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Ivanhoe. 3. Le retour du croisé

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CHAPITRE XXV

«Quel maudit griffonnage! Jamais de ma vie je n'en vis de pareil.»

GOLDSMITH. She stoops to conquer. Elle s'humilie pour vaincre.

Lorsque le templier entra dans la grande salle du château, de Bracy s'y trouvait déjà. «Et votre déclaration amoureuse? s'écria celui-ci; je pense que, comme la mienne, elle a été troublée par l'appel bruyant du cor. Vous arrivez le dernier et à regret; je présume donc que votre entrevue aura été plus heureuse et plus agréable que la mienne.» – «Votre déclaration à l'héritière saxonne aurait-elle été sans succès?» dit le templier. – «Par les reliques de saint Thomas Becket! répliqua de Bracy, sans doute lady Rowena a ouï dire ce que je souffre à la vue d'une femme qui pleure.»

«Allons donc, dit le templier; le chef d'une compagnie franche faire attention aux pleurs d'une femme! Quelques gouttes dont on asperge le flambeau de l'Amour ne font que rendre son éclat plus vif.» – «Grand merci de ton aspersion! répliqua de Bracy. Sais-tu que cette jeune fille a versé autant de larmes qu'il en faudrait pour éteindre un fanal? Non, jamais, depuis le temps de sainte Niobé2, dont le prieur nous a raconté la vie, on n'a vu des mains se tordre de telle façon, des yeux verser de semblables torrens. La belle Saxonne était possédée d'une fée ondine.»

«C'est une légion de démons que renfermait le sein de la juive, repartit le templier; car jamais un seul d'entre eux, je pense, fût-ce Apollyon lui-même, n'eût pu lui souffler un si indomptable orgueil, une si ferme résolution.» – «Mais où est Front-de-Boeuf? Pourquoi le cor se fait-il entendre? Pourquoi ces sons de plus en plus perçans?» – «Sans doute il est à négocier avec le juif, du moins je le suppose, répondit froidement de Bracy; il est probable que les hurlemens d'Isaac auront étouffé les sons du cor. Tu dois savoir par expérience, sire Brian, qu'un juif contraint de payer une rançon, surtout aux conditions que lui prescrira notre ami Front-de-Boeuf, doit jeter des cris à couvrir le tintamarre de vingt cors et de vingt trompettes. Mais nous allons le faire appeler par nos vassaux.»

Bientôt après ils furent rejoints par Front-de-Boeuf, qui avait été interrompu dans sa despotique cruauté de la manière que le lecteur a vue, et qui n'avait tardé que pour donner quelques ordres indispensables.

«Voyons quelle est la cause de cette maudite rumeur, dit Front-de-Boeuf. C'est une lettre; et, si je ne me trompe, elle est écrite en saxon.» Il l'examina, la tournant et retournant, comme si en changeant le sens du papier il devait espérer d'en connaître le contenu, puis la donna à de Bracy.

«Ce sont des caractères magiques pour moi,» dit de Bracy, qui avait sa bonne part de l'ignorance qui faisait l'apanage des chevaliers de cette époque. «Notre chapelain fit tout au monde pour m'enseigner à écrire, dit-il; mais toutes mes lettres ressemblaient par la forme à des fers de lance et à des lames de sabre, ce qui fit que le vieux tondu renonça à sa tâche.

«Donnez-moi cette lettre, dit le templier; dans notre ordre, quelque instruction rehausse notre valeur.» – «Faites-nous donc profiter de votre révérentissime savoir, répliqua de Bracy. Que veut dire ce griffonnage?» – «C'est un défi dans toutes les formes, répliqua le templier. Certes, par Notre-Dame de Bethléem, si ce n'est point une folle plaisanterie, voilà le cartel le plus extraordinaire qui ait jamais passé le pont-levis du château d'un baron.»

«Une plaisanterie, dit Front-de-Boeuf; je serais charmé de connaître qui oserait plaisanter avec moi de la sorte! Lisez, sire Brian.» Le templier lit ce qui suit: «Moi, Wamba, fils de Witless, fou de noble et libre homme Cedric de Rotherwood, dit le Saxon; et moi, Gurth, fils de Beowulph, gardeur de pourceaux…»

«Tu es fou, s'écria Front-de-Boeuf, interrompant le lecteur.» – «Par Saint-Luc, c'est ce qui est écrit, riposta le templier; puis il reprit sa lecture et poursuivit de la sorte: «Moi, Gurth, fils de Beowulph, gardeur des pourceaux dudit Cedric, avec l'assistance de nos alliés et confédérés qui dans cette querelle font cause commune avec nous, notamment du bon et loyal chevalier, jusqu'à présent nommé le Noir fainéant, faisons savoir à vous Réginald Front-de-Boeuf, et à vos alliés et complices, quels qu'ils soient, qu'attendu que, sans motif aucun, sans déclaration d'hostilité, vous vous êtes emparés contre le droit des gens et par violence de la personne de notre seigneur, ledit Cedric, ainsi que de la personne de noble et libre demoiselle lady Rowena d'Hargottstand, ainsi que de la personne de noble et libre homme Athelstane de Coningsburgh, ainsi que des personnes de certains hommes libres, leurs cnichts3; ainsi que de certains serfs qui leur appartiennent, ainsi que d'un certain juif, nommé Isaac d'York, en même temps que d'une juive, sa fille, et de certains chevaux et mules, lesquelles nobles personnes, avec leurs cnichts et serfs, chevaux, mules, juif et juive susdits, étaient tous en paix avec Sa Majesté, et voyageaient sur le grand chemin du roi, nous requérons et demandons que lesdits nobles personnages, nommément Cedric de Rotherwood, Rowena de Hargottstandstede, Athelstane de Coningsburgh, leurs serfs, cnichts, compagnons, chevaux, mules, juif et juive susnommés ainsi qu'argent et effets à eux appartenant dans l'heure qui suivra la réception de cette lettre, nous soient remis à nous ou à nos représentans, corps et biens intacts, et le tout dans son intégrité: faute de quoi nous vous déclarons que nous vous tiendrons comme brigands et traîtres, et que tous, soit par siéges, combats ou attaques de ce genre, nous risquerons notre vie contre la vôtre, et ferons à votre préjudice et ruine tout ce qui sera en notre pouvoir. Sur ce, que Dieu vous ait en sa sainte et digne garde. Signé par nous la veille de la Saint-Withold, sous le grand chêne de Hart-Hill-Welk, les présentes étant écrites par un saint homme en Dieu, le desservant de Notre-Dame et de Saint-Dunstan, dans la chapelle Copmanhurst.»

Au bas de cette sommation était immédiatement et grossièrement griffonnée la tête d'un coq avec sa crête, entourée d'une légende qui expliquait que cette espèce d'hiéroglyphe était la signature de Wamba, fils de Witless4. Sous ce respectable emblème figurait une croix, connue pour être le seing de Gurth, fils de Beowulph; venaient ensuite ces mots, tracés d'une main hardie, quoique inhabile: Le Noir-Fainéant. Enfin, une flèche assez nettement dessinée, et qui était le sceau du yeoman ou archer Locksley, fermait cette missive.

Les chevaliers écoutèrent jusqu'au bout cette pièce singulière, puis se regardèrent l'un et l'autre, muets d'étonnement, ne pouvant deviner ce qu'elle signifiait. De Bracy rompit le premier le silence par un grand éclat de rire, qui tout à coup fut suivi d'un second, mais plus modéré, qui échappa au templier. Front-de-Boeuf, au contraire, paraissait impatient de cette gaîté intempestive. «Beaux sires, dit-il, je vous donne un avis: c'est qu'en semblables circonstances il serait plus convenant de vous consulter ensemble sur ce qu'il y a à faire, que de vous laisser aller à ces éclats de rire si hors de saison.» – «Front-de-Boeuf n'a point encore recouvré ses esprits depuis sa dernière chute, dit de Bracy au templier; la seule idée d'un cartel, bien qu'il vienne d'un fou et d'un gardeur de pourceaux, l'intimide.»

«Par saint Michel! riposta Front-de-Boeuf, je voudrais bien te voir, de Bracy, soutenir à toi seul les assauts que nous garde cette singulière aventure. Ces gens-là n'eussent jamais osé agir avec cet excès d'impudence s'ils ne se sentaient appuyés par quelques bandes audacieuses. Il y a assez de brigands dans cette forêt qui attendent le moment de se venger de la protection que j'accorde aux daims et aux cerfs. J'ai seulement fait attacher un de ces misérables, pris sur le fait, aux cornes d'un cerf sauvage, qui en cinq minutes l'a percé à mort, et pour cela autant de flèches furent tirées contre moi, qu'on en a décoché sur le bouclier qui servait de but aux archers à Ashby. Ici, l'ami, ajouta-t-il en parlant à un de ses écuyers; as-tu envoyé aux environs pour t'enquérir des forces qui peuvent soutenir cet étonnant défi?»

«Il y a au moins deux cents hommes réunis dans les bois, répliqua un écuyer de service.» – «Voilà une belle affaire, dit Front-de-Boeuf; cela vient de vous avoir prêté mon château pour vous divertir. Vous vous êtes conduits avec tant de circonspection, que vous avez attiré autour de mes oreilles cet essaim de guêpes.»

 

«De guêpes? répliqua de Bracy; dites plutôt de bourdons sans dards, une bande de fainéans et de vauriens qui, au lieu de travailler pour leur subsistance, vivent dans les bois et détruisent le gibier.» – «Sans dards! répliqua Front-de-Boeuf; dis donc des flèches fourchues longues d'une aune5, et lancées avec une telle force qu'elles perceraient un écu français.»

«Fi donc! sire chevalier, dit le templier; appelons nos gens, et faisons une sortie. Un chevalier, un seul homme d'armes, ce serait assez contre vingt de ces paysans.» – «Assez, beaucoup trop, répliqua de Bracy; je rougirais de mettre seulement contre eux ma lance en arrêt.» – «C'est fort bon, sire templier, répondit Front-de-Boeuf, s'il s'agissait de Turcs, ou de Maures, ou de ces gueux6 de paysans français, très vaillant de Bracy; mais nous avons affaire à des archers anglais, sur lesquels nous n'aurons d'autre avantage que nos armes et nos chevaux, dont nous ne pourrons faire usage dans les clairières de la forêt. Tu parles de faire une sortie! à peine avons-nous assez d'hommes pour la défense du château. Les plus braves de mes gens sont à York, ainsi que les vôtres, de Bracy: à peine nous en reste-t-il une vingtaine et une poignée que vous emmenâtes dans cette folle entreprise.»

«Est-ce que tu crains, dit le templier, qu'ils ne soient en forces suffisantes pour enlever le château d'un coup de main?» – «Non certes, sire Brian, se récria Front-de-Boeuf, ces bandits ont un chef audacieux; mais dépourvus qu'ils sont de machines de guerre, d'échelles de siége, de conducteurs expérimentés, mon château les défie.» – «Envoie tout de suite chez tes voisins, dit le templier; qu'ils rassemblent leurs gens, qu'ils viennent au secours de trois chevaliers assiégés par un fou et un gardeur de pourceaux, dans le château baronnial de Réginald Front-de-Boeuf!»

«Encore une plaisanterie, sire chevalier, répliqua le baron; mais chez qui envoyer? Malvoisin est en ce moment à York avec ses vassaux, ainsi que mes autres alliés, et sans votre infernale entreprise, j'y serais avec eux.» – «Alors donc, envoyons un messager à York, et rappelons nos gens près de nous, dit de Bracy; s'ils soutiennent l'aspect de ma bannière flottante et de ma compagnie franche, je les tiens pour les plus audacieux brigands qui jamais aient bandé l'arc dans les bois.»

«Et qui chargerons-nous de ce message? dit Front-de-Boeuf, car il ne doit point y avoir un sentier où ces vauriens ne fassent le guet; et ils arracheront la dépêche du sein même du porteur. J'ai votre affaire, ajouta-t-il après s'être recueilli un moment. Sire templier, puisque vous savez lire, vous savez écrire sans doute, et si nous pouvons retrouver l'écritoire et la plume de mon chapelain, qui mourut il y a environ un an, aux fêtes de Noël, au milieu d'une orgie…»

«Je suis à vos ordres, dit l'écuyer qui attendait debout, je crois que la vieille Barbara, pour l'amour de son confesseur, a conservé cette plume et cette écritoire. Je l'ai entendue raconter qu'il fut le dernier qui lui ait dit de ces choses qu'un homme poli doit adresser à fille ou femme.» – «Va, cours les chercher, Engelred; et alors, sire templier, tu écriras sous ma dictée une réponse à cet audacieux défi.»

«J'aimerais mieux me servir pour y répondre de la pointe d'une épée que de la pointe d'une plume, dit Bois-Guilbert, mais qu'il soit fait comme vous voulez.» Il s'assit devant une table, et Front-de-Boeuf lui dicta en français un billet dont voici la teneur:

«Sire Réginald Front-de-Boeuf et les nobles chevaliers ses alliés et confédérés ne reçoivent point de défi de la part de serfs, de vassaux et de fugitifs. Si le personnage qui prend le nom de Chevalier noir a des droits aux honneurs de la chevalerie, il doit savoir qu'il s'est dégradé par sa présente association, et qu'il ne peut demander compte de quoi que ce soit à de loyaux et nobles chevaliers. Quant aux prisonniers que nous avons faits, nous vous prions, par charité chrétienne, d'envoyer un prêtre pour recevoir leur confession et les réconcilier avec Dieu, car nous avons arrêté qu'ils seraient exécutés ce matin avant midi, et que leurs têtes, attachées à nos créneaux, montreraient quel cas nous faisons de ceux qui se sont levés pour les délivrer. C'est pourquoi nous vous prions derechef d'envoyer un prêtre qui les réconcilie avec Dieu; c'est le dernier service que vous ayez à leur rendre sur la terre.»

Cette lettre, après avoir été pliée, fut donnée à l'écuyer, qui la remit à son tour au messager, lequel attendait dehors une réponse à celle qu'il avait apportée.

L'archer, ayant rempli sa mission, retourna au quartier général des alliés, qui pour le moment était établi sous un chêne vénérable, à la distance d'environ trois portées de flèche du château. C'est là que Wamba, Gurth, et leurs alliés le chevalier noir, Locksley et le joyeux ermite, attendaient avec impatience une réponse à leur sommation. Autour d'eux, et non loin, on voyait un grand nombre d'audacieux yeomen, dont le sauvage accoutrement et les figures sillonnées annonçaient assez quel était le genre de leur profession habituelle. Plus de deux cents d'entre eux s'étaient déjà réunis, et en attendaient d'autres qui devaient les joindre. Les chefs auxquels ils obéissaient n'étaient distingués que par une plume au bonnet. Le vêtement, les armes, l'équipement étaient les mêmes pour tous.

Outre ces troupes, une bande moins régulière et moins bien armée, composée de Saxons de la juridiction voisine, ainsi qu'un grand nombre de vassaux et serfs du vaste domaine de Cedric, était déjà rassemblée au même endroit, pour aider à la délivrance de leur maître. À l'exception de quelques uns, tous étaient armés d'épieux, de faux, de fléaux et autres instrumens de labour, que parfois les hasards de la guerre convertissent en un arsenal; car les Normands, selon la politique des conquérans jaloux de leur conquête, ne permettaient point aux Saxons de posséder aucune arme, et même de s'en servir. Cette circonstance rendait bien moins formidable aux assiégés le secours des Saxons, malgré tout ce que pouvait avoir d'imposant la force de ces hommes, la supériorité de leur nombre, et l'enthousiasme que leur inspirait une si juste cause. Ce fut au chef de cette armée bariolée de toutes couleurs, que la lettre du templier fut remise: on la donna au chapelain pour qu'il en fît la lecture.

«Par la houlette de saint Dunstan, dit ce digne ecclésiastique, cette houlette qui fit rentrer plus de brebis au bercail que jamais saint n'en amena au paradis, je jure qu'il m'est impossible de vous expliquer ce jargon; est-ce du français ou de l'arabe? je l'ignore.» Il passa alors la lettre à Gurth qui secoua la tête d'un air renfrogné, et à son tour la passa à Wamba. Le fou l'examina d'un coin du papier à l'autre; et, selon l'habitude d'un singe qui imite tout, il fit une grimace, ayant l'air de comprendre le contenu de la lettre; puis, fesant une gambade, il la passa à Locksley.

«Si les grandes lettres étaient des arcs, et les petites des flèches, je pourrais y connaître quelque chose, dit l'honnête archer; je vous assure que ce qui est renfermé dans ce papier est aussi en sûreté devant en sûreté devant mes flèches.»

«C'est donc à moi à vous servir de clerc,» dit le chevalier noir; puis, prenant la lettre des mains de Locksley, il la lut d'abord des yeux, et ensuite il l'expliqua en saxon à ses confédérés.

«Exécuter le noble Cedric! s'écria Wamba: par le saint sacrement, ne t'es-tu point trompé, sire chevalier?» – «Non, mon digne ami, répliqua le chevalier; j'ai traduit littéralement chaque mot tel qu'il est écrit.» – «Par saint Thomas de Cantorbéry! répliqua Gurth, nous aurons le château, dussions-nous l'arracher de ses fondemens avec nos mains!» – «Nous n'avons point autre chose pour l'arracher, répliqua Wamba, à peine les miennes sont-elles propres à faire des massifs de pierre et de mortier.» – «Ce n'est qu'une ruse pour gagner du temps, dit Locksley, ils n'oseraient point commettre un crime dont je saurais faire justice d'une manière terrible.» – «Je voudrais, dit le chevalier noir, que quelqu'un de nous, admis dans le château, par n'importe quel moyen, prît connaissance de la situation des assiégés. Il me semble que, puisqu'ils demandent qu'on leur envoie un confesseur, ce saint ermite pourrait en même temps qu'il exercerait son pieux ministère, nous procurer les renseignemens que nous désirons».

«Que la peste te crève, toi et ton avis, s'écria le bon ermite: je te dis, sire chevalier fainéant, que lorsque j'ôte mon froc de moine, je laisse avec lui ma prêtrise, ma sainteté et mon latin, et que sitôt que je suis vêtu de mon justaucorps vert, j'aime mieux tuer une vingtaine de cerfs, que de confesser un chrétien.»

«Je crains, dit le chevalier noir, je crains grandement qu'il n'y en ait pas un parmi vous qui veuille prendre sur lui de se charger du caractère et du rôle de confesseur.» Ils se regardèrent tous, et sortirent silencieux.

«Je vois, dit Wamba, après une courte pause, je vois que le fou doit être fou jusqu'au bout, et qu'il risque sa tête dans une aventure devant laquelle ont tremblé les sages. Apprenez donc, mes chers cousins et compatriotes, qu'avant de porter l'habit bariolé, j'ai porté la robe brune, et que j'allais me faire moine, état pour lequel j'avais été élevé, quand je m'aperçus que j'avais assez d'esprit pour être un fou. Je ne doute nullement qu'à l'aide du froc du bon ermite et surtout de la sainteté et de la science cousues dans son capuchon, je ne sois propre à porter toutes les consolations humaines et divines à notre digne maître Cedric et à ses compagnons d'infortune.»

«Crois-tu qu'il ait assez de sens? dit le chevalier noir en s'adressant à Gurth.» – «Je ne sais, dit Gurth, mais s'il ne réussit pas, ce sera la première fois qu'il aura manqué d'esprit quand il veut mettre sa folie à profit.» – «Allons, vite le froc, mon bon ami, dit le chevalier, et que ton maître nous envoie un détail fidèle de l'état du château. Ils doivent être peu nombreux, et il y a cinq à parier contre un qu'une attaque aussi prompte que hardie le réduirait sur-le-champ. Mais le temps presse, pars.» – «En attendant, dit Locksley, nous serrerons la place de si près, qu'il n'en sortira pas une mouche pour porter des nouvelles. Ainsi, mon bon ami, continua-t-il s'adressant à Wamba, tu peux assurer ces tyrans que quelle que soit la violence exercée par eux sur leurs prisonniers, les représailles que nous en tirerons sur leurs propres personnes leur coûteront bien au delà.»

«Pax vobiscum! dit Wamba, qui déjà était tout emmitouflé de son travestissement religieux. En parlant ainsi il imita la solennelle et imposante démarche d'un moine, et partit pour exécuter sa mission.

CHAPITRE XXVI

«Le cheval le plus ardent sera parfois tout de glace et le plus lourd tout de feu; parfois le moine jouera le rôle de fou et le fou le rôle de moine.»

Vieille ballade.

Lorsque Wamba, couvert du froc de l'ermite, son capuchon sur la tête et une corde nouée autour de ses reins, se présenta à la grande porte du château de Front-de-Boeuf, la sentinelle lui demanda son nom et ce qu'il voulait.

«Pax vobiscum! répondit le fou, je suis un pauvre frère de l'ordre de Saint-François qui vient ici remplir son ministère auprès des malheureux prisonniers détenus dans ce château.» – «Tu es un moine bien hardi, riposta la sentinelle, de venir ici où, sauf notre ivrogne de chapelain, un coq de ton plumage n'a pas chanté depuis vingt ans.» – «Néanmoins, je te prie de m'annoncer au maître du château, répondit le prétendu moine; sois persuadé que ma visite lui sera agréable, et que le coq chantera d'une manière à ce que tout le château l'entende.» – «Grand merci, dit la sentinelle; mais si je suis réprimandé d'avoir quitté mon poste pour t'annoncer, attends toi à ce que j'essaierai si la robe grise d'un moine est à l'épreuve d'une flèche à plume d'oie grise.»

 

En achevant cette menace, il quitta la porte du donjon, se présenta dans la grand'salle du château, et y annonça l'extraordinaire nouvelle qu'un moine était dehors, et demandait à être admis. Sa surprise fut grande de recevoir de son maître l'ordre d'introduire sur-le-champ le saint homme; et, par précaution, ayant posté quelques gardes à l'entrée du château, il exécuta sans aucun scrupule la consigne qu'il venait de recevoir. L'audace inconsidérée qui avait poussé Wamba dans cette dangereuse entreprise ne put tenir devant un homme si redoutable et si redouté que Réginald Front-de-Boeuf, il prononça son pax vobiscum auquel il se fiait si fort pour jouer son rôle avec une certaine hésitation et avec moins d'assurance qu'il ne l'avait fait jusqu'à présent; mais Front-de-Boeuf était accoutumé à voir les hommes de tous rangs trembler à sa présence, si bien que le trouble du moine supposé ne lui donna aucun soupçon. «D'où est-tu et d'où viens-tu, mon père?» dit-il. – «Pax vobiscum! réitéra le fou; je suis un pauvre serviteur de saint François, qui, voyageant à travers ces lieux sauvages, suis tombé au milieu de bandits (comme a dit l'Écriture), quidam viator incidit in latrones, lesquels bandits m'ont envoyé dans ce château pour y remplir mon ministère spirituel auprès de deux personnes condamnées par votre honorable justice.»

«Fort bien, saint père, répliqua Front-de-Boeuf; mais dis-moi, pourrais-tu m'apprendre quel est le nombre de ces bandits.» – «Loyal seigneur, répliqua le Fou, nomen illis Legio, leur nom est Légion.» – «Dis-moi clairement quel est leur nombre, ou, tout prêtre que tu es, ton froc et ton cordon ne te sauveraient pas7.» – «Hélas! repartit le moine supposé, cor meum eructavit, ce qui veut dire que j'étais près de rendre l'âme de peur; mais je présume qu'ils peuvent être cinq cents, tant archers que paysans.» – «Quoi! dit le templier qui entrait au même instant, est-ce que les guêpes se montrent en aussi grand nombre? Il est temps d'étouffer cette maligne engeance.» Alors prenant Front-de-Boeuf à part: «Connais-tu ce prêtre?» – «Il est d'un couvent éloigné, dit Front-de-Boeuf: je ne le connais point.» – «Alors ne lui confie pas ton message de vive voix, repartit le templier; qu'il porte l'injonction directe à la compagnie franche de de Bracy de revenir sans délai au secours de leur maître, et en même temps, afin que ce tondu n'ait aucun soupçon, donne-lui toute liberté d'assister ces pourceaux de Saxons avant qu'ils aillent à la tuerie.» – «C'est ce que je vais faire, dit Front-de-Boeuf, et sur-le-champ il ordonne à un domestique de conduire Wamba à l'appartement où Cedric et Athelstane étaient confinés.

Cette détention, au lieu d'avoir modéré l'impatience de Cedric, l'avait fait monter à son comble. Il marchait à grands pas dans l'attitude d'un homme qui charge l'ennemi, ou qui, au siége d'une place, monte à l'assaut sur la brèche, tantôt se parlant à lui-même, tantôt s'adressant à Athelstane, qui, avec une fermeté vraiment stoïque, attendait l'issue de cette aventure, digérant pendant ce temps, avec une grande tranquillité, le copieux repas qu'il avait fait à midi, s'inquiétant fort peu de la durée de sa captivité, qui, concluait-il, devait finir comme tous les maux d'ici-bas, au bon plaisir du ciel.

«Pax vobiscum! dit le fou en entrant; que la bénédiction de saint Dunstan, de saint Denis, de saint Duthuc et de tous les saints, soit sur vous et avec vous.» – «Salvete et vos, répondit Cedric au moine supposé; dans quel dessein es-tu venu ici?» – «C'est pour vous engager à vous préparer à la mort,» répliqua le fou. – «Est-il possible? s'écria Cedric en tressaillant. Quelque hardis scélérats qu'ils soient, ils n'oseront point commettre une atrocité si notoire et si gratuite.» – «Hélas! dit le fou, vouloir les retenir par des sentimens d'humanité! il vaudrait autant essayer d'arrêter avec un fil de soie un cheval qui a pris le mors aux dents. Réfléchissez donc, noble Cedric, et vous, brave Athelstane, aux péchés que vous avez commis dans l'oeuvre de chair; car c'est aujourd'hui que vous allez être appelés devant le tribunal d'en haut.»

«L'entends-tu, Athelstane, dit Cedric; il nous faut réveiller notre âme de son assoupissement, et nous préparer au dernier acte de notre vie. Il vaut mieux mourir en hommes que de vivre en esclaves8.» – «Je suis prêt, répliqua Athelstane, à subir tout ce qu'est capable d'inventer leur scélératesse, et je marcherai à la mort avec cette tranquillité que j'ai toujours quand je vais dîner.» – «Allons, mon père, préparez-nous à ce voyage,» dit Cedric. – «Attendez encore un instant, bon oncle, répliqua le fou reprenant le ton naturel de sa voix; il est bon d'y regarder long-temps avant de faire le dernier saut.»

«Sur ma foi, dit Cedric, je connais cette voix.» – «C'est celle de votre fidèle serviteur, de votre fou, répliqua Wamba rejetant en arrière son capuchon. Si dernièrement vous eussiez pris conseil d'un fou, certes vous ne seriez point ici: suivez aujourd'hui son avis et vous n'y serez point long-temps.» – «Coquin, que veux-tu dire?» répliqua le Saxon. – «Ce que je veux dire, répondit Wamba, le voici: prenez ce froc et ce cordon, qui sont tout ce que j'eus jamais des ordres sacrés, et vous sortirez tranquillement du château, toutefois après m'avoir laissé votre manteau et votre ceinture pour sauter le dernier pas à votre place.»

«Te laisser à ma place! s'écria Cedric; mon pauvre ami, ils te pendront.» – «Qu'ils fassent de moi ce qu'ils pourront, dit Wamba; je garantis qu'il n'y aura point de déshonneur pour votre nom, si le fils de Witless se laisse attacher au bout d'une chaîne avec cette gravité que mit à se laisser pendre son ancêtre l'alderman.» – «Eh bien, Wamba, j'acquiesce à ta demande, à cette condition que ce ne sera pas avec moi que tu échangeras tes habits, mais avec lord Athelstane.» – «Non, de par saint Dunstan, se récria Wamba; il n'y aura point de raison pour cela, il n'est que trop juste que le fils de Witless s'expose pour sauver le fils de Hereward; mais il serait peu sage à lui de mourir pour un homme dont les ancêtres sont étrangers aux siens.»

«Coquin, dit Cedric, les ancêtres d'Athelstane furent des rois d'Angleterre.» – «Ils pouvaient être tout ce qu'il leur plaisait, répliqua Wamba; mais mon cou est trop droit sur mes épaules pour que je me le laisse tordre pour l'amour d'eux. Ainsi donc, mon bon maître, ou acceptez vous-même mon offre, ou permettez que je quitte ce donjon aussi libre que quand j'y suis entré.» – «Laisse périr le vieil arbre, continua Cedric; mais sauve le brillant espoir de la forêt, sauve le noble Athelstane, mon fidèle Wamba! c'est le devoir de quiconque a du sang saxon dans les veines. Toi et moi, nous souffrirons de compagnie la rage effrénée de nos indignes oppresseurs; tandis que lui, libre et en sûreté, excitera nos concitoyens à la vengeance.» – «Non, non, Cedric, non, mon père,» s'écria Athelstane en lui saisissant la main; car lorsque, se réveillant de son indolence, il s'agissait de penser ou d'agir, ses actions et ses sentimens étaient d'accord avec sa noble origine. «Non, répéta-t-il, j'aimerais mieux rester dans cette salle, n'ayant pour toute nourriture que la ration de pain et la mesure d'eau des prisonniers, que de devoir ma liberté à l'aveugle dévouement de ce serf pour son maître.» – «On vous appelle des hommes sages, seigneurs, dit Wamba, et moi je passe pour un fou: eh bien, mon oncle Cedric, et vous, mon cousin Athelstane, le fou décidera cette controverse à votre place, et vous évitera la peine de pousser plus loin vos politesses. Je suis comme la jument de John Duck, qui ne veut se laisser monter que par son maître. Je viens pour sauver le mien, et s'il n'y veut pas consentir, eh bien, je m'en retournerai comme je suis venu. Un service ne se renvoyant pas de l'un à l'autre comme une balle ou un volant, je ne veux être pendu pour personne, si ce n'est pour mon maître.»

«Allons, noble Cedric, dit Athelstane, ne laissez pas perdre cette occasion, croyez-moi. Votre présence encouragera nos amis à travailler à notre délivrance; si vous restez ici, notre perte est certaine.» – «Apercevez-vous au dehors quelque apparence de salut?» demanda Cedric en regardant le fou. «Apparence, répéta Wamba, ah bien oui! Permettez-moi de vous représenter que ce froc vaut en ce moment un habit de général. Cinq cents hommes sont là tout près, et ce matin même j'étais un de leurs principaux chefs; mon bonnet de fou était un casque et ma marotte un gourdin. Bien, bien, nous verrons ce qu'ils gagneront à changer pour un homme sage: à vous parler franchement, je crains fort qu'ils ne perdent en valeur ce qu'ils pourraient gagner en prudence. Adieu donc, mon maître, de grâce, soyez humain pour le pauvre Gurth et son chien Fangs; et faites suspendre mon bonnet dans la salle de Rotherwood, en mémoire de ce que je donne ma vie pour sauver celle de mon maître, comme un fou fidèle et dévoué. Il prononça ces derniers mots avec un ton moitié triste, moitié comique; les yeux de Cedric se remplirent de larmes. Ta mémoire sera conservée, lui dit-il avec émotion, tant que l'attachement et la fidélité seront honorés sur la terre. Mais j'ai l'espoir que je trouverai les moyens de sauver Rowena, Athelstane, et toi aussi, mon pauvre Wamba: ton dévouement ne peut manquer de trouver sa récompense.»

L'échange des vêtemens fut promptement terminé; mais tout à coup Cedric parut frappé d'une idée. «Je ne sais d'autre langue que la mienne, dit-il, et quelques mots de ce normand si ridicule et si affecté. Comment pourrai-je me faire passer pour un révérend frère?» – «Tout le talent de cette langue magique, répondit Wamba, est renfermé dans deux mots. Pax vobiscum répond à tout, souvenez-vous-en bien. Allez ou venez, mangez ou buvez, bénissez ou excommuniez, pax vobiscum s'applique à tout. Ces mots sont aussi utiles à un moine qu'une baguette à un enchanteur, et un manche à balai à une sorcière. Mais prononcez-les surtout d'un ton grave et solennel: pax vobiscum! C'est un remède infaillible: gardes, sentinelles, chevaliers, écuyers, cavaliers, fantassins, tous éprouveront l'effet de ce charme puissant. Je pense que s'ils me conduisent demain à la potence, ce qui pourrait bien m'arriver, j'essaierai l'efficacité de ces deux mots sur l'exécuteur de la sentence.» – «Puisque c'est ainsi, j'aurai bientôt pris les ordres religieux, dit Cedric: pax vobiscum, je ne l'oublierai pas. Noble Athelstane, recevez mes adieux; adieu aussi à toi, mon pauvre garçon, dont le coeur peut faire pardonner la faiblesse de la tête: je te sauverai ou je reviendrai mourir avec toi. Le sang royal des Saxons ne sera pas versé tant que le mien coulera dans mes veines; comptez sur moi, Athelstane, et pas un cheveu ne tombera de la tête de cet esclave fidèle, qui risque sa vie pour son maître, tant que Cedric pourra le défendre. Adieu.»

2J'aurais désiré que le prieur les eût aussi informés de l'époque où Niobé fut canonisée. Ce fut sans doute dans ce siècle brillant, où le dieu Pan légua ses cornes à Moïse. Je crois que M. Defauconpret se trompe en rendant le mot horn par celui de pipeaux: on sait que Moïse avait sur le front deux cornes ou traits de feu, et non pas des pipeaux.A. M.
3Mot saxon qui veut dire gardes ou vassaux.A. M.
4Witless, mot composé de wit, esprit, et less, sans. C'est encore un jeu d'imagination de l'auteur à la manière d'Homère, qui appelle Achille, tantôt aux pieds légers, tantôt âme de chien. A. M.
5Forkheaded shafts of a cloath-yard in length, dit Walter Scott; ce que son premier interprète rend par «des flèches de trois pieds de long.»
6Le premier interprète a voulu sans doute dissimuler ce compliment de l'auteur à nos compatriotes, en ne traduisant pas l'épithète de craven.A. M.
7Homère a dit, en parlant de Chrysès, grand prêtre d'Apollon: «Les bandelettes de ton dieu ne te sauveraient pas.» Iliade, liv. Ier.A. M.
8Milton a dit en parlant de Satan: «Il vaut mieux régner aux enfers que servir dans les cieux. «Better to reign in hell than serve in heaven.A. M.