Kitobni o'qish: «L'archéologie égyptienne»
Gaston Maspero
L’ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE
Chapitre I. L’architecture civile et militaire
L’attention des archéologues qui ont visité l’Égypte a été si fortement attirée par les temples et par les tombeaux que nul d’entre eux ne s’est attaché à relever avec soin ce qui reste des habitations privées et des constructions militaires. Peu de pays pourtant ont conservé autant de débris de leur architecture civile. Sans parler des villes d’époque romaine ou byzantine, qui survivent presque intactes à Kouft, à Kom-Ombo, à El-Agandiyéh, une moitié au moins de la Thèbes antique subsiste à l’est et au sud de Karnak. L’emplacement de Memphis est semé de buttes qui atteignent 15 et 20 mètres de hauteur, et dont le noyau est formé par des maisons en bon état. À Tell-el-Maskhoutah, les greniers de Pithom sont encore debout ; à Sân, à Tell-Basta, la cité saïte et ptolémaïque renferme des quartiers dont on pourrait lever le plan. Je ne parle ici que des plus connues ; mais combien de localités échappent à la curiosité des voyageurs, où l’on rencontre des ruines d’habitations privées remontant à l’époque des Ramessides, et plus haut peut-être ! Quant aux forteresses, le seul village d’Abydos n’en a-t-il pas deux, dont une est au moins contemporaine de la VIe dynastie ? Les remparts d’El-Kab, de Kom-el-Ahmar, d’El-Hibèh, de Dakkèh, même une partie de ceux de Thèbes, sont debout et attendent l’architecte qui daignera les étudier sérieusement.
1. Les maisons
Le sol de l’Égypte, lavé sans cesse par l’inondation, est un limon noir, compact, homogène, qui acquiert en se séchant la dureté de la pierre : les fellahs l’ont employé de tout temps à construire leur maison. Chez les plus pauvres, ce n’est guère qu’un amas de terre façonné grossièrement. On entoure un espace rectangulaire, de 2 ou 3 mètres de large sur 4 ou 5 de long, d’un clayonnage en nervures de palmier, qu’on enduit intérieurement et extérieurement d’une couche de limon ; comme ce pisé se crevasse en perdant son eau, on bouche les fissures et on étend des couches nouvelles, jusqu’à ce que l’ensemble ait de 10 à 30 centimètres d’épaisseur, puis on étend au-dessus de la chambre d’autres nervures de palmier mêlées de paille, et on recouvre le tout d’un lit mince de terre battue. La hauteur est variable : le plus souvent, le plafond est très bas, et on ne doit pas se lever trop brusquement de peur de le défoncer d’un coup de tête ; ailleurs, il est à 2 mètres du sol ou même plus. Aucune fenêtre, aucune lucarne où pénètrent l’air et la lumière ; parfois un trou, pratiqué au milieu du plafond, laisse sortir la fumée du foyer ; mais c’est là un raffinement que tout le monde ne connaît pas.
Il n’est pas toujours facile de distinguer au premier coup d’œil celles de ces cabanes qui sont en pisé et celles qui sont en briques crues. La brique égyptienne commune n’est guère que le limon, mêlé avec un peu de sable et de paille hachée, puis façonné en tablettes oblongues et durci au soleil. Un premier manœuvre piochait vigoureusement à l’endroit où l’on voulait bâtir ; d’autres emportaient les mottes et les accumulaient en tas, tandis que d’autres les pétrissaient avec les pieds et les réduisaient en masse homogène. La pâte suffisamment triturée, le maître ouvrier la coulait dans des moules en bois dur, qu’un aide emportait et s’en allait décharger sur l’aire à sécher, où il les rangeait en damier, à petite distance l’une de l’autre.
Les entrepreneurs soigneux les laissent au soleil une demi-journée ou même une journée entière, puis les disposent en monceaux de manière que l’air circule librement, et ne les emploient qu’au bout d’une semaine ou deux ; les autres se contentent de quelques heures d’exposition au soleil et s’en servent humides encore. Malgré cette négligence, le limon est tellement tenace qu’il ne perd pas aisément sa forme : la face tournée au dehors a beau se désagréger sous les influences atmosphériques, si l’on pénètre dans le mur même, on trouve la plupart des briques intactes et séparables les unes des autres. Un bon ouvrier moderne en moule un millier par jour sans se fatiguer ; après une semaine d’entraînement, il peut monter à 1,200, à 1,500, voire à 1,800. Les ouvriers anciens, dont l’outillage ne différait pas de l’outillage actuel, devaient obtenir des résultats aussi satisfaisants. Le module qu’ils adoptaient généralement est de 0m,22, x 0m,11, x 0m,14 pour les briques de taille moyenne, 0m,38 x 0m,18, x 0m,14 pour les briques de grande taille ; mais on rencontre assez souvent dans les ruines des modules moindres ou plus forts. La brique des ateliers royaux était frappée quelquefois aux cartouches du souverain régnant ; celle des usines privées a sur le plat un ou plusieurs signes conventionnels tracés à l’encre rouge, l’empreinte des doigts du mouleur, le cachet d’un fabricant. Le plus grand nombre n’a point de marque qui les distingue. La brique cuite n’a pas été souvent employée avant l’époque romaine, non plus que la tuile plate ou arrondie. La brique émaillée paraît avoir été à la mode dans le Delta. Le plus beau spécimen que j’en aie vu, celui qui est conservé au musée de Boulaq, porte à l’encre noire les noms de Ramsès III ; l’émail en est vert, mais d’autres fragments sont colorés en bleu, en rouge, en jaune ou en blanc.
La nature du sol ne permet pas de descendre beaucoup les fondations : c’est d’abord une couche de terre rapportée, qui n’a d’épaisseur que sur l’emplacement des grandes villes, puis un humus fort dense, coupé de minces veines de sable, puis, à partir du niveau des infiltrations, des boues plus ou moins liquides, selon la saison. Aujourd’hui, les maçons indigènes se contentent d’écarter les terres rapportées et jettent les fondations dès qu’ils touchent le sol vierge ; si celui-ci est trop loin, ils s’arrêtent à un mètre environ de la surface. Les vieux Égyptiens en agissaient de même : je n’ai rencontré aucune maison antique dont les fondations fussent à plus de 1m,20, encore une pareille profondeur est-elle l’exception, et n’a-t-on pas dépassé 0m,60 dans la plupart des cas. Souvent, on ne se fatiguait pas à creuser des tranchées : on nivelait l’aire à couvrir, et, probablement après l’avoir arrosée largement pour augmenter la consistance du terrain, on posait les premières briques à même. La maison terminée, les déchets de mortier, les briques cassées, tous les rebuts du travail accumulés formaient une couche de 20 à 30 centimètres : la partie du mur enterrée de la sorte tenait lieu de fondations. Quand la maison à bâtir devait s’élever sur l’emplacement d’une maison antérieure, écroulée de vétusté ou détruite par un accident quelconque, on ne prenait pas la peine d’abattre les murs jusqu’au ras de terre. On égalisait la surface des décombres et on construisait à quelques pieds plus haut que précédemment : aussi chaque ville est-elle assise sur une ou plusieurs buttes artificielles, dont les sommets dominent parfois de 20 ou 30 mètres la campagne environnante. Les historiens grecs attribuaient ce phénomène d’exhaussement à la sagesse des rois, de Sésostris en particulier, qui avaient voulu mettre les cités à l’abri des eaux, et les modernes ont cru reconnaître le procédé employé à cet effet : on construisait des murs massifs de brique, entre-croisés en damier, on comblait les intervalles avec des terres de déblayement, et on élevait les maisons sur ce patin gigantesque. Partout où j’ai fait des fouilles, à Thèbes spécialement, je n’ai rien vu qui répondît à cette description ; les murs entrecoupés qu’on rencontre sous les débris des maisons relativement modernes ne sont que des restes de maisons antérieures, qui reposaient elles-mêmes sur les restes de maisons plus vieilles encore. Le peu de profondeur des fondations n’empêchait pas les maçons de monter hardiment la bâtisse : j’ai noté dans les ruines de Memphis des pans encore debout de 10 et 12 mètres de haut. On ne prenait alors d’autre précaution que d’élargir la base des murs et de voûter les étages.
L’épaisseur ordinaire était de 0m,40 environ pour une maison basse, mais pour une maison à plusieurs étages, on allait jusqu’à 1 mètre ou 1m,25 ; des poutres, couchées dans la maçonnerie d’espace en espace, la liaient et la consolidaient. Souvent aussi on bâtissait le rez-de-chaussée en moellons bien appareillés et on reléguait la brique aux étages supérieurs. Le calcaire de la montagne voisine est la seule pierre dont on se soit servi régulièrement en pareil cas. Les fragments de grès, de granit ou d’albâtre qui y sont mêlés, proviennent généralement d’un temple ruiné : les Égyptiens d’alors n’avaient pas plus scrupule que ceux d’aujourd’hui à dépecer leurs monuments dès qu’on cessait de les surveiller. Les petites gens vivaient dans de vraies huttes qui, pour être bâties en briques, ne valaient guère mieux que les cabanes des fellahs. À Karnak, dans la ville pharaonique, à Kom-Ombo, dans la ville romaine, à Médinét-Habou, dans la ville copte, les maisons de ce genre ont rarement plus de 4 ou 5 mètres de façade ; elles se composent d’un rez-de-chaussée que surmontent parfois quelques chambres d’habitation. Les gens aisés, marchands, employés secondaires, chefs d’ateliers, étaient logés plus au large. Leurs maisons étaient souvent séparées de la rue par une cour étroite : un grand couloir s’ouvrait au fond, le long duquel les chambres étaient rangées.
Plus souvent, la cour était garnie de chambres sur trois côtés.
Plus souvent encore la maison présentait sa façade à la rue. C’était alors un haut mur peint ou blanchi à la chaux, surmonté d’une corniche, et sans ouverture que la porte, ou percé irrégulièrement de quelques fenêtres.
La porte était souvent de pierre, même dans les maisons sans prétentions. Les jambages sont en saillie légère sur la paroi, et le linteau est supporté d’une gorge peinte ou sculptée. L’entrée franchie, on passait successivement dans deux petites pièces sombres, dont la dernière prend jour sur la cour centrale.
Le rez-de-chaussée servait ordinairement d’étable pour les baudets ou pour les bestiaux, de magasins pour le blé et pour les provisions, de cellier et de cuisine. Partout où les étages supérieurs subsistent encore, ils reproduisent presque sans modifications la distribution du rez-de-chaussée. On y arrivait par un escalier extérieur, étroit et raide, coupé à des intervalles très rapprochés par de petits paliers carrés. Les pièces étaient oblongues et ne recevaient de lumière et d’air que par la porte : lorsqu’on se décidait à percer des fenêtres sur la rue, c’étaient des soupiraux placés presque à la hauteur du plafond, sans régularité ni symétrie, garnis d’une sorte de grille en bois à barreaux espacés, et fermés par un volet plein. Les planchers étaient briquetés ou dallés, plus souvent formés d’une couche de terre battue. Les murs étaient blanchis à la chaux, quelquefois peints de couleurs vives. Le toit était plat et fait probablement comme aujourd’hui de branches de palmiers serrées l’une contre l’autre, et couvertes d’un enduit de terre assez épais pour résister à la pluie. Parfois il n’était surmonté que d’un ou deux de ces ventilateurs en bois qu’on rencontre encore si fréquemment en Égypte ; d’ordinaire, on y élevait une ou deux pièces isolées, servant de buanderie ou de dortoir pour les esclaves ou les gardiens. La terrasse et la cour jouaient un grand rôle dans la vie domestique des anciens Égyptiens ; les femmes y préparaient le pain, y cuisinaient, y causaient à l’air libre ; la famille entière y dormait l’été, protégée par des filets contre les attaques des moustiques. Les hôtels des riches et des seigneurs couvraient une surface considérable : ils étaient situés le plus souvent au milieu d’un jardin ou d’une cour plantée, et présentaient à la rue, ainsi que les maisons bourgeoises, des murs nus, crénelés comme ceux d’une forteresse.
La vie domestique était cachée et comme repliée sur elle-même : on sacrifiait le plaisir de voir les passants à l’avantage de n’être pas aperçu du dehors. La porte seule annonçait quelquefois l’importance de la famille qui se dissimulait derrière l’enceinte. Elle était précédée d’un perron de deux ou trois marches, ou d’un portique à colonnes orné de statues, qui lui donnaient l’aspect monumental ; parfois c’était un pylône analogue à celui qui annonçait l’entrée des temples. L’intérieur formait comme une petite ville, divisée en quartiers par des murs irréguliers : la maison d’habitation au fond, les greniers, les étables, les communs, répartis aux différents endroits de l’enclos, selon des règles qui nous échappent encore. Les détails de l’agencement devaient varier à l’infini ; pour donner une idée de ce qu’était l’hôtel d’un grand seigneur égyptien, moitié palais, moitié villa, je ne puis mieux faire que de reproduire deux des plans nombreux que nous ont conservés les tombeaux de la XVIIIe dynastie.
Le premier représente une maison thébaine. Le clos est carré entouré d’un mur crénelé. La porte principale s’ouvre sur une route bordée d’arbres, qui longe un canal ou un bras du Nil.
Le jardin est divisé en compartiments symétriques par des murs bas en pierres sèches, analogues à ceux qu’on voit encore dans les grands jardins d’Akhmîm ou de Girgéh ; au centre, une vaste treille disposée sur quatre rangs de colonnettes ; à droite et à gauche, quatre pièces d’eau peuplées de canards et d’oies, deux pépinières, deux kiosques à jour, et des allées de sycomores, de dattiers et de palmiers-doums ; dans le fond, en face de la porte, une maison à deux étages de petites dimensions, surmontée d’une corniche peinte. Le second plan est emprunté aux hypogées de Tell-el-Amarna.
Il nous montre une maison, située au fond des jardins d’un grand seigneur, Aï, gendre du pharaon Khouniaton et, plus tard, lui-même roi d’Égypte. Un bassin oblong s’étend devant la porte : il est bordé d’un quai en pente douce muni de deux escaliers. Le corps de bâtiment est un rectangle plus large sur la façade que sur les parois latérales.
Une grande porte s’ouvre au milieu et donne accès dans une cour plantée d’arbres et bordée de magasins remplis de provisions : deux petites cours placées symétriquement dans les angles les plus éloignés servent de cage aux escaliers qui mènent sur la terrasse. Ce premier édifice sert comme d’enveloppe au logis du maître. Les deux façades sont ornées d’un portique de huit colonnes, interrompu au milieu par la baie du pylône. La porte franchie, on débouchait dans une sorte de long couloir central, coupé par deux murs percés de portes, de manière à former trois cours d’enfilade. Celle du centre était bordée de chambres ; les deux autres communiquaient à droite et à gauche avec deux cours plus petites, d’où partaient les escaliers qui montent à la terrasse. Ce bâtiment central était ce que les textes appellent l’âkhonouti, la demeure intime du roi et des grands seigneurs, où la famille et les amis les plus proches avaient seuls le droit de pénétrer. Le nombre des étages, la disposition de la façade différaient selon le caprice du propriétaire. Le plus souvent la façade était unie ; parfois elle était divisée en trois corps, et le corps du milieu était en saillie.
Les deux ailes sont alors ornées d’un portique à chaque étage, ou surmontées d’une galerie à jour ; le pavillon central a quelquefois l’aspect d’une tour qui domine le reste de la construction. Les façades sont décorées assez souvent de ces longues colonnettes en bois peint qui ne portent rien et servent seulement à égayer l’aspect un peu sévère de l’édifice.
La distribution intérieure est peu connue ; comme dans les maisons bourgeoises, les chambres à coucher étaient probablement petites et mal éclairées ; mais, en revanche, les salles de réception devaient avoir à peu près les dimensions adoptées aujourd’hui encore en Égypte, dans les maisons arabes. L’ornementation des parois ne comportait pas des scènes ou des compositions analogues à celles qu’on rencontre dans les tombeaux. Les panneaux étaient passés à la chaux ou revêtus d’une teinte uniforme et bordés d’une bande multicolore. Les plafonds étaient d’ordinaire laissés en blanc ; parfois, cependant, ils étaient décorés d’ornements géométriques dont les principaux motifs étaient répétés dans les tombeaux et nous ont été conservés de la sorte, des méandres entremêlés de rosaces, des carrés multicolores, des têtes de bœuf vues de face, des enroulements, des vols d’oies.
Je n’ai parlé que du second empire thébain ; c’est en effet l’époque pour laquelle nous avons le plus de documents. Les lampes en forme de maisons, qu’on trouve en si grand nombre au Fayoum, montrent qu’au temps des Césars romains, on continuait à bâtir selon les mêmes règles qui avaient eu cours sous les Thoutmos et les Ramsès. Pour l’ancien empire, les renseignements sont peu nombreux et peu clairs. Cependant, on rencontre souvent sur les stèles, dans les hypogées ou dans les cercueils, des dessins qui nous montrent quel aspect avaient les portes, et un sarcophage de la IVe dynastie, celui de Khoutou-Poskhou, est taillé en forme de maison.
2. Les forteresses
La plupart des villes et même des bourgs importants étaient murés. C’était une conséquence presque nécessaire de la configuration géographique et de la constitution politique du pays. Contre les Bédouins, il avait fallu barrer le débouché des gorges qui mènent au désert ; les grands seigneurs féodaux avaient fortifié, contre leurs voisins et contre le roi, la ville où ils résidaient, et les villages de leur domaine qui commandaient les défilés des montagnes ou les passes resserrées du fleuve. Abydos, El-Kab, Semnéh possèdent les forteresses les plus anciennes. Abydos avait un sanctuaire d’Osiris et s’élevait à l’entrée d’une des routes qui conduisent aux Oasis. La renommée du temple y attirait les pèlerins, la situation de la ville y amenait les marchands, la prospérité que lui valait l’affluence des uns et des autres l’exposait aux incursions des Libyens : elle a, aujourd’hui encore, deux forts presque intacts. Le plus vieux est comme le noyau du monticule que les Arabes appellent le Kom-es-soultân, mais l’intérieur seul en a été déblayé jusqu’à 3 ou 4 mètres au-dessus du sol antique ; le tracé extérieur des murs n’a pas été dégagé des décombres et du sable qui l’entourent. Dans l’état actuel, c’est un parallélogramme en briques crues de 125 mètres de long sur 68 mètres de large. Le plus grand axe en est tendu du sud au nord. La porte principale s’ouvre dans le mur ouest, non loin de l’angle nord-ouest ; mais deux portes de moindre importance paraissent avoir été ménagées dans le front sud et dans celui de l’est. Les murailles ont perdu quelque peu de leur élévation ; elles mesurent pourtant de 7 à 11 mètres de haut et sont larges d’environ 2 mètres au sommet. Elles ne sont pas bâties d’une seule venue, mais se partagent en grands panneaux verticaux, facilement reconnaissables à la disposition des matériaux. Dans le premier, tous les lits de briques sont rigoureusement horizontaux ; dans le second, ils sont légèrement concaves et forment un arc renversé, très ouvert, dont l’extrados s’appuie sur le sol ; l’alternance des deux procédés se reproduit régulièrement. La raison de cette disposition est obscure : on dit que les édifices ainsi construits résistent mieux aux tremblements de terre. Quoi qu’il en soit, elle est fort ancienne, car, dès la Ve dynastie, les familles nobles d’Abydos envahirent l’enceinte et l’emplirent de leurs tombeaux au point de lui enlever toute valeur stratégique. Une seconde forteresse, édifiée à quelque cent mètres au sud-est, remplaça celle du Kom-es-soultân vers la XVIIIe dynastie, mais faillit avoir le même sort sous les Ramessides ; la décadence subite de la ville l’a seule protégée contre l’encombrement. Les Égyptiens des premiers temps ne possédaient aucun engin capable de faire impression sur des murs massifs. Ils n’avaient que trois moyens pour enlever de vive force une place fermée : l’escalade, la sape, le bris des portes. Le tracé imposé par leurs ingénieurs au second fort est des mieux calculés pour résister efficacement à ces trois attaques.
Il se compose de longs côtés en ligne droite, sans tours ni saillants d’aucune sorte, mesurant 131m,30 sur les fronts est et ouest, 78 mètres sur les fronts nord et sud. Les fondations portent directement sur le sable et ne descendent nulle part plus bas que 0m,30. Le mur est en briques crues, disposées par assises horizontales ; il est légèrement incliné en arrière, plein, sans archères ni meurtrières, décoré à l’extérieur de longues rainures prismatiques, semblables à celles qu’on voit sur les stèles de l’ancien Empire. Dans l’état actuel, il domine la plaine de 11 mètres ; complet, il ne devait guère monter à plus de 12 mètres, ce qui suffisait amplement pour mettre la garnison à l’abri d’une escalade par échelle portative à dos d’homme. L’épaisseur est d’environ 6 mètres à la base, d’environ 5 mètres au sommet. La crête est partout détruite, mais les représentations figurées nous montrent qu’elle était couronnée d’une corniche continue, très saillante, garnie extérieurement d’un parapet mince, assez bas, crénelé à merlons arrondis, rarement quadrangulaires.
Le chemin de ronde, même diminué de l’épaisseur du parapet, devait atteindre encore 4 mètres ou 4 m,50. Il courait sans interruption le long des quatre fronts ; on y montait par des escaliers étroits, pratiqués dans la maçonnerie et détruits aujourd’hui. Point de fossé : pour défendre le pied du mur contre la pioche des sapeurs, on a tracé, à 3 mètres en avant, une chemise crénelée haute de 5 mètres ou environ. Toutes ces précautions étaient suffisantes contre la sape et l’escalade, mais les portes restaient comme autant de brèches béantes dans l’enceinte ; c’était le point faible sur lequel l’attaque et la défense concentraient leurs efforts. Le fort d’Abydos avait deux portes, dont la principale était située dans un massif épais, à l’extrémité orientale du front est.
Une coupure étroite À, barrée par de solides battants de bois, en marquait la place dans l’avant-mur. Par derrière, s’étendait une petite place d’armes B, à demi creusée dans l’épaisseur du mur, au fond de laquelle était pratiquée une seconde porte C, aussi resserrée que la première. Quand l’assaillant l’avait forcée sous la pluie de projectiles que les défenseurs, postés au haut des murailles, faisaient pleuvoir sur lui de face et des deux côtés, il n’était pas encore au cœur de la place ; il traversait une cour oblongue D, resserrée entre les murs extérieurs et entre deux contreforts qui s’en détachaient à angle droit, et s’en allait briser à découvert une dernière poterne E, placée à dessein dans le recoin le plus incommode. Le principe qui présidait à la construction des portes était partout le même, mais les dispositions variaient au gré de l’ingénieur. À la porte sud-est d’Abydos, la place d’armes située entre les deux enceintes a été supprimée, et la cour est tout entière dans l’épaisseur du mur ; à Kom-el-Ahmar, en face d’El-Kab, le massif de briques, au milieu duquel la porte est percée, fait saillie sur le front de défense.
Des poternes, réservées en différents endroits, facilitaient les mouvements de la garnison et lui permettaient de multiplier les sorties.
Le même tracé qu’on employait pour les forts isolés prévalait également pour les villes. Partout, à Héliopolis, à Sân, à Saïs, à Thèbes, ce sont des murs droits, sans tours ni bastions, formant des carrés ou des parallélogrammes allongés, sans fossés ni avancées ; l’épaisseur des murs, qui varie entre 10 et 20 mètres, rendait ces précautions inutiles. Les portes, au moins les principales, avaient des jambages et un linteau en pierre, décorés de tableaux et de légendes ; témoin celle d’Ombos, que Champollion vit encore en place et qui date du règne de Thoutmos III. La plus vieille et la mieux conservée des villes fortes d’Égypte, celle d’El-Kab, remonte probablement jusqu’à l’ancien Empire.
Le Nil en a détruit une partie depuis quelques années ; au commencement du siècle, elle formait un quadrilatère irrégulier, dont les grands côtés mesuraient 640 mètres et les petits environ un quart en moins. Le front sud présente la même disposition qu’au Kom-es-soultân, des panneaux où les lits de briques sont horizontaux, alternant avec d’autres panneaux où ils sont concaves. Sur les fronts nord et ouest, les lits sont ondulés régulièrement et sans interruption d’un bout à l’autre. L’épaisseur est de 11m,50, la hauteur moyenne de 9 mètres ; des rampes larges et commodes mènent au chemin de ronde. Les portes sont placées irrégulièrement, une sur chacune des faces nord, est et ouest ; la face méridionale n’en avait point. Elles sont trop mal conservées pour qu’on en reconnaisse le plan. L’enceinte renfermait une population considérable, mais inégalement répartie ; le gros était concentré au nord et à l’ouest, où les fouilles ont découvert les restes d’un grand nombre de maisons. Les temples étaient rassemblés dans une enceinte carrée, qui avait le même centre que la première ; c’était comme un réduit, où la garnison pouvait résister, longtemps après que le reste de la ville était aux mains des ennemis.
Le tracé à angle droit, excellent en plaine, n’était pas souvent applicable en pays accidenté ; lorsque le point à fortifier était sur une colline, les ingénieurs égyptiens savaient adapter la ligne de défense au relief du terrain. À Kom-Ombo, les murs suivent exactement le contour de la butte isolée sur laquelle la ville était perchée, et présentaient à l’Orient un front hérissé de saillies irrégulières, dont le dessin rappelle grossièrement celui de nos bastions.
À Koumméh et à Semnéh, en Nubie, à l’endroit où le Nil s’échappe des rochers de la seconde cataracte, les dispositions sont plus ingénieuses et témoignent d’une véritable habileté. Le roi Ousirtasen III avait fixé en cet endroit la frontière de l’Égypte ; les forteresses qu’il y construisit devaient barrer la voie d’eau aux flottes des Nègres voisins. À Koumméh, sur la rive droite, la position était naturellement très forte.
Sur une éminence bordée de rochers abrupts, on dessina un carré irrégulier de 60 mètres environ de côté ; deux contreforts allongés dominent, l’un, au nord, les sentiers qui conduisent à la porte, l’autre, au sud, le cours du fleuve. L’avant-mur s’élève à 4 mètres en avant et suit fidèlement le mur principal, sauf en deux points, aux angles nord-ouest et sud-est, où il présente deux saillies en forme de bastion. Sur l’autre rive, à Semnéh, la position était moins bonne ; le côté oriental était protégé par une ceinture de rochers qui descend à pic jusqu’au fleuve, mais les trois autres faces étaient à peu près nues.
Un mur droit, haut de 15 mètres environ, fut établi le long du Nil ; au contraire, les murs tournés vers la plaine montèrent jusqu’à la hauteur de 25 mètres et se hérissèrent de contreforts, longs de 15 mètres, épais de 9 mètres à la base et de 4 mètres au sommet et disposés à intervalles irréguliers selon les besoins de la défense. Ces éperons, non garnis de parapets, tenaient lieu de tours : ils augmentaient la force du tracé, défendaient l’accès du chemin de ronde et battaient en flanc les soldats qui auraient voulu tenter une attaque de haute main contre l’enceinte continue. L’intervalle qui les sépare est calculé de manière que les archers puissent balayer de leurs flèches tout le terrain compris entre eux. Courtines et saillants sont en briques crues entremêlées de poutres couchées horizontalement dans la maçonnerie ; la surface extérieure en est formée de deux parties, l’une à peu près verticale, l’autre inclinée de 160 degrés environ sur la première, ce qui rendait l’escalade sinon impossible, au moins fort difficile. Intérieurement tout l’espace compris dans l’enceinte avait été haussé presque jusqu’au niveau du chemin de ronde, en manière de terre-plein.
Au dehors, l’avant-mur en pierres sèches était séparé du corps de la place par un fossé de 30 à 40 mètres de large ; il épousait assez exactement le contour général et dominait la plaine de 2 ou 3 mètres, selon les endroits ; vers le nord, il était coupé par le chemin tournant qui descend en plaine. Ces dispositions, si habiles qu’elles fussent, n’empêchèrent point la place de succomber ; une large brèche pratiquée au sud, entre les deux saillants les plus rapprochés du fleuve, marque le point d’attaque choisi par l’ennemi. Les grandes guerres entreprises en Asie sous la XVIIIe dynastie révélèrent aux Égyptiens des formes nouvelles de fortifications. Les nomades de la Syrie méridionale avaient des fortins où ils se réfugiaient sous la menace de l’invasion.
Les villes cananéennes et hittites, Ascalon, Dapour, Mérom, étaient entourées de murailles puissantes, le plus souvent en pierre et flanquées de tours ; celles d’entre elles qui s’élevaient en plaine, comme Qodshou, étaient enveloppées d’un double fossé rempli d’eau).
Les Pharaons transportèrent dans la vallée du Nil les types nouveaux, dont ils avaient éprouvé l’efficacité dans leurs campagnes. Dès les commencements de la XIXe dynastie, la frontière orientale du Delta, la plus faible de toutes, était couverte d’une ligne de forts analogues aux forts cananéens ; non contents de prendre la chose, les Égyptiens avaient pris le mot et donnaient à ces tours de garde le nom sémitique de magadîlou. La brique ne parut plus dès lors assez solide, au moins pour les villes exposées aux incursions des peuplades asiatiques, et les murs d’Héliopolis, ceux de Memphis même, se revêtirent de pierre. Rien ne nous est resté jusqu’à présent de ces forteresses nouvelles, et nous en serions réduits à nous figurer, d’après les peintures, l’aspect qu’elles pouvaient avoir, si un caprice royal ne nous en avait laissé un modèle dans un des endroits où on s’attendait le moins à le rencontrer, dans la nécropole de Thèbes. Quand Ramsès III établit son temple funéraire, il voulut l’envelopper d’une enceinte à l’apparence militaire, en souvenir de ses victoires syriennes.