Kitobni o'qish: «Une Concession d’Armes », sahifa 2
CHAPITRE TROIS
Kendrick était assis sur la selle de son cheval, aux côtés de Erec, Bronson et Srog. Leurs hommes derrière eux, ils faisaient face à Tirus et à l’Empire. Ils venaient de tomber dans un piège. Tirus les avait vendus. Kendrick réalisait trop tard que lui faire confiance avait été une erreur.
Il leva les yeux et vit arriver sur la droite dix mille soldats impériaux, perchés sur la colline, prêts à décocher leurs flèches. À gauche, ils étaient tout aussi nombreux. En face, plus nombreux encore. Les quelques milliers de soldats au service de Kendrick ne pourraient jamais les vaincre. Essayer seulement donnerait lieu à un massacre. Tous les archers étaient prêts à tirer. Le moindre geste signerait l’arrêt de mort des hommes de Kendrick. De plus, la configuration géographique de la vallée ne jouait pas en leur faveur. Tirus avait bien choisi l’endroit pour organiser son embuscade.
Impuissant, écarlate de rage et d’indignation, Kendrick planta son regard sur son oncle qui le contemplait avec un petit sourire satisfait. Derrière lui, ses quatre fils et, à ses côtés, le commandant impérial.
– L’argent a donc tant de valeur à vos yeux ? lança Kendrick à Tirus qui se tenait à quelques mètres, d’une voix glaçante. Vous vendriez votre propre peuple, votre propre sang ?
Tirus ne montra aucun remords. Au contraire, son sourire s’élargit.
– Ton peuple, ce n’est pas mon sang, tu ne te souviens donc pas ? dit-il. C’est pour cela que, selon vos lois, je n’ai pas droit au trône de mon frère.
Erec se racla la gorge :
– Selon les lois des MacGils, le trône doit aller au fils, pas au frère.
Tirus secoua la tête.
– Cela n’a pas d’importance maintenant. Vos lois n’importent pas. La force triomphe toujours des lois. Comme vous pouvez le voir, je suis le plus fort. Ce qui signifie que c’est moi, maintenant, qui dicte la loi. Les générations futures ne se souviendront même plus de vous et des règles que vous avez instituées. Ils se souviendront seulement du fait que moi, Tirus, je suis Roi. Pas vous, pas votre sœur.
– Les règnes illégitimes ne durent jamais, rétorqua Kendrick. Vous pouvez nous tuer, mais vous ne convaincrez jamais Andronicus de vous donner le trône. Quoi qu’il arrive, vous et moi, nous savons bien que vous ne régnerez pas longtemps. La traîtrise que vous nous enseignez signera également votre mort.
Tirus eut l’air peu impressionné.
– Dans ce cas, je savourerai mon règne bref… Et j’applaudirai l’homme qui me trahira avec autant de talent que je ne vous ai trahis !
– Assez parlé ! s’écria le commandant impérial. Rendez-vous ou vos hommes mourront !
Kendrick lui renvoya son regard, furieux. Il savait qu’il devait obéir, mais il n’en avait pas la moindre envie.
– Déposez vos armes, dit Tirus calmement et d’une voix rassurante. Je vous traiterai avec respect, comme des soldats. Vous serez mes prisonniers de guerre. Je ne partage pas vos lois mais j’honore le code des guerriers. Je vous promets qu’aucun mal ne vous sera fait sous ma garde.
Kendrick jeta un coup d’œil à Bronson, à Srog, puis à Erec, qui lui renvoyèrent son regard. Tous se tenaient fièrement assis sur le dos de leurs chevaux qui piaffaient, silencieux et immobiles.
– Comment vous faire confiance ? cria Bronson à Tirus. Vous nous avez prouvé que votre parole ne vaut rien. Je préfère mourir sur le champ de bataille, si cela peut faire disparaître votre sourire narquois.
Tirus lui jeta un regard noir.
– Tu prends la parole alors que tu n’es pas un MacGil ! Tu es un McCloud. Tu n’as pas le droit de te mêler des affaires des MacGils.
Kendrick prit aussitôt la défense de son ami.
– Bronson est aussi MacGil que nous tous. Il parle pour nous.
Tirus serra les dents, visiblement agacé.
– C’est votre choix. Regardez autour de vous : nos milliers d’archers sont prêts à tirer. Vous êtes tombés dans notre piège. Si vous tendez la main vers vos armes, vos hommes tomberont comme des mouches. Ce n’est pas ce que vous voulez. Parfois, il faut se battre et, parfois, il faut se rendre. Si vous voulez protéger vos hommes, vous ferez ce que tout bon commandant ferait. Baissez vos armes.
Kendrick serra la mâchoire, consumé par la fureur. Il détestait l’admettre mais Tirus avait raison. Il regarda autour de lui et comprit immédiatement que la plupart de ses hommes mourraient s’ils essayaient de combattre, peut-être même tous ses hommes. Malgré son mépris pour Tirus, Kendrick devinait également qu’il disait la vérité et que ses hommes ne seraient pas en danger sous sa garde. Aussi longtemps qu’ils vivraient, ils pourraient se battre un autre jour, dans un autre endroit, un autre champ de bataille.
Il échangea un regard avec Erec, l’homme qui avait combattu bien des fois à ses côtés, le champion de l’Argent, et vit qu’il pensait la même chose. Se comporter en chef ou en guerrier, ce n’était pas la même chose : un guerrier pouvait se battre avec l’énergie du désespoir, mais un chef devait penser aux autres en premier.
– Parfois, il faut se battre. Parfois, il faut se rendre, cria Erec. Nous entendons votre promesse de soldat : nos hommes ne seront pas en danger. Sur ces conditions, nous déposons nos armes. Si vous brisez cette promesse, que Dieu ait pitié de votre âme, car nous reviendrons de l’enfer pour venger nos hommes, jusqu’au dernier.
Tirus hocha la tête, satisfait, et Erec jeta à terre son épée encore dans son fourreau. Elle atterrit avec un bruit métallique.
Kendrick l’imita, tout comme Bronson et Srog. Tous étaient réticents mais c’était la seule chose à faire.
Derrière eux, un fracas métallique retentit, comme des milliers d’armes tombaient sur le sol glacé par l’hiver : l’Argent, les MacGils et les Silésiens se rendaient.
Le sourire de Tirus s’élargit.
– Maintenant, mettez pied à terre, ordonna-t-il.
L’un après l’autre, tous mirent pied à terre.
Tirus sourit, ravi de sa victoire.
– Pendant toutes ces années d’exil dans les Isles Boréales, j’ai envié la Cour du Roi, mon frère aîné et tout son pouvoir. Mais quel MacGil est le plus puissant, maintenant ?
– Le pouvoir de la trahison n’est rien, lança Bronson.
Tirus lui jeta un regard noir et fit signe à ses hommes.
Ceux-ci se précipitèrent pour ligoter les poignets des chefs vaincus avec des cordes de chanvre. Ils les conduisirent ensuite à travers la plaine. Une longue ligne de prisonniers.
Entraîné avec les autres, Kendrick songea soudain à Godfrey. Ils étaient partis ensemble, mais Kendrick ne l’avait pas vu depuis, ni lui, ni ses hommes. Son frère avait-il trouvé le moyen de s’échapper ? Kendrick espéra qu’il était en sécurité. Pour dire la vérité, il était presque optimiste.
Avec Godfrey, il fallait s’attendre à tout.
CHAPITRE QUATRE
Godfrey chevauchait à la tête de ses hommes, flanqué de Akorth, de Fulton, de son général silésien et du commandant impérial dont il venait d’acheter généreusement la loyauté. Un large sourire éclairait son visage. Quelle satisfaction de voir la division impériale, forte de quelques milliers d’hommes, rejoindre sa cause !
Il songea à la somme qu’il venait de leur verser, ces innombrables sacs d’or, se rappela l’expression de leurs visages… Son plan avait marché ! Il en était fou de joie. Jusqu’au dernier moment, il avait douté. Maintenant que c’était fini, il respirait plus librement. Il y a bien des façons de gagner une bataille, mais il n’y en a qu’une qui permet de gagner sans verser une seule goutte de sang. Godfrey n’était peut-être pas aussi chevaleresque ou téméraire que les autres guerriers… Mais il avait réussi. N’était-ce pas tout ce qui comptait ? Il préférait sauvegarder la vie de ses hommes en payant, plutôt que voir la moitié mourir en prenant une décision risquée.
Godfrey avait beaucoup travaillé pour en arriver là. Il avait fait jouer tous ses contacts dans les bordels, les allées sombres et les tavernes pour découvrir qui couchait avec qui, quelles maisons closes les commandants impériaux fréquentaient et lequel d’entre eux accepterait de se faire soudoyer. Godfrey avait une meilleure connaissance de ces milieux-là que bien d’autres. Il avait passé sa vie à construire son réseau. Aujourd’hui, ses efforts servaient enfin. Tout comme l’or de son défunt père.
Cependant, Godfrey n’était pas sûr de pouvoir leur faire confiance, du moins pas jusqu’à la fin. Il fallait qu’il profite de son avantage tant qu’il en avait le temps. C’était comme tirer à pile ou face : ces gens étaient aussi fiables que l’or qui les avait achetés. Heureusement, Godfrey les avait payés généreusement et ces soldats impériaux étaient pour le moment encore plus utiles que prévu.
Combien de temps encore lui resteraient-ils loyaux ? Difficile à dire. Au moins, Godfrey avait échappé à la bataille et chevauchait à leurs côtés.
– Je me suis trompé à votre sujet, dit une voix.
Godfrey se tourna vers le général silésien qui le regardait avec admiration.
– J’ai douté de vous, je le reconnais, poursuivit-il. Je vous présente mes excuses. Je n’imaginais pas que vous aviez un plan. C’est très ingénieux. Je ne douterai plus de vous.
Godfrey lui sourit avec fierté. Toute sa vie, les guerriers, les soldats et les généraux l’avaient regardé avec mépris. À la cour de son père, où l’art militaire prenait une grande importance, il n’avait connu que dédain. Maintenant, les soldats voyaient enfin que sa ruse pouvait être aussi utile que leur bravoure.
– Ne vous inquiétez pas, dit Godfrey. Je doute de moi-même également. J’apprends tous les jours. Je ne suis pas un commandant et je n’ai pas d’autre plan à long terme que celui de survivre.
– Et où allons-nous à présent ?
– Rejoindre Kendrick, Erec et les autres pour soutenir leur cause.
L’improbable alliance des soldats impériaux et des hommes de Godfrey chevauchait d’un air incertain entre les collines, le long d’une plaine désertique et desséchée, vers l’endroit où Kendrick leur avait donné rendez-vous.
En chemin, un million de pensées diverses traversaient l’esprit de Godfrey. Kendrick et Erec allaient-ils bien ? S’étaient-ils retrouvés en difficulté ? Godfrey s’en sortirait-il dans une vraie bataille ? Maintenant, il ne pouvait plus l’éviter. Il avait épuisé tous ses tours de passe-passe : il n’avait plus d’or pour payer les ennemis.
Il avala sa salive avec difficulté, nerveux. Il n’était pas aussi courageux que les autres, qui semblaient êtres nés chevaliers. Tous avaient l’air de ne jamais craindre la mort. Ils étaient si téméraires… Godfrey devait le reconnaître : lui, il avait peur. Toutefois, il ne s’esquiverait pas, même s’il était maladroit, même s’il n’avait pas le talent militaire de ses frères… Il se demandait seulement combien de fois les dieux de la chance lui sauverait la vie.
Les autres ne semblaient pas se soucier de vivre ou de mourir, comme s’ils étaient toujours prêts à donner leur vie pour la gloire. Godfrey aimait la gloire, mais il aimait la vie plus encore. Il aimait la bière. Il aimait manger. Ici et maintenant, il ressentit soudain dans son estomac le désir brûlant de retrouver la sécurité d’une taverne. La bataille, ce n’était vraiment pas pour lui.
Godfrey pensa alors à Thor, tout seul, là-bas, prisonnier. Il pensa à sa famille qui se battait pour une juste cause. Son honneur, quoique souillé, lui commandait de ne pas faire demi-tour.
Ils chevauchèrent longtemps quand, soudain, atteignant le sommet d’une crête, ils eurent une vue plongeant sur la vallée. Ils s’arrêtèrent. Godfrey plissa les yeux devant le soleil aveuglant, pour comprendre ce qui se passait en contrebas. Il leva une main en visière et contempla la scène, confus.
Alors, à sa grande horreur, tout s’éclaira et son cœur manqua un battement : en contrebas, les milliers d’hommes de Kendrick, Erec et Srog étaient emmenés ailleurs, ligotés comme des prisonniers. Voilà les soldats qu’il était censé rejoindre : cernés de tous les côtés par des divisions impériales dix fois plus nombreuses. Ils étaient à pied, liés par les poignets, et suivaient leurs vainqueurs. Godfrey savait que ni Kendrick, ni Erec n’aurait accepté de se rendre sans une très bonne raison. Selon toute vraisemblance, ils étaient tombés dans une embuscade.
Godfrey resta un instant pétrifié, le souffle coupé par la panique. Comment était-ce possible ? Il avait cru les trouver au milieu d’une bataille féroce mais sensiblement équilibrée. Au lieu de cela, il les voyait disparaître à l’horizon. Il ne faudrait pas moins de quelques heures pour les rattraper.
Le général impérial se porta à la hauteur de Godfrey, sourcils froncés.
– On dirait que vos hommes ont perdu la bataille, dit-il. Cela ne faisait pas partie du marché.
Godfrey se tourna vers lui et vit qu’il était anxieux.
– Je vous ai payés généreusement, dit-il en prenant soin de prendre l’air assuré malgré sa nervosité. Vous avez promis de rejoindre ma cause.
Mais le général secoua la tête.
– J’ai promis de combattre à vos côtés, pas d’effectuer une mission suicidaire. Mes quelques milliers d’hommes ne font pas le poids devant l’armée de Andronicus. Notre marché vient de changer. Vous les combattrez tout seul. Et je garde l’or.
Le général se retourna, poussa un cri et éperonna sa monture pour cavaler dans la direction opposée, ses hommes sur ses talons. Bientôt, ils disparurent de l’autre côté de la vallée.
– Il a notre or ! dit Akorth. On ne devrait pas le prendre en chasse ?
Godfrey secoua la tête, tout en regardant le groupe s’éloigner.
– Pour quoi faire ? Ce n’est que de l’or. Je ne vais pas risquer nos vies pour ça. Qu’il s’en aille. On peut trouver autre chose.
Godfrey se tourna vers l’horizon, où disparaissaient les hommes de Kendrick et de Erec. Maintenant, il n’avait plus de renforts et il était encore plus isolé qu’avant. Toute sa stratégie tombait à l’eau.
– Et maintenant ? demanda Fulton.
Godfrey haussa les épaules.
– Je n’en ai aucune idée, avoua-t-il.
– Tu n’es pas censé dire ça, commenta Fulton. Tu es commandant, maintenant.
Mais Godfrey se contenta de hausser les épaules une fois encore.
– C’est pourtant la vérité.
– C’est pas facile, les trucs de guerriers, dit Akorth en se gratouillant le ventre et en retirant son heaume. Ça ne se goupille pas bien comme tu le voulais, hein ?
Godfrey se tassa sur la selle de sa monture, en secouant la tête. Que pouvait-il faire, à présent ? La tournure des événements le prenait par surprise et il n’avait aucun plan de secours.
– On fait demi-tour ? demanda Fulton.
– Non, s’entendit dire Godfrey, surpris lui-même par son assurance.
Tous tournèrent vers lui des regards stupéfaits et se pressèrent pour écouter son plan.
– Je ne suis peut-être pas un guerrier, dit Godfrey, mais ce sont mes frères. Ils ont été emmenés. Nous ne pouvons pas faire demi-tour. Même si cela veut dire courir à notre mort.
– Êtes-vous fou ? s’exclama le général silésien. Tous ces braves guerriers de l’Argent, de l’armée MacGil, des Silésiens, tous ensemble, ils n’ont pu repousser l’Empire. Comment croyez-vous que quelques milliers de nos hommes pourraient y parvenir sous votre commandement ?
Godfrey lui jeta un coup d’œil agacé. Il commençait à en avoir marre que l’on doute de lui.
– Je n’ai jamais dit que nous allions gagner, rétorqua-t-il. J’ai seulement dit que c’était la bonne chose à faire. Je ne les abandonnerai pas. Mais si vous souhaitez rentrer chez vous, allez-y. Je les attaquerai tout seul.
– Vous n’avez pas d’expérience, grogna son interlocuteur. Vous ne savez pas ce que vous dites. Vous menez les hommes à une mort certaine.
– C’est vrai, dit Godfrey, mais vous avez promis de ne plus douter de moi. Et je ne me détournerai pas.
Godfrey talonna sa monture pour la conduire vers une élévation. D’ici, tous les hommes le verraient.
– SOLDATS ! cria-t-il d’une voix tonnante. Je sais que vous ne me considérez pas comme un commandant aussi admirable que Kendrick, Erec ou Srog. Et vous avez raison. Je n’ai pas leur talent. Mais j’ai du cœur et du courage, du moins à l’occasion. Tout comme vous. Ce que je sais, c’est que nos frères sont retenus prisonniers. Quant à moi, je préfère mourir plutôt que vivre en les sachant loin de nous, mourir plutôt que retourner à la maison comme des chiens en attendant que l’Empire nous abatte. Car, soyez-en sûrs : ils nous tueront un jour. Nous pouvons mourir maintenant, sur le champ de bataille, à la poursuite de l’ennemi. Ou bien nous pouvons mourir dans la honte et le déshonneur. Le choix vous appartient. Chevauchez à mes côtés et, que vous viviez ou non, vous chevaucherez vers la gloire !
Une acclamation s’éleva parmi les hommes, si enthousiaste qu’elle prit Godfrey par surprise. Tous levèrent leurs épées haut vers le ciel et ce spectacle lui redonna de l’espoir.
Il réalisait seulement ce qu’il venait de dire. Il n’avait pas vraiment réfléchi aux mots qu’il avait employés : tout était arrivé si vite. À présent, sa promesse et sa propre bravoure le stupéfiaient.
Comme les hommes préparaient leurs chevaux et leurs armes pour charger vers une mort certaine, Akorth et Fulton s’approchèrent.
– À boire ? proposa Akorth.
Godfrey baissa les yeux et vit son compagnon mettre la main sur une outre à vin. Il s’en saisit vivement et renversa la tête pour boire, boire, boire, jusqu’à presque finir l’outre, avant de reprendre bruyamment sa respiration. Enfin, il s’essuya la bouche et rendit le vin à ses amis.
Qu’ai-je fait ? se demanda-t-il. Il venait de promettre qu’il mènerait son armée dans une bataille qu’ils ne pourraient pas gagner. Avait-il seulement réfléchi aux conséquences ?
– Je ne savais pas que tu avais ça en toi, dit Akorth en lui envoyant une bourrade dans le dos tout en rotant. Très beau discours. Mieux que dans les théâtres !
– On aurait dû vendre des tickets ! renchérit Fulton.
– Je suppose que tu n’as qu’à moitié tort, dit Akorth. Mieux vaut mourir debout que sur le dos.
– Mais sur le dos, ce ne serait pas si mal, si c’est dans le lit d’un bordel, ajouta Fulton. Oh oui ! Ou bien avec une chope de bière dans les bras et la tête sous le robinet !
– Ce ne serait pas si mal, en effet, acquiesça Akorth en buvant un coup.
– Mais je suppose qu’on s’ennuierait au bout d’un moment, dit Fulton. Combien de chopes de bière un homme peut-il boire dans une vie et combien de femmes peut-il baiser ?
– Eh bien, beaucoup, si l’on y pense…, dit Akorth.
– Quand bien même, je suppose que c’est plus drôle de mourir d’une autre façon. Plus divertissant.
Akorth soupira.
– En tout cas, si on survit à ça, nous aurons au moins une bonne raison de boire un coup. Pour une fois, on l’aura bien mérité !
Godfrey se détourna du bavardage de Akorth et de Fulton. Il fallait qu’il se concentre. Il était temps pour lui de devenir un homme et de laisser derrière les blagues de tavernes. Il était temps qu’il prenne de vraies décisions, qui auraient une incidence sur de vrais hommes, dans le vrai monde. Il se sentit soudain écrasé par le poids de la responsabilité. Il ne put s’empêcher de se demander si son père avait connu la même pression. D’une certaine façon, malgré sa rancœur, Godfrey commençait à éprouver de la compassion en pensant à son père. Et peut-être même qu’à sa grande horreur, il commençait à l’aimer.
Oublieux du danger, Godfrey eut l’impression qu’une vague d’assurance le submergeait. Il éperonna sa monture en poussant un cri de guerre et dévala le coteau.
Derrière lui, ses hommes firent écho à son cri et les cavalcades de leurs chevaux résonnèrent.
Godfrey se sentit soudain très léger, comme le vent battait ses cheveux, comme le vin lui tournait la tête, comme il chevauchait vers une mort certaine en se demandant ce qui l’avait poussé dans cette folie…
CHAPITRE CINQ
Thor était assis sur la selle de sa monture, flanqué de son père et de McCloud. Rafi se trouvait non loin. Derrière eux, plusieurs dizaines de milliers de soldats impériaux bien disciplinés attendaient patiemment le commandement de Andronicus. Ils se tenaient au sommet d’une crête rocheuse, tournés vers les Highlands dont les pics étaient coiffés de neige. On apercevait d’ici la capitale des McClouds, Highlandia. Sous le regard nerveux de Thor, plusieurs milliers de soldats surgirent de la cité, prêts à combattre.
Ce n’était pas des MacGils, ni des hommes de l’Empire. Ils portaient une armure que Thor reconnaissait vaguement. Il resserra sa prise sur le pommeau de sa nouvelle épée. Il n’était pas sûr de savoir qui ces ennemis étaient et pourquoi ils attaquaient.
– Des McClouds… Mes anciens soldats, expliqua McCloud à Andronicus. De bons garçons que j’ai entraînés et avec lesquels j’ai combattu.
– Et maintenant, il se retournent contre toi, remarqua Andronicus. Ils se préparent à nous attaquer.
McCloud prit l’air renfrogné. Il n’avait plus qu’un œil et la moitié de son visage brûlé au fer rouge portait l’emblème de l’Empire. Il avait l’air grotesque.
– Je suis navré, mon seigneur, dit-il. Ce n’est pas ma faute. C’est l’œuvre de mon garçon, Bronson. Il a retourné mes propres hommes contre moi. Sans lui, tous auraient rejoint notre belle cause.
– Ton garçon n’est pas responsable, corrigea Andronicus d’une voix tranchante comme l’acier en se tournant vers son interlocuteur. C’est ta faiblesse en tant que commandant et en tant que père qui est responsable. L’échec de ton enfant est ton échec. J’aurais dû savoir que tu ne pourrais pas contrôler tes propres hommes. J’aurais dû te tuer depuis longtemps.
McCloud avala sa salive, nerveux.
– Mon seigneur, songez qu’ils ne se battent pas seulement contre moi, mais contre vous. Ils veulent débarrasser l’Anneau de l’Empire.
Andronicus secoua la tête en jouant avec son collier de têtes réduites.
– Tu es de mon côté, maintenant, dit-il. Se battre contre moi, c’est se battre contre toi.
McCloud tira son épée en jetant aux ennemis un regard noir.
– Je les tuerai jusqu’au dernier, déclara-t-il.
– Je sais que tu le feras, dit Andronicus. Si tu ne le fais pas, je te tuerai de mes propres mains. Non pas que j’aie besoin de ton aide. Mes hommes causeront bien plus de dégâts que tu ne pourrais l’imaginer – surtout s’ils ont à leur tête mon fils, Thornicus.
Assis sur le dos de sa monture, Thor écoutait vaguement leur conversation, sans vraiment l’entendre. Il était comme en transe. Son esprit brouillé par des pensées étrangères qu’il ne reconnaissait pas, des pensées qui palpitaient et lui rappelaient constamment l’allégeance qu’il devait à son père, son devoir de servir l’Empire et sa destinée en tant que fils de Andronicus. Ces pensées virevoltaient dans sa tête, incessamment, et, malgré ses efforts, il était incapable d’avoir les idées claires. C’était comme si son propre corps le retenait en otage.
Quand Andronicus parlait, tous ses mots devenaient des idées dans l’esprit de Thor, puis des ordres. Ensuite, d’une manière ou d’une autre, elles devenaient ses propres pensées, comme si elles avaient toujours été siennes. Thor luttait : une petite partie de lui cherchait encore à chasser ces pensées invasives pour clarifier son esprit. Cependant, plus il essayait, plus c’était difficile.
Assis sur sa selle, le regard tourné vers l’armée ennemie qui galopait dans la plaine, il sentit le sang pulser dans ses veines. Tout ce qui importait maintenant, c’était sa loyauté envers son père et la nécessité d’écraser tout ce qui se trouvait sur le chemin de celui-ci. Sa destinée : gouverner l’Empire.
– Thornicus, m’entends-tu ? demanda Andronicus. Es-tu prêt à te battre pour ton père ?
– Oui, père, répondit Thor sans détourner son regard fixe. J’affronterai tout homme qui se dressera contre toi.
Le sourire de Andronicus s’élargit. Il se tourna vers ses hommes.
– SOLDATS ! tonna-t-il. L’heure est venue d’affronter l’ennemi, de débarrasser l’Anneau de ces rebelles une bonne fois pour toutes. Nous commencerons par ces McClouds qui osent nous défier. Thornicus, mon fils, vous mènera dans la bataille. Vous le suivrez comme vous m’auriez suivi, moi. Vous donnerez votre vie pour lui comme vous l’auriez fait pour moi. Le trahir, c’est me trahir.
– THORNICUS ! cria Andronicus.
– THORNICUS ! reprirent en chœur les soldats impériaux derrière lui.
Thor, rendu téméraire par ce discours et ces cris, leva sa nouvelle épée haut vers le ciel. L’épée de l’Empire, celle que son père chéri lui avait donnée. Il sentit un pouvoir le traverser, le pouvoir de sa lignée, de son peuple, de tout ce qu’il était destiné à devenir. Enfin, il était chez lui, avec son père. Pour lui, Thor ferait n’importe quoi. Même se jeter dans la mort.
Il poussa un féroce cri de guerre, éperonna sa monture et dévala le coteau à toute allure pour entrer le premier dans la mêlée. Derrière lui, un autre cri de guerre lui répondit et plusieurs dizaines des milliers de soldats le suivirent, prêts à donner leurs vies pour Thornicus.