Rebelle, Pion, Roi

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Parchani o`qish
O`qilgan deb belgilash
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Elle décida de la jeter quand même mais s'en empêcha. Elle se rassit à la fenêtre et la regarda fixement.

Le contenu était clair et la lumière du soleil le traversait en lui donnant l'air bien plus innocent qu'il ne l'était. Si elle le buvait, elle serait libre d'épouser Lucious, idée qui l'horrifiait. Pourtant, cela lui donnerait une des positions les plus puissantes de l'Empire. Si elle buvait le contenu de la fiole, elle renoncerait entièrement à Thanos.

Stephania resta assise là sans savoir que faire et, lentement, les larmes commencèrent à lui couler sur les joues.

Peut-être boirait-elle le contenu de la fiole, après tout.

CHAPITRE TROIS

Ceres essayait désespérément de regagner conscience, de traverser les voiles d'obscurité qui la tenaient prisonnière, comme une femme qui se noie et agite les bras et les jambes dans l'eau. Même à ce moment-là, elle entendait les cris des mourants. L'embuscade. La bataille. Il fallait qu'elle se force à se réveiller ou tout serait perdu ….

Elle ouvrit brusquement les yeux, se leva d'un bond, prête à poursuivre la bataille, ou du moins elle essaya. Quelque chose la retenait aux poings et aux chevilles. Elle finit par émerger du sommeil et vit où elle était.

Elle était entourée par des murs courbes en pierre qui lui laissaient tout juste assez d'espace pour rester allongée. Il n'y avait pas de lit, seulement un sol dur en pierre. Une petite fenêtre à barreaux laissait entrer de la lumière. Ceres sentait le poids de l'acier qui lui retenait les poings et les chevilles et voyait au mur le lourd tasseau auquel ses chaînes étaient fixées, ainsi que la porte épaisse à barres de fer qui montrait clairement qu'elle était prisonnière. La chaîne disparaissait par une fente pratiquée dans la porte, ce qui suggérait que, de l'extérieur, on pouvait tirer sur sa chaîne jusqu'au tasseau pour la plaquer contre le mur.

Quand elle se vit ainsi prisonnière, Ceres sentit la colère l'envahir. Elle tira sur le tasseau en essayant de l'arracher tout simplement du mur avec la force que lui donnaient ses pouvoirs. Sans effet.

C'était comme s'il y avait un brouillard à l'intérieur de sa tête. Elle essaya de le percer pour apercevoir le paysage qui se trouvait derrière. Ça et là, la lumière de ses souvenirs semblait percer ce brouillard mais seulement de manière fragmentée.

Elle se souvenait que les portes de la cité s'étaient ouvertes, que les “rebelles” leur avaient fait signe d'entrer. Ils étaient arrivés au pas de charge, s'étaient entièrement impliqués dans ce qui leur avait semblé être la bataille clé de la conquête de la cité.

Ceres s'affala à nouveau. Elle avait mal et certaines blessures étaient plus profondes que celles qu'elle avait au corps.

“Quelqu'un nous a trahis”, dit Ceres à voix basse.

Ils avaient été sur le point de remporter la victoire et quelqu'un avait trahi tout cela. Pour gagner de l'argent, parce qu'il avait eu peur ou besoin de pouvoir, quelqu'un avait dévoilé tout ce pour quoi ils avaient œuvré et les avait laissés se jeter dans un piège.

A ce moment, Ceres se souvint. Elle se souvint d'avoir vu le neveu de Lord West la gorge percée d'une flèche, l'expression d'impuissance et d'incrédulité qui lui avait traversé le visage avant qu'il ne tombe de selle.

Elle se souvint des flèches qui avaient occulté le soleil, ainsi que des barricades et du feu.

Les hommes de Lord West avaient essayé de répliquer aux tirs des archers. Lors de leur voyage vers Delos, Ceres avait vu qu'ils savaient tirer à l'arc de leur monture, chasser avec un petit arc et tirer au grand galop si nécessaire. Quand ils avaient tiré leurs premières flèches pour se défendre, Ceres avait même osé espérer, parce que ces hommes avaient l'air capables de surmonter tous les obstacles.

Ils avaient échoué. Comme les archers de Lucious avaient été cachés sur les toits, les hommes de Lord West avaient été trop désavantagés. Quelque part dans le chaos, l'ennemi avait aussi lancé des pots à feu et Ceres s'était sentie horrifiée quand elle avait vu les hommes se mettre à brûler. Seul Lucious était capable d'utiliser le feu comme arme dans sa propre cité sans se demander si les flammes ne risquaient pas de s'étendre aux maisons environnantes. Ceres avait vu des chevaux se cabrer, des hommes tomber de leur monture qui paniquait.

Ceres aurait dû pouvoir les sauver. Elle avait puisé en elle pour invoquer ses pouvoirs et n'y avait trouvé que du vide. Là où elle aurait dû trouver disponibles la force et les pouvoirs nécessaires à la destruction de ses ennemis, un gouffre lugubre béait.

Alors qu'elle cherchait encore ses pouvoirs, son cheval avait rué et l'avait faite tomber …

Ceres se força à revenir au moment présent, car il y avait des choses dont elle ne voulait pas trop se souvenir. Cela dit, le présent ne valait guère mieux parce que, à l'extérieur, Ceres entendait les cris d'un homme qui était apparemment en train de mourir.

Ceres se dirigea vers la fenêtre en tirant le plus possible sur ses chaînes. Rien que cette action représentait un gros effort. Elle avait l'impression que quelque chose l'avait vidée, lui avait retiré toute la force qu'elle aurait pu avoir. De toute façon, comme elle avait l'impression qu'elle pouvait tout juste se lever, il était impensable qu'elle puisse se libérer des chaînes qui la retenaient.

Elle réussit à atteindre la fenêtre et se saisit des barreaux comme si elle pouvait les arracher. En vérité, ce ne fut quasiment que grâce ces barreaux qu'elle arriva à rester debout en ce moment-là. Quand elle regarda la cour qui s'étendait au-delà de sa nouvelle cellule, ce soutien lui fut indispensable.

Ceres y vit les hommes de Lord West, alignés en rangées de soldats. Ils portaient encore tous les restes de leur armure, même si, dans de nombreux cas, des morceaux en étaient brisés ou arrachés; de plus, plus aucun d'eux n'avait ses armes. Ils avaient les mains attachées et beaucoup d'entre eux étaient à genoux. Cette position l'attristait. Elle montrait plus clairement leur défaite que quoi que ce soit d'autre.

Ceres reconnut d'autres hommes, des rebelles, et, quand elle les vit, elle eut une réaction encore plus viscérale. Les hommes de Lord West l'avaient suivie de leur plein gré. Ils avaient risqué leur vie pour elle et Ceres s'en sentait responsable, mais les hommes et les femmes d'en dessous étaient des gens qu'elle connaissait.

Elle vit Anka. Anka était attachée au milieu de tous les autres, attachée par les bras à un poteau, assez haut pour qu'elle ne puisse ni s'asseoir, ni s'agenouiller ni se reposer. Dès qu'elle osait se détendre, une corde placée au niveau de sa gorge menaçait de commencer à l'étouffer. Ceres voyait qu'elle avait le visage en sang et qu'on ne s'était pas soucié de l'essuyer, comme si elle n'avait aucune importance.

Quand Ceres vit cette triste scène, elle se sentit malade. C'étaient des amis, des gens que Ceres connaissait depuis des années dans certains cas. Certains d'entre eux étaient blessés. Quand Ceres s'en aperçut, elle sentit la colère l'envahir, parce que personne n'essayait de les aider. Au lieu de ça, ils étaient à genoux ou debout, tout comme les soldats.

De plus, Ceres voyait à côté de quoi ils attendaient. Elle ignorait à quoi servaient beaucoup de ces objets mais elle pouvait le deviner en regardant les autres. Il y avait des poteaux à empaler et des blocs de décapitation, des potences et des brasiers aux fers chauds. Parmi tant d'autres. Il y en avait tant d'autres que Ceres avait peine à comprendre l'esprit qui avait pu décider de faire tout cela.

Ensuite, elle vit Lucious parmi ces engins de torture et elle comprit. C'était lui qui décidait et, dans une certaine mesure, elle aussi. Si seulement elle l'avait pourchassé plus vite quand il avait lancé son défi ! Si seulement elle avait trouvé le moyen de le tuer plus tôt !

Debout au-dessus du soldat qui hurlait, Lucious le transperçait d'une épée en la tordant pour le faire à nouveau crier à l'agonie. Ceres vit qu'une petite foule de tortionnaires et de bourreaux en capuchon noir l'entourait et regardait la scène comme pour prendre des notes, ou peut-être seulement parce qu'ils appréciaient de voir quelqu'un qui avait une passion perverse pour leur profession. Ceres aurait voulu pouvoir tendre les bras et tous les tuer.

Lucious leva les yeux et Ceres sentit le moment où il croisa le regard avec elle. Cela ressemblait à un sujet de chanson de barde sur des amoureux qui se rencontrent pour la première fois dans une pièce, sauf qu'ici, il n'y avait que de la haine entre eux. A ce moment-là, Ceres aurait tué Lucious par tous les moyens possibles et elle voyait ce qu'il prévoyait pour elle.

Elle vit son sourire se répandre lentement sur son visage et il tordit l'épée une dernière fois sans détacher son regard de celui de Ceres. Ensuite, il se redressa et essuya distraitement ses mains ensanglantées sur un chiffon. Il resta là comme un acteur qui va faire un discours à un public qui attend. Pour Ceres, il ressemblait seulement à un boucher.

“Tous les hommes et toutes les femmes présents ici ont trahi l'Empire”, déclara Lucious. “Cependant, je pense que nous savons tous que ce n'est pas votre faute. On a vous a induits en erreur. D'autres personnes vous ont corrompus. Surtout une.”

Ceres vit qu'il lui lançait un autre regard.

“Par conséquent, je vais avoir de la pitié pour les traîtres ordinaires qui sont parmi vous. Venez à moi en rampant. Suppliez-moi de devenir mes esclaves et vous aurez le droit de vivre. L'Empire a toujours besoin de nouvelles bêtes de somme.”

Aucun des prisonniers ne bougea. Ceres ne savait pas s'il fallait ressentir de la fierté pour eux ou leur crier d'accepter la proposition. Après tout, ils savaient forcément ce qui les attendait.

 

“Non ?” dit Lucious d'un ton qui trahissait quelque peu sa surprise. Ceres pensa qu'il s'était peut-être vraiment attendu à ce que tous les gens présents acceptent de devenir des esclaves pour survivre. Peut-être ne comprenait-il pas vraiment ce qu'était la rébellion, ou qu'il y avait des choses pires que la mort. “Personne ?”

A ce moment, Ceres vit son prétendu calme lui échapper comme un masque et révéler ce qui se trouvait en dessous.

“Voilà ce qui arrive quand les idiots que vous êtes se mettent à écouter la racaille qui veut les induire en erreur !” dit Lucious. “Vous oubliez le rang qui est le vôtre ! Vous oubliez que tout ce que vous faites, vous, les paysans, a ses conséquences ! Puisque c'est comme ça, je vais vous le rappeler, moi, qu'il y a des conséquences. Vous allez mourir jusqu'au dernier et, vu comment ça va se passer, les gens en parleront à voix basse rien que quand ils penseront à trahir leurs supérieurs. De plus, pour m'en assurer, je vais emmener vos familles ici pour qu'elles regardent. Je vais les chasser de leurs pitoyables taudis par le feu et je vais les forcer à vous écouter hurler !”

De toute façon, il en était capable; Ceres n'avait aucun doute sur la question. Elle le vit montrer du doigt un des soldats puis un des appareils qui attendaient.

“Commencez par celui-ci. Commencez p ar n'importe lequel. Ça m'est égal. Assurez-vous seulement qu'ils souffrent avant de mourir.” Il montra du doigt la cellule de Ceres. “Et assurez-vous qu'elle soit la dernière. Forcez-la à tous les regarder mourir. Je veux que ça la rende folle. Je veux qu'elle comprenne qu'elle est totalement démunie, même si elle se vante auprès de ses hommes d'avoir le sang des Anciens.”

A ce moment, Ceres se recula brusquement des barreaux mais il devait y avoir des hommes qui attendaient de l'autre côté de la porte car les chaînes qu'elle avait aux poings et aux chevilles se raidirent et la ramenèrent de force contre le mur et la plaquèrent de telle sorte qu'elle ne pouvait pas bouger plus de quelques centimètres dans un sens ou dans l'autre. Elle ne pouvait plus du tout se détourner de la fenêtre, par laquelle elle voyait un des bourreaux vérifier si une hache était bien aiguisée.

“Non”, dit-elle en essayant de se donner une confiance qu'elle ne ressentait pas à ce moment-là. “Non, je ne vais laisser faire ça. Je vais trouver un moyen de l'empêcher.”

A ce moment-là, elle n'invoqua pas ses pouvoirs intérieurs. Elle plongea dans l'espace où, d'habitude, elle trouvait l'énergie qui l'attendait. Ceres se força à rechercher l'état d'esprit que le Peuple de la Forêt lui avait enseigné. Elle partit à la recherche des pouvoirs qu'elle avait conquis avec autant d'assurance que si elle chassait un animal caché.

Pourtant, ses pouvoirs restaient aussi insaisissables que le type d'animal en question. Ceres essaya tout ce qui lui vint en tête. Elle essaya de se calmer. Elle essaya de se souvenir des sensations qu'elle avait ressenties quand elle avait utilisé ses pouvoirs. Elle essaya de les faire couler en elle par un effort de volonté. Désespérée, Ceres essaya même de supplier ses pouvoirs, de les amadouer comme s'ils étaient vraiment un être séparé et non un simple fragment d'elle-même.

Rien ne fonctionna et Ceres se jeta contre les chaînes qui la détenaient. Elle les sentit mordre dans ses poings et ses chevilles quand elle se jeta vers l'avant, mais elle ne put gagner ne serait-ce qu'un bras de latitude.

Ceres aurait dû pouvoir briser l'acier facilement. Elle aurait dû pouvoir se libérer et sauver tous ceux qui étaient dans la cour. Elle l'aurait dû mais, à ce moment-là, elle ne le pouvait pas et le pire était qu'elle ne savait même pas pourquoi. Pourquoi les pouvoirs qu'elle avait déjà tant utilisés l'avaient-ils abandonnée si brusquement ? Pourquoi en était-elle arrivée là ?

Pourquoi ne pouvait-elle pas forcer ses pouvoirs à lui obéir ? Luttant désespérément pour arriver à faire quelque chose, pour arriver à se rendre utile, Ceres sentit les larmes lui monter aux yeux.

A l'extérieur, les exécutions commençaient et Ceres ne pouvait rien faire pour les arrêter.

Pire encore, elle savait que, quand Lucious en aurait fini avec ceux qui se trouvaient à l'extérieur, ce serait son tour.

CHAPITRE QUATRE

Sartes se réveilla prêt à se battre. Il essaya de se relever, n'y arriva pas, se débattit et fut repoussé en arrière par la botte d'une personne à l'air sévère qui se tenait en face.

“Tu t'imagines que t'as la place de bouger, ici ?” dit l'individu d'un ton sec.

L'homme avait le crâne rasé et était tatoué. Il avait perdu un doigt, sans doute à la suite d'une bagarre. Avant, Sartes aurait probablement tremblé de peur devant un homme comme celui-là. Cela dit, depuis, il avait connu l'armée et la rébellion qui avait suivi. Depuis, il avait vu à quoi ressemblait la vraie violence.

Il y avait d'autres hommes en ce lieu, serrés dans un petit espace aux parois plaquées de bois où seules quelques fentes laissaient entrer la lumière. Il y en avait assez pour que Sartes y voie et ce qu'il voyait était loin d'être encourageant. L'homme qui se trouvait en face de lui était probablement un de ceux qui avaient l'air le moins sauvage. Ce fut le nombre de ces hommes qui effraya temporairement Sartes, et pas seulement à cause de ce qu'ils pouvaient lui faire. Qu'est-ce qui pouvait bien l'attendre s'il se retrouvait à l'étroit avec des hommes de cette sorte ?

Il eut une sensation de mouvement et prit le risque de tourner le dos au groupe de voyous pour pouvoir regarder par une des fentes des parois en bois. A l'extérieur, il vit défiler un paysage poussiéreux et rocailleux. Il ne reconnut pas l'endroit. Était-ce loin de Delos ?

“Une charrette”, dit-il. “Nous sommes dans une charrette.”

“Écoutez donc ce gosse”, dit l'homme au crâne rasé. Il imita approximativement la voix de Sartes en la déformant à un tel point qu'elle en était méconnaissable. “Nous sommes dans une charrette. C'est un génie, ce gamin. Bon, le génie, tu pourrais pas te taire ? C'est bien assez pénible d'être en route pour les fosses de bitume sans que tu te mettes à causer.”

“Les fosses de bitume ?” dit Sartes, et il vit un éclair de colère traverser le visage de l'autre homme.

“Je croyais que je t'avais dit de te taire”, dit sèchement le voyou. “Peut-être que si je te fais bouffer quelques-unes de tes dents, ça te le rappellera.”

Un autre homme s'étira. Il semblait y avoir tout juste assez d'espace pour le contenir. “Le seul que j'entends parler, c'est toi. Vous pourriez pas la fermer tous les deux ?”

La vitesse de réaction de l'homme au crâne rasé en dit long à Sartes sur le danger qu'il représentait. Sartes pensa que ce moment ne lui avait fait que des ennemis mais l'armée lui avait appris que les hommes de ce type n'avaient pas d'amis : ils avaient des dépendants et des victimes.

C'était difficile de se taire, maintenant qu'il savait où ils allaient. Les fosses de bitume étaient une des pires condamnations dispensées par l'Empire; l'endroit était si dangereux et si désagréable que ceux qu'on y envoyait survivaient rarement une année. C'était un lieu chaud et mortel où l'on voyait les os des dragons morts dépasser du sol. Là-bas, les gardes n'avaient pas peur de jeter dans le bitume les prisonniers malades ou ceux qui s'effondraient.

Sartes essaya de se souvenir comment il en était arrivé là. Pour la rébellion, il avait recherché une porte par laquelle Ceres et les hommes de Lord West pourraient entrer dans la cité. Il l’avait trouvée. Sartes se souvenait de l'exultation qu'il avait alors ressentie, parce que tout avait été parfait. Il était reparti transmettre la nouvelle aux autres au pas de course.

Il avait été sur le point d'y parvenir quand une silhouette vêtue d'un manteau s'était saisie de lui. Il avait été si près de réussir qu'il avait eu l'impression de pouvoir tendre le bras et toucher l'entrée de la cachette de la rébellion. Il avait eu l'impression d'être finalement en sécurité et ils l'avaient privé de cette sécurité.

“Lady Stephania vous envoie le bonjour.”

Ces mots résonnaient dans la mémoire de Sartes. Ils avaient été les derniers mots qu'il avait entendus avant qu'on l'assomme. Ils lui avaient dit en même temps qui l'avait capturé et qu'il avait échoué. Ils l’avaient laissé frôler la réussite et, à ce moment-là, ils l'en avaient privé.

Ils avaient privé Ceres et les autres des informations que Sartes avait réussi à trouver. Il se mit à s'inquiéter pour sa sœur, pour son père, Anka et la rébellion, car il ne savait pas ce qui avait pu leur arriver sans la porte qu'il avait réussi à leur trouver. Allaient-ils pouvoir entrer dans la cité sans son aide ?

Est-ce qu'ils avaient pu le faire, se corrigea Sartes, parce que, à présent, d'une façon ou d'une autre, les jeux étaient faits. Ils avaient dû trouver une autre porte, ou une autre façon d'entrer dans la cité, non ? Il le fallait bien, car que pouvaient-ils faire d'autre ?

Sartes ne voulait pas y penser mais c'était impossible de l'éviter. L'autre possibilité, c'était qu'ils aient échoué. Dans le meilleur des cas, ils auraient pu se rendre compte qu'il était impossible d'entrer sans conquérir une porte et se retrouver piégés là pendant que l'armée avançait. Au pire … au pire, ils étaient peut-être déjà morts.

Sartes secoua la tête. Il refusait d'y croire. Il ne pouvait pas y croire. Ceres trouverait un moyen de s'en sortir et de gagner. Anka avait autant de ressources que toutes les personnes qu'il avait croisées dans sa vie. Son père était fort et solide et les autres rebelles avaient la détermination que leur inspirait la justesse de leur cause. Ils trouveraient le moyen de vaincre.

Sartes était obligé de se dire que ce qui lui arrivait serait tout aussi temporaire. Les rebelles allaient gagner, ce qui signifiait qu'ils captureraient Stephania et qu'elle leur dirait ce qu'elle avait fait. Ils viendraient le chercher, comme son père et Anka étaient venus quand il avait été coincé dans le camp de l'armée.

Cependant, l'endroit où ils seraient forcés de venir le chercher était terrible. Alors que la charrette traversait le paysage avec moult cahots, Sartes regarda à l'extérieur et vit la plaine se couvrir de fosses et d'un environnement rocheux, de mares bouillonnantes pleines d'obscurité et de chaleur. Même de là où il était, il sentait l'odeur âcre et amère du bitume.

Il y avait des gens qui travaillaient alignés. Sartes voyait les chaînes qui les attachaient deux par deux alors qu'ils récupéraient le bitume avec des seaux et le rassemblaient pour que d'autres puissent s'en servir. Il voyait les gardes qui les surveillaient le fouet à la main et, alors que Sartes regardait, un homme s'écroula sous la volée de coups qu'il recevait. Les gardes le détachèrent de ses chaînes et, d'un coup de pied, le firent tomber dans la fosse à bitume la plus proche. Le bitume mit longtemps à étouffer ses cris.

Sartes voulut regarder ailleurs mais ne le put pas. Il ne pouvait se détourner d'une telle horreur, des cages qui, à l'air libre, étaient visiblement les logements des prisonniers, des gardes qui les traitaient comme s'ils n'étaient que des animaux.

Il regarda jusqu'à ce que la charrette s'arrête et que les soldats l'ouvrent leur arme dans une main et les chaînes dans l'autre.

“Dehors, les prisonniers”, cria l'un d'eux. “Dehors ou on met le feu à cette charrette avec vous à l'intérieur, racaille !”

Sartes sortit dans la lumière avec les autres en traînant les pieds et il put alors voir toute l'horreur de la scène. Les fumées qui s'en dégageaient étaient presque insupportables. Les fosses de bitume qui les entouraient bouillonnaient de façon étrange et imprévisible. Alors même que Sartes regardait, une partie du sol près d'un des puits céda et s'effondra dans le bitume.

“Ce sont les fosses de bitume”, annonça le soldat qui avait parlé. “Ne vous fatiguez pas à essayer de vous y habituer. Vous serez tous morts avant.”

Le pire, soupçonna Sartes alors qu'ils lui fixaient une menotte à la cheville, était qu'ils avaient peut-être raison.