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Kitobni o'qish: «Un tuteur embarrassé», sahifa 2

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III

"Ce n'était rien du tout, en somme, que ce petit accident, cette léthargie qui n'a pas duré vingt-quatre heures; c'est arrivé à bien d'autres qu'à moi… Et cependant, je sens que cela a changé quelque chose à mon caractère. Certes, je n'ai jamais eu la prétention de passer pour un ange; d'abord, je ne voudrais pas être un ange, cela m'obligerait à trop veiller sur mes paroles et sur mes actes.

"Eh! bien, depuis ma… maladie d'une demi-journée, je suis devenue pire, fantasque, grincheuse, et je me sens mal disposée à l'égard du genre humain en général et de ma famille en particulier.

D'abord il m'est désagréable que l'on me parle sans cesse de mon… accident.

Quand je dis sans cesse, c'est un peu exagéré, car je ne vois pas des visiteurs toute la journée, et j'ai déclaré à mon entourage que c'était chose enterrée.

Il n'y a ici que ce scélérat de Guimauve pour me plaisanter encore là-dessus, malgré ma défense; mais, il le fait si drôlement et il est tellement en contradiction avec toutes les défenses, que je lui pardonne et fais la sourde oreille.

Je parle des étrangers, des amis… ou ennemis, qui viennent voir tante Samozane.

"Et cette chère petite ressuscitée, ne pourrons-nous la voir? Nous sommes venus spécialement pour la féliciter."

Or, parce que je suis la nièce de mon oncle et de ma tante, et parce que j'ai reçu une bonne éducation, me voilà obligée d'entrer au salon, la bouche en coeur et le regard ingénu, de me laisser embrasser la main et de répondre le plus aimablement que je le peux aux questions qu'on me pose.

Et je sens que, malgré moi, je fais la tête d'une petite fille qu'on envoie coucher sans dessert; ou bien je suis froide, froide à glacer une crème.

J'ai souvent constaté que c'est très gênant d'avoir reçu une bonne éducation et d'être la fille de ses parents; ça vous oblige à vous montrer toujours suave et bien élevée, quand on aurait envie de décocher une vérité!

Ce n'est tout de même pas sans plaisir que je me retrouve vivante après mon alerte, dans ce home qui m'est cher en dépit des vicissitudes qui m'y assiègent actuellement.

Il me semble que je n'ai jamais trouvé ma chambre si gentille; jaune paille, ce qui sied à une brune; des bibelots à la diable, un peu partout; le bon Dieu suspendu à mon chevet; mes robes en face, dans le cabinet; ma cheminée à gauche, recouverte de peluche; à l'opposé l'armoire à glace… avec laquelle je me rencontre souvent sans grande répugnance, il faut l'avouer.

J'ai toujours été enthousiaste du beau et même du joli; je ne suis pas belle, (moi qui aurais tant voulu être Mme Récamier!) mais je ne suis pas laide… surtout quand je ne me relève pas d'un lit mortuaire.

Je mets, de préférence, ce qui flatte mon visage, et fait ressortir ma taille, désobéissant en cela carrément à tante Germaine qui me répète cinq fois par semaine:

"Tu ne dois pas aimer ta beauté ni t'en servir pour t'attirer des hommages."

D'abord, m'attirer des hommages, il faut être dans les circonstances voulues pour cela. Jusqu'à présent, si j'avais écrit ma vie, ce serait une histoire édifiante à l'usage de la jeunesse; désormais… ou plutôt l'hiver prochain, aussitôt que j'aurai dix-sept ans, on m'exhibera dans les salons.

Je crois que cela m'amusera, et ce sera bien le diable si je ne récolte par deux ou trois pauvres petits compliments par soirée.

Ici, pour m'en faire, il n'y a personne, tant on craint de m'induire en tentation de vanité.

L'oncle Valère ne consulte que les protubérances de mon crâne, qui n'en a guère, du reste.

Tante Germaine me prêche le détachement de tout.

Tante Bertrande me répète que j'aurais pu être beaucoup mieux.

Jeanne me dénigre chaque fois qu'elle en trouve l'occasion.

Blanche me fait remarquer qu'il vaudrait mieux pour moi être blonde.

Guimauve me rit au nez quand il me trouve décoiffée, ce qui n'est pas rare.

Et Robert, le grave Robert, a un petit sourire ironique lorsqu'il me voit donner un regard… furtif ou prolongé, au miroir.

Seule, ma vieille bonne Euphranie témoigne une admiration sans bornes pour ma personne.

Mais voilà, je me méfie de son appréciation.

N'empêche que je suis satisfaite de sortir de l'épreuve aussi fraîche que par le passé, et avec trente-deux dents toujours; trente-deux dents bien blanches et bien alignées.

Ca ne m'a pas absolument surprise de me retrouver de ce monde, ni étonnée, ni ahurie; la crise a si peu duré!

Dieu du ciel et de la terre, soyez béni!

Quand je pense que quelques heures plus tard, je me réveillais entre les quatre planches d'une bière!

C'est sans doute cette idée qui a aigri mon caractère; ou, pour être plus juste, c'est le souvenir de certaines paroles recueillies dans mon étrange sommeil.

D'abord, il y en a qui, après avoir un peu pleuré sur moi, ont pensé à mes dépouilles opimes.

Mon oncle, lui, pauvre homme, n'a songé qu'à mes bosses crâniennes qui le trompaient.

Sa femme et sa belle-soeur ont dû… espérer vaguement ma succession.

Que le dieu d'Israël me pardonne si je juge témérairement!

Blanche et Jeanne se sont dit, et de cela, je suis certaine, hélas! que mon trépas leur fournissait une jolie dot.

Guimauve a geint de n'avoir plus de camarade bonne enfant à taquiner.

Robert, lui, n'a ni assez geint, ni assez gémi, ni assez pleuré, ni assez soupiré, à mon avis.

Que cachait ce silence?

Je me le demande avec curiosité depuis que je suis de retour en ce monde.

Et, malgré moi, l'opinion des deux servantes, Euphranie et Gertrude, gardant mon cadavre, me revient à la mémoire et je me demande…

Mais n'est-ce pas absurde de se laisser impressionner par les bavardages de deux vieilles commères?

Aussi, pourquoi suis-je riche, et pas eux?.."

IV

Notes de M. Samozane.

"Nous avons failli perdre ma pupille; il n'en fallait pas davantage pour affoler toute la maisonnée, car, on chérit cette enfant gâtée qui se nomme Odette d'Héristel.

Mais ce malaise n'était que passager, et la chère petite en est quitte pour rester un peu pâlotte.

Ou du moins… en est quitte! Je m'avance beaucoup, car au moral elle est fort changée.

Je sais bien qu'elle a la bosse du caprice et qu'il ne faut pas demander une conduite persévérante à cet oiseau léger; mais, je ne l'ai jamais vue aussi bizarre que depuis son retour parmi les vivants.

Certes, maintes fois depuis qu'elle est ma pupille, Odette a manifesté des dispositions tout à fait contraires à celles de son tuteur et de ses tantes, et nous avons malheureusement trop souvent cédé; mais aujourd'hui, on dirait qu'elle se plaît à être en continuelle contradiction avec nous. Qu'y a-t-il?

J'examinerai encore son crâne.

Car, en ma qualité de tuteur et d'oncle, je devrais…

Oui, que devrais-je faire? Moi qui trouve déjà trop sévères à son égard ma femme et ma belle-soeur…

Ouf! heureusement que mes filles sont d'une nature beaucoup plus calme que leur cousine et qu'elles ne me donneront pas de fil à retordre!

Mon Dieu! oui, je le répète, nous l'avons gâtée, élevée un peu comme un garçon… Et cependant aujourd'hui elle est très femme; et fantasque, Seigneur!

Or, le procès qui menace sa fortune m'a l'air de tourner contre nos désirs.

Certes, si la chère enfant le perdait, se voyant ainsi tout à coup appauvrie, elle n'en serait pas plus malheureuse pour cela; nous sommes ici, nous, et tant qu'il y aura du pain chez nous, elle partagera notre médiocrité.

De plus, je sais un garçon qui n'a déjà d'yeux que pour cette gamine (elle n'en est pas digne, la petite sorcière!) et, comme ce cher Robert a un bel avenir devant lui, il offrira au moins l'aisance à sa femme.

Mais, Odette est si jeune encore!"

V

Notes de Mme Samozane.

"Elle devient de plus en plus insupportable, me répondant, à moi sa tante, presque sa seconde mère, sur un ton d'insolence polie qui nous afflige tous.

J'espère que ce n'est qu'une fatigue passagère, suite de son accident d'il y a un mois; pour plus de sûreté, je l'ai fait examiner par le docteur Mérentié; or, l'excellent homme nous a affirmé que jamais Mlle d'Héristel ne s'est jamais si bien portée.

Alors?.. Je n'y comprends rien.

Elle a perdu sa verve piquante qui nous amusait, quoique maintes fois je dusse la rappeler à l'ordre. Tout cela est remplacé par une suprême impertinence; elle a même des mots cruels pour ce pauvre Robert, qui en est peiné quoiqu'il n'en montre rien, le cher enfant. Quant à ses cousines, elle se moque d'elles avec un petit air candide et ingénu qui agace mes pauvres fillettes.

Je me demande toujours ce qui a pu motiver un pareil changement… Et je ne trouve pas.

A moins que… en dépit des affirmations du docteur, la santé y soit pour quelque chose.

J'aimerais mieux cela, je l'avoue.

Il paraît (c'est Valère, mon mari, qui me tient au courant de la chose) que la fortune de notre nièce est fort compromise.

Ce ne peut être l'appréhension d'une future pauvreté qui "travaille" la pauvre enfant, puisqu'elle ne s'en doute même pas.

Vaguement elle sait qu'un étranger, son parent au soixantième degré, lui conteste des biens qu'elle croit tout à fait à elle; elle n'y voit pas plus loin que le bout de son petit nez blanc, et se figure être aussi riche que par le passé.

Nous ne lui parlons pas affaires, du reste; à quoi bon assombrir cette jeunesse si insouciante!

Pour moi, je voudrais lui voir conserver cette fortune, qui deviendrait l'apanage de mon Robert; en bonne mère, n'est-ce pas? et en bonne tante aussi, il m'est bien permis de le souhaiter.

Enfin, il en sera ce que Dieu voudra."

VI

Notes de Betrande.

"Seigneur, je vous offre, en expiation de mes fautes, toutes les impatiences que suscite en moi la conduite de ma nièce Odette.

Quand on pense qu'elle ose me tenir tête, à moi, sa tante Bertrande! à moi que personne n'a jamais encore contredite, pas même un époux, puisque je n'ai jamais voulu en prendre.

Et je ne puis que blâmer tout bas mon neveu Robert, qui continue à n'avoir d'yeux que pour cette petite diablesse.

Mon Dieu, encore une fois, je vous l'offre!

J'ai insinué à Valère et à Germaine que cet exemple peut être pernicieux pour leurs filles; ils font la sourde oreille.

Combien grande sur eux est la puissance de cette enfant gâtée!

Moi aussi, je l'aime, seulement je n'encourage pas ses faiblesses.

Elle était si mignonne quand elle nous est arrivée de province, après la mort de ses parents; elle est si câline, si délicatement attentionnée, quand elle le veut!

Mais aujourd'hui, Dieu du ciel! Que s'est-il passé en elle?

C'est à croire que depuis sa crise de léthargie qui nous a tous si fort effrayés, elle demeure possédée d'un démon et qu'il faudrait l'exorciser pour nous rendre l'Odette d'autrefois."

VII

Notes de Jeanne.

"Certainement, Blanche est comme moi bien heureuse que Nénette soit revenue en ce monde, mais combien on l'aimait mieux avant… sa mort!

Quelle mouche l'a donc piquée et que lui avons-nous fait pour qu'elle nous traite tous avec une telle désinvolture?"

Notes de Gui.

"Pour un cousin embêté, je suis un cousin embêté! Mais, aussi, mettez-vous à ma place.

J'avais une cousinette gentille à croquer, même quand elle trépignait et se mettait en colère… (il y a bien quelque vingt mois que cela ne lui arrivait plus); pleine d'esprit, pétillante d'humour, qui montait à bicyclette comme un ange et jouait au tennis comme un séraphin…

Et puis, crac! on nous la change, non pas en nourrice, mais dans l'autre monde où elle est allée fourrer son petit nez pendant quelques heures, si je sais, diable, pourquoi?

A quel propos nous en veut-elle, cette petite créature si jolie et si méchante que nous avons toujours gâtée beaucoup et dont nous avons fêté la résurrection récente avec tant de joie?

Moi, je sais bien que si je répondais seulement le quart du quart des impertinences qu'elle débite aux auteurs de mes jours, on me flanquerait à la porte, et l'on aurait bien raison!

Mais, voir Nénette grincheuse, non, c'est à n'y pas croire!"

Notes de Robert.

"Que se passe-t-il dans le coeur ou dans la tête de notre chérie?

On lui pardonne, d'abord parce qu'elle est femme et mignonne à ravir, ensuite, parce que, un instant, nous avons cru l'avoir perdue.

Mon Dieu! penser qu'elle aurait pu mourir là, sous nos yeux! que son joli sourire n'aurait plus lui; que ses lèvres si fines auraient pu être fermées à jamais; que cette voix si fraîche n'aurait plus résonné par ici!

Heureusement, cela n'a été qu'une fausse alerte.

Mais que l'Odette d'aujourd'hui ressemble peu à l'Odette d'avant… le malheur!

Mon Dieu! j'ai tant souffert quand je l'ai portée sur son lit, déjà la croyant morte subitement! Sans oser l'effleurer d'un dernier baiser fraternel, je regardais, comme hébété, ce corps inanimé. A la violence de mon chagrin, j'ai compris la force de ma tendresse pour elle, mesuré la place qu'elle tient dans mon coeur. Mais, je n'en ai rien montré, et personne n'aura deviné ce qui se passait alors en moi, Oui, je crois que je l'ai aimée fillette, dès qu'elle est apparue sous notre toit… Et maintenant, bien qu'elle n'ait pas encore seize ans accomplis, je sens que mon plus cher désir est qu'elle réponde vraiment à ma tendresse et soit mienne à jamais. Or, jusqu'à ce jour funeste, où nous avons pleuré sur elle, je me figurais qu'elle éprouvait pour moi une affection plus que fraternelle… Aujourd'hui, hélas! je doute."

VIII

– Pourquoi, mon bijou, n'êtes-vous plus la même depuis que vous avez été quasiment morte?

– Ca, ma bonne Euphranie, je ne saurais te le dire. Avoue, au moins, qu'avec toi je n'ai pas changé.

– Non, faut en convenir, demoiselle, faut en convenir. Vous êtes toujours câline avec votre vieille bonne qui vous aime tant.

– Et d'une façon désintéressée, toi du moins, Nanie.

– Comment ça, désintéressée? fit la bonne femme en ouvrant tout grand ses petits yeux bridés.

– Oui, tu m'aimes pour moi-même, toi, Nanie.

– Ben, naturellement; parce que vous êtes tout plein gentille et mignonne.

– N'est-ce pas? pour cela seulement.

– Et aussi parce que vous me faites des petits cadeaux à chaque instant.

– Ah! voilà, fit amèrement Mlle d'Héristel. Ton affection ressemble à celle des autres.

La vieille femme réfléchit une minute, puis branla la tête et dit carrément:

– Comprend pas.

La jeune fille soupira:

– Mais moi, je m'entends, et cela suffit.

– Ben oui, répéta la servante, revenue à son idée, on vous aime pour votre petit coeur si généreux.

– Et si je ne donnais rien?

– On vous aimerait quand même pour vos autres qualités, ma mignonne; c'est qu'alors vous seriez pauvre et ne pourriez plus faire plaisir aux autres.

– Ah! fit encore Odette, qui eût voulu interroger davantage la vieille femme, mais qui n'osait.

Hélas! oui, comme le déclaraient, chacun dans son for intérieur, tous les Samozane, la jeune ressuscitée n'était plus du tout la charmante et rieuse fille du temps passé.

D'abord contente de revenir au monde bien portante, de revoir tous les siens, elle avait ensuite peu à peu, réfléchi, se remémorant les paroles entendues pendant sa léthargie et les commentant à sa façon, la pauvre fillette. Sa vive imagination aidant, elle en vint à se grossir les choses, à interpréter bizarrement les propos recueillis et à se forger mille chimères.

Elle les avait bien entendus, ces propos, tendres et désolés pour la plupart, mais elle n'avait pu voir la mimique sincèrement navrée qui les accompagnait.

Mon Dieu! oui, le tuteur un peu maniaque avait bien murmuré:

– J'avais toujours dit que celle petite n'était pas comme les autres.

Mais, en prononçant ces mots, il avait l'oeil humide et la voix chevrotante.

Mme Samozane avait dit, en effet:

– Elle nous en a fait voir de dures, la pauvre enfant, que le bon Dieu lui pardonne!

Mais quoi de plus vrai? cette idée venait simplement à l'esprit de l'excellente femme dont "la trépassée" n'apercevait pas le visage bouleversé.

De même pour tante Bertrande, bien meilleure dans le fond que ne le comportait son apparence bourrue.

Un peu insignifiantes, les demoiselles Samozane se sentaient réellement navrées de perdre leur cousine qui les taquinait souvent, mais que leur coeur étroit et superficiel n'eût guère plus aimée si elle eût été leur soeur.

Jeanne avait eu cette exclamation, malheureuse il est vrai, et naïve dans sa reconnaissance anticipée:

"Cousinette, grâce à toi, je pourrai épouser M. de Grandflair."

Mais si, dès sa résurrection, Odette s'était montrée plus gentille avec elle, nul doute que Jeanne lui eût témoigné toute la joie sincère qu'elle ressentait.

Quant à Robert, nous sommes fixés sur la nature de ses impressions.

Seul, Gui, n'avait rien perdu de l'amitié d'Odette. Par exemple, lui qui n'avait jamais eu un tact très sûr, il se plaisait à la taquiner davantage depuis qu'il la voyait plus agressive, et il recevait souvent les éclaboussures de sa mauvaise humeur.

Au fond, les deux soeurs n'étaient pas encore convaincues qu'Odette n'avait pas voulu "se payer leur tête", pour employer une des plus élégantes expressions du jeune Samozane. Or, Blanche et Jeanne lui en voulaient de cela.

Elle leur avait joué tant de tours, cette cousine endiablée, depuis qu'elle vivait avec elles, profitant probablement de la supériorité d'esprit qu'elle se sentait sur elles.

Ainsi donc, tout concourait peu à peu et davantage chaque jour à entretenir les idées noires de Mlle d'Héristel; des mots, des plaisanteries, des réticences de domestiques entendus par hasard, dont elle aurait dû hausser les épaules si elle eût été en d'autres dispositions morales.

Dès son entrée dans le monde qui, en dépit de sa jeunesse et de sa gaminerie, avait eu lieu peu à peu, par degrés, en commençant par les bals blancs et les réunions intimes, elle s'était vue recherchée, mais des femmes et des jeunes filles autant que des hommes, parce qu'elle était dépourvue d'affectation, sincère, bonne et amusante.

Jusqu'alors, elle n'avait jamais pensé que sa dot rondelette pût lui attirer des amis; cela ne lui venait même pas à l'idée et elle avait bien raison.

Aujourd'hui, dans son coeur de fillette inexpérimentée, elle croyait discerner la vérité du mensonge au milieu des sourires qui s'adressaient à elle.

Et elle accusa tout bas d'ambition et de vils calculs des gens qui ignoraient même qu'elle fût une riche héritière.

Dans sa petite âme repliée maintenant, était entré le poison de la défiance et, elle si franche, elle voyait des menteurs là où il n'y avait que de sincères amis. Elle se sentait meurtrie moralement par tout ce qu'elle avait entendu de vilain ou plutôt par tout ce que, prévenue, elle avait interprété à sa façon.

De plus, Miss Hangora et Antoinette Dapremont qui, réellement la jalousaient et qui professaient l'une et l'autre une admiration sans bornes, mais hélas! inutile pour Robert Samozane, prenaient soin d'entretenir ces sombres préventions chez Odette.

La chère petite ne les aimait pas, et pourtant elle les écoutait et même les croyait parfois.

Odette d'Héristel n'était plus la petite âme limpide où chacun pouvait lire à livre ouvert; elle, si active jadis, demeurait des heures oisive, pelotonnée dans les coussins du divan comme un jeune chat, inclinant sa petite tête farouche comme si le poids trop lourd de ses sombres pensées l'entraînait.

Réfléchie et enthousiaste à la fois, elle prenait à l'extrême toutes choses. Jusqu'à ce jour, elle n'avait pas vu ou voulu voir, dans la vie, de jaloux, d'envieux, d'ambitieux; mais soudain, apprenant qu'il en existait de par le monde, elle se prenait à douter même des meilleurs, ce qui était une immense injustice et pouvait lui coûter cher.

Enfin, elle commençait à lasser la patience de ceux qui l'entouraient.

Sans prendre garde à ses colères d'enfant, les hommes, occupés ailleurs, haussaient les épaules à ses diatribes contre l'humanité.

Moins indulgentes, les femmes supportaient mal sa persistante ironie et les insinuations faites d'une voix mordante. Une guerre intime et fatigante pour tous s'alluma dans la maison de Passy, nid chaud naguère et si riant, où l'on ne s'était jamais disputé qu'en plaisantant.

Dans la pauvre petite âme désemparée d'Odette naissait cette crainte vague de n'être pas aimée pour elle-même, douloureux sentiment qui arrachait de ses lèvres le rire et la sérénité de son coeur.

Ses tantes ne devinaient pas, comme l'eût fait sa mère, qu'elle souffrait plus que tous de cet état de choses, et, dans leurs entretiens avec le chef de famille, elles se plaignaient amèrement de la jeune révoltée.

Janrlar va teglar

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31 iyul 2017
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