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Kitobni o'qish: «Un tuteur embarrassé», sahifa 4

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XIII

"Sérieusement, je vais devenir une grande sainte, et je crois que j'en prends le chemin; doucement, il est vrai, mais j'y arriverai.

Voici, pour le moment, mon règlement de vie, moins difficile dans la forme que celui du couvent des Auxiliatrices du Bien, mais malaisé au fond quand on vit dans le monde.

Lever: Huit heures en hiver. Toilette sommaire. Sept heures et demie en été.

Et même, pourquoi pas sept heures?

Puis, travail."

Nous devons à la vérité de dire que ce programme fut suivi deux jours par celle qui l'avait tracé, avec l'intention formelle de le respecter ponctuellement.

Que voulez-vous? On n'est pas parfait.

Toute la famille étant au courant de la chose, à la fin de la semaine, Gui fit observer d'un air affligé qu'Odette avait mauvaise mine.

– C'est sans doute de se lever trop tôt, ajouta-t-il ingénument.

Il n'ignorait pas que Jeanne et Blanche avait dû, un peu avant neuf heures, aller relancer dans son lit leur cousine qui dormait à poings fermés.

Le piano fut étudié à peine vingt-cinq minutes, et "très sérieusement": des valses, le ballet de Coppélia et les Cloches de Corneville au lieu de Beethoven et de Haydn.

Quatre points en tout et pour tout allongèrent considérablement la broderie commencée un an auparavant par Mlle d'Héristel.

Par exemple, elle sortit beaucoup, tantôt avec ses tantes, tantôt avec ses cousines, plus souvent avec Euphranie.

Elle rentrait toujours les mains pleines de menus paquets, présents destinés à son entour, car elle était libérale.

Les tantes ne manquaient jamais de fleurs, ses cousines de colifichets, les hommes de cigares ou cigarettes.

Personne n'osait lui faire de reproches sérieux sur sa prodigalité; seul, Robert secouait parfois les épaules et murmurait:

– Cette petite sème l'argent comme si elle était millionnaire.

Un jour, il fit observer à la pupille de son père qu'elle ne resterait peut-être pas toujours riche et qu'il serait bon pour elle d'apprendre à réprimer ses fantaisies.

Elle lui rit gentiment au nez pour toute réponse.

Gui lança, riant aussi:

– Pauvre Nénette! elle qui ne dépense pas le quart de ses revenus.

Le père et le fils aîné échangèrent alors un regard que Mlle d'Héristel saisit au passage et qui la rendit pensive un instant.

Que voulaient-ils se dire par là?

Depuis longtemps, les soupçons qui avaient travaillé sa petite cervelle, après le sommeil semblable à la mort dont elle avait été victime, ne hantaient plus son esprit.

Pour le moment, tout allait bien.

Les jeunes filles vivaient en paix, comme trois soeurs; Mme Samozane traitait sa nièce comme ses propres enfants; tante Bertrande ne grondait pas trop.

Gui était amusant; Robert exquis.

Seul, l'oncle Valère avait souffert de la mauvaise saison; il toussait et avait un peu d'asthme.

Il dit mélancoliquement un jour, en se mettant à table, qu'il ne se sentait plus bon à rien, pas même à gouverner une endiablée pupille et que… si Robert voulait bien…

Robert voulut bien et se chargea, à la place du père impotent, de conduire tout ensemble les intérêts de Mlle d'Héristel dans une voie raisonnable, et Mlle d'Héristel elle-même.

Quant à Odette, on ne lui demanda pas son avis.

– Tu vas perdre au change, cousinette, lui dit Robert en souriant.

– Qui sait? fit-elle d'un geste coquet de sa mignonne tête.

Gui pouffait de rire dans sa serviette tout en offrant ses condoléances à son frère.

XIV

Il arriva cependant que, ainsi que l'avait si pittoresquement dit le fils cadet de Samozane, la tutelle de Mlle d'Héristel devint pesante au nouveau tuteur, expérimenté peut-être, mais enclin à la faiblesse, à l'indulgence envers la pupille.

Comme nous l'avons dit, la fortune d'Odette, sagement placée pourtant, courait des risques sérieux à cause d'un procès intenté aux d'Héristel par un parent éloigné, qui n'avait peut-être pas de prétentions tout à fait illégitimes.

Un legs fait jadis au père de la jeune fille, enrichissant tout d'un coup celui-ci, avait été rédigé maladroitement; c'était ce manque de formes exigibles qu'évoquait le demandeur pour faire casser le testament et pour, du même coup, déposséder l'héritière.

Or, toujours pour ne pas ternir la joyeuse sérénité de cette insouciante enfant, personne ne lui en parlait, ce qui était un tort.

"Il sera toujours temps de lui apprendre l'étendue de son malheur, si malheur il y a, quand la catastrophe aura eu lieu, disait Robert."

Sans l'approuver totalement, tout le monde faisait comme lui; du reste, qui donc eût causé "affaires" avec Odette? Dès qu'on énonçait des chiffres devant elle, elle se sauvait en se bouchant les oreilles.

– Seulement, disait assez sensément Mme Samozane, apprenons-lui à modérer ses caprices et à réfréner ses dépenses. Si jamais la pauvre petite se voit réduite à la portion congrue (ce qui lui reviendrait de sa mère est si peu de chose: quinze cents francs, peut-être), elle en souffrira beaucoup, n'étant pas accoutumée à l'économie.

Ce serait lui rendre service que de lui insinuer d'avance que toute fortune est sujette à des fluctuations et à des revers.

– Bah! fit Gui, aussi insouciant que sa cousine, pour lui comme pour les autres; la sécurité présente est déjà beaucoup; qu'elle y croie donc le plus longtemps possible, c'est toujours cela de gagné sur l'ennemi.

Et l'on commit la faute grave de laisser Odette vivre en petite princesse, choyée, gâtée, admirée et réellement aimable avec sa jolie frimousse et ses répliques jamais banales.

S'apercevait-elle, même, que la petite pension mensuelle attribuée à ses menus plaisirs avait diminué? Mon Dieu! non; se voyant arrivée plus vite au fond de sa bourse, elle se figurait avoir dépensé davantage.

XV

"La petite fête des Riserol a eu lieu, très réussie à ce qu'ils disent tous; mais je n'en ai pas été satisfaite comme je me le figurais.

Je ne suis cependant pas encore blasée sur ce genre de plaisir, moi qui commence à peine "à sortir", pour parler le langage d'aujourd'hui.

D'abord, j'espérais que tous les messieurs seraient fous de ma robe, et je crois que beaucoup l'ont regardée comme si elle était en simple calicot; comme si, également, Mlle d'Héristel ne valait pas la peine d'être un peu admirée.

Pourtant, depuis que je suis sortie du couvent, (que j'y enlaidissais, Seigneur!) je n'ai plus les mains rouges, ce qui est un point capital.

Je suis obligée d'avouer que, si je ne les recherche pas, ce qui est indigne d'une femme intelligente et comme il faut, je ne crains pas les compliments.

Or, l'autre soir, ils ne sont pas tombés en masse sur ma personne, les compliments. A quoi donc servait alors ma jolie robe moirée? Moi qui l'avais achetée fort cher, non seulement pour taquiner ma tutrice et savourer la douceur du fruit presque défendu, mais aussi parce que sa teinte m'allait… comme un gant.

Encore une fois, c'était bien la peine: Robert ne l'a pas même regardée, lui dont j'estime le jugement, car il a un goût sûr et délicat.

Il ne fait donc plus attention à moi?..

Peut-être que chez les Riserol il a découvert une autre héritière plus riche que Mlle d'Héristel.

Dieu! que je suis méchante et que voilà une phrase que je voudrais effacer! Comment puis-je avoir de telles idées?

Mlle Dapremont et Miss Hangora, qui ne se quittent toujours pas, étaient chez les Riserol, l'une en foulard paille, l'autre en bleu vif.

On la trouve jolie, cette chère Antoinette; moi, c'est drôle, je ne me sens pas portée à tant d'indulgence pour sa personne.

Il faut avouer que sa robe paille lui allait bien.

Robert le lui a peut-être dit, lui qui n'a pas soufflé mot de la mienne."

XVI

Euphranie et Mlle Dapremont étaient décidément destinées à jouer un rôle néfaste auprès de Mlle d'Héristel; l'une involontairement, par pure ignorance ou par bêtise; l'autre, mue par le secret désir de détacher Odette de Robert sur lequel elle avait jeté son dévolu.

Non qu'elle fût réellement une méchante fille; mais la meilleure ne devient-elle pas un peu cruelle dès que son coeur est en jeu?

Or, depuis quelques mois, Antoinette trouvait Robert Samozane fort à son goût; elle possédait une dot modeste et le jeune homme n'avait d'autre fortune que celle qu'il gagnerait par son labeur et son intelligence vraiment remarquable.

Mais, Mlle Dapermont n'avait pas les penchants coûteux d'Odette d'Héristel; de plus, elle se jugeait elle-même fort au-dessus de "cette petite fille" étourdie et vaine, donc fort incapable de faire le bonheur d'un homme sérieux.

– Tout au plus, serait-elle bonne pour ce pauvre Gui qui mérite encore mieux, se disait-elle en voyant ces deux fous rire et jouer ensemble comme des enfants.

Chaque année, aux vacances, les Samozane louaient une modeste villa en pleine campagne, pas trop loin de Paris cependant, où les jeunes filles, anémiées par les chaleurs estivales, reprenaient des couleurs et de l'appétit, où les jeunes gens se reposaient de leurs travaux de l'année.

Mlle Dapremont s'y était vu inviter, ou plutôt s'y était fait inviter quelques jours, et elle remarquait, avec une secrète joie, que Robert semblait plus assidu auprès d'elle que l'an dernier.

Cela n'était pas, en réalité; ou, du moins, l'aîné des Samozane souvent retenu au dedans par des pluies fréquentes de ce mois d'août-là, prenait plaisir à écouter la musique que faisait Antoinette. Meilleure pianiste, (sans être d'une grande force), qu'Odette d'Héristel et que les demoiselles Samozane, médiocres en tout, elle s'appliquait adroitement à jouer les morceaux préférés du jeune homme en même temps que ceux où elle pouvait briller sans trop de peine.

Eh! mon Dieu! pourquoi Robert, qui aimait la musique et qui en était un peu sevré chez lui, n'eût-il pas goûté celle de cette femme complaisante et sensée, comme il paraissait goûter ses entretiens généralement sérieux?

C'est ce que, adroitement, la belle Antoinette avait soin d'insinuer à Odette, quand elle pouvait saisir cet oiseau farouche.

Un jour, Mlle d'Héristel interrogea Euphranie au sujet de leur invitée.

La vieille femme, maladroite sans le vouloir, s'écria:

– Je serai contente quand cette demoiselle sera loin d'ici et ne fera plus le joli coeur auprès de M. Robert.

– Sans doute qu'elle plaît à mon cousin, fit Odette avec un soupir. Et puis, tu as beau dire, Nanie, elle a du charme.

– Peuh! en a-t-elle tant que ça?

– Elle a une si belle taille, et des mains, et des pieds!..

– Pas plus que vous, Mademoiselle.

Odette se mit à rire.

– Non, pas plus que moi comme nombre, mais autrement bâtis.

– Enfin, je maintiens qu'il n'y a pas à vous comparer à elle, mon petit; de plus, vous êtes riche, et elle, paraît qu'y n'y a rien de trop.

– Elle a de la chance; au moins, elle ne pourra pas dire qu'on l'épouse pour son argent. Tandis que moi!..

– Oh! vous, il y a de quoi, heureusement pour vous. Mais vous avez autre chose avec, Mademoiselle, qui fait désirer aux beaux messieurs de s'épouser avec vous.

Sur ce, Odette alla jeter un coup d'oeil au dehors et s'assurer que Mlle Dapremont n'était pas en train de causer ou de faire une lecture intéressante avec Robert.

Ne pouvant s'éterniser à Chaville, celle-ci partit, avec regret sans doute, sans emporter d'espoir bien précis, mais avec la consolation d'avoir "jeté des jalons", c'est-à-dire d'avoir insinué à Odette d'Héristel qu'elle ne "ferait jamais l'affaire" de son cousin Robert.

Tout ceci ne laissa pas que d'inquiéter la pauvrette. Des idées bizarres lui traversaient la cervelle et, quoiqu'elle connût le noble caractère et l'orgueil de l'aîné des Samozane, elle se demandait parfois si, malgré son désintéressement, il n'escomptait pas l'avenir et ne fondait pas des espérances sur la fortune de la petite cousine.

S'il n'épousait pas Mlle Dapremont (ce qui ravirait Odette), c'était parce qu'il la trouvait trop pauvre.

S'il l'épousait, il se montrait peut-être plus désintéressé; mais il devait avoir une idée de derrière la tête.

Dans ces conditions-là, l'été ne pouvait passer agréablement pour Odette.

Quand Mlle Dapremont fut partie, voyait-elle Robert demeurer pensif et inoccupé, ce qui lui arrivait rarement, elle se disait:

"Il rêve à elle, il la regrette, il s'ennuie sans elle. La musique et les lectures dont elle le berçait lui manquent."

Moi, je n'ai pas ainsi le talent de l'intéresser, et je ne veux pas essayer de le faire: j'aurais l'air de chercher à imiter Antoinette.

Un malaise planait donc sur le petit cercle des Samozane, toujours à cause d'Odette qui n'était plus comme autrefois.

XVII

– Odette, veux-tu que je t'emmène?

– Je veux bien, avait répondu Mlle d'Héristel.

– J'essaie le nouveau cheval de mon ami Bertheret; il n'est pas très commode. Tu n'auras pas peur?

– Ah! Dieu! non, fit Odette, indifférente.

Elle acceptait cette promenade avec le cousin tuteur, comptant provoquer une explication, et même lui demander carrément s'il allait épouser Mlle Dapremont, ou bien s'il jouait simplement un rôle d'assidu auprès d'elle avant de prendre pour femme une héritière plus jeune… et… moins agréable sans doute.

Certes, ces idées saugrenues ne fussent point venues dans cette petite cervelle surexcitée, si Antoinette Dapremeont n'eût tenu à la pauvre enfant les propos que nous savons.

Et puis, le dépit, le chagrin s'en mêlant, Odette se montait l'imagination, s'incitant elle-même à se montrer dure et méchante.

Elle avait le plus grand tort.

Elle ne se doutait guère que, la veille, une lettre était venue à Chaville, concernant ses propres affaires en pitoyable état.

Le procès étant perdu, Mlle d'Héristel se trouvait réduite à la très minime pension qui lui venait de sa mère.

Mais tout ceci demeurait un secret entre les membres de la famille Samozane, sauf Jeanne et Blanche.

Robert avait stipulé formellement:

– Laissons la pauvre petite dans l'ignorance de ce désastre; son insouciance de l'avenir est sui douce! Je me charge de lui servir la somme mensuelle de ses menus plaisirs en la diminuant sans qu'elle s'en aperçoive trop…

– Tu as raison, avait ajouté le père.

– Tu as tort, mais fais comme tu l'entendras, avaient soupiré les deux femmes.

– Il n'y a pas deux tuteurs de ton calibre sous la coupole céleste, avait conclu Gui.

Et personne n'avait ouvert les yeux à l'innocente pupille, guère innocente toutefois à cet instant où elle méditait la confusion de son cousin modeste.

Quelques remarques s'échangèrent d'abord, au début de la promenade, vagues de la part de l'un, mêlées d'insinuations peu bienveillantes de la part de l'autre.

Il arriva un moment où Robert fut obligé de descendre devant un atelier de charronnage pour y faire une commission qu'il ne pouvait confier à personne.

Un peu inquiet, il avait dit à sa compagne:

– Tiens les rênes, Odette, un peu fermes; la bête s'est montrée docile jusqu'ici, mais je ne m'y fie qu'à moitié. Du reste, j'en ai pour une seconde.

– Oh! tu sais, ne te presse pas, je n'ai pas peur, avait répliqué la jeune fille.

Mais, Samozane avait raison de se méfier.

D'abord, se sentant guidé par une main virile, le jeune cheval s'était conduit d'une manière exemplaire; quand il ne se vit plus retenu que par les doigts frêles d'une fillette, il osa se montrer indépendant et rageur.

– Ho! ho! Doucement, doucement, faisait Odette, mais sans succès.

Puis, voyant reparaître son cousin sous la vaste porte du charron, elle voulut faire preuve d'adresse et de vigueur et asséna un léger coup du manche du fouet sur le rebord de la voiture.

Le bruit suffit pour affoler l'animal qui partit à fond de train, avant même que Samozane pût crier:

– Pour Dieu! Odette, ne le taquine pas; me voici!

Le danger n'était pas très grand, toutefois; Mlle d'Héristel tenait les rênes le plus court possible et eut soin de diriger la bête capricieuse vers un pré non entouré de haies, par bonheur, qui verdoyait là-bas.

– Pourvu que cette prairie ne soit pas bordée d'une rivière! pensa Odette. Bah! je connais Robert: il m'aura bientôt rejointe.

Ce fut ce qui arriva; par malchance, la frêle voiture avait versé déjà et la jeune personne, fort humiliée, touchait le sol pas trop durement, mais dans un bouleversement de toilette et de coiffure, ce qui mit sa coquetterie mal à l'aise.

– Odette! Es-tu blessée? s'écria une voix mâle angoissée.

Preste, la coupable se relevait, très rouge et vexée.

– Non, je n'ai pas une égratignure, et le cheval non plus, paraît-il.

C'est une chance; mais me voilà bien, avec mon chapeau défoncé.

– Qu'importent le chapeau et le cheval! tu es saine et sauve, cela suffit. Combien j'ai été imprudent!.. Tu pouvais être tuée…

Dans sa confusion un peu rageuse, Odette évitait de regarder son tuteur; sans cela, à sa pâleur et à son trouble, elle aurait compris quelle place immense elle tenait dans son coeur.

Mais, hargneuse, elle murmura tandis qu'il relevait le cheval et la voiture à peine endommagée:

– Au fait, les imprudences réussissent parfois à qui les provoque.

– Que voulez-vous dire? fit-il, étonné, ne comprenant pas et ne la tutoyant plus.

– Dame! si j'avais trépassé dans… l'accident, vous héritiez de mes biens et pouviez épouser sans arrière-pensée la toute charmante mais peu fortunée Mlle Dapremont.

Elle débita cette petite méchanceté les dents serrées, la joue en feu, tout en rattachant sa chevelure dénouée.

Dans sa surprise et sa douleur, Robert faillit de nouveau laisser échapper le cheval.

– Oh! Odette! fit-il seulement.

Et, trop généreux pour ouvrir les yeux à cette ingrate enfant qui lui brisait le coeur, il se tut désormais, dédaignant de la détromper.

Elle sentit qu'elle l'avait froissé au delà de tout, et elle eût donné les beaux cheveux dont elle était si fière pour rattraper ses méchantes paroles.

En retournant à la maison, au trot de l'animal revenu à de meilleurs sentiments, les promeneurs ne prononcèrent pas un mot.

Il avait le coeur trop serré pour parler; elle avait trop de regret de sa sottise pour oser même murmurer une phrase d'excuse.

"Il ne me pardonnera jamais! se disait-elle. Et il aura bien raison, hélas! Je ne sais quel démon m'a poussée à dire une chose que je ne pensais pas du tout… Certes non, pas du tout. Et je l'ai irrévocablement et irrémédiablement blessé… Tout cela, c'est la faute de cette vilaine Antoinette Dapremont que je déteste. Si elle n'existait pas, je ne serais pas jalouse d'elle et rien d'ennuyeux n'arriverait."

Elle retint un petit sanglot qui lui montait à la gorge; soit par un reste d'orgueil, soit de crainte d'étonner Robert, elle ne voulait pas qu'il s'aperçût de sa détresse morale.

Mais, s'en serait-il aperçu seulement?

Pensif, enfoncé dans ses méditations, Samozane ne semblait même pas s'apercevoir que sa pupille occupait le siège à côté de lui, un peu meurtrie par sa chute et beaucoup plus, moralement, par son incomparable maladresse.

Gui seul, assista à leur morne retour.

– Bon! pensa-t-il en les voyant descendre l'un après l'autre de voiture sans aucune de ces attentions, de la part du cavalier, dont Robert était coutumier. Voilà déjà le pauvre tuteur qui a maille à partir avec l'endiablée pupille. Quand je lui prédisais que ses nouvelles fonctions ne seraient pas d'une suavité enviable!

Odette ne parut pas au déjeuner.

– Le soleil lui a fait mal à la tête, expliqua simplement Robert, sans voir les sourires que ces paroles amenaient sur les lèvres de tous. Ce jour-là, le ciel demeurait couvert sans laisser pénétrer le plus pâle rayon jusqu'aux pauvres mortels.

Odette se montra le soir seulement au dîner, mais si pâle et silencieuse, avec des yeux si rougis et l'air tellement absorbé, que tous la crurent, en réalité, victime d'une migraine atroce.

Gui, qui manquait rarement l'occasion de mettre ses vastes pieds "dans le plat", pour parler son propre langage, eut soin de s'enquérir de la promenade matinale.

S'était-on amusé?

– Beaucoup, répondit le tuteur, avec une âpreté qui lui était si peu habituelle que tous le regardèrent avec étonnement.

Odette baissa le nez, contemplant avec attention son assiette de porcelaine vierge de mets.

– Le cheval s'était-il bien comporté?

– Mieux qu'on ne l'espérait.

Guy cessa d'interroger.

Décidément, il s'était passé quelque chose.

Un froid planait sur l'assemblée, rieuse encore naguère.

N'entendant pas causer les autres, M. Samozane dégustait son repas en silence; Mme Samozane, affligée, promenait son regard effaré de sa nièce à son fils aîné; tante Bertrande se répandait en soupirs; Jeanne songeait à M. de Grandflair; Blanche n'osait élever la voix.

"Si encore on savait pourquoi ils se sont chamaillés, pensait Gui, on y porterait remède. C'est bête comme tout, ces querelles; au fond, je suis sûr qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat, mais ça n'est pas amusant pour nous, les jeunes, qui sommes obligés de prendre des airs à bonnet de nuit.

Odette boude… Non, ce n'est pas de la bouderie; elle souffre; et ce n'est pas de migraine non plus; au moindre bobo, d'ordinaire, elle se plaint, devient câline, dolente, aime à se faire dorloter… Aujourd'hui, ce n'est pas cela. Pardieu! Je le sais! Robert a profité du tête à tête pour lui apprendre que sa fortune s'est fondue, évaporée dans les brouillards; et, ma foi! ce n'est jamais agréable à savoir, cette chose-là!"

Au premier moment libre, le jeune homme attira son frère à lui.

– Dis donc, mon vieux Bob, tu lui as dit?.. Elle sait?.. Voilà pourquoi elle nous fait la tête…

– De qui parles-tu? J'ai dit quoi? fit Robert ahuri.

– Tu as dit à Nénette l'issue du procès?

– Ah! l'issue!..

Une seconde, Robert hésita. Quelle belle revanche que d'instruire, en effet, l'ingrate, de sa triste situation nouvelle! Combien elle serait mortifiée et rendrait enfin justice à celui qu'elle avait si cruellement blessé!

Mais non; cela était indigne de Robert.

Se redressant, un peu brusque, il répliqua:

– Mais, pas le moins du monde. A quoi vas-tu penser? Il n'est pas temps encore de tout lui dire. Je te répète qu'elle a mal à la tête, voilà tout.

Janrlar va teglar

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31 iyul 2017
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