY. – Et c'est beaucoup plus que je ne puis consentir: je sais que je suis trop peu de chose pour que vous me fassiez reine; et cependant de trop bon lieu pour être votre concubine.

LE ROI ÉDOUARD. – C'est une mauvaise chicane que tu me fais; je veux dire que tu seras reine.

LADY GREY. – Il serait désagréable à Votre Grâce d'entendre mes enfants vous appeler leur père.

LE ROI ÉDOUARD. – Pas plus que d'entendre mes filles t'appeler leur mère. Tu es veuve, et tu as quelques enfants: et, par la mère de Dieu! moi, quoique garçon, j'en ai quelques-uns aussi. Et vraiment, c'est un bonheur d'être père de plusieurs enfants. Ne me réplique plus, car tu seras ma femme.

GLOCESTER, à part. – Le saint père a achevé sa confession.

CLARENCE, à part. – Il ne s'est fait confesseur que pour séduire la pénitente.

LE ROI ÉDOUARD. – Mes frères, vous cherchez à deviner ce que nous avons pu nous dire?

GLOCESTER. – Cela ne plaît pas à la veuve, car elle a l'air triste.

LE ROI ÉDOUARD. – Vous seriez bien surpris si nous allions nous marier?

CLARENCE. – A qui, seigneur?

LE ROI ÉDOUARD. – Eh mais, ensemble, Clarence.

GLOCESTER. – On en aurait au moins pour dix jours à s'étonner.

CLARENCE. – Ce serait un jour de plus que ne dure d'ordinaire un étonnement11.

GLOCESTER. – Mais aussi l'étonnement serait-il des plus grands.

LE ROI ÉDOUARD. – Fort bien, plaisantez, mes frères. Je puis vous dire à tous deux que sa requête pour les biens de son mari lui est accordée.

(Entre un lord.)

LE LORD. – Mon gracieux seigneur, Henri, votre ennemi, est pris, et amené prisonnier à la porte de votre palais.

LE ROI ÉDOUARD. – Faites-le conduire à la Tour. – Et nous, mes frères, allons interroger l'homme qui l'a pris, pour apprendre les circonstances de cet événement. Allez, veuve. – Lords, traitez-la honorablement.

(Sortent le roi, lady Grey, Clarence et le lord.)

RICHARD. – Oui, Édouard traitera les dames honorablement. – Que n'est-il épuisé jusqu'à la moelle des os, et hors d'état de voir sortir de ses reins aucun rejeton capable de fonder des espérances, et de m'empêcher d'arriver à ce temps heureux auquel j'aspire! Et cependant, quand même le titre du voluptueux Édouard serait enseveli sous la terre, il reste encore, entre le désir de mon âme et moi, Clarence, Henri, et son fils le jeune Édouard, et toute la race inconnue qui peut encore sortir de leur sein, pour remplir le trône avant que je parvienne à m'y placer; fâcheuse perspective pour mes projets! Ainsi, je ne fais que rêver la royauté; comme un homme qui, placé sur le sommet d'un promontoire, porte sa vue sur le rivage éloigné qu'il voudrait fouler sous ses pas, désirant que son pied pût suivre ses yeux, maudissant la mer qui l'en sépare, et parlant de la mettre à sec pour s'ouvrir un passage. Voilà comme je désire la couronne, à cette distance, m'irritant contre les obstacles qui m'en séparent; et de même, me flattant de succès impossibles, je me dis que je les renverserai. Mon oeil est trop perçant, mon coeur trop présomptueux, si ma main et mes forces ne peuvent pas y répondre. – Mais s'il est une fois dit qu'il n'y ait point de royaume à espérer pour Richard, alors quel autre bien le monde peut-il m'offrir? Je chercherai mon paradis dans les bras d'une femme, j'ornerai mon corps d'une parure élégante, et je captiverai par mes paroles et mes regards le coeur des jeunes beautés? O pensée cruelle! ressource plus impossible pour moi que de me procurer vingt couronnes brillantes! Quoi! l'amour m'a renoncé dans le sein même de ma mère; et pour m'exclure à jamais de son doux empire, il a suborné la fragile nature, et l'a engagée à rétrécir mon bras amaigri comme un arbrisseau desséché, à placer sur mon dos une odieuse éminence, où s'assied la difformité pour insulter à mon corps; à former mes jambes d'une inégale longueur, faisant de moi un tout sans aucune proportion, une espèce de chaos semblable au petit que l'ourse n'a pas encore léché, et qui n'apporte en naissant aucun trait de sa mère? Suis-je un homme fait pour être aimé? Oh! quelle absurde erreur que de nourrir une pareille pensée! – Eh bien, puisque ce monde ne m'offre aucun plaisir que celui de commander, de gouverner, de dominer ceux dont la figure est plus heureuse que la mienne, mon ciel à moi sera de rêver à la couronne et de regarder, tant que je vivrai, ce monde comme un enfer pour moi, jusqu'à ce que ma tête, que porte ce tronc contrefait soit ceinte d'une brillante couronne… Et cependant je ne sais comment atteindre cette couronne: tant de vies s'interposent entre elle et moi!.. Et moi, comme un voyageur perdu dans un bois épineux, brisant les épines, déchiré par elles, cherchant un chemin, et s'écartant du chemin, sans savoir comment parvenir aux lieux découverts, mais travaillant en désespéré pour en retrouver la route, je me tourmente sans relâche pour saisir la couronne d'Angleterre. Je m'affranchirai de ce tourment, je me frayerai un chemin avec une hache sanglante. Eh quoi! ne sais-je pas sourire, et égorger en souriant, me récrier de joie sur ce qui me met le chagrin au coeur, mouiller mes joues de larmes artificieuses, et accommoder mes traits à toutes les circonstances? Je saurai submerger plus de nautoniers que la sirène, tuer de mes regards plus d'hommes que le basilic; je puis prêcher aussi bien que Nestor, tromper avec plus d'art qu'Ulysse, et, comme un autre Sinon, je gagnerai une autre Troie; je possède plus de couleurs que le caméléon; je puis pour mes intérêts changer de plus de formes que Protée, et faire la leçon au sanguinaire Machiavel. Je puis tout cela, et je pourrais gagner une couronne! Allons donc; fut-elle encore plus loin, je m'en emparerai.

(Il sort.)
8.The quondam king.
9.Ce fut au contraire pour la cause de la maison de Lancastre que sir John Grey combattit à la seconde bataille de Saint-Albans, où il fut tué. Ses biens avaient été saisis par Édouard lui-même, après la bataille de Towton. Ce fait est rapporté conformément à l'histoire dans Richard III.
10.To tell thee plain, I aim to lie with thee.
  –To tell you plain, I had rather lie in prison.
11.Allusion au proverbe anglais: un étonnement ne dure pas plus de neuf jours.