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La Belgique héroïque et martyre

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Sauf de rares édifices aux pignons à redans – ces pignons qu'on nomme espagnols en Flandre et flamands en Espagne – les maisons n'avaient pas de style, elles étaient simples et carrées, avec des portes hospitalières et des toits rouges, brunis par le temps. Mais elles s'étaient si bien fondues à l'ensemble, penchées l'une vers l'autre, que, patinées par l'atmosphère de brume et de soleil mouillé, elles semblaient avoir toujours été. Le miracle de cette fusion était si insensible et si doux à Dixmude que l'hôtel de ville gothique, bâti il y a moins d'un demi-siècle sur la grand'place, paraissait à peu près le contemporain de la vénérable église qui se haussait derrière lui pour mieux surveiller la ville.

Jordaens régnait dans cette église. Au-dessus du maître autel ses couleurs les plus éclatantes se mêlaient à l'azur vague de l'encens. Qu'est devenue cette Adoration des Mages? A-t-elle été déchirée par le fer ou tordue par les flammes? Gît-elle encore écrasée sous les pierres croulées de l'autel, sous les débris du tabernacle qui se levait au bord du chœur dans sa grâce élancée et frêle, sous les restes amoncelés de ce jubé de pierre blanche transparent à force d'avoir été fouillé par le ciseau le plus hardi, et qui, dressé à l'entrée de la nef, semblait un léger voile tendu pour tamiser la flamme brûlante du tableau célèbre?

Des bords de l'Yser où sont nos tranchées, quelle silhouette tragique est celle de Dixmude découronnée, mutilée, calcinée! On songe au canal d'Handzaeme qui glissait le long de l'auberge du Perroquet pour caresser ensuite le charmant hôtel des gouverneurs castillans, et dont Gilsoul a peint la douce vie! On se demande ce qui subsiste de la curieuse prison dont la façade ressemblait à celle d'un calme couvent, et ce qu'est devenue au Béguinage la maison blanche de la Grande Demoiselle et la petite église posée de guingois au fond de la cour, parmi les lilas et les roses.

L'expert allemand qui suit méthodiquement l'incendiaire et qui fait son rapport sur les œuvres d'art détruites certifiera qu'en dehors du Jordaens, chef-d'œuvre dûment catalogué, il n'y a rien à regretter à Dixmude, ville que les professeurs d'architecture n'ont pas classée, et dont les monuments ne sont pas figurés par des numéros dans des manuels! Malheureux qui n'a compris la beauté que sur fiches! La grâce propre d'une petite ville, son émouvant visage, son silence, le parfait accord de ses pierres et de son âme, la ligne traditionnelle de ses maisons, ses œuvres d'art montées naturellement du sol et qui sont devenues nécessaires dans un ensemble harmonieux, tout cela lui échappe. Et, de même, lui échappera autour de la cité à jamais détruite la grave beauté des grandes fermes de la Renaissance, avec leurs vastes granges, leur forme traditionnelle, leur corps de logis surélevé – ces belles fermes dont le spécimen le plus parfait est la ferme de Bogaerde, si largement assise là-bas, entre la dune et les prairies, non loin de Furnes.

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Au moins, sur la grand'place de Furnes, l'archéologue, même allemand, ne pouvait s'empêcher d'admirer. Avant l'insulte des bombes elle formait un des plus beaux ensembles architecturaux du monde. Il n'y avait là qu'une ou deux maisons qui ne fussent pas célèbres. Ce n'était pas la grâce altière et dorée de la grand'place de Bruxelles, ni la magnificence – à la fois orgueilleuse et tendre – d'Ypres, la sublime déchue, ni le grand poème mélancolique de Bruges, c'était quelque chose de plus intime qui ne détonnait point dans une villette exigüe et modeste, qui l'achevait au contraire, la faisait complète et parfaite et sans rien lui ôter de sa simplicité. Imaginez un vaste carré bordé de boutiques de briques grises s'achevant en pignons étagés, avec, autour des croisées, des colonnettes et des guirlandes. Des monuments d'une exquise élégance faisaient à droite et à gauche le coin des rues. Et tout près, par dessus les toits, deux églises se regardaient, Saint-Nicolas, à la tour carrée, Sainte-Walburge qui n'était guère qu'un chœur gothique levé vers le ciel comme une châsse.

Au pied de celle-ci, sous un beffroi charmant, le palais de justice bâti en 1613 par Sylvanus Boulin contenait la chapelle de la Chatellenie et son beau jubé de chêne sculpté. Un beau portrait de Louis XIV surmontait dans la salle des Pas-Perdus la grande cheminée de Jérôme Stalpaert. Une vieille porte reliait cette salle aux salons de l'hôtel de ville, tapissés de cuir de Cordoue.

Cet hôtel de ville, complétant avec le palais de justice un des angles de la place, ouvrait sa porte d'ombre sur un gracieux perron à colonne. Construit en 1596 il ne se composait que d'un seul pignon; on en ajouta un second à peu près semblable vingt ans plus tard, et une inscription spirituelle, coronabor augendo, répondit du faîte du nouveau bâtiment au pompeux finis coronat opus qui couronnait la façade primitive. Avec les dessins capricieux taillés dans ses murs de briques jaunes, avec sa tourelle terminée par un léger bulbe d'ardoises, avec son porche ouvert sur une cour pittoresque où les paysans, aux jours de marché, dételaient leurs carrioles, ce monument sans prétentions avait une grâce inimitable. Il en était de même, à l'autre bout de la place, de l'ancienne auberge de la Pomme d'Or qui devint au XVIIe siècle la maison des officiers espagnols, et de l'Hôtel de la Noble Rose (la première maison qu'atteignirent les bombes) qui n'avait pas perdu sa destination primitive, et où déjà l'archiduchesse Isabelle avait dîné sous le manteau d'une séculaire cheminée. La Halle aux viandes, le pittoresque corps de garde, en face de l'hôtel de ville, à l'angle du marché aux pommes, la belle maison du Pélican aux délicats meneaux de briques… il faudrait nommer l'une après l'une, décrire l'une après l'une avec amour, toutes les maisons de cette place, bâties sans plan d'ensemble et si proches parentes dans leur spontanéité naïve.

Il faudrait relire surtout, avec piété et avec délices, le roman curieux et frais où Camille Lemonnier a raconté par le menu l'histoire mystique de la ville. Le Petit Homme de Dieu était le meilleur guide pour le poète passant là-bas. Il le reste pour le rêveur qui veut évoquer aujourd'hui l'humble et glorieuse cité. Avec lui ressuscitent et se précisent tous les détails du beau décor. L'ayant lu, on ne pourra baiser les pierres sacrées des ruines sans sentir sous ses lèvres sourdre une âme adorable et claire.

Ceux qui n'ont pas connu Furnes douce et vivante, ceux qui n'ont pas, quittant l'ombre de Saint-Nicolas, erré dans les ruelles désertes, le long des petits couvents et des grands jardins, et des placettes où quelque chose d'indéfinissable semblait, dans le silence, toujours mourir, ceux qui n'ont pas fait le tour des vieux boulevards bordés de canaux et de haies, ceux qui ne se sont pas arrêtés sous les porches, à l'entrée des cours d'auberge, aux carrefours mystérieux, n'ont pas connu dans toute sa déchirante beauté cette petite ville innocente. Du bord des faubourgs, des fenêtres des cabarets, des chemins champêtres, des impasses, de partout l'on voyait groupées différemment, encadrées autrement, éclairées d'une autre lumière les trois tours de la grand'place, dont l'une était carrée comme la foi, l'autre légère comme l'amour, la troisième élancée comme l'espérance.

Dresse-t-elle encore, celle-ci, sa pointe aigüe sur le chœur de Sainte-Walburge, n'a-t-elle pas, à travers la toiture d'ardoise fine, chu dans l'église bombardée, parmi les stalles d'Urbain Taillebert, les statues de la Renaissance, le Christ de la confrérie auquel le jour de leur admission les jeunes gens de Furnes se liaient symboliquement à l'aide d'une corde vénérable. Et que sont-elles devenues les naïves stations sculptées représentant la vie du Christ, que des pénitents en cagoule brune promenaient encore à travers les rues le 29 juillet dernier, au cours de la procession traditionnelle, tandis que roulaient déjà, sur les chemins d'Allemagne, les canons sacrilèges qui allaient à distance tuer ce qui ne devait pas mourir.

Pierre Nothomb.

LAMPERNISSE

A un coude de la route, dont les grands arbres sont courbés par le vent de la mer, la tour de Lampernisse apparaît ramassée et farouche.

On dirait d'une sentinelle avancée à l'entrée du champ de bataille. Par delà, c'est la plaine infinie de l'Yser avec des tas de décombres, d'où émerge parfois la silhouette déchiquetée d'un clocher. Jadis ce furent des villes et des villages, Nieuport et Dixmude, Pervyse, Ramscappelle, Oostkerke, – noms inconnus hier, illustres aujourd'hui. Les toits rouges et les murs blancs des fermes tranchent sur le vert émeraude des prairies. Les rangées d'arbres, décimées et appauvries, conduisent les routes vers le pays occupé. Le miroir des inondations brille au loin, bleu ou gris selon les aspects changeants du ciel immense. Constamment les fumées blanches ou noires des obus picotent le paysage de taches mouvantes. Le canon gronde, assourdi ou proche. Et cependant, dans les pâturages humides, les vaches, paisiblement, ruminent.

Devant son église éventrée, au milieu du cimetière dévasté, parmi les pauvres maisons ruinées du hameau, la tour de Lampernisse évoque l'image de la Niobé, debout encore et menaçante parmi les cadavres de ses enfants.

Seule elle est restée, presqu'intacte, à peine écornée par la mitraille qui fait perpétuellement rage autour d'elle.

Elle est représentative du type de ces vieilles tours en briques de la région maritime, flanquée de contreforts massifs, accostée de la tourelle d'un escalier en pas de vis, percée de hautes fenêtres en ogive et couronnée d'un clocher d'ardoises, entre de minuscules poivrières.

C'est l'expression rustique de cette altière architecture dont les Halles d'Ypres étaient, naguère, le plus admirable spécimen et qui rappelle, dans les constructions civiles et religieuses, le caractère guerrier de la grande époque communale.

 

Tour guerrière, elle semblait prédestinée aux assauts qu'elle a subis.

Ses abords sont d'un tragique intense. La désolation du petit cimetière est sans nom. On enjambe des gravats et des troncs d'arbres. Pêle-mêle, dans les énormes entonnoirs creusés par les obus de vingt et un, les humbles croix brisées voisinent avec les ossements et les bières déchiquetées.

Près des sépultures villageoises, des tombes fraîches de soldats tombés au champ d'honneur sont ornées avec un soin touchant de fleurs et de dessins faits de cailloutis et de bricaillons.

L'une d'elles ne réunit pas moins de quarante-deux chasseurs alpins, tués par un même obus, lancé traîtreusement, par une nuit obscure de décembre, dans la nef latérale de l'église.

L'on pénètre sous la tour par une haute porte en ogive. Les nervures de la voûte, qui forment un narthex, où débouchent l'escalier de la tour et la logette du baptistaire, s'amortissent sur des culs-de-lampe ornés de têtes naïves. L'une, un jeune homme imberbe aux cheveux bouclés, est d'un style excellent qui rappelle celui de ces admirables talons de poutres du XVe siècle, provenant d'Ypres, que l'on pouvait voir à l'Exposition d'art ancien, à Gand, en 1913.

Le narthex s'ouvre directement sur l'église par un arc élevé, barré par le jubé et les orgues datant du XVIIIe siècle.

Le vaisseau, accosté de bas côtés étroits, se prolonge en trois nefs égales, plus hautes et plus claires, débordant latéralement, à la façon d'un transept. Il se produit ainsi une alternance de pénombre et de lumière plus saisissante encore dans l'état actuel de délabrement de l'église.

Les arcs des travées sont supportés par des colonnes de pierre, massives, aux chapiteaux frustes d'un galbe écrasé, qui en font remonter la construction au XIVe siècle.

Les voûtes sont en bois apparent, portées par des corbeaux naïvement historiés. Tandis que les nefs latérales se terminent carrément, à la nef centrale s'ajoute une abside polygonale, entre les deux sacristies.

A l'obus fatal de Décembre, qui éventra la nef de droite et renversa l'un des piliers, en ont succédé d'autres, crevant la toiture, faisant éclater les vitraux, arrachant des murailles les boiseries et les confessionnaux.

Tout cela formait un fouillis pathétique sur le dallage jonché d'une paille souillée du sang des victimes et des débris de leurs équipements… Seule la petite chaire de vérité, sauvée depuis de désastres futurs, se dressait comme un défi ironique à la barbarie teutonne, la chaire d'où si souvent étaient tombées des paroles de paix et de fraternité universelle…

En dépit des restaurateurs qui n'avaient pas manqué de peinturlurer les voûtes et d'orner le chœur d'un autel de style néo-gothique et de quelques abominables statues polychromes, la nef avait gardé ce caractère si sympathique des vieilles églises des Flandres.

La tourmente du XVIe siècle, dont les horreurs pâlissent à coté de celles de la guerre actuelle, avait dépouillé celles-ci de la plupart de leurs ornements et de leur mobilier. Il fallut bien les remplacer et les générations qui suivirent s'employèrent, de leur mieux, à rendre aux temples leur splendeur primitive.

Il en résulta un disparate pittoresque, naïf et touchant qui fait horreur aux architectes officiels, épris de l'unité de style, mais qui réjouit les artistes et les poètes. L'église apparaît bien comme la maison de tous et de tous les âges et la foi s'y manifeste vivante et continue.

Ainsi, à mon sens, à la sévérité grêle du gothique, la redondance des autels de style baroque, avec leurs lourdes colonnes, leurs chapiteaux surchargés, leurs draperies héroïques, se marie parfaitement. Des Rubens de village les ont ornés, mais comme les autels éclatants d'Anvers et de Gand, ils célèbrent, sur un ton plus humble, le catholicisme triomphant et théâtral qui, manié magistralement par les Jésuites, s'employa, au XVIIe siècle, à oindre les plaies vives et à engourdir les espérances déçues.

Puis les huchiers rustiques s'efforcèrent d'habiller les froides murailles de boiseries et de confessionnaux de chêne. Sous le ciseau du paysan flamand l'élégance des rinceaux français a pris une physionomie à la fois robuste et colorée, qui n'est pas sans charmes. Aux piliers s'accrochent des torchères de bois doré et des obits en losange des seigneurs de l'endroit. L'éclat des cierges et des fleurs en papier doré entoure de gloire la Vierge resplendissante sous son lourd manteau de velours broché et son voile de dentelle arachnéenne…

Agenouillez sur les chaises de paille, quelques femmes en mante noire, et vous aurez l'image mystique et paisible que présentait, aux jours heureux, l'église, aujourd'hui ravagée, de Lampernisse.

Celle-ci s'enorgueillissait d'un Christ célèbre, que j'espère sauvé du désastre, et qui sans doute figura au Petit Palais, avec les reliques du pays de l'Yser.

Dans un des bas côtés, un monument conçu en pseudo-gothique, d'il y a une cinquantaine d'années, évoque le souvenir glorieux du poissonnier Zannekin, tombé en héros, au Mont Cassel, le 23 août 1328, à la tête des milices communales. Ce cénotaphe sanctifie par son voisinage les tombes proches des humbles soldats morts, pour la patrie, aux champs de l'Yser.

A Lampernisse, petit village au nom sonore et doux, Charles de Coster a placé l'épilogue de son livre épique, si cher à nous autres Belges, et qui, évoquant nos luttes sanglantes du XVIe siècle, nous sera dorénavant plus cher encore.

Le curé, le bedeau, l'échevin, le notaire, le fossoyeur, toutes les autorités religieuses et civiles de Lampernisse, trouvent, un beau jour, étendus dans une prairie voisine, les corps nus et inanimés d'Uylenspiegel, l'incarnation de la résistance des Flandres à la tyrannie espagnole, et de Nèle, sa petite amie.

Ils s'apprêtent à les ensevelir en terre bénie. Or, le héros reprend ses sens et leur lance cette fière apostrophe:

«Est-ce qu'on enterre Nèle, le cœur, Uylenspiegel, l'esprit de la mère Flandre!..»

Il ne nous reste de la Flandre maternelle qu'un petit lambeau de terre ravagée. Ses bourgs et ses villages ne sont plus que des ruines fumantes, et pourtant beaucoup d'habitants s'y terrent avec ténacité, ne pouvant se résoudre à les quitter. Face à l'ennemi, nos soldats regardent éperdûment vers l'Est, par delà leurs tranchées, par delà l'Yser… la mère Flandre captive, qui attend d'eux la délivrance.

En Flandre, mai 1915.

Jean de Mot.
Conservateur du Muséedu Cinquantenaire de Bruxelles.