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Kitobni o'qish: «Henri V», sahifa 5

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ACTE QUATRIÈME

LE CHOEUR

Maintenant figurez-vous ce temps de la nuit où l'on n'entend plus qu'un faible murmure, où les aveugles ténèbres remplissent l'immense vaisseau de l'univers. De l'un à l'autre camp, dans le sein obscur de la nuit, le bourdonnement des deux armées diminue par degrés. Les sentinelles, de leurs postes éloignés, s'entendent presque parler. Les feux des deux camps se répondent, et, à leurs pâles lueurs, chaque armée voit les casques et les visages ennemis dessinés dans l'ombre. Le coursier menace le coursier, et perce l'oreille engourdie de la nuit de ses fiers et longs hennissements. Des tentes s'élève un bruit de hâtifs marteaux qui, sous leurs coups précipités, achèvent ou polissent l'armure des chevaliers, signal de terribles apprêts. Les coqs des hameaux voisins chantent, les cloches sonnent, et nomment la troisième heure du paresseux. Fiers de leur nombre, et pleins de sécurité, les Français présomptueux jouent aux dés les Anglais qu'ils dédaignent: dans leur impatience, ils querellent la marche rampante de la nuit, qui, comme une fée difforme et boiteuse, se traîne à pas si lents. Les malheureux Anglais, condamnés à périr comme des victimes, sont assis et mornes auprès de leurs feux, et ruminent en eux-mêmes les dangers du lendemain. A leur triste maintien, à leurs visages hâves et décharnés, à leurs habits usés par la guerre, on les prendrait, aux rayons de la lune, pour autant de fantômes hideux. – Que celui qui suivra de l'oeil le chef royal de ces troupes délabrées, marchant de garde en garde, et d'une tente à l'autre, crie en le voyant: Louange et gloire sur sa tête! Il visite sans cesse toute son armée; et adresse à tous le salut du malin, avec un modeste sourire, les appelant: mes frères, mes amis, mes compatriotes. Sur son noble visage, on ne voit rien qui fasse songer à l'armée formidable dont il est environné; nulle impression de pâleur ne trahit ses veilles et la fatigue de la nuit. Son air est dispos; une douce majesté, une sérénité gaie brillent dans ses yeux, où le soldat, pâle auparavant et abattu, puise l'espérance et la force. Ainsi que le soleil, son oeil généreux verse dans tous les coeurs une douce influence qui dissout les glaces de la crainte. Donc, vous tous, petits et grands, contemplez ici un faible portrait de Henri, sous le voile de la nuit, tel que mes débiles pinceaux peuvent l'ébaucher. De là notre scène doit passer au champ de bataille. Mais, ô pitié! Combien nous allons déshonorer le nom fameux d'Azincourt par le spectacle de quelques fleurets émoussés et gauchement engagés dans une ridicule pantomime de combat! Cependant, asseyez-vous, et regardez, en vous figurant la vérité au moyen d'une imitation imparfaite.

(Le choeur sort.)

SCÈNE I

Le camp anglais, près d'Azincourt
LE ROI, BEDFORD ET GLOCESTER

LE ROI. – Glocester, il faut l'avouer, nous sommes dans un grand péril: notre courage doit donc devenir plus grand encore. (Au duc de Bedford.) Bonjour, mon frère. – Dieu tout-puissant! toujours quelque dose de bien repose dans le sein du mal lui-même, si les hommes se donnent la peine de l'y chercher. Ce dangereux voisin qui est si près de nous nous rend diligents et matinaux; et c'est à la fois très-salutaire à la santé et d'une bonne économie. L'ennemi est aussi pour nous une sorte de conscience extérieure, qui nous prêche notre devoir: elle nous avertit de nous bien préparer pour notre but. C'est ainsi que l'homme peut cueillir du miel sur la ronce la plus sauvage, et tirer une morale de l'enfer lui-même. (Entre Erpingham.) Bonjour, vieux sir Thomas Erpingham; un bon coussin pour cette tête à cheveux blancs te siérait mieux que l'aride gazon de France.

ERPINGHAM. – Non, mon souverain: cette tente me plaît davantage, puisque je puis dire: je suis couché comme un roi.

LE ROI. – Il est bon que l'homme apprenne de l'exemple d'autrui à chérir ses peines: cela soulage l'âme; et quand le coeur est excité, les organes, quoique morts auparavant, brisent le tombeau qui les enterre, et, débarrassés de leur lenteur, se meuvent de nouveau avec une vive légèreté. Prête-moi ton manteau, sir Thomas. (A Bedford et Glocester.) Mes deux frères, recommandez-moi aux princes qui sont dans notre camp: saluez-les de ma part, et dites-leur de se rendre, sans délai, dans ma tente.

GLOCESTER. – Nous le ferons, mon souverain.

ERPINGHAM. – Suivrai-je Votre Majesté?

LE ROI. – Non, mon brave chevalier. Va, avec mes frères, trouver les lords d'Angleterre: nous avons, mon âme et moi, quelque chose à débattre ensemble, et je serai bien aise d'être seul.

ERPINGHAM. – Que le Dieu des cieux vous comble de ses bénédictions, noble Henri!

LE ROI. – Grand merci, coeur fidèle; tes paroles rendent l'assurance.

(Ils sortent.)
(Entre Pistol.)

PISTOL. – Qui va là?

LE ROI. – Ami.

PISTOL. – Raisonne un peu avec moi. Es-tu officier, ou es-tu d'extraction basse et populaire?

LE ROI. – Je suis officier dans une compagnie.

PISTOL. – Portes-tu la pique guerrière?

LE ROI. – Précisément. Et vous, qui êtes-vous?

PISTOL. – Aussi bon gentilhomme que l'empereur.

LE ROI. – Vous êtes donc plus que le roi?

PISTOL. – Le roi est un bon enfant et un coeur d'or: c'est un brave homme, un vrai fils de la gloire, de bonne famille, et d'un bras robuste et vaillant. Je baise son soulier crotté, et du plus profond de mon âme. J'aime cet aimable ferrailleur. – Comment t'appelles-tu, toi?

LE ROI. – Henri le Roi.

PISTOL. -Le Roi? Ce nom sent le Cornouailles. Es-tu de ce pays-là?

LE ROI. – Non, je suis Gallois.

PISTOL. – Connais-tu Fluellen?

LE ROI. – Oui.

PISTOL. – Dis-lui que je lui frotterai la tête avec son poireau, le jour de Saint-David.

LE ROI. – Prenez garde, vous-même, de ne pas porter votre poignard trop près de votre chapeau, de peur qu'il ne vous en frotte la vôtre.

PISTOL. – Est-ce que tu es son ami?

LE ROI. – Et son parent aussi.

PISTOL. – Eh bien, alors, figue pour toi.

LE ROI. – Grand merci. Dieu vous conduise!

PISTOL. – Je m'appelle Pistol.

(Il s'en va.)

LE ROI. – Votre nom s'accorde bien avec votre air bouillant.

(Entrent Fluellen et Gower.)

GOWER. – Capitaine Fluellen…

FLUELLEN. – Enfin, au nom de Jésus-Christ, parlez plus bas: il n'y a rien dans le monde de plus étonnant que de voir qu'on n'observe pas les anciennes prérogatives et lois de la guerre. Si vous vouliez seulement prendre la peine d'examiner les guerres de Pompée le Grand, vous verriez, je vous assure, qu'il n'y a point de bavardage, ni d'enfantillage dans le camp de Pompée; je vous assure que vous verriez les cérémonies de la guerre, et les soins de la guerre, et les formes de la guerre être tout autrement.

GOWER. – Quoi! l'ennemi fait tant de bruit! vous l'avez entendu toute la nuit?

FLUELLEN. – Et si l'ennemi est un âne, un sot, un bavard fanfaron, faut-il, croyez-vous, que nous soyons aussi, voyez-vous, âne, sot, et bavard et fanfaron? En bonne conscience, que pensez-vous?

GOWER. – Je parlerai plus bas.

FLUELLEN. – Je vous en prie et je vous en supplie.

(Ils s'en vont.)

LE ROI. – Quoiqu'il paraisse un peu de la vieille méthode, il y a beaucoup d'exactitude et de valeur dans ce Gallois.

(Entrent John Bates, Court et Williams.)

COURT. – Frère John Bates, n'est-ce pas là le jour qui pointe là-bas?

BATES. – Je m'imagine que oui; mais, ma foi, nous n'avons pas sujet de souhaiter l'arrivée du jour.

WILLIAMS. – Oui, c'est bien le commencement du jour que nous voyons là-bas; mais en verrons-nous la fin? Qui va là?

LE ROI. – Ami.

WILLIAMS. – De quelle compagnie?

LE ROI. – De celle de sir Thomas Erpingham.

WILLIAMS. – Ah! c'est un bon vieux commandant, et le plus excellent des hommes. Et que pense-t-il, je vous prie, de notre présente situation?

LE ROI. – Il nous regarde comme des gens jetés sur un banc de sable par un coup de vent, et qui n'attendent plus que la prochaine marée pour être tout à fait engloutis.

BATES. – Il n'a pas dit sa pensée au roi, n'est-ce pas?

LE ROI. – Non; il ne serait pas fort à propos qu'il lui fit cette confidence; car, je vous le dis, même à vous, que je regarde le roi, après tout, comme n'étant qu'un homme comme moi. La violette n'a pas d'autre odeur pour lui que pour moi; l'air agit sur lui comme sur moi; enfin ses sens sont affectés des objets comme les sens des autres hommes. Mettez à part cette pompe qui l'environne; une fois dépouillé et nu, vous ne verrez plus en lui qu'un homme; et quoique ses affections soient montées plus haut que les nôtres, cependant quand elles s'affaissent, elles descendent aussi rapidement qu'elles étaient montées. Par conséquent, quand il voit qu'il a sujet d'appréhender, comme nous le voyons, il n'est pas douteux que la crainte doit produire chez lui la même sensation que chez nous: c'est pourquoi il ne conviendrait pas que personne lui inspirât la moindre alarme, de peur que, s'il venait à la laisser voir, cela ne décourageât son armée.

BATES. – Qu'il montre autant de courage qu'il voudra, je gage que, malgré tout le froid qu'il fait cette nuit, il ne serait pas fâché de se voir plongé dans la Tamise jusqu'au cou; pour moi, je vous assure que je voudrais l'y voir, et moi y être à côté de lui à toute aventure, pourvu que nous fussions hors d'ici.

LE ROI. – Ma foi, je vous dirai franchement, d'après ma conscience, ce que je pense du roi. Je crois, sur mon honneur, qu'il ne souhaite pas de se voir ailleurs que là où il est.

BATES. – Dans ce cas, je voudrais qu'il fût ici tout seul: cela ferait qu'il serait bien sûr d'être rançonné, et cela sauverait la vie à bien des pauvres malheureux.

LE ROI. – Je suis persuadé que vous ne lui voulez pas assez de mal pour souhaiter qu'il fût ici tout seul. Tout ce que vous dites là, j'en suis sûr, n'est que pour sonder les gens, et savoir ce qu'ils pensent. Quant à moi, il me semble que je ne pourrais désirer de mourir en aucun autre endroit qu'en la compagnie du roi, surtout sa cause étant aussi juste, et sa querelle aussi honorable.

WILLIAMS. – C'est plus que nous n'en savons.

BATES. – Ou plus que nous ne devrions chercher à pénétrer; car tout ce que nous avons besoin de savoir, c'est que nous sommes sujets du roi. Si sa cause est injuste, l'obéissance que nous lui devons efface pour nous le crime, et nous en absout.

WILLIAMS. – Mais aussi, si la cause est injuste, le roi lui-même a un terrible compte à rendre, lorsque toutes ces jambes, ces bras et ces têtes, qui auront été coupés dans une bataille, se rejoindront au jour du jugement, et lui crieront: Nous sommes morts à tel endroit. Les uns en jurant, d'autres en implorant un chirurgien, d'autres laissant leurs pauvres femmes derrière eux, d'autres sans payer leurs dettes, d'autres laissant leurs enfants orphelins et nus. J'ai grand'peur encore qu'il y en ait bien peu qui meurent bien, de tous ceux qui sont tués dans une bataille; car enfin, comment peuvent-ils disposer charitablement de quelque chose, quand ils n'ont que le sang en vue? Or, si ces gens-là ne meurent pas bien, ce sera une mauvaise affaire pour le roi qui les aura conduits là, puisque lui désobéir serait contre tous les devoirs d'un sujet.

LE ROI. – Ainsi donc, si un fils que son père envoie faire négoce se corrompt sur la mer, et manque l'objet de sa mission, son crime, suivant votre règle, doit retomber sur son père qui l'a envoyé; ou bien encore, si un domestique, qui par ordre de son maître, portant une somme d'argent, est attaqué par des voleurs, meurt chargé d'un amas d'iniquités, vous accuserez le maître d'être l'auteur de la damnation de son domestique? Mais il n'en est pas ainsi. Le roi n'est pas obligé de répondre des fautes personnelles et particulières de ses soldats, non plus que le père de celles de son fils, ni le maître de celles de son domestique: car il ne projette nullement leur mort quand il exige leur service. De plus, il n'est point de roi, quelque bonne que puisse être sa cause, qui puisse se flatter, lorsqu'il en faut venir à la décider par les armes, de la disputer avec une armée de soldats sans tache et sans reproche. Il y en aura peut-être parmi eux qui seront coupables d'avoir comploté quelque meurtre; d'autres, d'avoir séduit quelques vierges innocentes par un odieux parjure; d'autres se seront servis du prétexte de la guerre pour se mettre à l'abri des poursuites de la justice, après avoir troublé la paix publique par leurs brigandages et leurs vols. Or, si ces sortes de gens ont su tromper la vigilance des lois, et se soustraire à la punition qui leur était due, quoiqu'ils puissent se sauver des mains des hommes, ils n'ont point d'ailes pour échapper à celles de Dieu. La guerre est son prévôt, la guerre est sa vengeance; en sorte que ces hommes se trouvent, pour leurs anciennes offenses contre les lois du roi, punis ensuite dans la querelle de ce même roi. Ils ont sauvé leur vie des lieux où ils craignaient de la perdre, pour la venir perdre là où ils croyaient la sauver. Alors, s'ils meurent sans y être préparés, le roi n'est pas plus coupable de leur damnation qu'il ne l'était auparavant des crimes et des iniquités pour lesquels la vengeance céleste les a visités. Le service de chaque sujet appartient au roi, mais à chaque soldat appartient son âme. Tout soldat devrait donc faire comme un malade sur son lit de mort, purger sa conscience de tout ce qui peut la souiller; et alors, s'il meurt dans cet état, la mort devient pour lui un avantage; s'il survit, c'est toujours avoir bien heureusement perdu son temps, que de l'avoir passé à cette préparation; et celui qui échappe au trépas ne pèche sûrement point, en pensant que c'est à l'offrande volontaire qu'il a faite à Dieu de sa vie, qu'il doit l'avantage d'avoir survécu ce jour-là, afin de rendre témoignage à sa grandeur et d'enseigner aux autres comment ils doivent se préparer.

WILLIAMS. – Il est certain que les crimes de chaque homme qui meurt mal ne peuvent retomber que sur lui, et que le roi ne saurait en répondre.

BATES. – Je n'exige pas qu'il réponde pour moi, quoique je sois bien déterminé à me battre vigoureusement pour lui.

LE ROI. – J'ai moi-même entendu le roi dire de sa propre bouche, qu'il ne voudrait pas être rançonné.

WILLIAMS. – Ah! il a dit cela pour nous faire combattre de meilleur coeur; mais quand notre tête sera tombée de nos épaules, on peut bien le rançonner alors; nous n'en serons pas plus avancés.

LE ROI. – Si je vis assez pour voir cela, je ne me fierai jamais plus à sa parole.

WILLIAMS. – Vous nous chargerez donc de lui demander compte; c'est s'exposer au danger de faire éclater un vieux fusil, que de se livrer à un ressentiment particulier contre un monarque. Autant vaudrait essayer de faire un glaçon du soleil, en le rafraîchissant avec une plume de paon en guise d'éventail. «Vous ne vous fierez plus à sa parole.» Allons, sottise que vous avez dite là.

LE ROI. – Votre reproche a quelque chose de trop franc, et je m'en fâcherais, si le temps était propice.

WILLIAMS. – Eh bien, faisons-en un sujet de querelle, que nous viderons, si tu survis.

LE ROI. – Je l'accepte.

WILLIAMS. – Mais comment te reconnaîtrai-je?

LE ROI. – Donne-moi quelque gage, et je le porterai à mon chapeau: alors, si tu oses le reconnaître, j'en ferai le sujet de ma querelle.

WILLIAMS. – Tiens, voilà mon gant: donne-moi le tien.

LE ROI. – Le voilà.

WILLIAMS. – Je le porterai aussi à mon chapeau; et si jamais, demain une fois passé, tu oses me venir dire: C'est là mon gant, par la main que voilà, je t'appliquerai un soufflet.

LE ROI. – Si jamais je vis assez pour le voir, je t'en ferai raison.

WILLIAMS. – Tu aimerais autant être pendu.

LE ROI. – Oui, je le ferai, fusses-tu en la compagnie du roi.

WILLIAMS. – Tiens ta parole, adieu.

BATES. – Quittez-vous bons amis, enfants que vous êtes; soyez amis: nous avons assez à démêler avec les Français, si nous savions bien compter.

LE ROI. – Sans doute, les Français peuvent parier vingt têtes 28 contre nous, qu'ils nous battront: mais ce n'est pas trahir l'Angleterre, que de couper des têtes françaises; et demain le roi lui-même se mettra à en rogner. (Les soldats sortent.) Sur le compte du roi! notre vie, nos âmes, nos dettes, nos tendres épouses, nos enfants, et nos péchés, mettons tout sur le compte du roi! – Il faut donc que nous soyons chargés de tout. – O la dure condition, soeur jumelle de la grandeur, que d'être soumis aux propos de chaque sot qui n'a d'autre sentiment que celui de ses contrariétés! Combien de paisibles jouissances de l'âme dont sont privés les rois, et que goûtent leurs sujets! Eh! que possèdent donc les rois, que leurs sujets ne partagent pas aussi, si ce n'est ces grandeurs, et ces pompes publiques! et qu'es-tu, idole qu'on appelle grandeur? Quelle espèce de divinité es-tu, toi dont tout le privilége est de souffrir mille chagrins mortels, dont sont exempts tes adorateurs? Quel est ton produit annuel? quelles sont tes prérogatives? O grandeur! montre-moi donc ta valeur? Qu'avez-vous de réel, vains hommages? Es-tu rien de plus que la place, le degré, une illusion, une forme extérieure, qui imprime le respect et la crainte aux autres hommes? Et le monarque est plus malheureux d'être craint que ses sujets de le craindre. Que reçois-tu souvent? Le poison de la flatterie, au lieu des douceurs d'un hommage sincère? O superbe majesté, la maladie te saisit! commande donc alors à tes grandeurs de te guérir. Penses-tu que la brûlante fièvre sera chassée de tes veines par de vains titres enflés par l'adulation? Cédera-t-elle à des génuflexions respectueuses? peux-tu, quand tu dis au pauvre de fléchir le genou, en exiger et obtenir la santé? Non, rêve de l'orgueil, toi qui enlèves si adroitement à un roi son repos, je suis un roi, moi, qui t'apprécie; je sais que ni le baume qui consacre les rois, ni le sceptre, ni le globe, ni l'épée, ni le bâton de commandement, ni la couronne impériale, ni la robe de pourpre, tissue d'or et de perles, ni l'amas des titres exagérés qui précèdent le nom de roi, ni le trône sur lequel il s'assied, ni ces flots de pompe qui battent ces hautes régions du monde, rien de tout cet attirail, posé sur la couche royale, ne les fait dormir d'un sommeil aussi profond que le dernier des esclaves, qui, l'esprit vide et le corps rempli du pain amer de l'indigence, va chercher le repos: jamais il ne voit l'horrible spectre de la nuit, fille des enfers: le jour, depuis son lever jusqu'à son coucher, il se couvre de sueur sous l'oeil de Phoebus; mais toute la nuit il dort en paix dans un tranquille Elysée; et le lendemain, à la naissance du jour, il se lève, il aide à Hypérion à atteler ses coursiers à son char, et il suit la même carrière, pendant le cours éternel de l'année, dans la chaîne d'un travail utile, jusqu'à son tombeau. Aux vaines grandeurs près, ce misérable, dont les jours se succèdent dans les travaux, et les nuits dans le repos, aurait l'avantage sur le monarque. Le dernier des sujets, membre qui contribue à la paix de sa patrie, en jouit; et dans son cerveau grossier, le paysan ne sait guère combien de veilles il en coûte au roi pour maintenir cette paix, dont il goûte mieux les douces heures!

(Entre Erpingham.)

ERPINGHAM. – Mon prince, vos lords, impatients de votre absence, parcourent le camp pour vous rencontrer.

LE ROI. – Mon bon vieux chevalier, va les rassembler dans ma tente; j'y serai avant toi.

ERPINGHAM. – Je vais remplir vos ordres, sire.

(Il sort.)

LE ROI. – O Dieu des batailles! fortifie le coeur de mes soldats! Écarte d'eux la peur! Ote-leur la faculté de compter le nombre de leurs ennemis. Ne leur enlève pas aujourd'hui leur courage, ô Seigneur! oh! pas aujourd'hui! ne te souviens point de la faute que mon père a commise pour saisir la couronne! J'ai rendu de nouveaux honneurs aux cendres de Richard, et j'ai versé sur lui plus de larmes de repentir que le coup mortel n'a fait sortir de son sein de gouttes de sang: j'entretiens d'une aumône journalière cinq cents pauvres qui, deux fois le jour, lèvent vers le ciel leurs mains flétries, et le prient de pardonner le sang répandu: j'ai bâti deux chapelles, où des prêtres austères entonnent leurs chants solennels pour le repos de l'âme de Richard; je ferai plus encore, quoique, hélas! tout ce que je peux faire ne soit d'aucune valeur, et le repentir vient encore implorer de toi le pardon.

(Entre Glocester.)

GLOCESTER. – Mon souverain!

LE ROI. – Est-ce la voix de mon frère Glocester que j'entends? – Oui, je connais le sujet qui vous amène. – Je vais m'y rendre avec vous. – Le jour, mes amis, tout m'attend.

(Ils sortent.)
28.Jeu de mots sur Crown, tête, couronne, écu, etc., etc.