Kitobni o'qish: «Essais d'un dictionnaire universel»
AU ROY
SIRE,
Le plus humble de vos Sujets se prosterne aux pieds de VOTRE MAJESTÉ, & lui demande justice & protection pour ce petit Ouvrage qu'il luy presente. C'est la priére ordinaire que font les Auteurs aux grands Princes dans leurs dédicaces: Mais elle n'a jamais été faite en une plus pressante nécessité. Ce n'est ici qu'un leger essay d'un prodigieux travail qui contient plusieurs gros Volumes. J'ai entrepris une Encyclopedie de la Langue Françoise pour la faire connoître aux Etrangers, & la transmettre dans toute son étenduë à la posterité. Comme son abondance consiste en l'explication des Arts & des Sciences; c'est à quoi je me suis particuliérement attaché, & je les ai compris en un même corps, ce qui n'a point encore été fait en pas une Langue. On peut dire, que jamais ce travail ne pouvoit venir plus à propos, puis que jamais les Arts & les Sciences n'ont été portées à un plus haut point de perfection, que sous le Régne heureux de VOTRE MAJESTÉ. Ses Conquêtes par terre & par mer ont rendu si célébres l'Art de la guerre & de la marine: La magnificence de ses bâtimens a rassemblé tout ce qu'il y a de plus exquis dans les beaux Arts: Ses liberalitez ont établi des Academies florissantes et pour l'avancement des Sciences: Il est donc nécessaire de mettre au jour un Ouvrage qui en puisse expliquer les termes, & en publier les merveilles. Tant de belles Ordonnances qu'a fait VOTRE MAJESTÉ pour le réglement de la Justice, des Finances, de la Marine, de la Guerre, des Eaux & Forêts & du commerce; contiennent des termes inconnus à plusieurs de vos Sujets: & elles pourroient avoir quelque jour le sort des Loix des 12. Tables qui n'étoient plus entenduës à Rome du temps de Jules Cesar. Cependant, SIRE, comme l'envie traverse tous les bons desseins; l'intérêt particulier d'un Libraire, qui a imprimé une petite partie du Dictionaire de l'Academie Françoise, s'oppose à l'impression de celui-ci, quoi qu'il soit entiérement different. Il a gagné quelques-uns de cet illustre Corps que je respecte. Je sçai qu'il a l'honneur d'être sous vôtre protection; Mais je sçai aussi que VOTRE MAJESTÉ ne donne protection à personne que dans la justice, & en connoissance de cause. Je sçai qu'elle a prononcé Elle-même contre ses propres intérêts quand il s'agissoit de plusieurs millions, & que cette action heroïque qui encherit sur celle des Césars, est le sujet du prix de Poësie qui doit être donné cet année. Je n'ay point besoin de combattre cette Compagnie; mais seulement quelques-uns qui veulent prendre avantage d'une clause extraordinaire qu'on a glissée dans un Privilege surpris de M. d'Aligre sur la fin de ses jours. Cette clause porte défenses à toutes personnes de faire aucun Dictionaire François pendant vingt ans, à compter du jour que celui de l'Academie sera imprimé. Elle en a fait à peine la moitié depuis cinquante ans, c'est à dire, que cette défense s'étendra à une grande partie du Siecle futur. D'ailleurs je suis trés-certain que jamais l'intention de VOTRE MAJESTÉ n'a été d'accorder une grace de cette nature, & qu'on ne lui en a jamais fait de remercimens: ce qui montre que ce n'est pas le Corps entier de l'Academie qui l'a demandée, puis qu'elle a fait des députations nombreuses à des personnes fort subalternes pour les remercier de moindres faveurs. On connoît la protection générale que VOTRE MAJESTÉ donne aux Sçavans, & on ne pourra pas croire qu'elle ait voulu ôter à la litterature cette honnête liberté dont elle a joüi dans tous les Siecles & chez toutes les Nations, ni donner une exclusion, qui s'accorde seulement pour des intérêts pecuniaires de Manufactures. L'accroissement des Lettres n'est venu que par l'émulation & la critique des Auteurs, dont le different genie ayant traité les mêmes sujets en differentes maniéres, les ont enfin épuisez. Cela doit avoir lieu particuliérement en matiére de Dictionaires, parce qu'ils ne peuvent jamais contenir assez de mots pour expliquer toutes les choses dont l'étenduë est infinie, de sorte que le moindre peut servir de supplément au meilleur. Enfin, SIRE, toutes les Muses auront grande obligation à VOTRE MAJESTÉ du champ libre qu'elle leur laissera pour s'exercer. Elles reconnoîtront cette faveur par une infinité de Poëmes & de Panegiriques qu'elles feront à sa gloire; moi-même je m'efforcerai de réveiller cette ardeur avec laquelle j'ai chanté autrefois vos victoires de la Franche-Comté, & quoi qu'avec un genie que les ans ont affoibli, je publierai chez tous les Peuples où parviendra nôtre Langue la grandeur de vos exploits, de vos bontez, & de vôtre justice, comme étant,
SIRE,
DE VOTRE MAJESTÉ,
Les trés-humble, le trés-affectionné& le trés-obéïssant serviteur & sujet,FURETIERE.
AVERTISSEMENT
Je vous prie de croire, Mon cher Lecteur, que quand j'ay conçû le dessein de ce grand Ouvrage dont voici un petit essay, ce n'a point été pour entreprendre sur le travail de l'Academie Françoise; je la respecte autant qu'il est possible, & j'ay crû seulement contribuer de ma part au dessein qu'elle a de rendre service au Public. Deux considérations m'y ont obligé, l'une qu'elle n'a pas compris dans son Ouvrage les mots des Arts & des Sciences; ainsi j'ay crû qu'elle ne trouveroit point mauvais que quelqu'un en fît le Supplément. L'autre, que pour satisfaire l'impatience de plusieurs personnes, il étoit nécessaire de leur donner un Dictionaire qui n'est pour ainsi dire que provisionel, & le précurseur de celui qui viendra en Souverain dans une entiére pureté juger tous les mots vieux & nouveaux, & interposer son autorité pour les faire valoir; je lui laisse sa jurisdiction toute entiére, & ne prétens rien décider sur la Langue. Je lui offre cet Ouvrage comme de simples mémoires qui lui pourront servir pour achever la derniére partie de son travail, & pour remplir les omissions de la premiére.
Cependant j'ay appris que quelques-uns prétendent revendiquer quelques phrases communes, figurées & proverbiales qui ne sont ici employées que par nécessité pour servir de passage & de liaison, ou pour arrondir le globe de cette Encyclopedie de la langue que je me suis proposée. Je ne les employe que comme on fait le ciment pour lier les pierres d'un grand édifice, & je prétens n'avoir rien emprunté du Dictionaire de l'Academie, ni de ce qui lui peut appartenir en propre.
Le seul moyen de faire connoître cette verité, c'est la conference de ces deux Dictionaires, ou du moins d'un semblable Essay. Le Public en sera le juge, du moins on ne peut pas me reprocher d'en avoir rien pris depuis les lettres O & P qui ne sont pas encore faites. L'uniformité qui est en tout mon Ouvrage fera voir clairement que je n'ay pas eu besoin du Dictionaire de l'Academie pour faire les premiéres lettres, puisque sans son secours j'ay bien fait les derniéres; celles-ci pourront donner un beau champ pour exercer un droit de represailles, s'il y avoit lieu, puisqu'on y trouvera bien plus à prendre que ce qu'on pourroit prétendre que j'aurois pris. J'espere néanmoins que la seule vûë de ces deux Dictionaires fera paroître tant de difference entre l'un & l'autre, que ceux qui se donneront la peine d'en faire la conference trouveront que celui-ci n'a aucun rapport avec celui de l'Academie.
A
A. Premiere lettre de l'Alphabet François, & de toutes les autres Langues. Chez les Occidentaux cette lettre prend son nom de l'expression du son qu'elle fait. Chez les Grecs on la nomme Alpha: chez les Hebreux Aleph: chez les Pheniciens Alioz; & chez les Indiens Alepha. C'est aussi le premier son articulé que la Nature pousse, & celuy qui forme le premier cri & le bégayement des enfans. D'où vient que Jeremie répondant à Dieu qui le destinoit pour son Prophete, luy dit: A, a, a, Seigneur je ne sçay pas parler, parce que je suis un enfant. Hierem. cap. 1.
C'est aussi ce qui exprime presque tous les mouvemens de nôtre ame, & pour rendre l'expression plus forte, on y ajoûte une h devant ou aprés, comme dans l'admiration: Ha le beau tableau! Dans la joye: Ha quel plaisir! Dans la colere: Ha méchant! Dans la douleur: Ha la tête! Dans la pâmoison: Ha je me meurs! Dans le mouvement: Ha lévrier! Et generalement ce mot exprime toutes les palpitations de cœur, comme il paroît en ceux qui ont la courte haleine. Ciceron appelle l'A lettre salutaire, parce que c'étoit la marque d'absolution.
Cette lettre forme souvent un mot entier, & est quelquefois article du Datif pour décliner les noms & les pronoms: Ce livre est à Pierre, à Agnés. Quand il sert à décliner des noms ordinaires, s'ils commencent par des consones, on dit au, comme, Au soleil: si c'est par une voyelle, on y ajoûte une l au masculin, ou la au feminin: A l'homme, A la femme; Et au plurier on dit en tous cas, aux, comme: Aux Alexandres, Aux Muses, Aux Animaux.
A est quelquefois preposition. Il est à la ville, aux champs: Cela est à la mode.
A est le plus souvent adverbe, non seulement de temps & de lieu, comme, Cela vient à tard, Cela est à terre: mais encore il se joint à presque tous les mots de la Langue pour faire des phrases adverbiales, qui tiennent de leurs significations & de leurs maniéres: Venir à chef, Etre à couvert, à discretion, &c.
A se joint aussi aux infinitifs des verbes pour faire des phrases adverbiales: Donner à boire & à manger: Un maître à écrire: On fait à sçavoir: Au pis aller.
A se dit aussi dans les temps du verbe auxiliaire Avoir: Il a gagné cent écus: Il a fait: Il a dit: Il a le temps & l'argent.
A est souvent une particule indéclinable qui sert à la composition de plusieurs mots, & qui augmente, diminuë, ou change leur signification. Quand elle s'y joint, elle fait doubler ordinairement la consone qu'ils ont à la tête, comme Accorder, Addonner, Affaire, Assujettir, Attrouper, &c.
Cette lettre A étoit aussi chez les Anciens une lettre numerale qui signifioit 500. comme on voit dans Valerius Probus. Il y a des vers anciens rapportez par Baronius, qui marquent les lettres significatives des nombres, dont le premier est tel:
Possidet A numeros quingentos ordine recto.
Quand on mettoit un titre, ou une ligne droite au dessus de l'A, il signifioit cinq mille.
ABBÉ. s. m. ABBESSE. s. f. Superieur ou Superieure d'une Abbaye d'hommes ou de filles. Il y a trois sortes d'Abbez: Régulier, Séculier, Commendataire. Ce mot vient de ce que les premiers Moines appellerent leur Superieur Ab-bot, qui en Langue Syriaque signifie Pere. Ainsi ces mots de Abba Pater, qu'on trouve dans les Epitres aux Romains & aux Galates, & ailleurs, qui semblent dire la même chose, ne font pas pourtant un pleonasme, comme dit S. Augustin, veu que l'un est un nom de nature, & l'autre de dignité. D'autres disent qu'il vient du mot Hebreu Aba, qui signifie aimer, vouloir du bien. Covarruvias.
Chez les Ecrivains Grecs & Latins on appelloit Abbez, ceux que nous appellons maintenant Peres, qui étoient vénérables par leur âge & par leur sainteté. On a aussi compris sous ce nom généralement tous les Moines. Ainsi il est dit dans la Régle de S. Colomban, qu'il y avoit mille Abbez sous un Chef; & S. Epiphane fait mention d'un monastere, où il y avoit mille Abbez & mille cellules. On a appellé aussi Abbé second, le Prieur d'un monastere, qui est le Lieutenant de l'Abbé. On a appellé aussi en Sicile des Evêques Abbez & trés-souvent les Curez primitifs de France. On a appellé aussi Abbé du Palais le Maître de la Chapelle du Roy. Voyez du Cange. Les Abbez mitrez sont ceux qui ont droit de porter les ornemens Episcopaux, comme la mitre, les sandales, les gands, l'anneau & la crosse; ce qui leur a été accordé par privilege des Papes: & pour les distinguer des Evêques. Clement IV. ordonna que les Abbez Exempts porteroient des mitres brodées, mais sans pierreries & sans lames d'or & d'argent; & les non-Exempts, des mitres blanches & toutes unies.
Abbé s'est dit aussi de quelques Magistrats ou personnes laïques & séculiéres. Chez les Gennois il y avoit un principal Magistrat qu'on appelloit Abbé du Peuple. En France il y a eu plusieurs Seigneurs, sur tout du temps de Charlemagne, à qui on donnoit le soin & la garde des Abbayes, qu'on appelloit Abbacomites.
Dans les anciens titres on trouve que les Ducs & les Comtes ont été appellez Abbez, & les Duchez & Comtez Abbayes; & plusieurs Seigneurs & Gentils-hommes qui n'étoient aucunement Religieux, ont aussi pris ce nom, comme remarque Ménage, aprés Fauchet & autres.
On appelle aussi Abbé celuy qu'on élit en certaines Confrairies & Communautez, particuliérement entre les Ecoliers & les Garçons Chirurgiens, pour commander aux autres pendant un certain temps: & c'est de là apparemment qu'est venu le jeu de l'Abbé, dont la régle est, que quand le premier a fait quelque chose, il faut que tous ceux qui le suivent, fassent le semblable.
Abbé se dit proverbialement en ces phrases: On vous attendra comme les Moines font l'Abbé; c'est à dire, en travaillant toûjours, en commençant toûjours à dîner. On dit encore: Pour un Moine on ne laisse pas de faire un Abbé; pour dire que l'opposition d'un particulier n'empêche pas la déliberation d'une Compagnie, ou la conclusion d'une affaire. On dit en proverbe Espagnol: Como canta el abad responde al monazillo; pour dire que les inferieurs tiennent le même langage, ou sont de même avis que les Superieurs. On appelle aussi Abbez de sainte Esperance, ceux qui prennent la qualité d'Abbez, sans avoir d'Abbaye, & quelquefois même de Benefice.
ABINTESTAT. Terme de Jurisprudence, qui se dit de celuy qui herite d'un homme qui n'a point fait de testament: Ce fils est heritier de son pere abintestat. Il y a eu un temps où on privoit de sepulture ceux qui étoient décédez abintestat: ce qui donna lieu à un Arrest du 19. Mars 1409. portant défenses à l'Evêque d'Amiens d'empêcher, comme il faisoit, la sepulture des décédez abintestat.
ABYSME. s. m. gouffre profond où on se perd, dont on ne peut sortir: Il y a de profonds abysmes dans ces montagnes, dans ces rochers, dans ces mers, dans ces rivieres: Cette ville est fonduë en abysme. Ce mot vient du Grec batos, qui signifie la mer profonde, d'où est venu aussi le mot de bas & abaisser. Borel.
Abysme se dit figurément en Morale des choses où la connoissance humaine se perd, quand elle raisonne: La Physique est un abysme, on ne peut pénétrer dans les secrets de la Nature: Les Jugemens de Dieu, les mystéres sont des abysmes dont on ne peut sonder la profondeur.
Abysme se dit absolument des Enfers: La rebellion des Anges les fit précipiter dans l'abysme. Qui pourra mesurer la profondeur de l'abysme? On dit aussi: C'est un abysme de maux, de souffrances, de malheurs.
Abysme se dit aussi de ces dépenses excessives, dont on ne peut juger avec certitude: On ne peut certainement régler la dépense de la Marine, c'est un abysme: La dépense de cette maison est excessive, c'est un abysme. On dit en proverbe qu'un abysme attire l'autre, quand d'un mal on tombe en un plus grand.
Abysme, terme de Blason, est le cœur ou le milieu de l'Ecu. Il faut que la piéce qu'on y met, ne touche & ne charge aucune autre piéce, telle qu'elle soit. Ainsi on dit d'un petit Ecu qui est au milieu d'un grand, qu'il est mis en abysme: Il porte trois besans d'or avec une fleur de lys en abysme. Et tout autant de fois qu'on commence à blasonner par toute autre figure que par celle du milieu, on dit que celle qui est au milieu, est en abysme, comme si on vouloit dire que les autres grandes piéces étant élevées, celle-là paroît petite, comme cachée & abysmée.
Abysme est aussi un vaisseau fait en prisme triangulaire renversé, qui sert aux chandeliers à fondre leur suif & à faire leur chandelle, en y trempant plusieurs fois leur mesche.
ABYSMER. v. act. Jetter dans un abysme, y tomber, se perdre, se noyer: Les Ouragans abysment les vaisseaux: Ce terrain s'est abysmé, il y avoit dessous une carriere.
Abysmer se dit figurément en Morale: Les gros interêts ont abysmé ce marchand: Ce chicaneur a abysmé sa partie, il l'a ruinée de fonds en comble: Il a abysmé cet homme-là. Il se dit plus ordinairement avec le pronom personnel, & plus au figuré qu'au propre: Il est abysmé dans la douleur: Cet homme a si mal fait ses affaires, qu'il s'est abysmé: Cette famille est abysmée, elle ne se relevera jamais: C'est un contemplatif qui s'abysme dans ses pensées, qui extravague.
AGATE. s. f. Pierre précieuse, en partie transparente, & en partie opaque. Il y en a de plusieurs couleurs; ce qui lui a fait donner divers noms chez Pline & les autres Auteurs. Il y en a qui imitent la couleur de la cornaline; d'autres qui ont des veines fort rouges & fort blanches. On en a vû qui ont representé sept arbres tout entiers. Les Agates Sardoines sont de trois couleurs: les vrayes sont entiérement rouges qu'on fait passer pour la Carneole, comme ayant une petite teinture de couleur de chair mêlée de brun: il y en a d'autres moindres, qui sont en partie mêlées de rougeur, comme celle de sang; & les derniéres le sont d'un rouge tirant sur le jaune. L'Agate Sardonix est composée de la sardoine & de l'onix, & a une couleur sanguine & distinguée de cercles ou zones, qui semblent y avoir été peints par artifice, & quelquefois mêlée d'une blancheur surprenante. Pline, Strabon & Ciceron disent que la bague de Polycrate étoit de Sardonix; ce qui ne s'accorde pas avec ce qu'on dit de Mithridate, qui avoit quatre mille vases de cette même pierre: car ou cette bague n'auroit pas été de grand prix, ou ces vases d'un prix excessif.
Les Agates Onix sont toutes opaques, de couleur blancheâtre & noire, tellement distinctes, qu'on croiroit qu'elles y ont été appliquées par art. Les Agates Onix Sardonix sont celles où il se rencontre trois couleurs differentes, & néanmoins unies ensemble. On en a ruiné les mines; & celles qui se trouvent à present grandes & parfaites, n'ont point de prix. La couche du milieu est propre pour exprimer la carnation du visage; celle de dessus qui est Sardoine ou couleur de pourpre, donne la couleur aux vêtemens; & le dessous est d'une autre couleur propre pour faire le fonds, qui détache les deux premieres, & fait un ouvrage merveilleux suivant la science du Graveur. Pyrrhus avoit une Agate où étoient representées les neuf Muses & Apollon.
L'Agate Calcedoine est à demy opaque, & à demy transparente, & le plus souvent de couleur de rose remplie de certain nuage. Il y en a d'entiérement blanches, qui sont les plus rares.
Les Agates d'Egypte sont dures, rouges, & entremêlées de bleu & de blanc. Quand elles sont dans leur perfection, elles ont des couleurs semblables à l'Iris, & sont les plus estimées d'entre les Agates.
L'Agate Romaine ne tient rien de celle d'Orient, & il y en a de plusieurs couleurs differentes qui les ont fait nommer differemment. On en faisoit autrefois ces vases Myrrhins si fameux dans l'Antiquité, qui avoient diverses couleurs, & qui representoient diverses figures.
Il se trouve aussi des Agates en Allemagne, en Pologne & en Dannemark, dont quelques-unes ont disputé le prix aux Orientales.
Les Anciens parlent aussi d'une Agate rouge comme du corail, mouchetée de points d'or, qu'on trouve en Candie, qu'on a nommée Sacrée, parce qu'elle préserve du venin des scorpions & des araignées. On a fait de tout temps des cachets d'Agate, parce que cette pierre ne retient point du tout la cire. Les Tireurs d'or brunissent l'or avec une Agate. Pline dit que les premieres Agates furent trouvées en Sicile le long du fleuve Achates, qu'on nomme aujourd'huy le Canthera; ce qui leur a donné le nom d'Agates.
AILE. s. f. La partie de l'oiseau qui l'éleve ou qui le soûtient en l'air, quand elle est étenduë: L'aigle est un oiseau qui vole à tire d'aile: Les faucons se tiennent long-temps sur aile: Ils ont l'aile vîte, trenchante, l'aile forte, l'aile entiére. On dit aussi: Faire voir en aile l'oiseau: Le mettre en aile: Voler de belles ailes: La chauve-souri n'a point de plumes à ses ailes: Les poussins sont encore sous l'aile de la mere. En ce sens il vient du Latin Ala.
Aile se dit aussi de cette partie charnuë qui s'étend de l'estomach à la cuisse dans les volailles qu'on mange: Une aile de chapon, de perdrix: Il y en a qui préférent la cuisse à l'aile.
Aile en termes d'Anatomie se dit de plusieurs parties du corps, & premiérement les lobes du foye s'appellent souvent ailes ou ailerons. On appelle ailes & ailerons des chairs molles & spongieuses, qui sortent de la partie naturelle des femmes, que quelques-uns appellent Nymphes ou Dames des eaux, parce qu'elles servent aux conduits de l'urine. On appelle aussi ailes ou ailerons les deux cartilages qui sont aux côtez du nez, & qui forment les narines; pareillement on appelle aile ou aileron le haut de l'oreille.
L'Aile en terme de Blason, quand elle est seule, s'appelle un demy vol; & lorsqu'il y en a deux, s'appelle un vol: ce qui se dit de quelque oiseau que ce soit.
On appelle au Manége ailes, ces piéces de bois qu'on met aux côtez de la lance pour la charger vers la poignée.
Aile en termes de Botanique se dit des branches ou des feuïlles, qui poussent à côté l'une de l'autre sur les tiges des arbres ou des plantes: d'où est venu le nom d'Alaternus.
Aile se dit aussi d'un moulin à vent: ce sont ces grands chassis couverts de toile où le vent s'engouffre pour les faire tourner, qu'on appelle autrement volants.
Les Ouvriers nomment aussi les ailes d'une fiche ou couplet, ces deux petits morceaux de fer mobiles par le moyen de leurs charnieres, qui servent à soûtenir & à faire mouvoir des portes ou des fenêtres, ou des volets brisez. Ils appellent ailes de lucarne les deux côtez qui posent sur les chévrons, & qu'on appelle autrement Joüées de la lucarne. Les vitriers appellent encore ailes ou ailerons ces petites extrêmitez du plomb, qui sert à engager les losanges de verre dans les panneaux des vitres, & à les y tenir fermes.
Aile se dit figurément en choses morales & spirituelles, & signifie protection, tutelle: C'est une fille d'honneur qui a toûjours été élevée sous l'aile de la mere; & sur tout en Poësie: Cache-la sous ton aile au jour épouventable, dit Desportes en parlant à Dieu en faveur de l'ame pécheresse. Malherbe a dit aussi: Et son ame étendant ses ailes fut toute prête à s'envoler. On dit aussi: La peur luy a mis des ailes aux talons; pour dire, l'a fait fuir en diligence: On peint Mercure avec des ailes aux talons: L'amour luy prêtera ses ailes: On en donne aussi au Cheval Pegase, aux vents & autres choses semblables, &c. On dit encore poëtiquement: Son nom volera sur les ailes de la Renommée: Sur l'aile des beaux vers; pour dire que sa réputation ira bien loin. On dit aussi: Sur l'aile des zephirs.
On donne aussi figurément des ailes aux Cherubins & aux Anges: Les Cherubins devant Dieu se couvrent la face de leurs ailes: Ils couvroient l'Arche de leurs ailes.
On appelle les ailes d'un bâtiment, ce qu'on bâtit à droit & à gauche, pour accompagner le principal corps de logis, & faire les deux côtez de la cour: Ce bâtiment est imparfait, il n'y a qu'une aile de bâtie. On appelle aussi ces ailes, bras ou potences.
On appelle aussi ailes dans les Eglises ce qui est à droit & à gauche de la croisée, & quelquefois tout le tour des bas côtez, ou des petites voutes qui sont à côté de la grande: Le portail de l'aile droite plus beau que celuy de la gauche: On n'a bâti que le Chœur, on va bien-tôt travailler aux ailes.
Aile se dit en termes de guerre des deux extrêmitez d'une armée rangée en bataille: L'Aile droite fut la premiere rompuë: La Cavalerie se met sur les ailes. En ce sens ce mot vient de alauda selon Bochart, qui signifioit une Legion Gauloise, ainsi nommée à cause de la figure des casques que portoient les soldats qui étoient crêtez comme des allouëttes. On dit que Pan, l'un des Capitaines de Bacchus, a été le premier inventeur de cette maniére de ranger une armée en bataille: d'où vient que les Anciens l'ont peint avec des cornes à la tête, parce qu'ils appelloient cornes ce que nous appellons les ailes.
Aile se dit aussi des deux côtez de chaque bataillon ou escadron; des derniéres filles: Les picquiers sont rangez au milieu, & les mousquetaires sur les ailes: On a commencé à défiler par l'aile droite. Les manches d'un bataillon sont aussi ses ailes.
Aile se dit aussi dans le discours ordinaire, de ceux qui marchent à côté; & un peu à l'écart, pour donner secours au besoin: Il sembloit que ce Prevost marchât seul, mais il y avoit plusieurs Archers sur les ailes pour l'assister.
Aile se dit aussi en termes de fortification du flanc d'un bastion, & plus ordinairement des longs côtez d'un ouvrage à corne ou à couronne, qui sont flanquez par quelque endroit de la place, par quelque dehors ou travail particulier.
Aile se dit proverbialement en ces phrases: Cet homme ne bat plus que d'une aile; pour dire que son crédit, sa fortune, son esprit, sont diminuez, & qu'il n'en peut plus: On luy a tiré une plume de son aile; pour dire qu'on luy a arraché quelque chose de son bien: qu'On en tirera pied ou aile; pour dire qu'on tirera quelque chose d'une affaire, & qu'on ne perdra pas tout: On luy a rogné les ailes; pour dire qu'on a retranché de son autorité, de ses richesses. On dit d'un téméraire, qu'Il a voulu voler avant que d'avoir des ailes, qu'Il n'a pas encore l'aile assez forte; pour dire qu'il a commencé trop tost quelque entreprise au dessus de ses forces. On dit d'un homme malheureux, qu'Il en a dans l'aile, pour dire qu'il luy est arrivé quelque accident fâcheux, ou bien qu'il a passé les 50. ans qu'on marque avec une L.
Ailé, ée. adj. qui a des ailes: Pegase est un cheval ailé. Les Poëtes appellent les oiseaux, les peuples ailez: Les papillons, les cigales sont des insectes ailez: Il y a des poissons ailez qui sont fréquens sur l'Ocean Athlantique.
En termes de Blason on appelle un oiseau ailé, quand ses ailes sont d'une autre émail que son corps. On appelle aussi ailé tout ce qui est peint avec des ailes, quoy que contre sa nature, comme un cerf ailé, un cœur ailé, des dragons, des serpens ailez, une main ailée, une tête de leopard ailée, une bande ailée, &c.
ALGEBRE. s. f. science qui sert à éclaircir, à étendre & à perfectionner l'Arithmetique, la Geometrie & toutes les sciences mathematiques. Quelques-uns l'ont définie, l'Arithmetique des nombres figurez, comme a fait Salignac de Bordeaux, qui en a fait un sçavant Traité. Elle considere les grandeurs, & s'applique aux nombres, aux lignes, aux figures, aux poids & aux vîtesses des mouvemens, tant en general qu'en particulier, en faisant abstraction de toutes matiéres: de sorte qu'on la pourroit appeller une Geometrie metaphysique. L'idée en a été prise sur la Régle qu'on appelle de fausse position en Arithmetique: car en operant sur une supposition incertaine, ou même fausse, elle fait connoître des veritez infaillibles & démontrées. Il y a deux especes d'Algebre: la premiere est la supputation des chiffres & des nombres avec des especes ou des lettres; la seconde est l'Analyse ou l'art de résoudre les questions, & de découvrir les veritez generales des Mathematiques. Ménage dérive ce mot de l'Arabe Algebra, qui signifie le rétablissement d'un os rompu, de la racine Giabarra, supposant que la principale partie de l'Algebre, est la consideration des nombres rompus: il y a apparence qu'il se trompe, & qu'il a pris l'origine d'un autre mot Espagnol Algebrista, qui signifie un Renoüeur de membres disloquez, que nous appellons en France un Balleüil: car la fraction n'a rien de commun avec l'Algebre, qui ne considere pas plus les nombres rompus que les entiers, & qui même exprime ses puissances par des lettres, qui ne sont pas susceptibles de fractions. Il est vray que le mot Algebre est un mot Arabe, mais il est primitif de la langue, & il luy a été donné par son auteur qui étoit Arabe. Cardan dit qu'il se nommoit Mahomet fils de Moïse, & il le met au 9. rang des 12. plus excellens hommes, qu'il a choisis dans l'Antiquité pour la subtilité de leur esprit. Mais Scriverius en attribuë l'invention à Diophante Auteur Grec, dont Regiomontanus a recueilli 13. livres, qui ont été commentez par Gaspard Bachet, sieur de Meziriac, de l'Academie Françoise.
Les notes de l'Algebre sont telles:
+ signifie plus: ainsi 9 + 3 veut dire 9 plus 3.
− signifie moins: ainsi 14 − 2 veut dire 14. moins 2.
= est la note de l'égalité: ainsi 9 + 3 = 14 − 2 veut dire, neuf plus trois est égal à 14. moins deux.
:: Les quatre points entre deux termes devant & deux termes aprés, marquent que les quatre termes sont en proportion géometrique: ainsi 6. 2 :: 12. 4. veut dire, comme 6 est à deux, ainsi 12 est à quatre.
÷÷ est la note d'une proportion continuë. ÷÷ 3. 9. 27. veut dire que trois est autant de fois dans neuf, comme neuf dans 27.
: Ces deux points au milieu marquent la proportion arithmetique entre ces nombres. 7. 3: 13. 9. veut dire, 7. surpasse 3. comme 13. surpasse 9.
÷ Cette note marque la proportion arithmetique continuë: ainsi ÷ 3. 7. 11. veut dire, 3 est surpassé de 7. autant que 7. par 11.
Deux lettres ensemble marquent une multiplication de deux nombres ou grandeurs: ainsi b d est le produit de deux nombres, comme 2. & 4. dont le premier s'appelle b, & l'autre d.
V signifie racine, ainsi V4, c'est à dire, la racine de 4, qui est 2, lequel multiplié par lui-même fait 4.
On dit proverbialement quand quelqu'un n'entend rien à quelque chose qu'il lit, ou qu'il écoute, que C'est de l'Algebre pour luy.
ALKALI. s. m. terme de Chymie & de Physique. C'est un sel vuide & poreux disposé à se joindre facilement à tous les acides. C'est par son moyen que les Chymistes rendent facilement la raison de la composition de tous les corps naturels, & la font voir par des experiences sensibles. Ils comparent ce sel à une terre vuide qui auroit été aux trois premiers jours du monde, avant qu'elle fut allumée par les rayons du soleil, qui s'étant incorporez dans cet Alkali, ont fait ensemble tous les corps sublunaires. L'acide donne les deux qualitez mâles, le chaud & le sec; & l'Alkali les feminines, le froid & l'humide: ce qui a donné lieu à plusieurs beaux Traitez des Philosophes modernes, entre autres d'Otho Takenius, qui dans son Hippocrates Chymicus en a écrit des premiers fort sçavamment; de Bernard Swalue Medecin, dans le Combat de l'Art & de la Nature; & aux Entretiens de François André Medecin de Caën, sur l'Acide & l'Alkali. Ce mot est Arabe, & vient de al, qui signifie sel, & de kali qui est une herbe que nous appellons soude. Et parce que son sel a la propriété d'absorber & de mortifier les acides, & de s'en impreigner plus facilement que les autres, on a appellé tous les sels de cette nature, sels Alkali, quelques-uns l'appellent autrement, alun Catin. Le tartre est le plus fort de tous les sels Alkali, & quand il est mêlé avec l'esprit de vitriol qui est un fort Acide, ils font une soudaine ébullition & coagulation, qui de liquides qu'ils étoient, font un corps solide. Les Philosophes proposent cette union comme un exemple general de la composition de tous les corps, qui se fait par les acides & les Alkali, à cause de la grande alteration qui arrive à la saveur & aux autres qualitez de ces sels unis. Il faut remarquer que leur effervescence & leur action cesse, lorsqu'ils se sont réciproquement pénétrez & rassasiez les uns des autres, car elle n'arrive plus par quelque addition qu'on puisse faire de l'un ou de l'autre, lors qu'ils sont proportionnellement unis. Ordinairement on appelle sels Alkali, tous les sels lexiviaux & artificiels qui se tirent des plantes.