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Le nain noir

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CHAPITRE VI

«Pourquoi nous donne-t-on le nom de voleurs, à «nous qui sommes les gardes-du-corps de la nuit? «Qn'ou nous appelle les compagnons de Diane «dans les forêts, les gentilshommes des ténèbres, les «favoris de la lune!» (Shakespeare) Henri IV, première partie.

Le solitaire avait passé dans son jardin le reste du jour où il avait en la visite des trois cousines. Il vint, le soir, s'asseoir sur la pierre qui était son banc favori. Le disque du soleil brillait d'un rouge éclatant; à travers les flots de nuages qui passaient et repassaient sans cesse, il colorait d'une teinte plus vive de pourpre les sommets des montagnes couvertes de bruyères, dont le vaste profil se dessinait à l'horizon de cette aride plaine.

Le Nain contemplait les nuages qui s'abaissaient en masses de plus en plus compactes; et lorsqu'un des derniers rayons du soleil couchant vint tomber d'aplomb sur la figure étrange du solitaire, on aurait pu le prendre pour le démon de l'orage qui se préparait, ou pour quelque gnome qu'un signal sinistre avait fait sortir tout-à-coup des entrailles de la terre.

Pendant qu'il était assis, les yeux tournés vers les vapeurs toujours croissantes de l'horizon, un homme à cheval arriva au grand galop; et, s'arrêtant comme pour laisser reprendre haleine à son cheval, il fit à l'anachorète une espèce de salut avec un air d'effronterie mêlé de quelque embarras.

La taille de ce cavalier était maigre et élancée; mais il paraissait avoir la force et la constitution d'un athlète, comme quelqu'un qui avait fait métier toute sa vie de ces exercices qui développent la force musculaire en empochant le corps de prendre trop d'accroissement. Son visage, brûlé par le soleil, annonçait l'audace, l'impudence et la fourberie; enfin des cheveux et des sourcils roux qui ombrageaient de petits yeux gris, tels étaient les traits qui composaient la physionomie sinistre de ce personnage. Il avait des pistolets d'arçon à sa selle et une autre paire à sa ceinture; il portait une jaquette de peau de buffle, et des gants aux mains; celui de la droite était garni de petites écailles de fer, comme les anciens gantelets. Il avait la tête couverte d'une espèce de casque d'acier rouillé, et un grand sabre pendait à son côté.

– Hé bien! dit le Nain, voilà donc encore le Vol et le Meurtre à cheval?

– A cheval? Oui, oui, Elsy, dit le bandit, votre science de médecin m'a remonté sur mon brave cheval bai.

– Et toutes ces promesses d'amendement que vous aviez faites pendant votre maladie, elles sont oubliées?

– Parties avec l'eau chaude et la panade, reprit l'effronté convalescent. Elsy, vous qui avez, dit-on, des liaisons avec l'Autre (Le diable):

 
«Le diable, étant en maladie,
«D'être moine eut la fantaisie;
«Mais, quand il se porta bien,
«Du diable s'il en fit rien.»
 

– Tu dis vrai, répondit le solitaire: il serait plus facile de faire perdre au corbeau son goût pour les cadavres, au loup sa soif du sang, que de changer tes inclinations perverses.

– Que voulez-vous que j'y fasse? cela est né avec moi, c'est dans mon sang. De père en fils les lurons de Westburnflat ont été tous des rôdeurs et des pillards. Ils ont tous bu sec, et fait bonne vie, tirant grande vengeance d'une petite offense et ne refusant aucun travail bien payé.

– Fort bien! et tu es aussi loup que celui qui la nuit ravage une bergerie… Pour quelle oeuvre de l'enfer es-tu en course cette nuit?

– Est-ce que votre science ne vous l'apprend pas?

– Elle m'apprend que ton dessein est coupable, que ton action sera plus mauvaise, et que la fin sera pire encore.

– Et vous ne m'en aimez pas moins pour cela, reprit Westburnflat, vous me l'avez toujours dit.

J'ai des raisons pour aimer ceux qui sont le fléau de l'humanité: – tu en es un des plus épouvantables! Tu vas répandre le sang?

– Non! oh non!.. A moins qu'on ne fasse résistance; car alors la colère l'emporte, vous savez. Non; je veux seulement couper la crête d'un jeune coq qui chante trop haut.

– Ce n'est pas du jeune Earnscliff? dit le Nain avec quelque émotion.

– Le jeune Earnscliff? Non… Pas encore, le jeune Earnscliff! mais son tour pourra venir, s'il ne prend garde à lui, et s'il ne retourne à la ville, au lieu de s'amuser ici à détruire le peu de gibier qui nous reste; s'il prétend agir en magistrat, et envoyer aux gens puissants d'Auld-Reekie (Édimbourg) ses rapports sur les troubles du canton… Oui, qu'il prenne garde à lui!

– C'est donc Hobby d'Heugh-Foot! Quel mal t'a-t-il fait?

– Quel mal? pas grand mal;, mais il dit que le dernier mardi gras je n'osai me montrer de peur de lui, tandis que c'était de peur du shérif; il y avait un mandat contre moi. Je me moque d'Hobby et de tout son clan; mais ce n'est pas tant pour me venger que pour lui apprendre à ne pas donner carrière à sa langue en parlant de ceux qui valent mieux que lui; je crois que demain matin il aura perdu la meilleure plume de son aile… Adieu, Elsy; j'ai quelques bons enfants qui m'attendent dans les montagnes. Je vous verrai en revenant, et je vous amuserai du récit de ce que nous aurons fait, pour vous payer de vos soins.

Avant que le Nain eût le temps de répliquer, le bandit de Westburnflat partit au grand galop. Il pressait sans pitié son cheval de l'éperon, et le faisait sauter par-dessus les pierres, dont un grand nombre parsemaient encore la plaine. En vain l'animal ruait, gambadait, se dressait: il le forçait à suivre sa ligne droite, et restait ferme sur la selle. Bientôt le solitaire le perdit de vue.

– Ce misérable, dit le Nain, cet assassin couvert de sang, ce scélérat qui ne respire que le crime, a des nerfs et des muscles assez forts et assez souples pour dompter un animal mille fois plus noble que lui; il le force à le conduire dans l'endroit où il va se souiller d'un nouveau forfait! Et moi, si j'avais la faiblesse de vouloir avertir sa malheureuse victime de se tenir sur ses gardes, et chercher à sauver une famille innocente, la décrépitude qui m'enchaîne ici mettrait un obstacle à mes bonnes intentions! – Mais pourquoi désirerais-je qu'il en fût autrement? Qu'ont de commun ma voix aigre, ma figure hideuse, ma taille mal conformée, avec ceux qui se prétendent les chefs-d'oeuvre de la nature? Quand je rends un service, ne le reçoit-on pas avec horreur et dégoût? Et pourquoi prendrais-je quelque intérêt à une race qui me regarde et qui m'a traité comme un monstre, un être proscrit? Non; par toute l'ingratitude que j'ai éprouvée, par les injures que, j'ai souffertes, par l'emprisonnement qu'on m'a fait subir, par les chaînes dont on m'a chargé, j'étoufferai dans mon coeur ma sensibilité rebelle. Je n'ai été que trop souvent assez insensé pour dévier de mes principes quand mes sentiments se liguaient contre moi. Comme si celui qui n'a trouvé de compassion dans personne devrait en ressentir pour quelqu'un? Que la destinée promène son char armé de faux sur l'humanité tremblante, je ne me précipiterai pas sous ses roues pour lui dérober une victime. Quand le Nain, le sorcier, le bossu, aurait sauvé aux dépens de sa vie un de ces êtres si fiers de leur beauté, ou de leur adresse, tout le monde applaudirait à cet échange d'un homme contre un monstre. – Et cependant ce pauvre Hobby, si jeune, si franc, si brave, si… – Oublions-le! je ne pourrais le secourir quand je le voudrais; mais si je le pouvais, je ne le voudrais pas: non, je ne le voudrais pas, dût-il ne m'en coûter qu'un souhait pour le sauver.

Avant ainsi terminé son soliloque, il se retira dans sa chaumière pour se mettre à l'abri de l'orage qui s'annonçait par de grosses et larges gouttes de pluie. Les derniers rayons du soleil avaient disparu entièrement; à de courts intervalles deux ou trois éclats de tonnerre étaient répétés par les échos des montagnes comme le bruit d'un combat lointain.

CHAPITRE VII

 
«Orgueilleux oiseau des montagnes,
«Tes plumes vont servir de jouet aux autans.
«Retourne aux lieux où tu plaças ton aire,
«Tu n'y verras que cendres et débris.
«Qui frappe l'air de ces lugubres cris?..
«Ce sont les accents d'une mère.
 
T. Campbell.

Toute la nuit fut sombre et orageuse; mais le matin se leva comme rafraîchi par la pluie. Même la lande sauvage de Mucklestane-Moor, coupée par des inégalités d'un terrain aride, et par des flaques d'eau marécageuse, sembla s'animer sous l'influence d'un ciel serein, comme un air de bonne humeur et de gaîté peut répandre un certain charme inexprimable sur le visage le moins agréable. La bruyère était touffue et fleurie. Les abeilles que le solitaire avait ajoutées à ses petites propriétés rurales voltigeaient en joyeux essaims et remplissaient l'air des murmures de leur industrie. Quand le vieillard sortit de sa hutte, ses deux chèvres vinrent au-devant de lui pour recevoir la nourriture qu'il leur distribuait lui-même chaque matin, et elles lui léchaient les mains pour lui témoigner leur reconnaissance.

– Pour vous du moins, leur dit-il, pour vous du moins la conformation de celui qui vous fait du bien ne change rien à votre gratitude; vous accueillez avec transport l'être disgracié de la nature qui vous donne ses soins; et les traits les plus nobles que le ciseau d'un statuaire ait jamais produits, seraient pour vous un objet d'indifférence et d'alarmes s'ils s'offraient à vous à la place du corps mutilé dont vous avez coutume de recevoir les soins… Lorsque j'étais dans le monde, ai-je jamais trouvé de tels sentiments de gratitude? Non. Les domestiques que j'avais élevés depuis leur enfance, me tournaient en dérision derrière ma chaise; l'ami que je soutins de ma fortune, et pour l'amour de qui mes mains… (Il fut en ce moment agité d'un mouvement convulsif)… Cet ami m'enferma dans l'asile destiné aux êtres privés de raison, me fit partager leurs souffrances, leurs humiliations, leurs privations! Hubert seul… mais Hubert finira aussi par m'abandonner. Tous les hommes ne se ressemblent-ils pas? Ne sont-ils pas tous corrompus, insensibles, égoïstes, ingrats et hypocrites jusque dans leurs prières à la Divinité, quand ils la remercient du soleil qui les éclaire, de l'air pur qu'ils respirent?

 

Pendant qu'il se livrait à ces sombres réflexions, le solitaire entendit de l'autre côté de son enclos les pas d'un cheval, et une voix sonore qui chantait avec l'accent joyeux d'un coeur léger de souci:

 
«Bon Hobbie Elliot, Hobbie, ô cher ami,
«Avec vous volontiers je m'en irais d'ici!»
 

Au mène instant, un gros chien de chasse franchit la barrière de l'ermite. Les chasseurs de ces cantons savent bien que la forme et l'odeur des chèvres rappellent si bien la forme et l'odeur du daim, que les limiers les mieux dressés s'élancent quelquefois sur elles. Le chien en question attaqua donc et étrangla aussitôt une des favorites de l'ermite. En vain Hobby Elliot survenant sauta à bas de son cheval pour sauver l'innocente créature. Quand le Nain vit les dernières convulsions d'une de ses favorites, saisi d'un accès de frénésie et ne se possédant plus, il tira une espèce de poignard qu'il portait sous son habit, et se précipita sur le chien pour le percer. Hobby lui saisit le bras.

– Tout beau, Elsy, tout beau, lui dit-il, ce n'est pas ainsi qu'il faut traiter Killbuck.

La rage du Nain se dirigea alors contre le jeune fermier. Déployant une vigueur qu'on ne lui aurait pas soupçonnée, il dégagea son bras dans un clin d'oeil, et appuya la pointe de son poignard sur la poitrine d'Hobby. Mais au même instant le jetant loin de lui avec horreur: – Non!, s'écria-t-il d'un air égaré, non! pas une seconde fois!

Hobby recula de quelques pas, aussi surpris que confus d'avoir couru un tel danger de la part d'un ennemi qu'il aurait cru si peu redoutable. – Il a le diable au corps, à coup sûr! Tels furent les premiers mots qui lui échappèrent, puis il se mit à, s'excuser d'un accident qu'il n'avait pu ni prévoir ni prévenir.

– Je ne veux pas justifier tout-à-fait Killbuck, dit-il; mais je suis autant fâché que vous de ce qui vient d'arriver, je veux donc vous envoyer deux chèvres et deux grasses brebis de deux ans, pour réparer tout le mal. Un homme sage et sensé, comme vous l'êtes, ne doit pas avoir de rancune contre une pauvre bête qui n'a fait que suivre son instinct. Une chèvre est cousine germaine d'un daim; si c'eût été un agneau, on pourrait y trouver davantage à redire. Vous devriez avoir des brebis plutôt que des chèvres, Elsy, dans un endroit où il y a tant de chiens de chasse. – Mais je vous en enverrai deux.

– Misérable! dit le Nain, votre cruauté me prive d'une des deux seules créatures qui me fussent attachées!

– Bon Dieu! Elsy, c'est bien contre ma volonté. J'aurais dû penser que vous aviez des chèvres, et tenir mon chien en laisse. Mais je vais me marier, voyez-vous, et cela m'ôte toute autre idée de la tête, je crois. Mes deux frères apportent sur le traîneau le dîner de noces, ou une bonne partie; Je veux dire trois fameux chevreuils, jamais on n'en vit courir de plus beaux dans la plaine de Dallom, comme dit la ballade. Ils ont fait un détour pour arriver, à cause des mauvais chemins. Je vous enverrais bien un peu de venaison; mais vous n'en voudriez pas peut-être, parce que c'est killbuck qui l'a tuée.

Pendant ce long discours, par lequel le bon habitant des frontières cherchait à calmer de son mieux le Nain offensé, il l'entendit s'écrier enfin après avoir tenu les yeux baissés comme pour se livrer à de profondes méditations.

– L'instinct! l'instinct! Oui! c'est bien cela! Le fort opprime le faible; le riche dépouille le pauvre; celui qui est heureux, ou pour mieux dire l'imbécile qui croit l'être, insulte à la misère de celui qui souffre. Retire-toi, tu as réussi à donner le dernier coup au plus misérable des êtres. Tu m'as privé de ce que je regardais comme une demi-consolation. Retire-toi, répéta-t-il; et il ajouta avec un sourire amer: Vas jouir du bonheur qui t'attend chez toi!

– Ah! dit Hobby, je veux n'être jamais cru, si je ne désire pas vous mener avec moi à mes noces. On n'en aura pas vu de pareilles depuis le temps du vieux Martin Elliot de la tour de Preakin. Il y aura cent Elliot pour courir la brouze (Espèce de course à cheval qui fait partie des réjouissances d'une noce). Je vous enverrai chercher dans un traîneau avec un bon poney.

– Est-ce bien à moi que vous proposez de prendre part aux plaisirs du commun des hommes?

– Comment commun! pas si communs. Les Elliot sont depuis long-temps une bonne race.

– Va-t'en, répéta le Nain; puisse le mauvais génie qui t'a conduit ici t'accompagner chez toi! Si tu ne m'y vois, tu y verras mes compagnons fidèles, la misère et le désespoir. Ils t'attendent déjà sur le seuil de ta porte.

– Vous avez tort de parler ainsi, Elsy. Personne ne vous croit bon de reste; écoutez-moi; et voilà que vous me souhaitez malheur, à moi ou les miens. Maintenant s'il arrivait quelque chose à Grâce, Dieu m'en préserve! ou à moi ou au pauvre chien; si je souffrais quelque injure dans ma personne ou dans mes biens, je n'oublierai point la part que vous y aurez eue.

– Va-t'en! dit encore le Nain, va-t'en! et souviens-toi de moi quand tu sentiras le coup qui t'aura frappé.

– Hé bien! hé bien! dit Hobby en remontant à cheval, je m'en vais; on ne gagne rien, comme on dit, à se disputer avec les gens qui sont de travers, on ne les change pas (C'est le préjugé contre l'humeur de ceux qu'on appelle des gens marqués au B.); mais s'il arrive quelque chose à Grâce Armstrong, je vous promets un petit feu de sorcier, pourvu qu'on trouve un seul tonneau goudronné dans les cinq paroisses du canton.

Il partit à ces mots: le Nain jeta sur lui un regard de colère et de mépris, et prenant une bêche avec un hoyau, il commença à creuser un tombeau pour sa chèvre.

Un coup de sifflet, et les mots, – Hist, Elsy, st! l'interrompirent dans cette triste occupation. Il leva la tête et aperçut près de lui le bandit de Westburnflat. Comme le meurtrier de Banquo (Allusion à Macbeth), il avait le visage souillé de sang, ainsi que ses éperons et les flancs de son cheval.

– Eh bien! misérable, ton infâme projet est-il accompli?

– Est-ce que vous en doutez, Elsy? Quand je monte à cheval, mes ennemis peuvent sangloter d'avance. Ils ont eu cette nuit, à Heugh-Foot, une belle illumination, et on y pousse encore des cris plaintifs sur la mariée.

– La mariée!

– Oui. Charly Cheat-the-Woody (Charlot nargue-la potence), comme nous l'appelons, c'est-à-dire Charlot Foster de Tinning-Beck, l'emmène dans le Cumberland. Elle m'a reconnu dans la bagarre, parce que mon masque est tombé un instant. Vous sentez que, si elle reparaissait dans le pays, je n'y serais pas en sûreté; la bande des Elliot est nombreuse. Maintenant, ce que, j'ai à vous demander, c'est le moyen de la mettre en sûreté.

– Veux-tu donc l'assassiner?

– Non, non; si je puis m'en dispenser. On dit qu'on envoie des gens aux plantations, – qu'on les fait embarquer pour cela tout doucement dans les ports, et qu'on sait gré surtout à ceux qui emmènent une jolie fille. On a besoin par delà les mers de ce bétail femelle, qui n'est pas rare ici; mais je veux faire mieux pour la nôtre. Il est une belle dame qui, à moins qu'elle ne devienne enfant docile, fera dans peu, bon gré malgré, le voyage des Grandes-Indes. J'ai envie de faire partir Grâce avec elle. C'est une bonne fille, après tout. Quel crève-coeur pour hobby, quand il va arriver ce matin et qu'il ne trouvera ni maison ni fiancée!

– Et tu n'as aucune pitié de lui!

– Aurait-il pitié de moi, s'il me voyait gravir la colline du château à Jeddart (Le lieu des exécutions à Jeddart, où plusieurs confrères de Westburnflat durent jouer la dernière scène de leur rôle tragique)? C'est la pauvre fille que je plains. Pour lui, il en prendra une autre. – Eh bien! Elsy, que dites-vous de cet exploit, vous qui aimez à en entendre raconter?

– L'air, l'océan, le feu, dit le Nain se parlant à lui-même, les tremblements de terre, les tempêtes, les volcans, ne sont rien auprès de la rage de l'homme; et qu'est-ce que ce bandit, si ce n'est un homme plus habile qu'un autre à remplir le but de son existence! – Ecoute-moi, misérable, tu vas aller où je t'ai envoyé une fois.

– Chez l'intendant?

– Oui; tu lui diras qu'Elsender-le-Reclus lui ordonne, de te donner de l'or. Mais rends la liberté à cette fille, renvoie-la dans sa famille; qu'elle n'ait à se plaindre d'aucune insulte; fais-lui seulement jurer de ne pas découvrir ton crime.

– Jurer! Et si elle ne tient pas son serment? les femmes n'ont pas une grande réputation de ce côté. Un homme comme vous doit savoir cela. Aucune insulte, dites-vous? Qui sait ce qui peut lui arriver, si elle reste long-temps à Tinning-Beck? Charly Cheat-the-Woody est un brave luron. Mais si vingt pièces d'or m'étaient comptées, je croirais pouvoir promettre qu'elle sera rendue à sa famille dans les vingt-quatre heures.

Le Nain tira de sa poche un petit porte-feuille, y écrivit une ou deux lignes, en déchira le feuillet, et le remettant au brigand: – Tiens, lui dit-il en le regardant d'un air de menace, mais ne songe pas à me tromper! si tu n'obéis pas ponctuellement à mes ordres, ta vie m'en répondra.

– Je sais que vous avez du pouvoir, Elsy, dit le bandit en baissant les yeux, n'importe d'où il vienne; – vous avez une prévoyance et un savoir de médecin qui vous servent à merveille, et l'argent pleut à votre commandement, comme les fruits du grand frêne de Castleton dans une gelée d'octobre: je ne vous désobéirai pas.

– Pars donc, et délivre-moi de ton odieuse présence.

Le brigand donna un coup d'éperon à son cheval, et disparut sans répliquer.

Pendant ce temps, Hobby continuait sa route avec cette sorte d'inquiétude vague qu'on appelle souvent le pressentiment de quelque malheur. Avant d'arriver à la hauteur d'où il pouvait voir sa maison, il aperçut sa nourrice, personnage qui était alors d'une grande importance dans toutes les familles d'Écosse, tant dans la haute classe que dans la moyenne. On regardait la liaison établie entre elle et l'enfant qu'elle avait nourri comme trop intime pour être rompue, et il arrivait très fréquemment que la nourrice finissait par être admise dans la famille de son nourrisson, et par y être chargée d'une partie de quelqu'un des soins domestiques.

– Qu'est-ce donc qui a pu faire venir si loin la vieille nourrice? se demanda Hobby dès qu'il eut reconnu Annaple. Jamais elle ne s'éloigne de la ferme à plus d'une portée de fusil. Vient-elle m'annoncer quelque malheur? Les paroles du vieux sorcier ne peuvent pas me sortir de la tête. Ah! Killbuck, mon garçon! prendre une chèvre pour un daim, et justement la chèvre d'Elsy!

Cependant Annaple, le désespoir peint sur la figure, était arrivée près de lui, et, saisissant son cheval par la bride, resta quelques instants sans pouvoir s'exprimer, tandis qu'Hobby, ne sachant à quoi il devait s'attendre, n'osait l'interroger.

– Mon cher enfant, s'écria-t-elle enfin, arrêtez!.. n'allez pas plus loin!.. c'est un spectacle qui vous fera mourir.

– Au nom du ciel, Annaple, expliquez-vous! que voulez-vous dire?

– Hélas! mon enfant, tout est perdu, brûlé, pillé, saccagé! Votre jeune coeur se briserait, mon enfant, si vous voyiez ce que mes vieux yeux ont vu ce matin.

– Et qui a osé faire cela? – Lâchez ma bride, Annaple, lâchez-la donc! Où est ma mère, où sont mes soeurs, où est Grâce? Ah! le sorcier! j'entends encore ses paroles tinter à mon oreille.

Il pressa son cheval, et ayant atteint la hauteur il vit bientôt le spectacle de désolation dont Annaple l'avait menacé. Des monceaux de cendres et de débris couvraient la place qu'avait occupée sa ferme. Ses granges, qui renfermaient ses récoltes et ses fourrages, ses étables pleines de nombreux troupeaux, tout ce qui formait la richesse d'un cultivateur à cette époque, tout cela n'existait plus. Il resta un moment sans mouvement. – Je suis ruiné, s'écria-t-il enfin, ruiné sans ressource! – encore si ce n'était pas à la veille de mon mariage! – Mais je ne suis pas un enfant pour rester là à pleurer. Pourvu que je retrouve Grâce, ma mère et mes soeurs bien portantes! – Eh bien! je ferai comme mon grand-père, qui alla avec Buccleugh servir en Flandre. – Allons, je ne perdrai pas courage, ce serait le faire perdre à ces pauvres femmes.

 

Il s'avança avec fermeté vers le lieu du désastre, dans le dessein de porter à sa famille les consolations dont il avait besoin lui-même. Les habitants du voisinage, ceux surtout qui portaient son nom, s'y étaient déjà rassemblés. Les plus jeunes s'étaient armés, et ne respiraient que vengeance, quoiqu'ils ne sussent sur qui la faire tomber: les plus âgés s'occupaient des moyens de secourir la malheureuse famille. La chaumière d'Annaple, située à deux pas de la ferme, lui avait servi de refuge, et chacun s'était empressé d'y apporter ce qui pouvait lui être le plus nécessaire, car on n'avait pu sauver presque rien de la fureur des flammes.

– Eh bien! disait un grand jeune homme, allons-nous rester toute la journée devant les murailles brûlées de la maison de notre parent? A cheval, et poursuivons les brigands. Qui a un limier prêt à nous guider?

– Le jeune Earnscliff est déjà parti avec six chevaux, dit un autre, pour tâcher de les découvrir.

– Eh bien! reprit le premier, suivons-le donc, entrons dans le Cumberland, brûlons, pillons, tuons, tant pis pour les plus voisins.

– Un moment, jeune homme, dit un vieillard, voulez-vous exciter la guerre entre deux pays qui sont en paix?

– Voulez-vous que nous voyions brûler nos maisons sans nous venger? Est-ce ainsi qu'agissaient nos pères?

– Je ne vous dis pas, Simon, qu'il ne faut pas nous venger, répondit le vieillard plus prudent; mais il faut avoir, de notre temps, la loi pour soi.

– Je doute, dit un autre, qu'il existe encore un homme qui sache les formalités à observer quand il faut poursuivre une vengeance légitime au-delà des frontières. Tam de Whittram savait tout cela; mais il est mort dans le fameux hiver.

– Oui, dit un troisième, il était de la grande expédition quand l'on se porta jusqu'à Thirlwall, un an après le combat de Philiphaugh.

– Bah! s'écria un autre de ces conseillers de la discorde, il ne faut pas être bien savant pour connaître ces formalités. Quand on est sur la frontière, il faut mettre une botte de paille enflammée au haut d'une pique ou d'une fourche, sonner trois fois du cor, proclamer le mot de guerre, et alors il est légitime d'entrer en Angleterre pour se remettre, de vive force, en possession de ce qu'on vous a pris. Et; si vous n'en pouvez venir à bout, vous avez le droit de prendre à quelque Anglais l'équivalent de ce que vous avez perdu, mais pas davantage. Voilà la loi ancienne du Border, faite à Drundrennan du temps de Douglas-le-Noir: que le diable emporte qui en doute.

– Hé bien! mes amis, s'écria Simon, à cheval! nous prendrons avec nous le vieux Cuddy; il Sait le compte des troupeaux et du mobilier perdus, Hobby en aura ce soir autant qu'il en avait hier. Quant à la maison, nous ne pouvons lui en rapporter une; mais nous en brûlerons une dans le Cumberland, comme on a brûlé Heugh-Foot; c'est là ce qu'on appelle des représailles dans tous les pays du monde.

La proposition venait d'être accueillie avec enthousiasme par les plus jeunes de l'assemblée, quand Hobby arriva.

Voilà Hobby, répéta-t-on tout bas, le voilà ce pauvre garçon: c'est lui qui nous guidera. Tous s'empressèrent autour du malheureux fermier pour lui témoigner la part qu'ils prenaient à son malheur, et il ne put indiquer à ses voisins et à ses parents combien il était sensible à l'intérêt qu'ils lui marquaient, qu'en leur serrant la main. Quand il pressa celle de Simon d'Hackburn, son anxiété trouva enfin un langage.

– Et où sont-elles? dit-il, comme s'il eût craint de nommer les objets de son inquiétude. Simon lui montra du doigt la chaumière d'Annaple, et Hobby s'y précipita avec l'air désespéré d'un homme qui veut savoir sur-le-champ tout ce qu'il doit craindre.

Dès qu'il y fut entré, des exclamations de compassion partirent de tous côtés dans le groupe.

– Ce pauvre Hobby! ce pauvre garçon!

– Il va apprendre ce qu'il y a de pire pour lui!

– Earnscliff ramènera peut-être la pauvre fille!

Après ces exclamations, le groupe, n'ayant point de chef reconnu, attendit tranquillement le retour d'Hobby, résolu à se mettre sous sa direction.

L'entrevue d'Hobby avec sa famille fut aussi triste qu'attendrissante. Ses trois soeurs se jetèrent à son cou en pleurant, et l'étouffèrent presque de caresses pour retarder l'instant où il s'apercevrait qu'il lui manquait quelqu'un non moins cher a son coeur.

– Que Dieu vous bénisse, mon fils! Il peut nous secourir, lui, alors que le secours du monde n'est qu'un roseau brisé.

Tels furent les premiers mots que la vieille mère adressa à son petit-fils. Il regarda autour de lui, tenant la main de deux de ses soeurs, tandis que la troisième était encore suspendue à son cou.

– Laissez-moi donc voir; dit-il, que je vous compte. Voilà ma mère, Annette, Jeanne, Lily; mais où est… Il hésita un moment. – Où est Grâce? continua-t-il, comme en faisant un effort.

– Sûrement ce n'est pas un moment pour se cacher ou pour plaisanter.

– O mon frère! notre pauvre Grâce! telles furent les seules réponses qu'il put obtenir, jusqu'à ce que sa grand'mère se levât, et, le séparant de ses soeurs éplorées, le conduisît vers un siège; puis, avec cette sérénité touchante qu'une piété sincère peut seule procurer aux plus cruelles douleurs, elle lui dit: – Mon fils, quand votre père fut tué à la guerre, et me laissa six orphelins, à qui j'avais à peine alors de quoi donner du pain, j'eus le courage, ou pour mieux dire, le ciel me donna le courage de dire: – Que la volonté du Seigneur soit faite! Hé bien! mon fils, des brigands ont mis le feu cette nuit à la ferme en cinq ou six endroits à la fois; ils sont entrés armés, masqués; ils ont pillé la maison, tué les bestiaux, emmené les chevaux, et, pour comble de malheur, enlevé notre pauvre Grâce! priez le ciel de vous donner la force de dire: Que sa volonté soit faite!

– Ma mère, ma mère, ne me pressez pas ainsi… C'est impossible… je ne suis qu'un pécheur… un pécheur endurci!.. Des hommes armés, masqués! Grâce enlevée!.. Donnez-moi le sabre et le havresac de mon père. Je veux me venger, devrais-je aller chercher ma vengeance au fond de l'enfer.

– Oh! mon fils, soyez soumis à la volonté de Dieu. Qui sait ce que sa bonté nous réserve? Le jeune Earnscliff, que le ciel le protège! s'est mis à la poursuite des brigands avec Davie de Stenhouse et quelques autres des premiers accourus. Je criai de laisser brûler la maison et de courir après Grâce, et Earnscliff a été le premier à partir. C'est le digne fils de son père; c'est un loyal ami.

– Oui! s'écria Hobby, que le ciel le bénisse! Mais il s'agit à présent de l'imiter. Adieu, ma mère, adieu, mes soeurs!

– Adieu, mon fils! puissiez-vous réussir dans votre recherche! mais que je vous entende donc dire avant votre départ: – Que la volonté de Dieu soit faite!

– Pas, à présent, ma mère, pas à présent! cela m'est impossible. Il sortait de la maison, quand, en se retournant, il vit le visage de sa vénérable aïeule se couvrir d'une nouvelle tristesse. Il revint sur-le-champ, se précipita dans ses bras: – Hé bien! oui, ma mère, dit-il, oui! que sa volonté soit faite! puisque cela vous consolera.

– Que Dieu soit donc avec vous, mon fils, et qu'il vous accorde de pouvoir dire à votre retour: – Que son saint nom soit béni!

– Adieu, ma mère, adieu mes soeurs, s'écria Elliot; et il partit.