Kitobni o'qish: «Таинственный остров. Уровень 1 / L’Île mystérieuse»
Jules Gabriel Verne
L'Île mystérieuse
* * *
© Кирия К. А., 2024
© ООО «Издательство АСТ», 2024
Partie I
Les naufragés de l'air
Chapitre 1
«Remontons-nous?
– Non! Au contraire! Nous descendons!
– Pis que cela, monsieur Cyrus! Nous tombons!
– Pour Dieu! Jetez du lest!
– Voilà le dernier sac vidé!
– Le ballon se relève-t-il?
– Non!
– J'entends comme un clapotement de vagues!
– La mer est sous la nacelle!
– Elle ne doit pas être à cinq cents pieds de nous!»
Alors une voix puissante déchira l'air, et ces mots retentirent:
«Dehors tout ce qui pèse!.. tout! et à la grâce de Dieu1!»
Ces mots retentirent au-dessus du vaste désert d'eau du Pacifique, le 23 mars 1865, vers quatre heures de l'après-midi.
Un ballon, emporté dans le tourbillon d'une trombe d'air2, filait à quatre-vingt-dix milles à l'heure, tournoyant comme pris dans un maelström céleste. En dessous, une nacelle contenait cinq passagers, presque invisibles dans les vapeurs et les éclaboussures d'eau jusqu'à la surface de l'océan.
D'où venait cet aérostat, emporté par la terrible tempête? De quel coin du monde était-il parti? Impossible de le savoir. Il avait dû parcourir au moins deux mille milles en vingt-quatre heures. Les passagers, privés de repères, ne percevaient ni rotation ni déplacement horizontal. Tout était brume autour d'eux, rendant le jour et la nuit indiscernables.
Le ballon, délesté de munitions et de provisions, s'était hissé à quatre mille cinq cents pieds. Mais la mer sous la nacelle les força à jeter tout ce qui restait, jusqu'aux menus ustensiles.
La nuit fut angoissante. Au matin du 24 mars, l'ouragan montra des signes d'accalmie. Vers onze heures, le ciel se dégagea légèrement. Cependant, le ballon déclinait lentement, se dégonflant inexorablement.
Vers midi, il flottait à deux mille pieds au-dessus de la mer, vidé de presque tout son gaz.
À deux heures, il n'était plus qu'à quatre cents pieds. Les passagers se résignèrent à jeter la nacelle pour alléger l'aérostat. Remonté brièvement, il amorça une nouvelle descente3. À quatre heures, il frôlait la surface des eaux. Un chien, compagnon des passagers, aboya. «Terre! terre!» cria l'un d'eux. À une demi-heure de la côte, le ballon, presque vide, fut malmené par les vagues. Soudain, il s'éleva encore, pour retomber enfin sur le sable, les passagers s'accrochant au filet. L'un d'eux manquait.
Le passager manquant avait évidemment été enlevé par le coup de mer4 qui venait de frapper le filet, et c'est ce qui avait permis à l'aérostat allégé, de remonter une dernière fois, puis, quelques instants après, d'atteindre la terre.
À peine les quatre naufragés – on peut leur donner ce nom – avaient-ils pris pied sur le sol, que tous, songeant à l'absent, s'écriaient:
«Il essaye peut-être d'aborder à la nage! Sauvons-le! sauvons-le!»
Chapitre 2
L'ouragan avait projeté sur cette côte des hommes peu habitués à naviguer dans les airs. Ils n'étaient pas des aéronautes de métier ni des amateurs de vols aériens, mais des prisonniers de guerre, poussés à s'enfuir dans des circonstances extraordinaires. Leur ballon avait été endommagé à maintes reprises, et pourtant, ils avaient survécu. Après avoir fui Richmond, assiégée par les troupes du général Ulysse Grant, ils se retrouvaient à des milliers de milles de cette ville, principale place forte des séparatistes pendant la guerre de Sécession. Leur périple aérien avait duré cinq jours.
Voici comment s'était déroulée leur évasion remarquable, qui allait aboutir à la catastrophe que l'on connaît. En février 1865, lors d'une tentative avortée du général Grant pour s'emparer de Richmond, plusieurs officiers fédéraux, dont Cyrus Smith et Gédéon Spilett, étaient tombés entre les mains des sudistes et internés dans la ville.
Cyrus Smith, originaire du Massachussetts, était un ingénieur, un savant de premier ordre.Véritable Américain du nord, maigre, osseux, efflanqué, âgé de quarante-cinq ans environ, il grisonnait déjà par ses cheveux ras et par sa barbe, dont il ne conservait qu'une épaisse moustache. Véritablement homme d'action en même temps qu'homme de pensée. Très instruit, très pratique, «très débrouillard5», pour employer un mot de la langue militaire française.
Gédéon Spilett, reporter pour le New York Herald, était un homme plein de ressources et de bravoure, habitué à écrire sous le feu des balles. Homme de grand mérite, énergique, prompt et prêt à tout, plein d'idées, ayant couru le monde entier, soldat et artiste, bouillant dans le conseil, résolu dans l'action, ne comptant ni peines, ni fatigues, ni dangers, quand il s'agissait de tout savoir, pour lui d'abord, et pour son journal ensuite.
Ils étaient rejoints par un serviteur, qui lui était dévoué à la vie6, à la mort. Cet intrépide était un nègre, né sur le domaine de l'ingénieur, d'un père et d'une mère esclaves, mais que, depuis longtemps, Cyrus Smith, abolitionniste de raison et de cœur, avait affranchi. L'esclave, devenu libre, n'avait pas voulu quitter son maître. Il l'aimait à mourir pour lui. C'était un garçon de trente ans, vigoureux, agile, adroit, intelligent, doux et calme, parfois naïf, toujours souriant, serviable et bon. Il se nommait Nabuchodonosor, mais il ne répondait qu'à l'appellation abréviative et familière de Nab.
Pendant ce temps, Jonathan Forster, un sudiste, préparait une tentative audacieuse pour traverser les lignes ennemies à bord d'un ballon avec cinq compagnons armés. Mais une tempête retardait leur départ, offrant une opportunité inattendue à Cyrus Smith et ses compagnons.
Ils étaient approchés par Pencroff, un marin bloqué à Richmond avec son jeune protégé Harbert Brown. Pencroff proposait un plan audacieux: utiliser le ballon laissé sur la place pour s'échapper pendant la tempête. Cyrus Smith et ses compagnons acceptaient, et le départ était fixé pour cette nuit-là.
Les cinq prisonniers se rencontrèrent près de la nacelle. Ils n'avaient point été aperçus, et telle était l'obscurité, qu'ils ne pouvaient se voir eux-mêmes.
Sans prononcer une parole, Cyrus Smith, Gédéon Spilett, Nab et Harbert prirent place dans la nacelle, pendant que Pencroff, sur l'ordre de l'ingénieur, détachait successivement les paquets de lest. Ce fut l'affaire de quelques instants, et le marin rejoignit ses compagnons.
L'aérostat n'était alors retenu que par le double du câble, et Cyrus Smith n'avait plus qu'à donner l'ordre du départ.
En ce moment, un chien escalada d'un bond la nacelle. C'était Top, le chien de l'ingénieur, qui, ayant brisé sa chaîne, avait suivi son maître. Cyrus Smith craignant un excès de poids, voulait renvoyer le pauvre animal.
«Bah! un de plus!» dit Pencroff, en délestant la nacelle de deux sacs de sable.
On sait comment, de ces cinq hommes, partis le 20 mars, quatre étaient jetés, le 24 mars, sur une côte déserte, à plus de six mille milles de leur pays!
Et celui qui manquait, celui au secours duquel les quatre survivants du ballon couraient tout d'abord, c'était leur chef naturel, c'était l'ingénieur Cyrus Smith!
Chapitre 3
L'ingénieur, à travers les mailles du filet qui avaient cédé, avait été emporté par un coup de mer. Son chien avait également disparu. Le fidèle animal s'était précipité au secours de son maître7.
«En avant!» s'écria le reporter.
Et les quatre compagnons, Gédéon Spilett, Harbert, Pencroff et Nab, oubliant leur épuisement, se lancèrent dans les recherches.
Le pauvre Nab pleurait de rage et de désespoir à l'idée d'avoir perdu tout ce qu'il aimait au monde.
Il ne s'était pas écoulé deux minutes entre la disparition de Cyrus Smith et l'arrivée de ses compagnons sur la terre ferme. Ils espéraient donc pouvoir le retrouver à temps.
«Cherchons! cherchons! criait Nab.
– Oui, Nab, et nous le retrouverons!
– Vivant? demanda Pencroff.
– Vivant!» répondit Nab.
Ils se trouvaient dans le nord de la côte, à environ un demi-mile de l'endroit où l'ingénieur avait disparu. Ils foulaient un sol sablonneux, parsemé de pierres, dépourvu de végétation. Le sol était inégal et parsemé de fondrières, où s'envolaient de gros oiseaux au vol lourd, que l'obscurité empêchait de distinguer.
De temps en temps, les naufragés s'arrêtaient, appelaient, écoutaient, mais aucun cri ne se détachait sur le grondement des vagues. Ils continuaient leur marche, scrutant chaque recoin du littoral.
Après une course de vingt minutes, ils furent arrêtés par une lisière écumante de vagues. Ils étaient à l'extrémité d'une pointe aiguë, sur laquelle la mer se déchaînait.
«C'est un promontoire», dit le marin. «Revenons sur nos pas et tentons de gagner la terre ferme.»
Mais Nab insista pour appeler. Ils lancèrent un appel vigoureux, mais en vain.
Ils revinrent sur leurs pas, suivant le revers opposé du promontoire. Le terrain montait, mais ils ne trouvèrent aucun signe de Cyrus Smith.
Après un parcours d'un mille et demi, ils se retrouvèrent arrêtés par la mer sur une pointe élevée de roches glissantes.
«Nous sommes sur un îlot!» constata Pencroff. «Nous l'avons arpenté d'une extrémité à l'autre!»
L'observation du marin était juste. Ils étaient sur un îlot d'environ deux miles de longueur.
La nuit tombait. Ils souffraient du froid, mais ne songeaient pas à se reposer, espérant toujours retrouver Cyrus Smith.
Vers minuit, les étoiles brillèrent. Ils remarquèrent que les constellations n'étaient pas celles de l'hémisphère boréal.
La nuit s'écoula lentement. Vers cinq heures du matin, le brouillard se leva progressivement.
Vers six heures et demie, la brume se dissipa et ils purent voir l'îlot dans toute sa splendeur.
Ils décidèrent d'attendre que la marée baisse pour tenter de traverser le chenal qui les séparait de la côte.
Cependant, un des naufragés, ne consultant que son cœur8, se précipita aussitôt dans le courant, sans prendre l'avis de ses compagnons, sans même dire un seul mot. C'était Nab. Il avait hâte d'être sur cette côte et de la remonter au nord. Personne n'eût pu le retenir.
Trois heures plus tard, à marée basse, ils franchirent le chenal sans difficulté.
Une fois sur la côte opposée, ils se séchèrent au soleil et tinrent conseil sur la marche à suivre.
Chapitre 4
Tout d'abord, le reporter dit au marin de l'attendre en cet endroit même, où il le rejoindrait, et, sans perdre un instant, il remonta le littoral, dans la direction qu'avait suivie, quelques heures auparavant, le nègre Nab. Puis il disparut rapidement derrière un angle de la côte, tant il lui tardait d'avoir des nouvelles de l'ingénieur.
Harbert avait voulu l'accompagner.
«Restez, mon garçon, lui avait dit le marin. Nous avons à préparer un campement.»
Ils trouvèrent non point une grotte, mais un entassement d'énormes rochers, tels qu'il s'en rencontre souvent dans les pays granitiques, et qui portent le nom de «Cheminées».
Pencroff et Harbert s'engagèrent assez profondément entre les roches, dans ces couloirs sablés, auxquels la lumière ne manquait pas9, car elle pénétrait par les vides que laissaient entre eux ces granits, dont quelques-uns ne se maintenaient que par un miracle d'équilibre. Mais avec la lumière entrait aussi le vent, – une vraie bise de corridors, – et, avec le vent, le froid aigu de l'extérieur. Cependant, le marin pensa qu'en obstruant certaines portions de ces couloirs, en bouchant quelques ouvertures avec un mélange de pierres et de sable10, on pourrait rendre les «Cheminées» habitables.
Il y avait alors quelques heures à occuper, et, d'un commun accord, Pencroff et Harbert résolurent de gagner le plateau supérieur, afin d'examiner la contrée sur un rayon plus étendu.
«Sommes-nous sur une île? murmura le marin.
– En tout cas, elle semblerait être assez vaste! répondit le jeune garçon.
– Une île, si vaste qu'elle fût, ne serait toujours qu'une île! dit Pencroff.»
Mais cette importante question ne pouvait encore être résolue. Il fallait en remettre la solution à un autre moment. Quant à la terre elle-même, île ou continent, elle paraissait fertile, agréable dans ses aspects, variée dans ses productions.
Le marin et le jeune Harbert réussirent à amarrer le train de bois à la berge et commencèrent à décharger leur précieuse cargaison. Ils avaient maintenant de quoi alimenter un feu pendant un bon moment.
Ils retournèrent vers les Cheminées, où ils entreprirent de boucher les ouvertures pour se protéger du vent glacial.
Chapitre 5
Après le déchargement du bois, Pencroff, l'homme d'action infatigable, prit immédiatement les devants pour rendre les Cheminées habitables11. Accompagné de Harbert, son fidèle compagnon, il entreprit de bloquer tous les passages par lesquels le vent s'infiltrait, utilisant avec ingéniosité du sable, des pierres, des branches et de la terre pour obstruer hermétiquement les galeries exposées aux vents du sud. Pendant des heures, ils travaillèrent sans relâche, transformant les cheminées naturelles en un refuge sûr et sec, divisé en plusieurs chambres sombres mais accueillantes.
Pendant qu'ils s'attelaient à cette tâche, Harbert et Pencroff échangeaient des paroles mêlées d'espoir et d'inquiétude. Harbert évoquait timidement la possibilité que leurs compagnons aient trouvé un refuge plus adéquat, mais Pencroff, dans son pragmatisme habituel, préférait anticiper leur retour en améliorant leur abri. L'ombre de M. Smith planait sur leurs pensées, et tous deux exprimaient le souhait ardent de le revoir, même si Pencroff reconnaissait l'incertitude de cette perspective.
Lorsque vint le moment crucial d'allumer le feu, Pencroff, dans un geste machinal, chercha fébrilement sa boîte d'allumettes, pour découvrir avec consternation qu'elle avait disparu. Une recherche frénétique s'ensuivit, menée dans l'obscurité croissante, mais en vain. L'arrivée de Nab et du reporter, seuls, renforça le poids de l'incertitude qui pesait sur le petit groupe de naufragés. Le récit déchirant des vaines recherches de Cyrus Smith accentua encore leur angoisse, laissant entrevoir la possibilité tragique de sa disparition.
Dans l'obscurité naissante, ils entreprirent une tentative désespérée pour allumer un feu avec une seule allumette récupérée par miracle. C'est le reporter qui fouilla ses poches de pantalon, de gilet, de paletot, et enfin, à la grande joie de Pencroff, non moins qu'à son extrême surprise, il sentit un petit morceau de bois engagé dans la doublure de son gilet. Quelques instants plus tard, le bois sec craquait, et une joyeuse flamme, activée par le vigoureux souffle du marin, se développait au milieu de l'obscurité.
Le repas qui suivit fut sobre mais réconfortant, bien que l'absence de M. Smith se fît durement sentir. Tous se reposaient tranquillement. Un seul des naufragés ne reposa pas dans les Cheminées. Ce fut l'inconsolable, le désespéré Nab, qui, cette nuit tout entière, et malgré ce que lui dirent ses compagnons pour l'engager à prendre du repos, erra sur la grève en appelant son maître!
Chapitre 6
Lorsque les naufragés de l'air se retrouvèrent sur cette côte isolée, leur première tâche fut d'établir un inventaire des maigres possessions dont ils disposaient. Le constat était sans appel: à l'exception des vêtements qu'ils portaient au moment du crash, ils n'avaient rien. Seul Gédéon Spilett avait conservé par inadvertance un carnet et une montre. Aucune arme, aucun outil, pas même un simple couteau de poche. Leur dénuement était d'une ampleur presque inimaginable, bien plus extrême que celui des héros imaginaires des romans de Daniel de Foé. Ces derniers avaient toujours pu compter sur les ressources de leur navire échoué ou sur les épaves qui parvenaient sur la côte. Mais pour ces naufragés-ci, il n'y avait rien de tel. Ils devraient tout reconstruire à partir de rien, un défi colossal.
L'absence de Cyrus Smith, l'ingénieur, était particulièrement préoccupante. Son savoir-faire pratique et son esprit inventif auraient été d'une valeur inestimable dans cette situation. Sans lui, leurs perspectives semblaient sombres. La question de s'installer sur cette partie de la côte se posait alors, mais devaient-ils explorer les environs avant de prendre une décision définitive? Pencroff suggéra de patienter quelques jours afin de se préparer et de trouver une source de nourriture plus consistante que les œufs et les coquillages.
Ce matin-là, 26 mars, dès l'aube, Nab avait repris sur la côte la direction du nord, et il était retourné là où la mer, sans doute, s'était refermée sur l'infortuné Smith.
Les Cheminées, avec leur abri rudimentaire mais suffisant pour le moment, furent choisies comme lieu de résidence temporaire. Le feu fut allumé, offrant chaleur et lumière, et permettant également de préserver des braises pour les jours à venir. Pendant que Pencroff et Harbert partaient explorer la forêt à la recherche de gibier, Spilett resta aux Cheminées pour entretenir le feu et surveiller les environs.
Leur expédition de chasse dans la forêt se révéla à la fois fructueuse et ardue. Ils réussirent à capturer plusieurs oiseaux et tétras, malgré les difficultés rencontrées. La préparation ingénieuse des lignes par Pencroff pour attraper les tétras à l'aide d'hameçons improvisés démontra l'ingéniosité et la débrouillardise du marin.
Voilà comment Pencroff prépara ses lignes: il avait trouvé dans les herbes une demi-douzaine de nids de tétras, ayant chacun de deux à trois œufs. Il eut grand soin de ne pas toucher à ces nids, auxquels leurs propriétaires ne pouvaient manquer de revenir. Ce fut autour d'eux qu'il imagina de tendre ses lignes, – non des lignes à collets, mais de véritables lignes à hameçon12. Les lignes furent faites de minces lianes, rattachées l'une à l'autre et longues de quinze à vingt pieds. De grosses épines très fortes, à pointes recourbées, que fournit un buisson d'acacias nains, furent liées aux extrémités des lianes en guise d'hameçon. Quant à l'appât, de gros vers rouges qui rampaient sur le sol en tinrent lieu.
Les tétras furent attachés par les pattes, et Pencroff, heureux de ne point revenir les mains vides et voyant que le jour commençait à baisser, jugea convenable de retourner à sa demeure.
La direction à suivre était tout indiquée par celle de la rivière, dont il ne s'agissait que de redescendre le cours, et, vers six heures, assez fatigués de leur excursion, Harbert et Pencroff rentraient aux Cheminées.
Chapitre 7
Gédéon Spilett, immobile, les bras croisés, se tenait sur la grève, scrutant l'horizon marin, où un gros nuage noir montait rapidement vers le zénith. Le vent soufflait fort, s'intensifiant au crépuscule. Le ciel tout entier présentait un aspect menaçant, et les prémices d'une tempête étaient clairement visibles.
Harbert entra dans les Cheminées, suivi de Pencroff.
Nous allons passer une nuit agitée, monsieur Spilett! déclara le marin. La pluie et le vent vont réjouir les pétrels!
Absorbé, le reporter ne remarqua pas son approche. Il voula savoir si c'était possible que l'ingéneur fût vivant. Comme la mer n'avait pas jetté ni son corps, ni celui de son chien. Mais le marin restait ferme: il était peu probable qu'on revît Cyrus Smit.
Le marin retourna alors vers les Cheminées. Un feu chaud crépitait dans l'âtre. Harbert y ajouta du bois sec, illuminant les coins sombres du couloir.
Pencroff se mit à préparer le dîner, estimant nécessaire un plat consistant pour restaurer leurs forces. Deux tétras furent plumés et embrochés, rôtissant rapidement au-dessus du feu.
À sept heures du soir, Nab n'était toujours pas revenu. L'absence prolongée du nègre inquiétait Pencroff. Cependant, Harbert envisagea une perspective plus optimiste, suggérant que Nab pouvait avoir découvert quelque chose de nouveau qui les aiderait.
La nuit s'installa, accompagnée d'une tempête violente. Malgré les conditions difficiles, ils apprécièrent leur repas à base de gibier. Puis, chacun se retira pour la nuit. Gédéon Spilett, tourmenté par l'inquiétude, ne parvenait pas à trouver le sommeil.
Vers deux heures du matin, alors que Pencroff dormait profondément, il fut secoué par le reporter, qui prétendait avoir entendu des aboiements au loin. Après une brève discussion, ils sortirent des Cheminées pour enquêter.
Dans l'obscurité et le fracas de la tempête, ils distinguèrent Top, le chien de Cyrus Smith.
«Si le chien est retrouvé, le maître se retrouvera aussi! dit le reporter.
– Dieu le veuille! répondit Harbert. Partons! Top nous guidera!»
À quatre heures du matin, on pouvait estimer qu'une distance de cinq milles avait été franchie. Les nuages s'étaient légèrement relevés et ne traînaient plus sur le sol. La rafale, moins humide, se propageait en courants d'air très vifs, plus secs et plus froids13. Insuffisamment protégés par leurs vêtements, Pencroff, Harbert et Gédéon Spilett devaient souffrir cruellement, mais pas une plainte ne s'échappait de leurs lèvres. Ils étaient décidés à suivre Top jusqu'où l'intelligent animal voudrait les conduire.
Vers cinq heures, le jour commença à se faire.
À six heures du matin, le jour était fait. Les nuages couraient avec une extrême rapidité dans une zone relativement haute. Le marin et ses compagnons étaient alors à six milles environ des Cheminées. Ils suivaient une grève très plate, bordée au large par une lisière de roches dont les têtes seulement émergeaient alors, car on était au plein de la mer.
Le reporter et ses compagnons arrivaient devant une sorte d'excavation creusée au revers d'une haute dune. Là, Top s'arrêta et jeta un aboiement clair. Spilett, Harbert et Pencroff pénétrèrent dans cette grotte.
Nab était là, agenouillé près d'un corps étendu sur un lit d'herbes… Ce corps était celui de l'ingénieur Cyrus Smith.