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Kitobni o'qish: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome IV»

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LIVRE TREIZIÈME

CHAPITRE I.
CONSTITUTION DE 91.
1792-1800

Etablissement d'un gouvernement représentatif. – Réunion de la législature. – Le parti anglais veut abolir l'usage de la langue française; vives discussions il ce sujet. – Les Canadiens l'emportent. – La discussion est renouvelée lors de la considération des règles pour la régie intérieure de la chambre. – Violens débats; discours de M. Bédard et autres. – Les anglificateurs sont encore défaits. – Travaux de la session; projets de loi pour les pauvres, les chemins et les écoles. – Biens des Jésuites. – Subsides. – Justice. – Prorogation des chambres; discours de sir Alured Clarck-Lord Dorchester. – Il convoque les chambres. – Organisation de la milice. – Comptes publics. – Judicature. – Suspension de la loi de l'habeas corpus. – Association générale pour le soutien du gouvernement. – Troisième session. – Revenus et dépenses. – Fixation des charges; rentes seigneuriales. – Voies publiques. – Monnaies. – Lord Dorchester remplacé par le général Prescott. – Session de 97. – Défection de MM. De Bonne et de Lotbinière. – Traité de commerce avec les Etats-Unis. – Emissaires français. – Les pouvoirs de l'exécutif sont rendus presque absolus; ses terreurs. – Exécution de M. Law. – Sessions de 98 et 99. – Amélioration du régime des prisons. – Impôts, revenus publics. – Querelles entre le gouverneur et son conseil au sujet de la régie des terres. – Il est rappelé avec le juge Osgoode. – Sir Robert Shore Milnes convoque les chambres en 1800. – Nouvelle allusion aux principes de la révolution française; motif de cette politique. – Proposition d'exclure le nommé Bouc de l'assemblée. – Le gouvernement s'empare des biens des Jésuites.

L'introduction du gouvernement représentatif forme l'une des époques les plus remarquables de notre histoire. La constitution de 91, telle qu'elle allait être mise en pratique, était loin d'être équitable, parfaite; mais la portion de liberté qu'elle introduisait suffisait pour donner l'essor à l'expression fidèle et énergique des besoins et des sentimens populaires. L'opinion longtemps comprimée se sentit soulagée en voyant enfin une voie toute restreinte qu'elle fut ouverte devant elle pour se faire connaître et se faire apprécier au-delà des mers.

Cette constitution cependant promettait beaucoup plus qu'elle ne devait tenir. L'un de ses vices essentiels, c'était de laisser deux des trois branches de la législature à la disposition du bureau colonial, qui allait par ce moyen se trouver armé de deux instrumens qu'il ferait mouvoir à sa volonté tout en paraissant n'en faire mouvoir qu'un seul. Ce défaut capital qui n'était encore aperçu que du petit nombre d'hommes expérimentés dans les affaires publiques, leur fit présager la chute du nouveau système dans un avenir plus ou moins éloigné. La masse du peuple toujours plus lente à soupçonner les motifs, les arrière-pensées, les injustices, crut d'après les paroles de Pitt, que le Bas-Canada serait à eux, que la législation, en tant qu'elle ne serait pas incompatible avec l'intérêt et la suprématie de l'Angleterre, serait fondée sur ses sentimens et sur ses intérêts, qu'elle serait en un mot l'expression de la majorité des habitans. Vaine illusion! Outre l'intérêt canadien, outre l'intérêt métropolitain, il y avait déjà ce que lord Stanley a depuis qualifié «l'intérêt britannique» ou l'intérêt de la portion anglaise de la population, qui ne comptait alors que quelques centaines d'âmes dispersées dans les villes et dans les arrondissemens situés sur les limites orientales du Canada, le long des Etats de New Hampshire, du Massachusetts et du Maine. La plupart étaient d'origine allemande ou hollandaise. 1 Ils étaient venus s'établir en Canada pendant la révolution américaine qu'ils fuyaient. La métropole en se réservant la nomination du conseil législatif, s'était conservé le moyen de donner à cette petite population un pouvoir égal à celui du reste des habitans et ainsi de nullifier la majorité ou en d'autres termes de gouverner les uns par les autres.

Note 1:(retour) A short view of the present state of the Eastern townships etc., by the Honble. and Revd. Chs. Stewart A. M. minister of St. Armand Lower Canada and Champlain to the Lord Bishop of Québec, 1815.

Dans la nouvelle constitution, le roi ou plutôt le bureau colonial, car le bureau colonial seul en Angleterre connaissait ce qui se passait en Canada, formait une branche; le conseil législatif la seconde, mais comme il était à la nomination de la couronne, il devait être nécessairement la créature de l'exécutif, composé d'hommes dévoués à toutes ses volontés, en possession de toutes ses sympathies et toujours prêts à lui servir de bouclier contre les représentans du peuple.

Telle fut dès le début la mise en pratique de l'acte de 91. La division du Canada en deux parties pour assurer à ses anciens habitans leurs usages et leur nationalité, suivant l'intention de Pitt, manqua son but et ne donna réellement la prépondérance à personne. Quant au conseil exécutif lui-même, qui devait être l'image du ministère en Angleterre, il ne fut qu'un instrument servile entre les mains des gouverneurs, et ce fut là ce qui amena plus tard la ruine de la nouvelle constitution. En effet, qui allait conserver l'harmonie entre les deux chambres, si le bureau colonial ne le voulait pas? Tout dépendait de cette volonté, puis qu'elle était maîtresse du conseil exécutif et du conseil législatif dont elle avait la nomination.

Les membres du conseil exécutif choisis parmi les anciens habitans y furent toujours en petit nombre, excepté à son origine, où les Canadiens se trouvèrent quelque temps, comme dans le conseil législatif, dans la proportion de 4 sur 8. Mais plus tard l'on garda les plus obéissans et l'on repoussa les autres, car dès 99 ce conseil ne contenait plus que six Canadiens sur quinze membres.

Sir Alured Clarke fixa les élections pour le mois de juin et la réunion des chambres pour le mois de décembre.

Après toutes les tentatives du parti anglais depuis 64 pour les faire proscrire, l'on aurait pu croire que les Canadiens, le coeur encore ulcéré de l'exclusion dont on avait voulu les frapper, eussent refusé leurs suffrages à tous les candidats connus pour lui appartenir. Il n'en fut rien cependant à l'étonnement de beaucoup de monde. Deux choses contribuèrent à cette conduite; d'abord le peuple en général ignorait une partie des intrigues des Anglais qui avaient soin de se tenir dans l'ombre de ce côté-ci de l'Océan, ou de dissimuler leur conduite par des explications trompeuses, chose facile à faire à une époque où les journaux ne contenaient aucune discussion politique sur les événemens du jour; en second lieu, ils jugèrent, non sans raison, que ceux qui avaient été élevés au milieu d'un pays en possession depuis longtemps d'institutions dont ils allaient faire l'essai, devaient posséder une expérience utile au bon fonctionnement de la nouvelle constitution, et ils les choisirent partout où ils se présentaient sans exiger d'autre garantie que leurs déclarations verbales.

Les Anglais qui connaissaient tout le prix de l'instrument qu'on mettait ainsi à leur disposition, montrèrent la plus grande activité et une audace qui doit nous étonner aujourd'hui. C'était un spectacle nouveau que de voir le peuple assemblé pour se choisir des représentans; mais c'en était un qui l'était encore plus que de voir tous les Anglais tant soit peu respectables de Montréal et de Québec courir partout solliciter les suffrages de cette race dont ils avaient demandé l'anéantissement politique avec tant d'ardeur et tant de persévérance, et les obtenir pour la plupart en opposition à ses propres enfans. Seize Anglais sur cinquante membres furent élus, lorsque pas un seul ne l'eut été si les électeurs eussent montré le même esprit d'exclusion que les pétitionnaires de 73 et les électeurs anglais d'aujourd'hui. C'était une grande hardiesse de la part du peuple que de hasarder ainsi les intérêts de sa nationalité en mettant sa cause entre les mains de ses ennemis les plus acharnés; mais les anciens gouverneurs ne l'avaient rendu ni défiant ni vindicatif; le vote sur l'usage de la langue française qui eut lieu à l'ouverture de la session, put seul réveiller des soupçons dans son coeur naturellement honnête et confiant, et lui montrer le danger de sa facile générosité.

Les chambres se réunirent le 17 décembre dans le palais épiscopal occupé par le gouvernement depuis la conquête. Lorsqu'elles eurent prêté serment, le gouverneur assis sur un trône et entouré d'une suite nombreuse, requit les communes de se choisir un président et de le présenter le jeudi suivant à son approbation.

Ce choix fit connaître leur caractère. Le parti anglais proposa de suite l'abolition de la langue française dans les procédés législatifs et la nomination d'un président de son origine nationale. Cette nomination qui fournit le sujet de la première discussion, fut ajournée au lendemain après des débats et une division provoquée par le désir de chaque parti de connaître ses forces, qui se trouvèrent dans le rapport de un à deux.

Le lendemain, M. Dunière proposa M. J. Antoine Panet. Les Anglais opposèrent successivement à ce candidat M. Grant, M. McGill et un M. Jordan, trois hommes que rien ne recommandait à ce poste élevé que leurs heureuses spéculations dans le commerce. Ils espéraient par cette persévérance intimider leurs adversaires nouveaux dans les luttes parlementaires, et qu'ils taxaient déjà de factieux dès qu'ils osaient manifester une opinion indépendante. Les débats qui furent très animés, se prolongèrent longtemps et annoncèrent une session orageuse. McGill qui avait proposé Grant et qui était lui-même proposé par un autre, déclara pour raison de son opposition à M. Panet, que le président devait connaître les deux langues et surtout la langue anglaise. On lui répondit que ce candidat entendait assez cette langue pour la conduite des affaires publiques. Un autre membre, M. Richardson, avança que les Canadiens étaient tenus par tous les motifs d'intérêt et de reconnaissance d'adopter la langue de la métropole, et soutint sa proposition avec tant d'apparence de conviction qu'il acquit M. P. L. Panet à son parti. «Le pays n'était-il pas une dépendance britannique demanda ce représentant? la langue anglaise n'était-elle pas celle du souverain et de la législature? Ne devait-on pas conclure de là que, puisque l'on parlait anglais à Londres, l'on devait le parler à Québec.» Ce raisonnement qui paraissait plus servile que logique ne convainquit personne. La discussion sur un pareil sujet était de nature à exciter les passions les plus haineuses. «Est-ce parce que le Canada fait partie de l'empire britannique, s'écria M. Papineau dont la parole avait d'autant plus de poids qu'il s'était distingué par son zèle et sa fidélité durant la révolution américaine, est-ce parce que les Canadiens ne savent pas la langue des habitans des bords de la Tamise qu'ils doivent être privés de leurs droits?» Cette apostrophe suivie d'un discours plein de force et de logique déconcerta l'opposition, dont les faits cités ensuite par MM. Bedard, de Bonne et J. A. Panet achevèrent la défaite. Ce dernier rappela que dans les îles de la Manche comme Jersey et Guernesey, l'on parlait le français; que ces îles étaient attachées à l'Angleterre depuis Guillaume le conquérant, et que jamais population n'avait montré plus de fidélité à l'Angleterre que celle qui les habitait.» Il aurait pu ajouter encore que pendant plus de trois siècles après la conquête normande, la cour, l'église la robe, les tribunaux, la noblesse, tout parlait français en Angleterre; que c'était la langue maternelle de Richard coeur-de-lion, du Prince noir et même de Henri V; que tous ces personnages illustres étaient de bons Anglais; qu'ils élevèrent avec leurs arbalétriers bretons et leurs chevaliers de Guyenne la gloire de l'Angleterre à un point où les rois de la langue saxonne n'avaient jamais pu la faire parvenir; 2 enfin que c'était la langue de la grande Charte, et que l'origine de la grandeur présente de l'empire était due à ces héros et aux barons normands qui l'avaient signée et dont les opinions avaient toujours conservé la plus grande influence sur le pays.

Note 2:(retour) On sait que les deux tiers de l'armée du Prince noir à la bataille de Poitiers étaient composés de Gascons, de Français.

La discussion se termina après une lutte vigoureuse par l'élection de M. Panet au fauteuil présidentiel, et la défaite de ses trois concurrens; mais pas un seul anglais ne vota pour lui, tandis que deux Canadiens votèrent contre. La division fut de 28 contre 18.

L'élément anglais malgré sa faiblesse cherchait à dominer sous le prestige de l'influence métropolitaine. Le premier président élu, sans être un homme de talens supérieurs, avait l'expérience des affaires comme l'avocat le plus employé de son temps, une abondance d'élocution qui ne tarissait point, l'esprit orné et les manières faciles et polies de la bonne société.

Le 20, le gouverneur approuva le choix de l'assemblée et adressa aux deux chambres réunies un discours dans lequel il recommanda l'harmonie et l'adoption des mesures que pouvaient demander l'avantage et la prospérité du pays. «Dans un jour comme celui-ci, dit-il, remarquable par le commencement d'une forme de gouvernement qui a porté la Grande-Bretagne au plus haut degré d'élévation, il est impossible de ne pas éprouver une émotion profonde, et que cette émotion ne soit pas partagée par tous ceux qui sont en état d'apprécier la grandeur du bienfait qui vient d'être conféré au Canada. Je me contenterai de suggérer qu'après avoir rendu des actions de grâces à l'arbitre de l'univers, nous rendions hommage à la magnanimité du roi et du parlement auxquels nous le devons en leur exprimant tous nos remercîmens et toute notre reconnaissance.»

La réponse de la chambre fut simple et respectueuse; mais le conseil législatif crut devoir lancer un anathème contre la révolution française et remercier la providence d'avoir arraché le Canada des mains d'un pays où il se passait des scènes que l'on pouvait reprocher à des barbares. Ces réflexions, qui pouvaient être bonnes en elles-mêmes, étaient impolitiques et inopportunes; elles partaient de trop loin pour atteindre la France, et le moindre bon sens aurait du faire apercevoir qu'elles ne pouvaient être agréables aux Canadiens, qui devaient conserver des sentimens de respect pour la nation d'où sortaient leurs pères. Aussi cela fut-il regardé comme une petite malice du conseil, qui voulait se donner le plaisir de dire quelque chose de désagréable pour la population.

Après ces préliminaires, les chambres votèrent une adresse au roi pour le remercier de la nouvelle constitution, et se mirent sérieusement à l'ouvrage. La discussion des règlemens pour leur régie inférieure les occupa une grande partie de la session. Elles adoptèrent les règles du parlement impérial avec les modifications nécessitées par la différence de circonstances. Ce travail ramena encore les débats sur l'idiome populaire.

Sur la proposition de dresser les procès-verbaux de l'assemblée dans les deux langues, M. Grant fit une motion d'amendement tendant à les rédiger en anglais seulement avec liberté d'en faire faire des traductions françaises pour les membres qui le désireraient. Après de violens débats, l'amendement fut rejeté. Les discussions recommencèrent lorsque le rapport du comité fut présenté. Grant proposa de nouveau qu'afin de conserver l'unité de la langue légale qu'aucune législature subordonnée n'avait le droit de changer, l'anglais fut déclaré texte parlementaire. M. de Lotbinière prit la parole: «Le plus grand nombre de nos électeurs, dit-il, étant placés dans une situation particulière, nous sommes obligés de nous écarter des règles ordinaires et de réclamer l'usage d'une langue qui n'est pas celle de l'empire, mais aussi équitables envers les autres que nous espérons qu'on le sera envers nous, mêmes nous ne voudrions pas que notre langue vint à bannir celle des autres sujets de sa Majesté. Nous demandons que l'une et l'autre soient permises. Nous demandons que nos procès-verbaux soient écrits dans les deux langues, et que lorsqu'il sera nécessaire d'y avoir recours, le texte soit pris dans la langue des motions originairement présentées, et que les bills soient passés dans la langue de la loi qui leur aura donné naissance.

Ayant eu l'honneur d'être du comité où cet objet a déjà été débattu, et ayant entendu ce qui vient d'être dit par, les honorables membres qui ont parlé avant moi, je crois qu'il est nécessaire de récapituler celles de leurs raisons qui m'ont le plus frappé, et auxquelles il est de mon devoir de répondre d'une manière détaillée.

La première raison qui a été donnée, est, que la langue anglaise étant celle du souverain et de la législation de la mère-pairie, nous ne serons entendus ni des uns ni des autres si nous n'en faisons usage, et que tous les projets de loi que nous présenterons en langue française seront refusés.

La seconde, que l'introduction de la langue anglaise assimilera et unira plus promptement les Canadiens à la mère-patrie.

Ces raisons sont d'une si grande importance qu'il est indispensablement nécessaire de les examiner l'une après l'autre.

Pour répondre à la première, je dirai avec cet enthousiasme qui est le fruit d'une vérité reconnue et journellement sentie, que notre très gracieux souverain est le centre de la bonté et de la justice; que l'imaginer autrement serait défigurer son image et percer nos coeurs. Je dirai, que notre amour pour lui est tel que je viens de l'exprimer; qu'il nous a assuré de son attachement et que nous sommes persuadés, que ses nouveaux sujets lui sont aussi chers que les autres. Enfans du même père, nous sommes tous égaux à ses yeux. D'après cet exposé, qui est l'opinion générale de la province, pourra-t-on nous persuader qu'il refusera de nous entendre, parce que nous ne savons parler que notre langue? De pareils discours ne seront jamais crus: ils profanent la majesté du trône, ils le dépouillent du plus beau de ses attributs, ils le privent d'un droit sacré, du droit de rendre justice! Non, M. le président, ce n'est point ainsi qu'il faut peindre notre roi; ce monarque équitable saura comprendre tous ses sujets, et en quelque langue que nos hommages et nos voeux lui soient portés, quand nos voix respectueuses frapperont le pied de son trône, il penchera vers nous une oreille favorable et il nous entendra quand nous lui parlerons français. D'ailleurs, monsieur, cette langue ne peut que lui être agréable dans la bouche de ses nouveaux sujets, puisqu'elle lui rappelle la gloire de son empire et qu'elle lui prouve d'une manière forte et puissante, que les peuples de ce vaste continent sont attachés à leur prince, qu'ils lui sont fidèles, et qu'ils sont anglais par le coeur avant même d'en savoir prononcer un seul mot.

Ce que je viens de dire du meilleur des rois, rejaillit sur les autres branches de la législature britannique. Ce parlement auguste ne peut-être représenté sous des couleurs défavorables, puisqu'il nous a donné des marques de sa libéralité et de ses intentions bienfaisantes. Le statut de la 14e année de sa Majesté est une preuve de ce que j'avance; notre religion nous y est conservée, nos lois de propriété nous y sont assurées, et nous devons jouir de tous nos droits de citoyens d'une manière aussi ample, aussi étendue et aussi avantageuse, que si aucune proclamation, ordonnance, commission ni autre acte public n'avaient été faits. Après une loi aussi solennelle qui n'a pas été révoquée, peut-on croire que le parlement voulût retirer ce qu'il nous a si généreusement accordé; peut-on croire qu'en nous assurant tous nos droits de citoyens, qu'en nous conservant toutes nos lois de propriété, dont le texte est français, il refuserait de nous entendre quand nous lui parlerons dans cette langue, qu'il refuserait de prendre connaissance des actes que nous lui présenterons sur un texte qu'il nous a conservé; cela ne peut-être. Nous voyons une continuation de la bienveillance de ce parlement auguste dans l'acte de la 31e année de sa Majesté. Pourquoi la division de la province? pourquoi cette séparation du Haut et du Bas-Canada? Si nous lisons les débats de la chambre des communes lors de la passation de ce bill, nous en connaîtrons les raisons, c'est pour que les Canadiens aient le droit de faire leurs lois dans leur langue et suivant leurs usages, leurs préjugés et la situation actuelle de leur pays.

Est-il dit par cet acte de la 31e année de sa Majesté que nos lois seront uniquement faites en anglais? Non, et aucune raison ne le donne même à l'entendre: pourquoi donc vouloir introduire un procédé qui ne peut-être admissible en ce moment? pourquoi regarder comme indispensable, une chose dont il n'est pas même fait mention dans l'acte constitutionnel? Croyons, M. le président, que si l'intention du parlement britannique avait été d'introduire la seule langue anglaise dans notre législature, il en aurait fait une mention expresse, et que dans sa sagesse il aurait trouvé des moyens pour y parvenir; croyons, monsieur, et soyons bien convaincus, qu'il n'en aurait employé que de doux, de justes et d'équitables. C'est donc à nous à imiter sa prudence et à attendre ce beau jour dont nous n'apercevons que l'aurore… La seconde raison, qui est d'assimiler et d'attacher plus promptement les Canadiens à la mère-patrie, devrait faire passer par dessus toute espèce de considérations, si nous n'étions pas certains de la fidélité du peuple de cette province; mais rendons justice à sa conduite de tous les temps, et surtout rappelions-nous l'année 1775. Ces Canadiens qui ne parlaient que français, ont montré leur attachement à leur souverain de la manière la moins équivoque. Ils ont aidé à défendre toute cette province. Cette ville, ces murailles, cette chambre même où j'ai l'honneur de faire entendre ma voix, ont été en partie sauvées par leur zèle et par leur courage. On les a vus se joindre aux fidèles sujets de sa Majesté, et repousser les attaques que des gens qui parlaient bien bon anglais faisaient sur cette ville. Ce n'est donc pas, M. le président, l'uniformité du langage qui rend les peuples plus fidèles ni plus unis entre eux. Pour nous en convaincre, voyons la France en ce moment et jetons les yeux sur tous les royaumes de l'Europe…

Non, je le répète encore, ce n'est point l'uniformité du langage qui maintient et assure la fidélité d'un peuple; c'est la certitude de son bonheur actuel, et le nôtre en est parfaitement convaincu. Il sait qu'il a un bon roi et le meilleur des rois! il sait qu'il est sous un gouvernement juste et libéral; il sait enfin, qu'il ne pourrait que perdre beaucoup dans un changement ou une révolution, et il sera toujours prêt à s'y opposer avec vigueur et courage.»

M. Taschereau parla dans le même sens que M. de Lotbinière et avec beaucoup d'à-propos. Il dit qu'il avait été opposé à une chambre d'assemblée en 88 parce qu'il craignait pour la sûreté des droits Canadiens; mais que les craintes qu'il avait alors avaient disparu depuis qu'il voyait que le pays avait su se choisir une représentation qui assurait la tranquillité de tout le monde. Je me suis levé, ajouta-t-il, armé non-seulement de l'acte de 74, mais aussi de celui de 91 dont les Canadiens qu'on a si souvent peints avec des couleurs désavantageuses, sauront faire usage au grand étonnement de quelques individus, mais à la satisfaction de la Grande-Bretagne. Passant ensuite rapidement sur l'objet de la discussion, il termina par ces paroles qui ne pouvaient être réfutées:

«Mais l'on a dit et l'on dira encore, le conseil législatif, son excellence le lieutenant gouverneur, ces deux premières puissances qui doivent concourir avec nous, ne recevront pas nos bills en fiançais; oui, monsieur, ils les recevront, cet acte de la 31e année m'en assure, et pour l'interpréter dans son vrai sens et dans toute sa force, je demanderai si la représentation est libre? personne me dit que non; étant libre, il pouvait donc se faire que 50 membres qui comme moi, n'entendent point l'anglais, auraient composé cette chambre; auraient-ils pu faire des lois en langue anglaise? non, assurément. Eh bien! ç'aurait donc été une impossibilité et une impossibilité ne peut exister. Je demanderai actuellement si pour cela cet acte de la 31e année qui nous constitue libres, pourrait être annulé et anéanti; non certainement, rien ne peut empêcher son effet, et cet acte commande aux premières puissances de la législation de concourir avec nous; et notre confiance en leur justice est telle, que nous sommes persuadés qu'elles le feront de manière à répondre aux intentions bienfaisantes de sa Majesté et de son parlement, qui ne nous restreignent point à la dure nécessité de statuer, en ce moment, nos lois dans une langue que nous n'entendons point.»

«D'ailleurs, observa un autre membre, M. de Rocheblave, quelles circonstances choisit-on pour nous faire adopter un changement également dangereux pour la métropole et pour la province? Ignore-t-on que nous avons besoin de toute la confiance du peuple pour l'engager à attendre avec patience que nous trouvions des remèdes aux maux et aux abus dont il a à se plaindre? Ne peut-on pas voir qu'il est dangereux pour la Grande-Bretagne même à la quelle nous sommes liés par reconnaissance et par intérêt, de détruire les autres barrières qui nous séparent de nos voisins; que tout espoir et toute confiance de la part du peuple dans ses représentans sont perdus si nous n'avons qu'un accroissement de privation à lui offrir pour résultat de nos travaux?

Eh! de quoi pourraient se plaindra quelques-uns de nos frères anglais en nous voyant décidés à conserver avec nos lois, usages et coutumes, notre langue maternelle, seul moyen qui nous reste pour défendre nos propriétés? Le stérile honneur de voir dominer leur langue pourrait-il les porter à faire perdre leur force et leur énergie à ces mêmes lois, usages et coutumes qui font la sécurité de leur propre fortune? Maîtres sans concurrence du commerce qui leur livre nos productions, n'ont-ils pas infiniment à perdra dans le bouleversement générai qui en serait la suite infaillible, et n'est-ce pas leur rendre le plus grand service que de s'y opposer? 3

Note 3:(retour) Gazette de Montréal, 14 février 1793.

Ces discussions agitaient profondément les Canadiens. En effet l'abandon de la langue maternelle n'est pas dans la nature de l'homme, dit un savant 4; elle ne tombe qu'avec lui, si même elle ne lui survit pas. Comme cela devait être, tout l'avantage de la discussion resta à ceux qui repoussaient l'oppression, et comme la première fois la division sur l'amendement de Grant, montra tous les Anglais pour et tous les Canadiens contre, excepté toujours M. P. L. Panet. L'amendement fut repoussé par les deux tiers de la chambre. Plusieurs autres dans le même sens furent encore proposés par MM. Lees, Richardson et les orateurs les plus remarquables du parti anglais, et subirent le même sort après trois jours de discussions. La résolution définitive fut, que tous les procédés de la chambre seraient dans les deux langues; mais que le français ou l'anglais serait le texte des actes législatifs selon qu'ils auraient rapport aux lois françaises ou aux lois anglaises existantes en Canada.

Note 4:(retour) Lettres sur l'origine des sciences par Bailly.

Dans cette importante question, l'on voit que les membres anglais élus par les Canadiens, trahirent sans hésitation les intérêts et les sentimens les plus intimes de leurs commettans. Ils prouvèrent que leurs opinions de 64 n'avaient point changé, et qu'ils étaient toujours les organes du parti qui ne cessait point de porter contre tout ce qui était catholique et français cette haine aveugle qui a inspiré plus tard l'un de leurs partisans dans le passage suivant: «L'acte de 74 a été injudicieusement libéral envers le clergé et les hantes classes, et celui de 91 envers la masse des Canadiens. Ce dernier en sanctionnant l'existence des lois civiles françaises, en mesurant le libre exercice de la religion catholique et le payement des dîmes, en modifiant le serment fidélité, de manière que les catholiques pussent le prêter, en confirmant aux Canadiens catholiques la propriété de leurs biens avec leurs usages et leurs coutumes, en n'abolissant pas leur langue maternelle et la tenure de leurs terres, en prenant pour base de la répartition du droit électoral, le nombre et ne faisant rien pour les Anglais et la langue anglaise, en ne stipulant pas une liste civile pour le soutien du gouvernement et l'usage exclusif de l'anglais pour la rédaction des lois, enfin en oubliant de limiter la représentation franco-canadienne de manière à la laisser dans la minorité. L'acte de 91 fut la plus grande faute que pouvait faire le gouvernement britannique, puisqu'il s'agissait d'un peuple qui différait de manières, d'habitudes, de coutumes, de religion et de langue d'avec la nation anglaise. 5 La chambre d'assemblée ayant enfin disposé de ces questions brûlantes, put s'occuper avec, plus de calme d'un grand nombre, de projets de loi, dont plusieurs ne paraissaient pas bien pressans comme celui pour le soulagement des personnes en détresse dans les paroisses. Une loi des pauvres peut être bonne dans un pays surchargé de population comme l'Angleterre, mais elle est impolitique dans une contrée dont les trois quarts du territoire sont encore à défricher et à établir. L'acte des écoles de paroisse qui fut présenté était d'une nature bien autrement importante pour l'avenir du pays. Ceux pour la tolérance des quakers et l'abolition de l'esclavage avaient de l'importance plutôt comme déclaration de principe que comme besoin social réellement senti, car les quakers et les esclaves étaient très rares en Canada, l'esclavage dans le fait n'y ayant jamais été admis sous la domination française.