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SCÈNE II

Une rue près de la porte de Rome
SICINIUS, BRUTUS ET UN ÉDILE

SICINIUS, à l'édile. – Faites-les rentrer chez eux: il est sorti de Rome, et nous n'irons pas plus loin. Ce coup vexe les nobles, qui, nous le voyons, se sont rangés de son parti.

BRUTUS. – A présent que nous avons fait sentir notre pouvoir, songeons à paraître plus humbles après le succès.

SICINIUS, à l'édile. – Faites retirer le peuple: dites-lui qu'il a retrouvé sa force, et que son grand adversaire est parti.

BRUTUS. – Oui, congédiez-les. J'aperçois la mère de Coriolan qui vient à nous.

(Volumnie, Virgilie et Ménénius paraissent sur la place.)

SICINIUS. – Évitons-la.

BRUTUS. – Pourquoi?

SICINIUS. – On dit qu'elle est folle.

BRUTUS. – Ils nous ont aperçus: continue ton chemin.

VOLUMNIE. – Oh! je vous rencontre à propos; que tous les fléaux des dieux pleuvent sur vous, en récompense de votre amour!

MÉNÉNIUS. – Calmez-vous, calmez-vous: pas si haut.

VOLUMNIE. – Ah! si mes larmes me laissaient la force, vous m'entendriez…; mais je ne vous quitte pas sans vous avoir dit… (A Sicinius.) Vous voulez vous en aller!.. (A Brutus.) Vous resterez aussi.

VIRGILIE. – Plût à Dieu que j'eusse pu dire la même chose, à mon époux!

SICINIUS. – Mais c'est un vrai homme!

VOLUMNIE. – Imbécile! est-ce là une honte? Mais l'entendez-vous? Mon père n'était-il donc pas homme? – Vieux renard, as-tu bien pu être assez rusé pour bannir un citoyen qui a frappé plus de coups pour Rome que tu n'as dit de mots.

SICINIUS. – O dieux protecteurs!

VOLUMNIE. – Oui, plus de coups glorieux que tu n'as dit en ta vie de paroles sages et utiles au bien de Rome. – Je te dirai ce que… – Mais va-t'en. – Non, tu resteras. – Je voudrais que mon fils fût dans les déserts de I'Arabie, armé de sa fidèle épée, et toute ta race devant lui.

SICINIUS. – Eh bien! qu'en arriverait-il?

VIRGILIE. – Ce qu'il en arriverait? Il aurait bientôt mis fin à ta postérité.

VOLUMNIE. – Oui, à tes bâtards et à toute ta race. Bon citoyen, toutes les blessures qu'il a reçues pour Rome…

MÉNÉNIUS. – Allons, cessez, cessez, contenez-vous.

SICINIUS. – Je souhaiterais qu'il eût continué de servir sa patrie comme il avait commencé, et qu'il n'eût pas lui-même rompu le noeud glorieux qui les attachait l'un à I'autre.

BRUTUS. – Oui, je le souhaiterais aussi.

VOLUMNIE. – Vous le souhaiteriez, dites-vous?.. Et c'est vous qui avez animé la populace, vous chats miaulants, aussi en état d'apprécier son mérite que je le suis, moi, de pénétrer les mystères dont le ciel interdit la connaissance à la terre.

BRUTUS, à Sicinius. – Je vous en prie, allons-nous-en.

VOLUMNIE. – Oui, fort bien, allez-vous-en. Vous avez fait là une belle action; mais avant que vous me quittiez, vous entendrez encore cette vérité. Autant le Capitole surpasse en hauteur la plus humble maison de Rome, autant mon fils, oui, le mari de cette jeune femme qui m'accompagne, celui-là même, voyez-vous, que vous avez banni, vous surpasse en mérite, vous tous tant que vous êtes.

BRUTUS. – A merveille! parlez: nous vous laissons-là.

SICINIUS. – Aussi bien, pourquoi s'arrêter ici, pour se voir harceler par une femme qui a perdu la raison?

VOLUMNIE. – Emportez avec vous les prières que j'adresse au ciel pour vous. Je voudrais que les dieux ne fussent occupés qu'à accomplir mes malédictions! (Les tribuns sortent.) Oh! si je pouvais les rencontrer seulement une fois par jour!.. cela soulagerait mon coeur du poids douloureux qui l'oppresse.

MÉNÉNIUS. – Vous leur avez dit là leur fait; et, j'en conviens, vous en avez bien sujet: voulez-vous venir souper avec moi?

VOLUMNIE. – La colère est mon aliment: je me nourris de moi-même, et je mourrai de faim en me nourrissant ainsi. – Allons, quittons cette place; mettons un terme à ces cris et à ces pleurs d'enfant: je veux être Junon dans ma colère. Venez, venez.

MÉNÉNIUS. – Fi donc! fi donc!

(Ils sortent.)

SCÈNE III

La scène change et représente un chemin entre Rome et Antium
UN ROMAIN ET UN VOLSQUE se rencontrent

LE ROMAIN. – Bien sûr, je vous connais, et je suis connu de vous: votre nom, ou je me trompe fort, est Adrien.

LE VOLSQUE. – Cela est vrai: d'honneur, je ne vous remets pas.

LE ROMAIN. – Je suis un Romain; mais je sers, comme vous, contre Rome. Me reconnaissez-vous à présent?

LE VOLSQUE. – N'êtes-vous pas Nicanor?

LE ROMAIN. – Lui-même.

LE VOLSQUE. – Vous aviez une barbe plus épaisse, ce me semble, la dernière fois que je vous ai vu: mais le son de votre voix me rappelle vos traits. Quelles nouvelles de Rome? J'étais chargé par le sénat volsque d'aller vous y chercher: vous m'avez fort heureusement épargné une journée de chemin.

LE ROMAIN. – Il y a eu à Rome d'étranges insurrections: le peuple soulevé contre les sénateurs, les patriciens et les nobles.

LE VOLSQUE. —Il y a eu, dites-vous? Elles sont donc à leur terme? Notre sénat ne le croit pas: on presse, les préparatifs de guerre, et l'on espère fondre sur les Romains au plus chaud de leurs divisions.

LE ROMAIN. – Le plus fort du feu est passé: mais il ne faut qu'une étincelle pour rallumer l'incendie; car les nobles prennent si à coeur le bannissement du brave Coriolan, qu'ils sont tous disposés à ôter au peuple son pouvoir; et à lui enlever ses tribuns pour jamais. Le feu couve sous la cendre, je puis vous I'assurer, et il est près d'éclater avec violence.

LE VOLSQUE. – Coriolan banni?

LE ROMAIN. – Oui, il est banni.

LE VOLSQUE. – Avec cette nouvelle, Nicanor, vous êtes sûr d'être bien reçu.

LE ROMAIN. – L'occasion est bonne pour les Volsques. J'ai entendu dire que le moment le plus favorable pour séduire une femme, c'est quand elle est en querelle avec son mari. Votre noble Tullus Aufidius va figurer avec avantage dans cette guerre, à présent que son grand adversaire Coriolan n'a plus ni crédit ni emploi dans sa patrie.

LE VOLSQUE. – Il ne peut manquer d'y briller. Je me félicite de cette rencontre inattendue: grâce à vous, ma commission est remplie, et je vais vous accompagner avec joie jusqu'à mon logis.

LE ROMAIN. – D'ici au souper, je vous apprendrai bien des nouvelles de Rome qui vous surprendront, et qui toutes tendent à I'avantage de ses ennemis. N'avez-vous pas, disiez-vous, une armée prête à marcher?

LE VOLSQUE. – Une armée superbe; les centurions ont déjà reçu leurs commissions et leur paye; ils ont l'ordre d'être sur pied une heure après le premier signal.

LE ROMAIN. – Je suis ravi d'apprendre qu'ils sont tout prêts, et je suis I'homme, je crois, qui va les mettre dans le cas d'agir à l'heure même. Je m'applaudis de vous avoir rencontré, et votre compagnie me fait grand plaisir.

LE VOLSQUE. – Vous vous chargez là de mon rôle: c'est moi qui ai le plus sujet de me réjouir de la vôtre.

LE ROMAIN. – Allons, marchons ensemble.

(Ils sortent.)

SCÈNE IV

Antium, devant la maison d'Aufidius
CORIOLAN entre mal vêtu, déguisé, et le visage à demi caché dans son manteau

CORIOLAN. – C'est une belle ville qu'Antium! Cité d'Antium, c'est moi qui t'ai remplie de veuves. Combien d'héritiers de ces beaux édifices j'ai ouï gémir et vu périr dans mes guerres! Cité d'Antium, ne va pas me reconnaître: tes femmes et tes enfants, armés de broches et de pierres, me tueraient dans un combat sans gloire. (Il rencontre un Volsque.) Salut, citoyen.

LE VOLSQUE. – Je vous le rends.

CORIOLAN. – Conduisez-moi, s'il vous plaît, à la demeure du brave Aufidius. Est-il à Antium?

LE VOLSQUE. – Oui, et il donne un festin aux grands de l'État.

CORIOLAN. – Où est sa maison, je vous prie?

LE VOLSQUE. – C'est celle-ci, là, devant vous.

CORIOLAN. – Je vous remercie: adieu. (Le Volsque s'en va.) O monde, voilà tes révolutions bizarres! Deux amis qui se sont juré une foi inviolable, qui paraissent n'avoir à eux deux qu'un seul et même coeur, qui passent ensemble toutes les heures de la vie, partageant le même lit, la même table, les mêmes exercices, qui sont pour ainsi dire deux jumeaux inséparables, unis par une éternelle amitié, vont dans l'espace d'une heure, sur la plus légère querelle, sur une parole, rompre violemment ensemble, et passer à la haine la plus envenimée. Et aussi deux ennemis mortels, dont la haine troublait le sommeil et les nuits, qui tramaient des complots pour se surprendre l'un l'autre, il ne faut qu'un hasard, l'événement le plus futile, pour les changer en amis tendres et réunir leurs destins. Voilà mon histoire. Je hais le lieu de ma naissance, et tout mon amour est donné à cette ville ennemie. – Entrons, si Aufidius me fait périr, il ne fera que tirer une juste vengeance; s'il m'accueille en allié, je rendrai service à son pays.

(Il s'éloigne.)

SCÈNE V

Une salle d'entrée dans la maison d'Aufidius
(On entend de la musique: tout annonce une fête dans l'intérieur.)

UN ESCLAVE entre.

PREMIER ESCLAVE, – Du vin, du vin. Que fait-on ici? Je crois que tous nos gens sont endormis.

(Entre un second esclave.)

SECOND ESCLAVE. – Où est Cotus? mon maître le demande. Cotus?

(Coriolan entre.)

CORIOLAN. – Une belle maison! Voici un grand festin; mais je n'y parais pas en convive.

(Le premier esclave repasse par la salle.)

PREMIER ESCLAVE. – Que voulez-vous, l'ami? D'où êtes-vous? Il n'y a pas ici de place pour vous: je vous prie, regagnez la porte.

 

CORIOLAN, à part. – Je ne mérite pas un meilleur accueil, en ma qualité de Coriolan.

(Le second esclave revient.)

SECOND ESCLAVE. – D'où êtes-vous l'ami? – Le portier a-t-il les yeux dans la tête pour laisser entrer de pareilles gens! Je vous prie, l'ami, sortez.

CORIOLAN. – Que je sorte, moi!

SECOND ESCLAVE. – Oui, vous; allons, sortez.

CORIOLAN. – Tu me deviens importun.

SECOND ESCLAVE. – Oh! êtes – vous si brave?.. En ce cas, je vais vous donner à qui parler.

(Entre un troisième esclave qui aborde le premier.)

TROISIÈME ESCLAVE, au premier, – Quel est cet inconnu?

PREMIER ESCLAVE. – L'homme le plus étrange que encore vu: je ne peux parvenir à le faire sortir. Je te prie, avertis mon maître qu'il veut lui parler.

TROISIÈME ESCLAVE, à Coriolan. – Que cherchez-vous ici, l'homme? Allons, je vous prie, videz le logis.

CORIOLAN. – Laissez-moi debout ici; je ne nuis pas à votre foyer.

TROISIÈME ESCLAVE. – Qui êtes-vous?

CORIOLAN. – Un noble.

TROISIÈME ESCLAVE. – Ah! un pauvre noble, sur ma foi!

CORIOLAN. – Vrai: je le suis pourtant.

TROISIÈME ESCLAVE. – De grâce, mon pauvre noble, choisissez quelque autre asile: il n'y a point de place ici pour vous. Allons, je vous prie, videz les lieux, allons.

CORIOLAN, le repoussant. – Poursuis tes affaires, et va t'engraisser des reliefs du festin.

TROISIÈME ESCLAVE. – Quoi! vous ne voulez-vous pas? Je t'en prie, annonce à mon maître que l'hôte étrange l'attend ici.

SECOND ESCLAVE. – Je vais l'avertir.

TROISIÈME ESCLAVE. – Où demeures-tu?

CORIOLAN. – Sous le dais.

TROISIÈME ESCLAVE. – Sous le dais

CORIOLAN. – Oui.

TROISIÈME ESCLAVE. – Où est donc ce dais?

CORIOLAN. – Dans la ville des milans et des corbeaux.

TROISIÈME ESCLAVE. – Dans la ville des milans et des corbeaux? – Quel âne est ceci?..Tu habites donc aussi avec les buses?

CORIOLAN. – Non, je ne sers point ton maître.

TROISIÈME ESCLAVE. – Holà! seigneur, voudriez-vous vous mêler des affaires de mon maître?

CORIOLAN. – Cela est plus honnête que de se mêler de celles de ta maîtresse. – Bavard éternel, prête-moi ton bâton; allons, décampe.

(Il le bat, et l'esclave se sauve.) (Aufidius entre, précédé de l'esclave qui l'a averti.)

AUFIDIUS. – Où est cet individu?

SECOND ESCLAVE, – Le voilà, seigneur. Je l'aurais malmené si je n'avais craint de faire du bruit et de troubler vos convives.

AUFIDIUS. – De quel lieu viens-tu? Que demandes-tu? Ton nom? Pourquoi ne réponds-tu pas? Parle: quel est ton nom?

CORIOLAN, se découvrant le visage. – Tullus, si tu ne me connais pas encore, et qu'en me regardant tu ne devines pas qui je suis, la nécessité me forcera de me nommer.

AUFIDIUS. – Quel est ton nom?

(Les esclaves se retirent.)

CORIOLAN. – Un nom fait pour offenser l'oreille des Volsques, et qui ne sonnera pas agréablement à la tienne.

AUFIDIUS. – Parle: quel est ton nom? Tu as un air menaçant, et l'orgueil du commandement est empreint sur ton front. Quoique ton vêtement soit déchiré, tout indique en toi la noblesse. Quel est ton nom?

CORIOLAN. – Prépare toi à froncer le sourcil. Me devines-tu à présent?

AUFIDIUS. – Non, je ne te connais point: nomme-toi.

CORIOLAN. – Mon nom est Caïus Marcius, qui t'a fait tant de mal à toi et à tous les Volsques. C'est ce qu'atteste mon surnom de Coriolan. Mes pénibles services, mes dangers extrêmes, et tout le sang que j'ai versé pour mon ingrate patrie, n'ont reçu pour salaire que ce surnom. Ce gage de la haine et du ressentiment que tu dois nourrir contre moi, ce surnom seul m'est demeuré. L'envie a dévoré tout le reste; l'envie et la cruauté d'une vile populace, tolérée par nos nobles sans courage; ils m'ont tous abandonné, et ils ont souffert que des voix d'esclaves me bannissent de Rome. C'est cette extrémité qui me conduit aujourd'hui dans tes foyers, non pas dans l'espérance (ne va pas t'y méprendre) de sauver ma vie: car, si je craignais la mort, tu es celui de tous les hommes de l'univers que j'aurais le plus évité. Si tu me vois ici devant toi, c'est que, dans mon dépit, je veux m'acquitter envers ceux qui m'ont banni. Si donc tu portes un coeur qui respire la vengeance des affronts que tu as reçus, si tu veux fermer les plaies de ta patrie, et effacer les traces de honte qui l'ont défigurée, hàte-toi de m'employer et de faire servir ma disgrâce à ton avantage: mets ma misère à profit, et que les actes de ma vengeance deviennent des services utiles pour toi; car je combattrai contre ma patrie corrompue, avec toute la rage des derniers démons de l'enfer. Mais si tu n'oses plus rien entreprendre, et que tu sois dégoûté de tenter de nouveaux hasards, alors, je te le dis en un mot, moi-même je suis dégoûté de vivre, et je viens offrir ma tête à ton glaive et à ta haine. M'épargner serait en toi démence; moi, dont la haine t'a toujours poursuivi sans relâche; moi, qui ai fait couler du sein de ta patrie des tonnes de sang; je ne peux plus vivre qu'à ta honte, ou pour te servir.

AUFIDIUS. – O Marcius! Marcius! chaque mot que tu viens de prononcer a arraché de mon coeur une racine de ma vieille inimitié. Oui, quand Jupiter, ouvrant ce nuage qui voile les cieux, m'apparaîtrait et me révélerait les mystères des dieux, en ajoutant: «Je te dis la vérité;» je le ne croirais pas avec plus de confiance que je n'en ai en toi, brave et magnanime Marcius! O laisse-moi entourer de mes bras ce corps, contre lequel mon javelot s'est tant de fois brisé en effrayant la lune par ses éclats. J'embrasse l'enclume de mon épée. Mon amitié généreuse le dispute à la tienne avec plus d'ardeur que je n'en ai jamais ressenti dans la lutte ambitieuse de ma force contre la tienne. Sache que j'aimais passionnément la fille que j'ai épousée; jamais amant ne poussa des soupirs plus sincères: eh bien! la joie de te voir ici, noble mortel, fait éprouver à mon coeur de plus violents transports que ne m'en inspira la vue de ma maîtresse franchissant pour la première fois le seuil de ma porte, le jour de mes noces. Dieu de la guerre, je t'annonce que nous avons une armée sur pied, et que j'étais décidé à tenter encore de t'arracher ton bouclier, ou à y perdre mon bras. Tu m'as battu douze fois; et depuis, chaque nuit, je n'ai rêvé que combats corps à corps entre toi et moi. Nous avons lutté dans mon sommeil, cherchant à nous enlever nos casques, et nous saisissant l'un l'autre à la gorge; et je m'éveillais à moitié mort, épuisé par un vain songe. – Vaillant Marcius, quand nous n'aurions d'autre sujet de querelle avec Rome que l'injustice de t'avoir banni, nous ferions marcher tous les Volsques, depuis l'âge de douze ans jusqu'à celui de soixante-dix; et nous porterions la guerre, comme un torrent débordé, jusque dans les entrailles de cette ville ingrate. Oh! viens, entre, et serre la main de nos sénateurs: tu trouveras en eux des amis; ils sont ici à prendre congé de moi. J'étais prêt à marcher, non pas encore contre Rome même, mais contre son territoire.

CORIOLAN. – Dieux! vous me rendez heureux.

AUFIDIUS. – Ainsi, toi le plus absolu des hommes, si tu veux te charger toi-même de diriger tes vengences, prends la moitié du commandement: tu connais le fort et le faible de ton pays; nul ne le saurait faire comme toi. Tu décideras toi-même s'il faut aller frapper droit aux portes de Rome, ou l'ébranler dans les parties les plus éloignées, s'il faut l'épouvanter avant de la détruire. Mais entre: permets que je te présente à des hommes qui seront en tout dociles à tes vues. Mille et mille fois le bienvenu! Je suis plus ton ami que je n'ai jamais été ton ennemi; et, Marcius, c'est dire beaucoup. – Ta main: sois le bienvenu!

(Ils sortent.) (Entrent les deux premiers esclaves.)

PREMIER ESCLAVE. – Il s'est fait ici un étrange changement.

SECOND ESCLAVE. – Sur ma foi, j'ai failli le frapper: mais certain pressentiment m'arrêtait et me disait que ses habits n'accusaient pas la vérité.

PREMIER ESCLAVE. – Quel bras il a! Du bout du doigt il m'a fait tourner comme un sabot.

SECOND ESCLAVE. – Moi, j'ai bien vu à son air qu'il y avait en lui quelque chose…Il avait dans la figure un je ne sais quoi…je ne trouve pas de mot pour exprimer mon idée.

PREMIER ESCLAVE. – Oui, tu as raison: un regard… Que je sois perdu si je n'ai pas vu, à sa mine, qu'il était plus qu'il ne paraissait.

SECOND ESCLAVE. – Et moi aussi, je le jure. C'est tout uniment l'homme du monde le plus extraordinaire.

PREMIER ESCLAVE. – Je le crois: mais tu connais un plus grand guerrier que lui.

SECOND ESCLAVE. – Qui? mon maître?

PREMIER ESCLAVE. – Oui: mais il n'est point question de cela.

SECOND ESCLAVE. – Je crois que celui-ci en vaut six comme lui.

PREMIER ESCLAVE. – Oh! non, pas tant; mais je le regarde comme un plus grand guerrier.

SECOND ESCLAVE. – Cependant, pour la défense d'une ville, notre général est excellent.

PREMIER ESCLAVE. – Oui, et pour un assaut aussi

(Rentre le troisième esclave.)

TROISIÈME ESCLAVE. – Ho! ho! camarades; je puis vous dire des nouvelles, de grandes nouvelles, scélérats!

TOUS DEUX ENSEMBLE. – Quelles nouvelles? quelles nouvelles? Fais-nous-en part.

TROISIÈME ESCLAVE. – Si j'avais à choisir, je ne voudrais pas être Romain: oui, j'aimerais autant être un criminel condamné.

TOUS DEUX. – Pourquoi donc? pourquoi?

TROISIÈME ESCLAVE. – C'est que celui qui avait coutume de frotter notre général, Caïus Marcius, est ici.

PREMIER ESCLAVE. – Tu dis frotter notre général?

TROISIÈME ESCLAVE. – Eh bien! peut-être pas le frotter, mais tout au moins lui tenir tête.

SECOND ESCLAVE. – Allons, nous sommes camarades et amis: disons la vérité; il était trop fort pour lui. Je le lui ai entendu avouer à lui-même.

PREMIER ESCLAVE. – A dire vrai, oui, il était trop fort pour lui. Devant Corioles, il vous le hacha comme une carbonnade.

SECOND ESCLAVE. – Oui, ma foi; et s'il avait été anthropophage, il vous l'aurait grillé et mangé.

PREMIER ESCLAVE. – Mais voyons la suite de tes nouvelles.

TROISIÈME ESCLAVE. – Eh bien! on le traite ici comme s'il était le fils et l'héritier du dieu Mars. Il est placé à table sur le siège d'honneur; pas un de nos sénateurs qui osât lui faire une question; tous sont restés ébahis devant lui. Notre général lui-même le caresse comme une maîtresse, croit consacrer sa main en le touchant, et fait l'oeil à tous ses discours. Mais l'important de la nouvelle, c'est que notre général est coupé en deux: oui, il n'est plus aujourd'hui que la moitié de ce qu'il était hier; car cet autre a la moitié du commandement, à la prière et de l'aveu de toute l'assemblée. Il ira, dit-il, vous tirer l'oreille aux gardiens des portes de Rome; il balayera tout et laissera son passage libre et clair derrière lui.

SECOND ESCLAVE. – Et il est homme à le faire plus qu'aucun que je connaisse.

TROISIÈME ESCLAVE. – Homme à le faire! Il le fera; car vois-tu, camarade, il lui reste autant d'amis qu'il peut avoir d'ennemis; mais ces amis n'osaient pas, en quelque façon (tu comprends), se montrer, comme on dit, ses amis dans l'infélicité 3.

PREMIER ESCLAVE. – Dans l'infélicité? Qu'est-ce que c'est que ça?

TROISIÈME ESCLAVE. – Mais lorsqu'ils le verront relever la tête et se baigner dans le sang, alors ils sortiront de leurs retraites, comme les lapins après la pluie, et se joindront à lui.

PREMIER ESCLAVE. – Mais quand se met-on en marche?

TROISIÈME ESCLAVE. – Demain, aujourd'hui, tout à l'heure: vous entendrez le tambour cette après-midi. L'expédition fait en quelque sorte partie du festin, et ils la veulent terminer avant de s'essuyer la bouche.

SECOND ESCLAVE. – Bon: nous allons donc revoir le monde en mouvement! Cette paix n'est bonne à rien qu'à rouiller le fer, enrichir les tailleurs, et nourrir des chansonniers.

 

PREMIER ESCLAVE. – Moi, je dis: ayons la guerre; elle surpasse autant la paix que le jour surpasse la nuit: elle est vive, vigilante, sonore, et pleine d'activité et de trouble. La paix est une vraie apoplexie, une léthargie fade, sourde, assoupie, insensible: elle fait plus de bâtards que la guerre ne détruit d'hommes.

SECOND ESCLAVE.. – C'est cela, et comme la guerre peut s'appeler un métier de voleur, la paix n'est bonne qu'à faire des cocus.

PREMIER ESCLAVE. – Oui, et elle rend les hommes ennemis les uns des autres.

TROISIÈME ESCLAVE. – Bien dit, parce qu'ils ont alors moins besoin les uns des autres. Allons, la guerre, pour remplir ma bourse! J'espère dans peu voir les Romains à aussi vil prix dans le marché que l'ont été les Volsques… J'entends du bruit: ils se lèvent de table.

TOUS TROIS. – Entrons vite, vite, entrons. (Ils sortent»)

3L'esclave, qui veut faire le beau parleur, fabrique ici un mot qu'il ne comprend pas lui-même, et que son camarade relève. Voici la phrase: THIRD SERVANT. — Which friends, sir (as it were), durst not (look you sir), show themselves (as we term it) his friends whilst he's in directitude. FIRST SERVANT. — Directitude? what is that?