Le Royaume des Dragons

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CHAPITRE QUATRE

Le prince Vars descendit un grosse chope de bière, tout en s'assurant avoir une vue plongeante sur Lyril, nue dans son lit, elle se redressa et le dévisagea avec un intérêt non dissimulé, ses ecchymoses de la nuit dernière étaient à peine visibles.

Elle l'avait bien cherché, songea Vars. C'était un prince de sang après tout, plutôt séduisant, peut-être pas aussi musclé que son grand frère, il n'avait que vingt-et-un ans. Elle le regardait avec intérêt et déférence, voire, une certaine crainte, si seulement elle savait ce qu'il pensait d'elle à cet instant précis.

Non, mieux valait laisser tomber pour le moment. La brutalité était une chose mais son statut de prince l'empêchait d'aller plus avant. Mieux valait réserver ses accès de colère à ceux dont la présence ne manquerait à personne.

Lyril était plutôt jolie, bien évidemment, sinon Vars n'aurait jamais couché avec elle : rousse aux yeux verts, peau laiteuse et corps voluptueux, fille d'un noble se targuant d'être commerçant, ou d'un commerçant ayant acheté son titre de noblesse, Vars ne s'en souvenait pas vraiment et d'ailleurs, il s'en fichait. Une moins que rien obéissant à ses ordres. Que faire d'autre ?

“Tu n'as plus envie de moi, mon prince ?” demanda-t-elle en se levant et en s'approchant. Vars appréciait sa façon de faire, ainsi que plusieurs aspects de sa personne.

“Mon père veut que je participe à la chasse qu'il organise demain.”

“Je pourrais chevaucher à tes côtés. Te regarder et te faire bénéficier de mes faveurs lorsque tu seras à cheval.”

Vars éclata de rire, qu'est-ce que ça pouvait lui faire qu'elle en prenne ombrage ? Lyril avait l'habitude désormais. En général, il se lassait rapidement de ses amantes qui s'en allaient d'elles-mêmes, à moins qu'il ne se montre trop brutal et qu'elles partent en courant. Il fréquentait Lyril depuis longtemps maintenant, des années, bien qu'il ait couché avec d'autres entre-temps.

“Ça t'ennuierait qu'on nous voie ensemble ?”

Vars s'approcha et la fit taire d'un simple regard. La peur se lisait dans ses yeux, c'était la plus belle créature qu'il ait jamais vue.

“Je fais comme bon me semble,” lâcha Vars.

“Oui, mon prince,” répondit-il en frémissant, Vars tremblait de désir.

“Tu une femme superbe, de riche naissance, parfaite.”

“Alors pourquoi mettre autant de temps à m'épouser ?” demanda Lyril. Le sujet n'était pas récent. Elle l'évoquait souvent, remettait ça constamment sur le tapis, en discutait depuis aussi longtemps que Vars s'en souvienne.

Il avança d'un pas vif et l'attrapa par les cheveux. “T'épouser ? Pourquoi devrais-je t'épouser ? Te crois-tu donc spéciale ?”

“Forcément,” répliqua-t-elle. “A moins qu'un prince comme toi ne veuille pas de moi.”

Elle lui avait cloué le bec.

“Bientôt,” dit Vars en réprimant sa colère. “Lorsque le moment sera venu.”

“Quand ?” demanda Lyril. Elle commença se rhabiller, la voir faire donnait à Vars l'envie de la déshabiller de nouveau. Il s'approcha d'elle et l'embrassa passionnément.

“Bientôt,” promit Vars, la promesse était aisée. “Pour le moment …”

“Pour le moment, nous devons assister à la fête de ton père, et célébrer la venue du fiancé de ta sœur,” ajouta Lyril. Elle resta pensive un moment. “Je me demande s'il est beau.”

Vars pivota sur ses talons et la saisit violemment par le bras, lui arrachant un cri. “Je ne te suffit pas ?”

“Plus qu'amplement.”

Vars grommela, la lâcha et s'habilla tout en buvant au goulot d'une flasque de vin qui se trouvait là, il en proposa à Lyril qui but une gorgée. Ils arpentèrent le château, se frayant un chemin parmi ses tours et détours, jusqu'au grand salon.

“Votre Altesse, madame,” murmura un domestique sur leur passage, “le banquet a déjà commencé.”

Vars fit volte-face. “Croyez-vous qu'il soit nécessaire de m'en informer ? Me croyez-vous donc stupide, sans la moindre notion du temps ?”

“Non mon prince, mais votre père—”

“Mon père est occupé avec les politique, ou en train d'écouter Rodry se vanter de ce que mon frère a fait,” répondit Vars.

“Vous avez raison, Votre Altesse,” dit l'homme en s'éloignant.

“Attendez,” dit Lyril. “Où allez-vous comme ça ? Vous devriez vous excuser auprès du prince, et envers moi, de nous avoir interrompus.”

“Oui, bien sûr,” répondit le domestique. “Je suis très—”

“Des excuses en bonne et due forme. À genoux.”

L'homme hésita un instant mais Vars enfonça le clou. “Obéissez.”

Le domestique tomba à genoux. “Je vous demande pardon de vous avoir interrompu, Votre Altesse, madame. Je n'aurais pas dû.”

Vars vit Lyril esquisser un sourire.

“Effectivement,” dit-elle. “Et maintenant, disparaissez.”

Le domestique détala comme un lapin devant son ordre, Vars éclata de rire.

“Tu peux te montrer délicieusement cruelle, à tes heures.” C'est ce qu'il aimait en elle.

“Seulement si c'est amusant,” répondit Lyril.

Ils poursuivirent en direction de la fête. A leur arrivée, les festivités battaient leur plein, tout le monde buvait et dansait, mangeait et s'amusait. Vars aperçut sa demi-sœur devant lui, centre de l'attention avec son futur mari. Que la fille de la seconde femme du roi mérite tant d'égards le dépassait.

Manque de chance, Rodry était également présent avec de jeunes gentilshommes, ébahis au récit de ses exploits. Pourquoi la destinée avait fait de lui l'aîné ? C'était insensé, Vars savait pertinemment que Rodry se destinait à être roi, qu'il volerait bientôt de ses propres ailes.

“Un tel mariage offre bien sûr de vastes possibilités,” dit Lyril. “Cela attire de nombreux seigneurs et gentes dames …”

“Pouvant devenir nos amis,” répondit Vars. Il connaissait les règles du jeu à la perfection. “Evidemment, c'est plus facile si on connaît leurs faiblesses. Tu savais que le Comte Durris avait un faible pour le tabac ?”

“Je l'ignorais,” répondit Lyril.

“Il en sera ainsi tant que nous resterons amis,” dit Vars. Lyril et lui se frayèrent un passage parmi la foule, avant de s'éloigner chacun de leur côté. Il la voyait regarder les autres femmes, essayant de se persuader qu'elles étaient forcément moins jolies qu'elle, plus faibles, ou pas du même rang. Il essayait probablement de se persuader des avantages qu'elle pourrait tirer de leur fréquentation.

Vars aimait la rigueur émanant de cette constatation, peut-être la raison pour laquelle il la fréquentait depuis si longtemps.

“Raison supplémentaire de ne pas participer à la chasse demain. Je ferai comme bon me semble une fois ces abrutis partis, et faire en sorte que les choses tournent en ma faveur.”

“On parle de chasse ?”

La voix de son frère s'éleva, toujours aussi tonitruante. Vars se tourna vers Rodry en s'efforçant de sourire, comme il le faisait depuis son enfance.

“Rodry, mon frère, je ne te croyais pas rentré … Où étiez-vous donc avec Père ?”

Rodry haussa les épaules. “Tu le saurais si tu nous avais accompagnés.”

“Ah, mais tu es parti comme un voleur,” répondit Vars, “et tu es son préféré.”

Si tant est que son ton acerbe n'ait pas échappé à Rodry, il ne le montra pas.

“Viens,” lui dit Rodry en lui donnant une claque dans le dos. “Joins-toi à mes amis.”

Il se joignit aux jeunes abrutis qui le portaient aux nues, tel un héros, Vars était prêt à payer son pesant d'or pour éviter sa compagnie. Ils se prenaient pour le cercle des Chevaliers d'Argent de son père, bien qu'aucun d'eux ne leur arrive à la cheville. Il plaqua sur ses lèvres un sourire forcé, s'empara d'un gobelet de vin pour trinquer avant de se joindre à la compagnie. Il l'avala cul sec et en prit un autre.

“Nous parlions chasse,” lui dit Rodry. “Berwick a tué un sanglier avec un poignard.”

Un des jeunes hommes lui adressa un signe de tête, Vars avait envie de lui casser la figure. “J'ai été blessé à deux reprises.”

“Vous auriez peut-être dû utiliser votre lance,” dit Vars.

“J'ai brisé ma lance en m'entraînant à la Maison des Armes,” répondit Berwick.

“De quand date ton dernier entraînement, mon cher frère ?” demanda Rodry, bien que connaissant la réponse. “Quand rejoindras-tu le cercle des chevaliers, comme moi ?”

“Je m'entraîne à l'épée,” répondit Vars, probablement plus sur la défensive que de coutume. “Je pense qu'il y a mieux à faire que passer ses journées à l'entraînement.”

“À moins que tu n'aimes pas l'idée d'affronter un ennemi prêt à te tailler en pièces, n'est-ce pas, frérot ?” dit Rodry en donnant une tape sur l'épaule de Vars. “Tout comme tu n'aimes pas aller à la chasse, au cas où il t'arriverait quelque chose.”

Il éclata de rire, le pire étant que son frère ne se rendait certainement pas compte de ses paroles blessantes. Rodry n'était pas du genre à prendre des gants.

“Me traiterais-tu de lâche, Rodry ?”

“Oh non,” répondit Rodry. “Certains hommes sont nés pour se battre, d'autres pour rester bien au chaud, n'est-ce pas ?”

“Je pourrais chasser si j'en avais envie,” lâcha Vars.

“Ah, quel preux chevalier !” s'écria Rodry, l'assemblée éclata de rire, personne ne se rendit compte de sa cruauté, Vars excepté. “Tu devrais nous accompagner ! On descend en ville afin de s'assurer d'avoir les armes nécessaires pour demain.”

“Vous quittez le festin ?” rétorqua Vars.

“La fête dure plusieurs jours,” répliqua Rodry. “On te trouvera une lance, tu nous montreras comment chasser le sanglier.”

 

Vars aurait voulu s'en aller, mieux encore, cogner la tête de son frère sur la table la plus proche. Frapper jusqu'à en faire de la charpie, il deviendrait alors l'héritier du trône. Mais il savait qu'il devrait les suivre dans la cité en franchissant les ponts, d'ici là, il trouverait quelqu'un sur qui déverser sa colère. Oui, Vars n'avait que ça en tête, si ce n'est pire. Devenir roi.

Une petite voix intérieure lui disait de ne pas aller au-devant du danger et de ne pas se mettre son frère à dos. Non, ça attendrait.

Le premier qui se mettrait en travers de son chemin une fois en ville le paierait cher.

CHAPITRE CINQ

Devin levait et abattait son marteau sur le morceau de métal qui serait bientôt une lame. Ses dorsaux lui faisaient mal, la chaleur de la forge trempaient ses vêtements de sueur. La chaleur était constante dans la Maison des Armes, à la limite du supportable à proximité des forges.

“Tu te débrouilles bien, gamin,” lança le Vieux Gund.

“J'ai seize ans, je ne suis pas un gamin,” répondit Devin.

“Peut-être mais tu en as l'air, vue ta taille. Vous n'êtes que des gamins, comparé à moi.”

Devin haussa les épaules. Quiconque le verrait ne l'imaginerait pas forgeron mais le métal exigeait une certaine maturité pour le manier. Les subtiles gradations de chaleur et formes de l'acier pouvaient changer une arme, une lame défaillante pouvait atteindre la perfection, voire, devenir magique, Devin était bien décidé à apprendre, à comprendre.

“Fais attention, ça risque de trop refroidir,” avança Gund.

Devin remit rapidement le métal au feu, observant ses nuances jusqu'à atteindre la perfection, le retira pour le travailler. Il y était presque mais ce n'était pas encore ça, le fil n'était pas parfait. Devin en était persuadé, aussi sûrement qu'il reconnaissait sa droite de sa gauche.

Il était peut-être jeune mais s'y connaissait en armes. Il maîtrisait les meilleures techniques pour les forger et les affuter … il savait même les manier, bien que son père et Maître Wendros n'y soient pas favorables. La Maison des Armes offrait un enseignement de qualité aux jeunes gentilshommes désireux d'apprendre des meilleurs maîtres d'armes, Wendros notamment, homme exceptionnellement doué. Devin devait s'entraîner seul, il s'exerçait avec tout ce qui lui tombait sous la main, épées, haches, lances, couteaux, il donnait l'estocade, espérant faire mouche.

Une clameur s'élevant devant la Maison attira l'attention de Devin. Les grandes portes métalliques parfaitement équilibrées s'ouvrirent en coulissant sur leurs gonds. De jeunes hommes probablement nobles et visiblement éméchés pénétrèrent à l'intérieur. Alcool et Maison des Armes ne faisaient pas bon ménage. Un homme saoul était renvoyé chez lui sur le champ, et licencié à la deuxième incartade.

Les clients ivres restaient en général à l'extérieur. Un homme alcoolisé et armé devenait dangereux, même si telle n'était pas son intention. Ces hommes … arboraient les couleurs royales, faire preuve de courtoisie serait la moindre des politesses.

“Nous voulons des armes,” dit le premier. Devin reconnut immédiatement le Prince Rodry, il avait entendu tant de récits à son sujet. “Une chasse est prévue demain, le mariage sera suivi d'un tournoi.”

Gund, un des maîtres de forge, vint à leur rencontre. Devin continua de forger sa lame, la moindre erreur ou manquement pouvait faire pénétrer des bulles d'air, qui formeraient alors des fissures. Il mettait un point d'honneur à ce que les armes qu'il forgeait ne se brisent au combat.

Bien que concentré sur le métal, Devin ne pouvait quitter des yeux les jeunes gentilshommes ici présents. Ils avaient à peu près son âge ; ils ressemblaient plus à des gamins désireux de copiner avec le prince, qu'aux Chevaliers d'Argent au service de son père. Gund leur montra des épées et des lances pouvant convenir à l'armée du roi mais ils les refusèrent.

“Ces messieurs sont les fils du roi !” lança l'un des hommes en indiquant le Prince Rodry et un autre homme que Devin supposa être le Prince Vars, il n'était pas assez mince, taciturne et efféminé pour être le Prince Greave. “Ces armes sont indignes d'eux.”

Gund leur montra leurs plus fines lames, aux poignées dorées ou décorées, à la garde marquetées, et même des lames fabriquées par de vrais maîtres, aux couches superposées d'acier le plus pur, aux motifs enchevêtrés grâce à l'application d'argile à chaud, au fil tranchant comme un rasoir.

“Trop belles pour eux,” murmura Devin in petto. Il prit la lame qu'il était en train de forger et l'examina un moment. Elle était prête. Il la chauffa une fois de plus, il la plongerait bientôt dans le grand bain d'huile sombre qui n'attendait qu'elle.

Vue leur façon de s'emparer et agiter les armes, la plupart n'avait visiblement pas la moindre idée de ce qu'ils faisaient. Le prince Rodry s'y connaissait peut-être mais il se trouvait au rez-de-chaussée de la Maison, il essayait une lance immense au bout en forme de feuille, la faisant tournoyer avec art, preuve d'une longue pratique. En comparaison, ses suivants avaient l'air de jouer aux chevaliers, et non d'être de vrais chevaliers. Devin observait leurs gestes maladroits, ils n'empoignaient pas leurs armes correctement.

“Un homme doit savoir manier les armes qu'il fabrique et dont il se sert,” dit Devin en plongeant la lame qu'il venait de forger dans la trempe. Elle brilla et s'enflamma un moment avant de siffler tandis que l'arme refroidissait lentement.

Il fabriquait ces lames, qu'il savait parfaites pour un guerrier entraîné. Il vérifia son équilibre, sa flexibilité et sa force, il lui semblait logique qu'un homme soit formé à ces pratiques. Il trouvait cela difficile ; apprendre lui venait facilement, fabriquer des outils parfaits, comprendre à quel moment—

Son attention fut attirée par un bruit sourd provenant des gentilshommes, occupés à jouer avec les armes, Devin eut le temps d'apercevoir le prince Vars au beau milieu d'armures écroulées. Il regardait méchamment Nem, l'un des garçons travaillant à la Maison des Armes. Nem était ami avec Devin depuis toujours, grand et gras, ce n'était pas une lumière mais de ses mains sortaient les plus fines lames. Devin fut surpris de la violence avec laquelle le prince Vars le poussa.

“Imbécile !” aboya le prince Vars. “Tu ne peux pas regarder où tu mets les pieds ?”

“Pardonnez-moi, monseigneur,” répondit Nem, “mais vous m'êtes rentré dedans.”

Devin eut le souffle coupé, répondre à un gentilhomme était risqué, d'autant plus s'il était saoul. Le prince Vars se releva et asséna une gifle sur l'oreille de Nem, l'envoyant valdinguer parmi les armures. Il cria, le bras en sang, il avait dû tomber sur un objet pointu.

“Tu oses me répondre ?” lança le prince. “Je viens de te dire que tu m'es rentré dedans, tu me prends pour un menteur ?”

Un autre que lui se serait fâché ou aurait cherché la bagarre mais Nem était un gentil, malgré sa taille. Il semblait vexé et perplexe.

Devin hésita un moment, attendant de voir si quelqu'un s'en mêlerait. Aucun suivant du prince Rodry ne fit mine d'intervenir, probablement trop occupés à insulter quelqu'un de plus haut placé qu'eux, bien qu'étant nobles, d'aucuns devaient penser que leur ami méritait une bonne raclée pour ce qu'il avait fait.

Le prince Rodry maniait la lance à l'autre bout de la Maison, en admettant qu'il ait entendu l'échauffourée s'élevant du vacarme des forgerons au travail et des mugissements de la forge. Gund ne s'en mêlerait pas, le vieil homme avait survécu dans le milieu si particulier de la forge justement en ne se mêlant pas des affaires des autres.

Devin savait qu'il ferait de même, bien qu'il vit le prince lever de nouveau sa main.

“Tu vas t'excuser à la fin ?” demanda Vars.

“J'ai rien fait !” insistait Nem, probablement trop sonné pour se rappeler des règles de la bienséance, son manque d'intelligence n'arrangeait à vrai dire pas les choses. Il croyait à un monde juste, n'avoir rien fait de mal constituait selon lui une excuse valable.

“Personne ne me parle sur ce ton,” dit le prince Vars avant de frapper Nem. “Je vais t'apprendre les bonnes manières, tu me remercieras quand j'en aurais terminé avec toi. Tu t'es trompé d'adversaire, tu mérites une bonne raclée, ou plutôt, une bonne leçon.”

Devin savait qu'il ne ferait rien, il n'était pas aussi jeune que Nem, il savait pertinemment comment les choses se passaient. Si un prince de sang vous marchait sur les pieds, vous deviez vous excuser et le remercier de cet honneur. S'il voulait votre meilleure arme, il fallait la lui donner, même s'il ne savait pas s'en servir. Il ne fallait pas s'en mêler, ne pas intervenir, les conséquences pouvaient être gravissimes pour vous et votre famille.

Devin avait une famille, hors les murs de la Maison des Armes. Il ne voulait pas qu'il leur arrive malheur parce qu'il avait perdu son sang-froid et manqué à ses devoirs. Il ne pouvait pas rester planté là et regarder un gamin se faire massacrer pour les caprices d'un prince ivre. Devin affermit sa prise sur le marteau et l'abattit, prenant sur lui pour ne pas s'en mêler.

Le prince Vars saisit la main de Nem et la tira de force sur l'enclume.

“Voyons si tu seras un aussi bon forgeron lorsque ta main sera cassée.” Il prit un marteau qu'il leva, Devin comprit à cet instant précis ce qui se passerait s'il n'intervenait pas. Son cœur battait la chamade.

Sans réfléchir, Devin plongea et attrapa le bras du prince. Il ne dévia pas le coup de beaucoup mais suffisamment pour qu'il manque la main de Nem et s'abatte sur l'enclume.

Devin ne le lâcha pas, au cas où le prince s'y reprendrait à deux fois.

“Quoi ?” lâcha le prince Vars. “Ôte tes sales pattes.”

Devin luttait pour bloquer sa main ; Devin sentait son haleine avinée.

“Pas tant que vous continuerez à frapper mon ami,” répondit Devin.

Attraper le prince suffisait pour lui attirer de graves ennuis, mais il était désormais trop tard.

“Nem ne comprend pas tout, les armures ne sont pas tombées par sa faute, mais plutôt à cause de l'alcool.”

“J'ai dit 'retire tes sales pattes',” répéta le prince, sa main se déplaça vers le couteau à sa ceinture.

Devin le repoussa aussi doucement que possible. Il espérait que les choses s'arrangeraient à l'amiable, bien qu'il ne sache que trop, désormais, ce qui risquait d'arriver.

“Vous n'allez pas faire ça, Votre Altesse.”

Vars lui lança un regard noir haineux, le souffle court.

“Je n'ai pas fait d'erreur, moi, espèce de traître,” gronda le prince Vars, d'une voix n'augurant rien de bon.

Vars posa son marteau et s'empara d'une épée posée sur un banc, Devin comprit sur le champ qu'il ne savait pas la manier.

“C'est exact—tu es un traître. Agresser un membre de la famille royale équivaut à une trahison, les traîtres doivent mourir.”

Il brandit son épée en direction de Devin, qui s'empara instinctivement de la première chose qui lui tomba sous la main, en l'occurrence un de ses marteaux de forgeron qu'il leva pour parer le coup, le bruit du fer contre fer retentit tandis qu'il empêchait l'épée de lui fendre le crâne en deux. Ses mains tremblaient sous l'impact mais il n'avait pas le temps d'y songer. Le marteau se frotta contre la lame de l'épée et l'arracha violemment de la main du prince, l'envoyant valser parmi le tas d'armures disloquées.

Il s’arrêta de lui-même. Il était fâché que le prince entre et se permette de s’en prendre à lui mais Devin avait une sainte patience. Le travail du métal l’exigeait. Un homme impatient à la forge se blessait forcément.

“Vous avez vu ?” lança le prince Vars en pointant un doigt tremblant de colère ou de peur. “Il m’a frappé ! Emparez-vous de lui. Qu’on l’enferme dans le cachot le plus sombre du château, il sera pendu au matin.”

Les jeunes hommes qui l’entouraient ne paraissaient pas pressés de réagir, mais ils n’allaient évidemment pas rester plantés là sans rien faire alors qu’un moins que rien comme Devin affrontait un prince en duel. La plupart tenaient encore les lances ou épées qu’ils avaient maladroitement essayées, Devin était encerclé par des armes pointant vers son cœur.

“Je ne cherche pas la bagarre,” répondit Devin, ne sachant que répondre. Il laissa tomber le marteau dans un bruit mat, il n’en avait désormais plus besoin. Que pouvait-il faire, seul contre tous ? Bien qu’il subodore être une meilleure lame que les hommes ici présents, ils étaient trop nombreux pour qu’il tente quoi que ce soit, et quand bien même ? Où se réfugierait-il, que deviendrait sa famille ?

 

“La prison ne sera pas nécessaire,” lança le prince Vars. “Je vais lui trancher la tête en public. Mettez-le à genoux. J’ai dit 'à genoux' !” répéta-t-il devant la lenteur de ses hommes.

Quatre d’entre eux s’approchèrent et mirent Devin à terre, les autres le mettaient en joue. Entre temps, le prince Vars, avait ramassé son épée. Il la souleva en la soupesant ostensiblement, Devin comprit qu’il allait mourir. La peur l’envahit, il n’avait aucune échappatoire. Peu importait qu’il réfléchisse à toute allure et qu’il soit fort, ça n’y changerait rien. Les autres n’étaient peut-être pas d’accord avec la décision du prince mais ils se devaient d’être là. Ils le regarderaient se faire trancher la tête par le prince …

… la Terre cessa de tourner l’espace d’un instant, les battements de son cœur s'amenuisaient. A cet instant précis, il aurait presque pu voir les muscles du prince se dessiner, l'étincelle de ses pensées le parcourir. Les atteindre et les modifier serait d’une facilité déconcertante.

“Aïe ! Mon bras !” hurla le prince Vars, lâchant son épée dans un bruit fracassant.

Devin regarda derrière lui, abasourdi. Il essayait de comprendre ce qui venait de faire.

ll était terrorisé par son pouvoir.

Le prince tenait son bras, tentant de dissiper la sensation bizarre qui s'était emparée de ses doigts.

Devin se contentait de le dévisager. Il avait bien fait quelque chose ? Comment ? Il avait réussi à provoquer une crampe, par la seule volonté de sa pensée ?

Il se remémora son rêve …

“Ça suffit,” lança une voix, les interrompant. “Laisse-le.”

Le prince Rodry franchit le barrage des armes, les jeunes hommes les baissèrent pour toute réponse, poussant presque un soupir de soulagement.

Devin était soulagé mais gardait néanmoins le prince Vars et l’arme qu'il tenait à l’œil.

“Ça suffit, Vars,” dit Rodry. Il s'interposa entre Devin et le prince Vars, qui hésita un instant. Devin craignait qu'il lui assène un coup d'épée malgré la présence de son frère.

Il finit par l'écarter.

“Je ne voulais pas venir, de toute façon,” lança-t-il avant de partir en trombe.

Le prince Rodry se tourna vers Devin, les hommes qui le retenaient le relâchèrent aussitôt. “Tu as fait preuve de courage en défendant ton ami,” dit-il en soulevant sa lance. “Et tu travailles bien. Il paraît que c'est toi qui l'as faite.”

“Oui, Votre Altesse,” répondit Devin. Il ne savait que penser. En l'espace de quelques secondes, il avait failli être décapité, puis relâché, on l'avait pris pour un traître et complimenté pour son travail. C'était insensé, mais après tout, pourquoi les choses devaient forcément avoir un sens dans un monde où il était investi de pouvoirs … magiques ?

Le prince Rodry acquiesça et se tourna pour s'en aller. “Sois plus attentif à l'avenir. Je ne serai pas toujours là pour te tirer d'affaire.”

Devin mit de longues secondes avant de se relever, sa respiration était saccadée. Il regarda Nem comprimer la blessure de son bras replié, effrayé et secoué par ce qui venait de se produire.

Le vieux Gund vint à sa rescousse, s'occupa du bras de Nem qu'il enveloppa dans une bandelette de tissu. Il regarda alors Devin.

“Tu ne pouvais pas te mêler de tes affaires ?”

“Je n'allais pas laisser Nem se faire frapper,” répondit Devin. Il le referait sans hésiter si c'était à refaire.

“Il s'en serait tiré au pire avec une bonne raclée,” asséna Gund. “On a vu pire. Et maintenant … va-t'en.”

“M'en aller ?” répondit Devin. “Maintenant ?”

“Maintenant et les jours suivants, imbécile,” annonça Gund. “Crois-tu que nous puissions garder parmi nous un homme qui affronte un prince dans la Maison des Armes ?”

Devin sentit son cœur s'arrêter. Quitter la Maison des Armes ? Sa seule et unique vraie maison ?

“Mais je n'ai—” commença Devin avant de s'arrêter.

Il n'était pas comme Nem, qui croyait que tout se passait toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes. Gund l'aurait forcément fichu dehors ; Devin savait que son intervention lui coûterait sa place, avant même de s'en mêler.

Devin baissa les yeux et acquiesça, il n'avait rien d'autre à ajouter. Il se détourna comme pour s'en aller.

“Attends,” Nem le rappela. Il courut à son établi et revint avec une chose enveloppée dans un chiffon. “Je … ce n'est pas grand-chose. Tu m'as sauvé la vie. C'est à toi.”

“Je l'ai fait parce que je suis ton ami,” lui répondit Devin. “Inutile de me faire un présent.”

“Ça me fait plaisir. S'il avait brisé ma main, je n'aurais plus été capable de rien, prends, c'est moi qui l'ai fait.”

Il la donna à Devin, qui s'en saisit soigneusement et l'ouvrit … c'était une épée, enfin, pas vraiment. Un long couteau, un 'messer', trop long pour un couteau à proprement parler, pas suffisamment pour une épée. Une lame à simple tranchant, avec une poignée en saillie d'un seul côté, de forme arrondie, une arme de paysan n'ayant rien à voir avec les épées à deux mains ni celles des chevaliers mais elle était légère, fatale, très belle. Devin comprit au premier coup d'œil, tandis qu'elle étincelait à la lumière, qu'elle serait bien plus rapide et meurtrière qu'une simple épée. Une arme demandant rapidité, ruse et adresse, parfaite pour la silhouette élancée et le jeune âge de Devin.

“Elle n'est pas terminée,” lui dit Nem, “mais je sais que tu la finiras mieux que moi, je te jure que l'acier est de bonne qualité.”

Devin donna un coup pour voir, la lame fendit l'air. Il voulait lui dire que c'était trop, qu'il ne pouvait pas accepter mais il voyait bien que Nem avait plaisir à la lui offrir.

“Merci, Nem.”

“Vous avez terminé, tous les deux ?” demanda Gund en regardant Devin. “Ton départ me chagrine. Tu es un bon ouvrier, meilleur forgeron que la plupart de mes hommes mais je ne peux pas te garder, ça pourrait nous retomber dessus. Tu dois t'en aller, mon garçon. Maintenant.”

Devin voulut répondre, tout en sachant que cela ne servirait à rien, sa place n'était plus ici. Il ne voulait pas passer pour un indésirable. Ce n'était pas ainsi qu'il voyait les choses. Travailler ici était un simple moyen de subsistance. Il rêvait d'être chevalier et voilà que …

Son rêve le conduisait à se comporter étrangement. Il devait en avoir le cœur net.

Ta vie changera à tout jamais.

Etait-ce ce que l'enchanteur avait voulu dire ?

Devin n'avait pas le choix. Il ne pouvait pas retourner en arrière, retourner à la forge et faire comme si de rien n'était.

Il s'élança vers la cité. Vers son destin.

L'avenir lui tendait les bras.