Et comment?
Un Bœotien peut l'attacher à l'aile d'une tipule, la lancer sur l'arsenal au moyen d'un tube, par un grand vent de Boréas; et, le feu prenant une fois aux vaisseaux, ils flambent tout de suite.
Méchant, digne de mille morts! ils flamberaient embrasés par une tipule et par une mèche?
Des témoins!
Fermez-lui la bouche! Donne-moi du foin: je vais l'emballer comme de la poterie, pour qu'il ne se casse pas en route.
Emballe bien, mon cher, cette marchandise destinée à l'étranger, afin qu'il n'aille pas la briser.
J'y veillerai, car elle rend le son grêle d'un objet fêlé par le feu, et désagréable aux dieux.
Que va-t-il en faire?
Un vase utile à tout, une coupe de maux, un mortier à procès, une lanterne pour espionner les comptables, un récipient à brouiller les affaires.
Mais qui oserait se servir d'un vase qui craque de la sorte dans la maison?
Il est solide, mon bon, et il ne cassera jamais, s'il est suspendu par les pieds, la tête en bas.
Le voilà empaqueté comme tu le veux.
Je vais enlever ma gerbe.
O le meilleur des hôtes, aide-le dans le transport, et jette où tu voudras ce sykophante bon à tout.
J'ai eu bien de la peine à empaqueter ce maudit scélérat. Allons, Bœotien, emporte ta poterie.
Viens ici, et baisse ton épaule, Ismènikhos.
Veille à la porter avec précaution. En réalité, tu ne porteras là rien de bon; fais-le toutefois. Tu gagneras à te charger de ce fardeau. Les sykophantes te porteront bonheur.
Dikæopolis!
Qu'y a-t-il? Pourquoi m'appelles-tu?
Pourquoi? Lamakhos te prie de lui céder, moyennant cette drakhme, quelques grives pour la fête des Coupes, et, au prix de trois drakhmes, une anguille du Kopaïs.
Qui est ce Lamakhos avec son anguille?
Le terrible, l'infatigable, qui agite sa Gorgôn et qui remue les trois aigrettes, dont il est ombragé.
Par Zeus! je refuse, me donnât-il son bouclier. Qu'il remue ses aigrettes en mangeant du poisson salé! S'il vient faire du bruit, j'appelle les agoranomes. Pour moi, j'emporte ces provisions, destinées à ma personne. J'entre sur les ailes des grives et des merles.
Tu as vu, oui, tu as vu, ville tout entière, la prudence et l'éminente sagesse de cet homme. Depuis qu'il a conclu une trêve, il peut acheter ce dont il a besoin pour sa maison et ce qui convient à des repas chaudement servis. D'eux-mêmes tous les biens lui arrivent.
Non, jamais je ne recevrai chez moi la Guerre; jamais elle ne me chantera l'air de Harmodios, assise à ma table, parce que c'est un être qui, pris de vin, et faisant ripaille chez ceux qui ont tous les biens, y cause tous les maux, renverse, ruine, détruit, et cela quand on lui a fait nombre d'avances: «Bois, assieds-toi, prends cette coupe de l'amitié,» tandis que lui porte partout le feu sur nos échalas, et répand brutalement le vin de nos vignes.
Chez l'homme que je dis le repas est grandement, libéralement ordonné, et les preuves de sa bonne chère se voient dans les plumes étalées devant sa porte.
O compagne de la belle Kypris et des Grâces aimables, Réconciliation, comme tu as un beau visage! Ai-je pu l'ignorer? Puisse un Amour nous unir, moi et toi, semblable à celui qui est présent, et couronné de fleurs! Crois-tu donc, par hasard, que je suis trop vieux? Mais si je te prends, je crois pouvoir t'offrir trois avantages. Et d'abord je puis aligner un long plant de vignes, puis élever auprès de tendres rejetons de figuier, en troisième lieu, tout vieux que je suis, y marier de jeunes ceps de vigne, et enfin garnir d'oliviers tout le tour de mon champ pour nous oindre d'huile, toi et moi, aux Noumènia.
Écoutez, peuple. A la façon de vos pères, buvez dans les coupes au son de la trompette. Celui qui l'aura vidée le premier recevra une outre faite comme Ktésiphon.
Enfants, femmes, n'avez-vous pas entendu? Que faites-vous? N'entendez-vous pas le Héraut? Faites bouillir, rôtissez, retournez et enlevez ces lièvres prestement; tressez les couronnes… Apporte les broches, pour enfiler les grives.
J'envie ta prudence, mon cher homme, et encore plus ta bonne chère actuelle.
Que sera-ce, quand vous verrez rôtir ces grives?
Je crois que tu dis juste encore sur ce point.
Attise le feu.
Entends-tu avec quelle habileté culinaire, avec quelle science et avec quelle entente de gourmet il se fait servir?
Malheureux que je suis!
Par Hèraklès! quel est cet homme?
Un homme infortuné.
Suis ton chemin devant toi.
O cher ami, puisque la trêve est pour toi seul, cède-moi un peu de pain, ne fût-ce que de cinq ans.
Que t'est-il arrivé?
Je suis ruiné, j'ai perdu deux bœufs.
Comment?
Les Bœotiens les ont pris à Phyla.
O trois fois malheureux! Et tu es encore vêtu de blanc?
Ces deux bœufs, par Zeus! me nourrissaient de leur fumier.
Que te faut-il donc, maintenant?
J'ai perdu la vue à pleurer mes bœufs. Mais si tu prends intérêt à Derkélès de Phyla, frotte-moi vite les deux yeux avec de la poix.
Mais, malheureux, je ne suis pas en situation de rendre service à tout le monde.
Allons, je t'en conjure, peut-être retrouverais-je mes bœufs.
Impossible. Va-t'en pleurer auprès des disciples de Pittalos.
Rien pour moi qu'une seule goutte de poix, verse-la dans ce chalumeau.
Pas un fétu! Va-t'en gémir ailleurs!
Infortuné que je suis; plus de bœufs de labour!
Cet homme, avec son traité, s'est fait une vie douce, et il ne semble vouloir partager avec personne.
Toi, arrose les tripes avec du miel; fais griller les sépias.
Entends-tu ses éclats de voix?
Grillez les anguilles!
Tu vas nous faire mourir, moi de faim, et les voisins de fumée et de ta voix, en criant de la sorte.
Rôtissez cela, et que la couleur en soit dorée!
Dikæopolis! Dikæopolis!
Quel est cet homme?
Un jeune marié t'envoie ces viandes de son repas de noces.
Il fait bien, quel qu'il soit.
Il te prie, en échange de ces viandes, pour ne pas aller à la guerre et pour rester à caresser sa femme, de lui verser dans cette fiole un verre de poix.
Remporte, remporte les viandes et ne me les donne pas, je ne verserais pas de la poix pour mille drakhmes. Mais quelle est cette femme?
C'est la meneuse de la noce: elle demande à te parler de la part de la mariée, à toi seul.
Voyons, que dis-tu? Par les dieux! elle est plaisante la demande de la mariée! Elle désire que la partie essentielle du marié reste à la maison. Allons! qu'on apporte la trêve; je lui en donnerai à elle seule; elle est femme; elle ne doit pas souffrir de la guerre. Femme, approche; tends-moi la fiole. Sais-tu la manière de s'en servir? Dis à la mariée, quand on fera une levée de soldats, d'en frotter la nuit la partie essentielle de son mari. Qu'on remporte la trêve. Vite, la cruche au vin, pour que j'en verse dans les coupes!
Mais voici un homme aux sourcils froncés: il se presse comme pour annoncer un malheur.
O fatigues, lames en bataille, Lamakhos!
Quel bruit résonne autour de mes demeures étincelantes d'airain?
Les stratèges t'ordonnent de prendre sur-le-champ tes cohortes et tes aigrettes, et d'aller garder la frontière, malgré la neige. Car on leur annonce qu'au moment de la fête des Coupes et des Marmites, des bandits bœotiens vont faire une invasion.
O stratèges, plus nombreux qu'utiles! n'est-il pas dur pour moi de ne pouvoir être de la fête?
O armée polémolamaïque!
Malheur à moi! Tu ris de mon infortune!
Veux-tu combattre contre un Géryôn à quatre ailes?
Hélas! hélas! quelle nouvelle m'apporte ce second messager?
Dikæopolis!
Qu'est-ce?
Viens vite au banquet, et apporte ta corbeille et ta coupe. Le prêtre de Dionysos t'y invite. Mais hâte-toi, tu retardes le repas. Tout est prêt: lits, tables, coussins, tapis, couronnes, parfums, friandises, courtisanes, galettes, gâteaux, pains de sésame, tartes, belles danseuses, l'air bien-aimé de Harmodios. Ainsi, accours au plus vite.
Infortuné que je suis!
C'est que tu as pris pour emblème cette grande Gorgôn. Fermez la porte, et qu'on apprête le repas.
Esclave, esclave, apporte-moi ici mon sac.
Esclave, esclave, apporte-moi ici ma corbeille.
Du sel mêlé de thym et des oignons.
Et à moi du poisson; les oignons me répugnent.
Apporte-moi ici, esclave, une feuille de figuier, pleine de hachis rance.
Et à moi une feuille de figuier bien graissée, je la ferai cuire ici.
Mets là les plumes de mon casque.
Mets là ces ramiers et ces grives.
Belle et blanche est cette plume d'autruche.
Belle et dorée est cette chair de ramier.
Hé! l'homme! cesse de rire de mes armes.
Hé! l'homme! veux-tu bien ne pas guigner mes grives!
Apporte l'étui de mes trois aigrettes.
Et à moi le civet de lièvre.
Mais les mites n'ont-elles pas mangé les aigrettes?
Mais ne vais-je pas manger du civet avant le dîner?
Hé! l'homme! veux-tu bien ne pas me parler?
Je ne te parle pas; moi et mon esclave, nous sommes en discussion. Veux-tu gager et nous en rapporter à Lamakhos? Les sauterelles sont-elles plus délicates que les grives?
Je crois que tu fais l'insolent.
Il donne la préférence aux sauterelles.
Esclave, esclave, décroche ma lance, et apporte-la-moi ici.
Esclave, esclave, retire cette andouille du feu et apporte-la-moi ici.
Voyons, je vais retirer ma lance du fourreau. Tiens ferme, esclave.
Et toi aussi, esclave, ne lâche pas.
Approche, esclave, les supports de mon bouclier.
Apporte les pains, supports de mon estomac.
Apporte ici l'orbe de mon bouclier à la Gorgôn.
Apporte ici l'orbe de ma tarte au fromage.
N'y a-t-il pas là pour les hommes de quoi rire largement?
N'y a-t-il pas là pour les hommes de quoi savourer délicieusement?
Verse de l'huile, esclave, sur le bouclier. J'y vois un vieillard qui va être accusé de lâcheté.
Verse du miel, esclave, sur la tarte. J'y vois un vieillard qui fait pleurer de rage Lamakhos le Gorgonien.
Apporte ici, esclave, ma cuirasse de combat.
Apporte ici, esclave, ma cuirasse de table, ma coupe.
Avec cela, je tiendrai tête aux ennemis.
Avec cela, je tiendrai tête aux buveurs.
Esclave, maintiens les couvertures du bouclier.
Esclave, maintiens les plats de la corbeille.
Moi, je vais prendre et porter moi-même mon sac de campagne.
Moi, je vais prendre mon manteau pour sortir.
Prends ce bouclier, esclave, emporte-le, et en route! Il neige. Babæax! C'est une campagne d'hiver.
Prends le dîner: c'est une campagne de buveurs.
Mettez-vous de bon cœur en campagne. Mais quelles routes différentes ils suivent tous les deux! L'un boira, couronné de fleurs, et toi, transi de froid, tu monteras la garde. Celui-là va coucher avec une jolie fille et se faire frictionner je ne sais quoi.
Puisse Antimakhos, fils de Psakas, historien et poète, être tout simplement confondu par Zeus, lui qui, khorège aux Lénæa, m'a renvoyé tristement sans souper! Puissé-je le voir guetter une sépia qui, cuite, croustillante, salée, est servie sur table; et qu'au moment de la prendre, elle lui soit enlevée par un chien, qui s'enfuit!
Que ce soit là pour lui un premier malheur; puis, qu'il lui arrive une autre aventure nocturne! Que revenant fiévreux chez lui des manœuvres de cavalerie, il rencontre Orestès ivre, qui lui casse la tête, pris d'un accès de fureur, et que, voulant ramasser une pierre, durant la nuit, il saisisse à pleine main un étron encore tout chaud; qu'il lance ce genre de pierre, manque son coup, et frappe Kratinos!
Serviteurs de la maison de Lamakhos, vite de l'eau! Faites chauffer de l'eau dans une petite marmite, préparez des linges, du cérat, de la laine grasse et des tampons de charpie pour la cheville. Notre maître s'est blessé à un pieu, en sautant un fossé; il s'est déboîté et luxé la cheville, s'est brisé la tête contre une pierre et a fait jaillir la Gorgôn hors du bouclier. La grande plume du hâbleur gisant au milieu des pierres, il a fait retentir ce chant terrible: «O astre radieux, je te vois aujourd'hui pour la dernière fois; la lumière m'abandonne; c'est fait de moi! » A ces mots, il tombe dans un bourbier, se relève, rencontre des fuyards, poursuit les brigands et les presse de sa lance. Mais le voici lui-même. Ouvre la porte.
Oh! là, là! Oh! là, là! Horribles souffrances, je suis glacé. Malheureux, je suis perdu; une lance ennemie m'a frappé! Mais ce qu'il y aurait pour moi de plus cruel, c'est que Dikæopolis me vît blessé, et me rît au nez de mes infortunes.
Oh! là, là! Oh! là, là! quelles gorges! C'est ferme comme des coings! Baisez-moi tendrement, mes trésors; vos bras autour de mon cou; vos lèvres sur les miennes! Car j'ai le premier vidé ma coupe.
Cruel concours de malheurs! Hélas! hélas! quelles blessures cuisantes!
Hé! hé! salut, cavalier Lamakhos!
Malheureux que je suis!
Infortuné que je suis!
Pourquoi m'embrasses-tu?
Pourquoi me mords-tu?
Quel malheur pour moi d'avoir payé ce rude écot!
Est-ce qu'il y avait un écot à payer à la fête des Coupes?
Ah! ah! Pæan! Pæan!
Mais il n'y a pas aujourd'hui de Pæania.
Soulevez, soulevez ma jambe. Oh! oh! tenez-la, mes amis.
Et vous deux, prenez-moi juste la moitié du corps, mes amies.
J'ai le vertige de ce coup de pierre à la tête. Je suis pris d'étourdissements.
Et moi je veux aller me coucher; je suis pris de redressements et d'éblouissements.
Portez-moi au logis de Pittalos, entre ses mains médicales.
Portez-moi auprès des juges. Où est le roi du festin? Donnez-moi l'outre!
Une lance m'a percé les os. Quelle douleur!
Voyez, elle est vide! Tènella! Tènella! Chantons victoire!
Tènella! comme tu dis, bon vieillard, victoire!
J'ai rempli ma coupe d'un vin pur et je l'ai bue d'un trait.
Tènella! donc, brave homme! Emporte l'outre!
Suivez, maintenant, en chantant: «Tènella! Victoire!»
Oui, nous te ferons un cortège de fête, chantant: «Tènella! Victoire! » pour toi et pour l'outre!
(L'AN 425 AVANT J.-C.)
Les Chevaliers sont dirigés contre le démagogue Cléon qui s'était mis à la tête des affaires après la mort de Périclès, et qui, à la suite de son succès de Sphactérie, était devenu l'idole du peuple, personnifié dans la pièce par le bonhomme Dèmos. Le vieillard, circonvenu à la fois par Cléon, transformé en corroyeur, et par le marchand d'andouilles Agoracritos, finit par voir clair dans leur jeu. Cléon est chassé. Agoracritos, faisant amende honorable, sert consciencieusement son maître qui recouvre la jeunesse et la raison.
Dèmosthénès.
Nikias.
Un marchand d'andouilles nommé Agorakritos.
Kléôn.
Chœur de chevaliers.
Dèmos.
La scène se passe devant la maison de Dèmos.
Iattatæax! Que de malheurs! Iattatæ! Que ce Paphlagonien, cette nouvelle peste, avec ses projets, soit confondu par les dieux! Depuis qu'il s'est glissé dans la maison, il ne cesse de rouer de coups les serviteurs.
Malheur, en effet, à ce prince de Paphlagoniens, avec ses calomnies!
Pauvre malheureux, comment vas-tu?
Mal, comme toi.
Viens, approche, gémissons de concert sur le mode d'Olympos.
Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu.
Pourquoi ces plaintes inutiles? Ne vaudrait-il pas mieux chercher quelque moyen de salut pour nous et ne pas pleurer davantage?
Mais quel moyen? Dis-le-moi.
Dis-le plutôt, afin qu'il n'y ait pas de dispute.
Non, par Apollôn! pas moi. Allons, parle hardiment, puis je te dirai mon avis.
Que ne me dis-tu plutôt ce qu'il faut que je dise?
Ce courage barbare me manque. Comment m'exprimerais-je en grand style, en style euripidien?
Non, non, pas à moi, pas à moi: ne me sers pas un bouquet de cerfeuil, mais trouve un chant de départ de chez notre maître.
Eh bien, dis: «Échappons!» comme cela, tout d'un trait.
Je le dis: «Échappons!»
Ajoute ensuite le mot: «Nous», au mot: «Échappons».
«Nous!»
A merveille! A présent, comme procédant par légères secousses de la main, dis d'abord: «Échappons,» ensuite: «Nous,» puis: «A la hâte!»
«Échappons, échappons-nous, échappons-nous à la hâte!»
Hein! N'est-ce pas délicieux?
Oui, par Zeus! Si ce n'est que j'ai peur que ce ne soit pour ma peau un mauvais présage.
Pourquoi cela?
Parce que les plus légères secousses de la main emportent la peau.
Ce qu'il y aurait de souverain dans les circonstances présentes, ce serait d'aller tous les deux nous prosterner devant les statues de quelque dieu.
Quelles statues? Est-ce que tu crois vraiment qu'il y a des dieux?
Je le crois.
D'après quel témoignage?
Parce que je suis en haine aux dieux. N'est-ce pas juste?
Tu me ranges de ton avis. Mais considérons autre chose. Veux-tu que j'expose l'affaire aux spectateurs?
Ce ne serait pas mal. Seulement, prions-les de nous faire voir clairement, par leur air, s'ils se plaisent à nos paroles et à nos actions.
Je commence donc. Nous avons un maître, d'humeur brutale, mangeur de fèves, atrabilaire, Dèmos le Pnykien, vieillard morose, un peu sourd. Au commencement de la noumènia, il a acheté un esclave, un corroyeur paphlagonien, coquin fieffé et grand calomniateur. Ce corroyeur paphlagonien, connaissant à fond le caractère du vieux, fait le chien couchant, flatte son maître, le caresse, le choie, le dupe avec des rognures de cuir et des mots comme ceux-ci: «Dèmos, il suffit d'avoir jugé une affaire: va au bain, mange, avale, dévore, reçois trois oboles: veux-tu que je te serve un souper?» Alors le Paphlagonien fait main-basse sur ce que l'un de nous a préparé et l'offre gracieusement à son maître. L'autre jour, je venais de pétrir à Pylos une galette lakonienne; par ses roueries et par ses détours il me la subtilise, et il sert comme de lui le mets de ma façon. Il nous éloigne et ne permet pas à un autre de soigner le maître; mais, armé d'une courroie, debout près de la table, il en écarte les orateurs. Il lui chante des oracles, et le bonhomme sibyllise. Puis, quand il le voit à l'état de brute, il met en œuvre son astuce; il lance effrontément mensonges et calomnies contre les gens de la maison; alors nous sommes fouettés, nous; et le Paphlagonien, courant après les esclaves, demande, menace, escroque en disant: «Voyez Hylas, comme je le fais fouetter; si vous ne m'obéissez pas, vous êtes morts aujourd'hui.» Nous donnons. Autrement, le vieux nous piétinerait et nous ferait chier huit fois davantage. Hâtons-nous donc, mon bon, de voir maintenant quelle voie à suivre et vers qui.
Le mieux, mon bon, c'est notre: «Échappons-nous! »
Mais il n'est pas facile de rien cacher au Paphlagonien; il a l'œil à tout. Une de ses jambes est à Pylos, et l'autre à l'assemblée; si bien que, ses jambes ainsi écartées, son derrière est en Khaonia, ses mains en Ætolia et son esprit en Klopidia.
Le mieux pour nous est donc de mourir. Mais voyons à mourir de la mort la plus héroïque.
Mais quelle sera cette mort très héroïque?
La plus belle pour nous est de boire du sang de taureau. Une mort comme celle de Thémistoklès n'est pas à dédaigner.
Oui, par Zeus! buvons du vin pur à notre Bon Génie, et peut-être trouverons-nous quelque utile dessein.
Comment? Du vin pur? Tu songes à boire? Jamais homme ivre a-t-il trouvé quelque utile dessein?
Vraiment, mon bon? Tu es un robinet de sottes paroles. Tu oses accuser le vin de pousser à la démence? Trouve-moi donc quelque chose de plus pratique que le vin. Vois-tu? Quand on a bu, on est riche, on fait ses affaires, on gagne ses procès, on est en plein bonheur, on rend service aux amis. Allons, apporte-moi vite une cruche de vin! Que j'arrose mon esprit pour trouver une idée ingénieuse!
Hélas! Que nous fera ta boisson?
Beaucoup de bien. Apporte-la; moi je vais m'étendre. Une fois ivre, je te débiterai sur tout ce qui nous intéresse un tas de petits conseils, de petites sentences et de petites raisons.
Quelle chance de n'avoir pas été pris volant ce vin!
Dis-moi, le Paphlagonien, que fait-il?
Bourré de gâteaux confisqués, le drôle ronfle, cuvant son vin et couché sur des cuirs.
Eh bien, maintenant, verse-moi un plein verre de vin pur, en manière de libation.
Prends et fais une libation au Bon Génie: déguste, déguste la liqueur du Génie de Pramnè.
O Bon Génie, c'est ta volonté et non pas la mienne.
Dis, je t'en prie, qu'y a-t-il?
Va vite voler les oracles du Paphlagonien endormi, et rapporte-les de la maison.
Soit; mais je crains que ce Bon Génie ne se trouve en être un Mauvais.
Et maintenant approche-moi la cruche, pour arroser mon esprit et dire quelque parole ingénieuse.
Comme il pète, comme il ronfle, le Paphlagonien! Aussi ne m'a-t-il pas surpris dérobant l'oracle, qu'il garde avec le plus de soin.
O le plus fin des hommes! Donne, que je lise. Toi, verse-moi à boire sans retard. Voyons ce qu'il y a là dedans. Oh! les oracles! Donne, donne-moi vite à boire!
Voyons, que dit l'oracle?
Verse encore!
Est-ce qu'il y a dans l'oracle: «Verse encore! »
O Bakis!
Qu'y a-t-il?
A boire! Vite!
Il paraît que Bakis aimait à boire.
Ah! maudit Paphlagonien, voilà donc pourquoi tu gardais depuis si longtemps l'oracle qui te concerne, tu avais peur!
De quoi?
Il est dit là comment il doit finir.
Et comment?
Comment? L'oracle annonce clairement que d'abord un marchand d'étoupes doit avoir en main les affaires de la cité.
Voilà déjà un marchand! Et ensuite, dis?
Après lui, en second lieu, un marchand de moutons.
Cela fait deux marchands. Et que lui advient-il à celui-là?
D'être le maître, jusqu'à ce qu'il en arrive un plus scélérat. Alors il périt, et à sa place arrive le marchand de cuirs, le Paphlagonien rapace, braillard, à voix de charlatan.
Il faut donc que le marchand de moutons soit exterminé par le marchand de cuirs?
Oui, par Zeus!
Malheureux que je suis! Où trouver un autre marchand, un seul?
Il en est encore un, qui exerce un métier hors ligne.
Dis-moi, je t'en prie, qui est-ce?
Tu le veux?
Oui, par Zeus!
C'est un marchand d'andouilles qui le renversera.
Un marchand d'andouilles! Par Poséidôn! le beau métier! Mais, dis-moi, où trouverons-nous cet homme?
Cherchons-le.
Tiens! le voici qui, grâce aux dieux, s'avance vers l'Agora.
O bienheureux marchand d'andouilles, viens, viens, mon très cher; avance, sauveur de la ville et le nôtre.
Qu'est-ce? Pourquoi m'appelez-vous?
Viens ici, afin de savoir quelle chance tu as, quel comble de prospérité.
Voyons; débarrasse-le de son étal, et apprends-lui l'oracle du dieu, quel il est. Moi, je vais avoir l'œil sur le Paphlagonien.
Allons, toi, dépose d'abord cet attirail, mets-le à terre; puis adore la terre et les dieux.
Soit: qu'est-ce que c'est?
Homme heureux, homme riche; aujourd'hui rien, demain plus que grand, chef de la bienheureuse Athènes.
Hé! mon bon, que ne me laisses-tu laver mes tripes et vendre mes andouilles, au lieu de te moquer de moi?
Imbécile! Tes tripes! Regarde par ici. Vois-tu ces files de peuple?
Je les vois.
Tu seras le maître de tous ces gens-là; et celui de l'Agora, des ports, de la Pnyx; tu piétineras sur le Conseil, tu casseras les stratèges, tu les enchaîneras, tu les mettras en prison; tu feras la débauche dans le Prytanéion.
Moi?
Oui, toi. Et tu ne vois pas encore tout. Monte sur cet étal, et jette les yeux sur toutes les îles d'alentour.
Je les vois.
Eh bien! Et les entrepôts? Et les navires marchands?
J'y suis.
Comment donc! N'es-tu pas au comble du bonheur? Maintenant jette l'œil droit du côté de la Karia, et l'œil gauche du côté de la Khalkèdonia.
Effectivement; me voilà fort heureux de loucher!
Mais non: c'est pour toi que se fait tout ce trafic; car tu vas devenir, comme le dit cet oracle, un très grand personnage.
Dis-moi, comment moi, un marchand d'andouilles, deviendrai-je un grand personnage?
C'est pour cela même que tu deviendras grand, parce que tu es un mauvais drôle, un homme de l'Agora, un impudent.
Je ne me crois pas digne d'un si grand pouvoir.
Hé! hé! pourquoi dis-tu que tu n'en es pas digne? Tu me parais avoir conscience que tu n'es pas sans mérite. Es-tu fils de gens beaux et bons?
J'en atteste les dieux, je suis de la canaille.
Quelle heureuse chance! Comme cela tourne bien pour tes affaires!
Mais, mon bon, je n'ai pas reçu la moindre éducation; je connais mes lettres, et, chose mauvaise, même assez mal.
C'est la seule chose qui te fasse du tort, même sue assez mal. La démagogie ne veut pas d'un homme instruit, ni de mœurs honnêtes; il lui faut un ignorant et un infâme. Mais ne laisse pas échapper ce que les dieux te donnent, d'après leurs oracles.
Que dit donc cet oracle?
De par les dieux, il y a de la finesse et de la sagesse dans son tour énigmatique: «Oui, quand l'aigle corroyeur, aux serres crochues, aura saisi dans son bec le dragon stupide, insatiable de sang, ce sera fait de la saumure à l'ail des Paphlagoniens, et la divinité comblera de gloire les tripiers, à moins qu'ils ne préfèrent vendre des andouilles.»
En quoi cela me regarde-t-il? Apprends-le-moi.
L'aigle corroyeur, c'est ce Paphlagonien.
Que signifie: «Aux serres crochues»?
Cela veut dire qu'avec ses mains crochues il enlève et emporte tout.
Et le dragon?
C'est ce qu'il y a de plus clair: le dragon est long, le boudin aussi, et boudin et dragon se remplissent de sang. Or, l'oracle dit que l'aigle corroyeur sera dompté par le dragon, si celui-ci ne se laisse pas enjôler par des mots.
Oui, l'oracle me désigne; mais j'admire comment je serai capable de gouverner Dèmos.
Tout ce qu'il y a de plus simple. Fais ce que tu fais: brouille toutes les affaires comme tes tripes; amadoue Dèmos en l'édulcorant par des propos de cuisine: tu as tout ce qui fait un démagogue, voix canaille, nature perverse, langage des halles: tu réunis tout ce qu'il faut pour gouverner. Les oracles sont pour toi, y compris celui de la Pythie. Couronne-toi, fais des libations à la Sottise, et lutte contre notre homme.
Qui sera mon allié? Car les riches le craignent, et les pauvres en ont peur.
Mais il y a les Chevaliers, braves gens au nombre de mille, qui l'ont en haine: ils te viendront en aide, et avec eux les citoyens beaux et bons, les spectateurs sensés, moi et le dieu. Ne crains rien: tu ne verras pas ses traits. Pris de peur, aucun artiste n'a voulu faire son masque; on le reconnaîtra tout de même: le public n'est pas bête.
Malheur à moi! Le Paphlagonien sort.
Non, par les douze dieux, vous n'aurez pas à vous réjouir vous deux qui, depuis longtemps, conspirez contre Dèmos. Que fait là cette coupe de Khalkis? Pas de doute que vous n'excitiez les Khalkidiens à la révolte. Vous mourrez, vous périrez, couple infâme!
Hé! l'homme! Tu fuis, tu ne restes pas là? Brave marchand d'andouilles, ne gâte pas nos affaires. Citoyens Chevaliers, accourez: c'est le moment. Hé! Simôn, Panætios, n'appuyez-vous pas l'aile droite? Voici nos hommes. Toi, tiens bon, et fais volte-face. La poussière qu'ils soulèvent annonce leur approche. Oui, tiens ferme, repousse l'ennemi et mets-le en fuite.
Frappe, frappe ce vaurien, ce trouble-rang des Chevaliers, ce concussionnaire, ce gouffre, cette Kharybdis de rapines, ce vaurien, cet archivaurien! Je me plais à le dire plusieurs fois; car il est vaurien plusieurs fois par jour. Oui, frappe, poursuis, mets-le aux abois, extermine. Hais-le comme nous le haïssons; crie à ses trousses! Prends garde qu'il ne t'échappe, vu qu'il connaît les passes par lesquelles Eukratès s'est sauvé droit dans du son.
Vieillards hèliastes, confrères du triobole, vous que je nourris de mes criailleries, en mêlant le juste et l'injuste, venez à mon aide, je suis battu par des conspirateurs.