Kitobni o'qish: «Henri IV (1re partie)»
NOTICE
SUR LA PREMIÈRE PARTIE
DE HENRI IV
Les commentateurs donnent à ces deux pièces le titre de comédies; et en effet, bien que le sujet appartienne à la tragédie, l'intention en est comique. Dans les tragédies de Shakspeare, le comique naît quelquefois spontanément de la situation des personnages introduits pour le service de l'action tragique: ici non-seulement une partie de l'action roule absolument sur des personnages de comédie; mais encore la plupart de ceux que leur rang, les intérêts dont ils s'occupent et les dangers auxquels ils s'exposent pourraient élever à la dignité de personnages tragiques, sont présentés sous l'aspect qui appartient à la comédie, par le côté faible ou bizarre de leur nature. L'impétuosité presque puérile du bouillant Hotspur, la brutale originalité de son bon sens, cette humeur d'un soldat contre tout ce qui veut retenir un instant ses pensées hors du cercle des intérêts auxquels il a dévoué sa vie, donnent lieu à des scènes extrêmement piquantes. Le Gallois Glendower, glorieux, fanfaron, charlatan en même temps que brave, qui tient tête à Hotspur tant que celui-ci le menace ou le contrarie, mais qui cède et se retire aussitôt qu'une plaisanterie vient alarmer son amour-propre par la crainte du ridicule, est une conception vraiment comique. Il n'y a pas jusqu'aux trois ou quatre paroles que prononce Douglas qui n'aient aussi leur nuance de fanfaronnade. Aucun de ces trois courages ne s'exprime de même; mais tout cède à celui de Hotspur, auquel la teinte comique qu'a reçue son caractère n'ôte rien de l'intérêt qu'il inspire. On s'attache à lui comme à l'Alceste du Misanthrope, à un grand caractère victime d'une qualité que l'impétuosité de son humeur et la préoccupation de ses propres idées ont tourné en défaut. On voit le brave Hotspur acceptant l'entreprise qu'on lui propose avant de la connaître, certain du succès dès qu'il est frappé de l'idée de l'action; on le voit perdant successivement tous les appuis sur lesquels il avait compté, abandonné ou trahi par ceux qui l'ont entraîné dans le danger, et comme poussé par une sorte de fatalité vers l'abîme qu'il n'aperçoit qu'au moment où il n'est plus temps de reculer, et où il tombe en ne regrettant que sa gloire. C'est là sans doute une catastrophe tragique, et le fond de la première pièce, qui a pour sujet le premier pas de Henri V vers la gloire, en exigeait une de ce genre; mais la peinture des égarements de la jeunesse du prince n'en forme pas moins la partie la plus importante de l'ouvrage, dont le caractère principal est Falstaff.
Falstaff est l'un des personnages les plus célèbres de la comédie anglaise, et peut-être aucun théâtre n'en offre-t-il un plus gai. Ce serait un spectacle assez triste que celui des emportements d'une jeunesse aussi désordonnée que celle de Henri V, dans des moeurs aussi rudes que celles de son temps, si, au milieu de cette grossière débauche, des habitudes et des prétentions d'un genre plus relevé ne venaient former un contraste et jouer un rôle d'autant plus amusant qu'il est déplacé. Il eût été fort moral, sans doute, de faire porter, sur le prince qui s'avilit, le ridicule de cette inconvenance; mais quand Shakspeare n'eût pas été le poëte de la cour d'Angleterre, ni la vraisemblance ni l'art ne lui permettaient de dégrader un personnage tel que Henri V; il a soin, au contraire, de lui conserver partout la hauteur de son caractère et la supériorité de sa position; et Falstaff, destiné à nous amuser, n'est admis dans la pièce que pour le divertissement du prince.
Fait pour être un homme de bonne compagnie, Falstaff n'a pas encore renoncé à toutes ses prétentions en ce genre: il n'a point adopté la grossièreté des situations où le rabaissent ses vices; il leur a tout livré, excepté son amour-propre; il ne s'est point fait un mérite de sa crapule, il n'a point mis sa vanité dans les exploits d'un bandit: les manières et les qualités d'un gentilhomme, c'est encore à cela qu'il tiendrait s'il pouvait tenir à quelque chose; c'est à cela qu'il prétendrait s'il lui était permis d'avoir, ou possible de soutenir une prétention. Du moins veut-il se donner le plaisir de les affecter toutes, dût ce plaisir lui valoir un affront; sans y croire, sans espérer qu'on le croie, il faut à tout prix qu'il réjouisse ses oreilles de l'éloge de sa bravoure, presque de ses vertus. C'est là une de ses faiblesses, comme le goût du vin d'Espagne est une tentation à laquelle il ne lui est pas plus possible de résister, et la naïveté avec laquelle il cède, les embarras où elle le met, l'espèce d'imprudence hypocrite qui l'aide à s'en tirer, en l'ont un personnage extraordinairement plaisant. Les jeux de mots, bien que fréquents dans cette pièce, y sont beaucoup moins nombreux que dans quelques autres drames d'un genre plus sérieux, et ils y sont infiniment mieux placés. Le mélange de subtilité, que Shakspeare devait à l'esprit de son temps, n'empêche pas que dans cette pièce, ainsi que dans celles où reparaît Falstaff, la gaieté ne soit peut-être plus franche et plus naturelle que dans aucun autre ouvrage du théâtre anglais.
La première partie de Henri IV parut, selon Malone, en 1597. Chalmers et Drake croient qu'elle fut écrite en 1596; mais leur opinion, à cet égard, ne s'appuie sur aucun témoignage sérieux. Ce qu'il y a de bien positif, c'est que cette pièce fut écrite avant 1598, car Meres la cite dans cette même année parmi les oeuvres de Shakspeare.
HENRI IV
TRAGÉDIE
PREMIÈRE PARTIE
PERSONNAGES
LE ROI HENRI IV.
HENRI, prince de Galles,} fils du
JEAN, prince de Lancastre,} roi.
LE COMTE DE WESTMORELAND,} partisans
SIR WALTER BLOUNT,} du roi.
THOMAS PERCY, comte de Worcester.
HENRI PERCY, comte de Northumberland.
HENRI PERCY, surnommé HOTSPUR, son fils.
EDMOND MORTIMER, comte de la Marche.
SCROOP, archevêque d'York.
ARCHIBALD, comte de Douglas.
OWEN GLENDOWER.
SIR RICHARD VERNON.
SIR JEAN FALSTAFF.
POINS.
GADSHILL.
PETO
BARDOLPHE.
LADY PERCY, femme de Hotspur, soeur de Mortimer.
LADY MORTIMER, fille de Glendower, et femme de Mortimer.
QUICKLY, hôtesse d'une taverne à East-Cheap.
Lords, officiers, shérif, cabaretier, garçon de chambre, garçons de cabaret, deux voituriers, voyageurs, suite.
La scène est en Angleterre
ACTE PREMIER
SCÈNE I
Un appartement dans le palais
Entrent LE ROI HENRI, WESTMORELAND, SIR WALTER BLOUNT et d'autres
LE ROI. – Ébranlés et épuisés par les soucis comme nous le sommes, tâchons de trouver un moment où la paix effrayée puisse reprendre haleine, et nous annoncer d'une voix entrecoupée les nouvelles luttes que nous devons aller soutenir sur de lointains rivages… Les abords 1 de cette terre altérée ne verront plus ses lèvres teintes du sang de ses propres enfants. La terre ne sillonnera plus son sein de tranchées, n'écrasera plus ses fleurs sous les pieds ferrés de coursiers ennemis. Ces yeux irrités qui naguère comme les météores d'un ciel orageux, tous d'une même nature, tous formés de la même substance, se venaient rencontrer dans le choc des partis livrés à la guerre intestine et dans la mêlée furieuse des massacres civils formeront maintenant des rangs unis et bien ordonnés, ils se dirigeront tous vers un même but, et ne combattront plus leurs connaissances, leurs parents, leurs alliés. Le tranchant de la guerre ne viendra plus comme un couteau mal rengainé couper son propre maître. Maintenant donc, mes amis, soldat du Christ, enrôlé sous sa croix sainte, pour laquelle nous nous sommes tous engagés à combattre, nous allons conduire jusqu'à son sépulcre une armée d'Anglais dont les bras furent formés dans le sein de leur mère pour aller poursuivre les païens sur les plaines saintes que foulèrent ses pieds divins, cloués, il y a quatorze cents ans, pour notre avantage, sur le bois amer de la croix. Mais ce projet existe depuis un an, et je n'ai pas besoin de vous le dire: cela sera, donc ce n'est pas encore aujourd'hui que nous nous rassemblons pour le départ. Maintenant, Westmoreland, mon cher cousin, rendez-moi compte de ce qui fut arrêté hier au soir dans notre conseil, pour hâter une expédition si chère.
WESTMORELAND. – Mon souverain, on discutait avec ardeur les moyens de l'exécuter promptement, et hier au soir seulement on avait arrêté plusieurs des dépenses qu'elle exige, lorsqu'à travers ces débats survint tout à coup un courrier de Galles, chargé de fâcheuses nouvelles. La pire de toutes c'est que le noble Mortimer, qui conduisait les gens du comte d'Hereford contre les troupes irrégulières et sauvages de Glendower, est tombé entre les mains féroces de ce Gallois. Mille de ses soldats ont été massacrés; et les Galloises ont exercé sur leurs cadavres de telles horreurs, leur ont fait subir des mutilations si brutales, si infâmes, qu'on ne peut les redire ou les indiquer.
LE ROI. – Les nouvelles de ce combat auraient, à ce qu'il paraît, empêché de donner suite à l'affaire de la terre sainte.
WESTMORELAND. – Oui, mon gracieux seigneur, cette nouvelle jointe avec d'autres; car il est venu du Nord, des nouvelles plus pénibles et plus fâcheuses encore: et les voici. Le jour de l'exaltation de la Sainte-Croix, le vaillant Hotspur, ce jeune Henri Percy, et le brave Archambald, cet Écossais tout plein de valeur et de renommée, se sont livrés à Holmedon un sérieux et sanglant combat. Les nouvelles ne nous en sont parvenues que par le bruit de leur mousqueterie, et accompagnées seulement de conjectures; car celui qui nous les a apportées est monté à cheval au moment où la lutte devenait le plus opiniâtre, totalement incertain sur l'issue qu'elle pourrait avoir.
LE ROI. – Un ami plein d'affection et d'habile fidélité, sir Walter Blount, arrive ici descendant de cheval et couvert des différentes espèces de poussières qu'il a traversées depuis Holmedon jusqu'à cette résidence; et il nous a apporté des nouvelles agréables et douces. Le comte de Douglas est défait. Sir Walter a vu dans les plaines d'Holmedon dix mille de ces hardis Écossais et vingt-deux chevaliers baignés dans leur sang. Au nombre des prisonniers d'Hotspur sont Mordake, comte de Fife, et fils aîné du vaincu Douglas 2, les comtes d'Athol, de Murray, d'Angus et de Menteith. Ne sont-ce pas là d'honorables dépouilles, une riche conquête? Eh, cousin, qu'en dites-vous?
WESTMORELAND. – Oui, certes, c'est une victoire dont pourrait se vanter un prince.
LE ROI. – Eh! vraiment c'est en ceci que tu m'affliges, et que tu me fais faire le péché d'envie contre Northumberland quand je le vois père d'un fils si désirable; d'un fils, le sujet éternel des discours de la louange, la tige la plus élancée du bocage, le favori, l'orgueil de la fortune caressante, tandis que moi spectateur de sa gloire, je vois la débauche et le déshonneur souiller le front de mon jeune Henri. O plût au ciel qu'on pût prouver que quelque fée se glissant dans la nuit, a tiré pour les échanger nos enfants de leurs langes, et qu'elle a nommé le mien Percy, et le sien Plantagenet! Alors j'aurais son Henri et il aurait le mien. – Mais bannissons-le de ma pensée. – Que dites-vous, cousin, de l'orgueil de ce jeune Percy? Les prisonniers qu'il a faits dans cette rencontre, il prétend se les approprier, et il me fait dire que je n'en aurai pas d'autres que Mordake, comte de Fife.
WESTMORELAND. – Ce sont là les leçons de son oncle; j'y reconnais Worcester, toujours malveillant pour vous dans toutes les occasions. C'est lui qui l'engage à se rengorger ainsi et à lever sa jeune crête contre la dignité de votre couronne.
LE ROI. – Mais je l'ai envoyé chercher pour m'en rendre raison, et c'est ce qui nous oblige à laisser quelque temps de côté nos saints projets sur Jérusalem. Cousin, mercredi prochain nous tiendrons notre conseil à Windsor: instruisez-en les lords, mais vous, revenez promptement vers nous; car il reste plus de choses à dire et à faire, que la colère ne me permet en ce moment de vous l'expliquer.
WESTMORELAND. – Je vais, mon prince, exécuter vos ordres.
SCÈNE II
Un autre appartement dans le palais
Entrent HENRI, prince de Galles, ET FALSTAFF
FALSTAFF. – Dis donc, Hal 3, quelle heure est-il, mon garçon?
HENRI. – Tu as l'esprit si fort épaissi à force de t'enivrer de vieux vin d'Espagne 4, de te déboutonner après souper, et de dormir sur les bancs des tavernes l'après-dîner, que tu ne sais plus demander ce que tu as véritablement envie de savoir. Que diable as-tu affaire à l'heure qu'il est? A moins que les heures ne fussent des verres de vin d'Espagne, les minutes autant de chapons, à moins que nous n'eussions pour horloges la voix des appareilleuses, pour cadrans les enseignes de tabagies, et que le bien-faisant soleil lui-même ne fût une belle et lascive courtisane en taffetas couleur de feu, je ne vois pas de motif à cette inutilité de venir demander l'heure qu'il est.
FALSTAFF. – Ma foi, Hal, vous entrez dans mon sens; car nous autres coupeurs de bourses, nous nous laissons conduire par la lune et les sept étoiles, et non par Phoebus, ce chevalier errant, blond 5. Et je t'en prie, mon cher lustig, dis-moi un peu, quand une fois tu seras roi… – Dieu conserve ta grâce (majesté, j'aurais dû dire, car de grâces tu n'en auras jamais)!..
HENRI. – Comment! pas du tout?
FALSTAFF. – Non, par ma foi, pas seulement autant qu'on en peut avoir à dire après un oeuf ou du beurre 6.
HENRI. – Eh bien! enfin donc? Au fait, au fait.
FALSTAFF. – Vraiment je veux donc te dire, mon cher lustig, quand tu seras roi, tu ne dois pas souffrir que nous autres gardes du corps de la nuit, soyons traités de voleurs qui attaquent la beauté du jour. Qu'on nous appelle, à la bonne heure, forestiers de Diane, gentilshommes des ténèbres, les mignons de la lune, et qu'on dise de nous que nous nous gouvernons bien, puisque nous sommes comme la mer, gouvernés par notre noble maîtresse la lune, sous la protection de laquelle nous exerçons… le vol.
HENRI. – Tu as raison, et ce que tu dis est vrai sous tous les rapports: car notre fortune à nous autres gens de la lune, a son flux et reflux comme la mer; de même que la mer, nous sommes gouvernés par la lune; et pour preuve, une bourse résolument enlevée le lundi soir sera dissolument vidée le mardi matin, gagnée en jurant, la bourse ou la vie, dépensée en criant, apporte bouteille. En cet instant, marée basse comme le pied de l'échelle, nous serons d'un moment à l'autre à flot aussi haut que le bras de la potence.
FALSTAFF. – Pardieu, tu dis bien vrai, mon garçon. – Et n'est-ce pas que mon hôtesse de la taverne est une agréable créature?
HENRI. – Douce comme le miel d'Hybla, mon vieux garnement 7. Et n'est-il pas vrai aussi qu'un pourpoint de buffle est une agréable robe de chambre pour prison 8?
FALSTAFF. – Quoi, quoi? Mauvais plaisant, fou que tu es! qu'as-tu donc à me pincer, à m'épiloguer de cette manière? que diable ai-je affaire à ton pourpoint de buffle?
HENRI. – Et que diable ai-je affaire, moi, avec ton hôtesse de la taverne?
FALSTAFF. – Eh! mais tu l'as bien fait venir compter avec toi plus et plus d'une fois.
HENRI. – Et t'ai-je jamais fait venir toi, pour payer ta part?
FALSTAFF. – Non: oh! je te rendrai justice: tu as toujours tout payé là.
HENRI. – Là et ailleurs aussi, tant que mes fonds pouvaient s'étendre; et quand ils m'ont manqué, j'ai usé de mon crédit.
FALSTAFF. – Oh! pour cela oui, et si bien usé, que, s'il n'était pas si clair que tu es l'héritier présomptif… – Mais dis-moi donc, je t'en prie, mon cher enfant, verra-t-on encore en Angleterre des gibets sur pied, quand tu seras roi? Et cette grotesque figure, la mère la Loi, avec son frein rouillé, pourra-t-elle toujours jouer de mauvais tours aux gens de coeur? Je t'en prie, quand tu seras roi, ne pends point les voleurs.
HENRI. – Non, ce sera toi.
FALSTAFF. – Moi, oh! bravo. Pardieu je serai un excellent juge.
HENRI. – Et voilà comme tu juges déjà mal; car je veux dire que c'est toi qui auras l'emploi de pendre les voleurs, et que tu deviendras ainsi un merveilleux bourreau.
FALSTAFF. – Fort bien, Hal, fort bien: je puis vous dire qu'en quelque façon ce métier-là s'accorderait avec mon humeur tout aussi bien que celui de faire ma cour.
HENRI. – Pour être revêtu de quelque emploi.
FALSTAFF. – Certainement pour être vêtu 9. Le bourreau a une garde-robe qui n'est pas mince. – Je suis aussi triste qu'un vieux matou, ou qu'un ours emmuselé.
HENRI. – Ou qu'un lion décrépit, ou bien que le luth d'un amant.
FALSTAFF. – Oui, ou le bourdonnement d'une musette du comté de Lincoln.
HENRI. – Pourquoi pas comme un lièvre, ou comme les vapeurs de Moorditch 10?
FALSTAFF. – Tu as toujours les comparaisons les plus désagréables, et tu es le comparatif en personne le plus maudit… aimable jeune prince!.. – Mais, Hal, je t'en prie, ne me tourmente plus davantage de ces folies. Je voudrais de tout mon coeur que nous fussions toi et moi là où l'on achète une provision de bonne renommée. Un vieux lord du conseil m'a diablement bourré l'autre jour dans la rue à votre sujet, mon cher monsieur, mais je n'y ai pas fait attention; et cependant il parlait fort sagement, mais je n'y ai pas pris garde, et pourtant il parlait sagement, et dans la rue encore.
HENRI. – Tu as bien fait: car la sagesse crie dans les rues, et personne n'y prend garde 11.
FALSTAFF. – Oh! tu as de damnables applications; en vérité, tu serais capable de corrompre un saint. – Tu m'as fait bien du tort, Hal! Dieu te le pardonne; mais avant de te connaître, Hal, je ne savais rien de rien; et aujourd'hui, pour dire la vérité, je ne vaux rien de mieux que ce qu'il y a de pis. Il faut que je quitte cette vie-là, et je la quitterai; si je ne le fais pas, dis que je suis un misérable. Il n'y a pas un fils de roi dans la chrétienté pour qui je veuille me faire damner.
HENRI. – Jack, où irons-nous demain escamoter une bourse?
FALSTAFF. – Où tu voudras, mon garçon; je suis de la partie. Si je n'y vas pas, appelle-moi un misérable, et fais moi quelque affront.
HENRI. – Je vois que tu t'amendes bien. Tu passes de la prière au guet-apens.
(Poins paraît dans le fond du théâtre.)
FALSTAFF. – Que veux-tu, Hal, c'est ma vocation, mon ami; et ce n'est pas péché pour un homme que de suivre sa vocation. – Poins! Nous allons savoir tout à l'heure si Gadshill a lié une partie. Oh! si les hommes étaient sauvés selon leur mérite, quel trou dans l'enfer serait assez chaud pour lui? C'est peut-être le plus universel coquin qui ait jamais crié arrête à un honnête homme.
HENRI. – Bonjour, Ned 12.
POINS. – Bonjour, cher Hal. – Que dit M. Remords? que dit sir Jean-vin-sucré? Jack, comment le diable et toi vous arrangez-vous au sujet de ton âme, après la lui avoir vendue, le vendredi saint dernier, pour un verre de vin de Madère et une cuisse de chapon froid?
HENRI. – Sir Jean ne s'en dédit pas; il tiendra son marché avec le diable, car de sa vie encore il n'a fait mentir de proverbes. Il donnera au diable ce qui lui appartient.
POINS. – Eh bien, te voilà donc damné pour tenir ta parole au diable?
HENRI. – Il l'aurait été aussi pour avoir friponné le diable.
POINS. – Mais, mes enfants, mes enfants, c'est demain qu'il faut se rendre dès quatre heures du matin chez Gadshill. Il y a des pèlerins qui s'en vont à Cantorbéry, chargés de riches offrandes, et des marchands qui chevauchent vers Londres avec des bourses bien grasses. J'ai des masques pour vous tous, et vous avez vos chevaux; Gadshill couche ce soir à Rochester; j'ai commandé le souper pour cette nuit à Eastcheap. Il n'y a pas plus de danger là qu'à dormir dans vos lits. Si vous voulez venir, je vous garnis vos bourses de couronnes jusqu'au bord: si vous ne voulez pas, restez à la maison, et allez vous faire pendre.
FALSTAFF. – Ecoute, Edouard; si je reste ici et n'y vais point, je vous ferai tous pendre pour y avoir été.
POINS. – En vérité, Côtelettes.
FALSTAFF. – Veux-tu en être, Hal?
HENRI. – Qui! moi, voler! Moi, aller faire le brigand? Non pas moi, sur ma foi!
FALSTAFF. – Tiens, tu n'as en toi rien d'un honnête homme, d'un homme de coeur, d'un bon camarade; tu n'es pas sorti du sang royal; tiens, si tu n'oses pas tenir pour dix schellings 13.
HENRI. – A la bonne heure, je ferai donc, une fois dans ma vie, un coup de tête.
FALSTAFF. – Voilà ce qui s'appelle parler.
HENRI. – Eh bien, arrive ce qui voudra, je garde la maison.
FALSTAFF. – Sur mon Dieu, s'il en est ainsi, je conspire quand tu seras roi.
HENRI. – Je ne m'en soucie guère.
POINS. – Sir John, je t'en prie, laisse-nous seuls un moment le prince et moi; je lui donnerai de si bonnes raisons pour cette expédition, qu'il y viendra.
FALSTAFF. – A la bonne heure: puisses-tu avoir l'esprit de persuasion, et lui l'intelligence du profit! afin que ce que tu diras puisse le toucher, et que ce qu'il entendra, il puisse le croire, et afin que le prince véritable puisse (par récréation) devenir un faux voleur; car les pauvres abus de ce siècle ont bien besoin de protection. Adieu, vous me retrouverez à Eastcheap.
HENRI. – Adieu, printemps passé; adieu, été de la Toussaint.
(Falstaff sort.)
POINS. – Allons, mon bon, doux et gracieux seigneur, montez à cheval demain avec nous. J'ai une farce à jouer que je ne saurais arranger tout seul. Falstaff, Bardolph, Peto et Gadshill dévaliseront ces hommes que nous sommes à guetter. Ni vous, ni moi, n'y serons; et quand ils auront leur butin, si entre vous et moi nous ne les volons pas à notre tour, je veux que vous m'abattiez la tête de dessus les épaules.
HENRI. – Mais comment ferons-nous pour nous séparer d'eux au moment du départ?
POINS. – Quoi! nous ne partirons qu'avant ou après eux, et nous leur fixerons un rendez-vous, auquel nous serons les maîtres de manquer. Alors ils s'aventureront tout seuls à faire cet exploit, et ils ne l'auront pas plutôt accompli, que nous tomberons sur eux.
HENRI. – Oui, mais il est probable qu'ils nous reconnaîtront à nos chevaux, à nos habits, enfin à toutes sortes d'indices.
POINS. – Bah! d'abord ils ne verront pas nos chevaux, je les attacherai dans le bois; nous changerons de masques dès que nous les aurons quittés; et de plus, mon cher, j'ai pour l'occasion, des fourreaux de bougran dont nous couvrirons nos vêtements qu'en effet ils connaissent.
HENRI. – Mais j'ai peur aussi qu'ils ne soient trop forte partie pour nous.
POINS. – Oh! pour cela, il y en a deux dont je réponds comme des plus fieffés poltrons qui aient jamais tourné le dos; et pour le troisième, s'il se bat plus longtemps que de raison, je renonce au métier des armes. – Le bon de cette plaisanterie sera d'entendre après les inconcevables mensonges que nous débitera ce gros coquin, lorsque nous nous retrouverons à souper: comme quoi il s'est battu avec une trentaine au moins, quelles parades il a faites, quels coups il a allongés, quels dangers il a courus; notre divertissement sera de le mettre en défaut.
HENRI. – En bien, j'irai avec toi; va nous préparer tout ce qui est nécessaire, et puis retrouve-toi ce soir à Eastcheap; j'y souperai, adieu.
POINS. – Adieu, mon prince.
(Il sort.)
HENRI. – Je vous connais tous; et veux bien pour un temps favoriser les caprices déréglés de votre oisiveté. En cela je continuerai à imiter le soleil qui permet quelquefois aux nuages impurs et contagieux de dérober sa beauté à l'univers, afin que lorsqu'il lui plaira de redevenir lui-même, le monde, après en avoir été privé, le voie avec plus d'admiration reparaître tout à coup à travers les noires et hideuses vapeurs qui avaient paru le suffoquer. Si l'année entière se passait en jours de congé, les jeux seraient bientôt aussi ennuyeux que le travail. Mais quand ils ne viennent que de temps à autre, ils reviennent toujours désirés; rien ne plaît que ce qui n'arrive pas communément. Ainsi quand je rejetterai ces habitudes déréglées, et que je payerai la dette que je n'ai jamais reconnue, autant mes promesses auront été au-dessous de ma conduite, autant je tromperai l'attente des hommes; et telle qu'un métal brillant sur un fond obscur, ma réforme, dont l'éclat sera rehaussé par mes fautes, paraîtra plus méritoire, et attirera plus de regards que le mérite qu'aucune tache ne fait ressortir. Ainsi je veux faillir de manière à me servir habilement de mes fautes, lorsque ensuite je regagnerai le temps perdu au moment où on y comptera le moins.
(Il sort.)
Shall daub her lips with her own children's blood.
Les commentateurs, à qui cette phrase a paru trop difficile à expliquer, ont supposé quelque corruption dans le texte et ont substitué le mot Erinnys au mot entrance, qu'on trouve dans les premières éditions. La correction ne paraît pas heureuse. Shakspeare, dans ses pièces tirées de l'histoire moderne, use rarement des images de l'ancienne mythologie, et celle-ci ne serait nullement en rapport avec le genre de poésie employé dans le reste du discours. Le mot entrance, au contraire, par une de ces extensions si familières à Shakspeare, et si naturelles dans une langue qui n'est point fixée, peut très-bien avoir été employé dans son sens naturel d'entrée, abords, avenue, et dans le sens de bouche; il est même probable que c'est cet avantage de présenter une double idée qui l'aura fait choisir au poëte. Les abords de l'Angleterre en étaient naturellement la partie la plus ensanglantée, soit par les invasions maritimes, soit par les incursions des Écossais et des Gallois qui se mêlaient presque toujours à ses troubles civils; et la bouche altérée de la terre teignant ses lèvres, etc., est une métaphore suivie à la manière de Shakspeare, dont la grammaire est beaucoup plus vague que l'imagination. Les commentateurs ont presque toujours le tort de vouloir l'expliquer par la grammaire.
Jeu de mots sur le mot suits, qui signifie une requête et un vêtement complet.