bepul

Claire de Lune

Matn
0
Izohlar
iOSAndroidWindows Phone
Ilova havolasini qayerga yuborishim mumkin?
Mobil qurilmada kodni kiritmaguningizcha oynani yopmang
TakrorlashHavola yuborildi

Mualliflik huquqi egasi talabiga ko`ra bu kitob fayl tarzida yuborilishi mumkin emas .

Biroq, uni mobil ilovalarimizda (hatto internetga ulanmasdan ham) va litr veb-saytida onlayn o‘qishingiz mumkin.

O`qilgan deb belgilash
Shrift:Aa dan kamroqАа dan ortiq

UNE VEUVE

C'était pendant la saison des chasses, dans le château de Banneville. L'automne était pluvieux et triste. Les feuilles rouges, au lieu de craquer sous les pieds, pourrissaient dans les ornières, sous les lourdes averses.



La forêt, presque dépouillée, était humide comme une salle de bains. Quand on entrait dedans, sous les grands arbres fouettés par les grains, une odeur moisie, une buée d'eau tombée, d'herbes trempées, de terre mouillée, vous enveloppait et les tireurs, courbés sous cette inondation continue, et les chiens mornes, la queue basse et le poil collé sur les côtes, et les jeunes chasseresses en leur taille de drap collante et traversée de pluie, rentraient chaque soir las de corps et d'esprit.



Dans le grand salon, après dîner, on jouait au loto, sans plaisir, tandis que le vent faisait sur les volets des poussées bruyantes et lançait les vieilles girouettes en des tournoiements de toupie. On voulut alors conter des histoires, comme il est dit en des livres; mais personne n'inventait rien d'amusant. Les chasseurs narraient des aventures à coups de fusil, des boucheries de lapins; et les femmes se creusaient la tête sans y découvrir jamais l'imagination de Scheherazade.



On allait encore renoncer à ce divertissement, quand une jeune femme, en jouant, sans y penser, avec la main d'une vieille tante restée fille, remarqua une petite bague faite avec des cheveux blonds, qu'elle avait vue souvent sans jamais y réfléchir.



Alors, en la faisant rouler doucement autour du doigt, elle demanda: «Dis donc, tante, qu'est-ce que c'est que cette bague? On dirait des cheveux d'enfant…» La vieille demoiselle rougit, pâlit; puis, d'une voix tremblante: «C'est si triste, si triste, que je n'en veux jamais parler. Tout le malheur de ma vie vient de là. J'étais toute jeune alors, et le souvenir m'est resté si douloureux que je pleure chaque fois en y pensant.»



On voulut aussitôt connaître l'histoire, mais la tante refusait de la dire; on finit enfin par la prier tant qu'elle se décida.



«Vous m'avez souvent entendu parler de la famille de Santèze, éteinte aujourd'hui. J'ai connu les trois derniers hommes de cette maison. Ils sont morts tous les trois de la même façon; voici les cheveux du dernier. Il avait treize ans quand il s'est tué pour moi. Cela vous parait étrange, n'est-ce pas?



«Oh! c'était une race singulière, des fous, si l'on veut, mais des fous charmants, des fous par amour. Tous, de père en fils, avaient des passions violentes, de grands élans de tout leur être qui les poussaient aux choses les plus exaltées, aux dévouements fanatiques, même aux crimes. C'était en eux, cela, ainsi que la dévotion ardente est dans certaine âmes. Ceux qui se font trappistes n'ont pas la même nature que les coureurs de salon. On disait dans la parenté: «Amoureux comme un Santèze.» Rien qu'à les voir, on le devinait. Ils avaient tous les cheveux bouclés, bas sur le front, la barbe frisée, et des yeux larges, larges, dont le rayon entrait dans vous, et vous troublait sans qu'on sût pourquoi.



«Le grand-père de celui dont voici le seul souvenir, après beaucoup d'aventures, et des duels et des enlèvements de femmes, devint passionnément épris, vers soixante-cinq ans, de la fille de son fermier. Je les ai connus tous les deux. Elle était blonde, pâle, distinguée, avec un parler lent, une voix molle et un regard si doux, si doux, qu'on l'aurait dit d'une madone. Le vieux seigneur la prit chez lui, et il fut bientôt si captivé qu'il ne pouvait se passer d'elle une minute. Sa fille et sa belle-fille, qui habitaient le château, trouvaient cela naturel, tant l'amour était de tradition dans la maison. Quand il s'agissait de passion, rien ne les étonnait, et, si l'on parlait devant elles de penchants contrariés, d'amants désunis, même de vengeance après des trahisons, elles disaient toutes les deux, du même ton désolé: «Oh! comme il (ou elle) a dû souffrir pour en arriver là». Rien de plus. Elles s'apitoyaient sur les drames du coeur et ne s'en indignaient jamais, même quand ils étaient criminels.



«Or, un automne, un jeune homme, M. de Gradelle, invité pour la chasse, enleva la jeune fille.



«M. de Santèze resta calme, comme s'il ne s'était rien passé; mais, un matin, on le trouva pendu dans le chenil, au milieu des chiens.



«Son fils mourut de la même façon, dans un hôtel, à Paris, pendant un voyage qu'il y fit en 1841, après avoir été trompé par une chanteuse de l'Opéra.



«Il laissait un enfant âgé de douze ans, et une veuve, la soeur de ma mère. Elle vint avec le petit habiter chez mon père, dans notre terre de Bertillon. J'avais alors dix-sept ans.



«Vous ne pouvez vous figurer quel étonnant et précoce enfant était ce petit Santèze. On eût dit que toutes les facultés de tendresse, que toutes les exaltations de sa race étaient retombées sur celui-là, le dernier. Il rêvait toujours et se promenait seul, pendant des heures, dans une grande allée d'ormes allant du château jusqu'au bois. Je regardais de ma fenêtre ce gamin sentimental, qui marchait à pas graves, les mains derrière le dos, le front penché, et, parfois, s'arrêtait pour lever les yeux comme s'il voyait et comprenait, et ressentait des choses qui n'étaient point de son âge.



«Souvent, après le dîner, par les nuits claires, il me disait: «Allons rêver, cousine…» Et nous partions ensemble dans le parc. Il s'arrêtait brusquement devant les clairières où flottait cette vapeur blanche, cette ouate dont la lune garnit les éclaircies des bois; et il me disait, en me serrant la main: «Regarde ça, regarde ça. Mais tu ne me comprends pas, je le sens. Si tu comprenais, nous serions heureux. Il faut aimer pour savoir.» Je riais et je l'embrassais, ce gamin, qui m'adorait à en mourir.



«Souvent aussi, après le dîner, il allait s'asseoir sur les genoux de ma mère: «Allons, tante, lui disait-il, raconte-nous des histoires d'amour.» Et ma mère, par plaisanterie, lui disait toutes les légendes de sa famille, toutes les aventures passionnées de ses pères; car on en citait des mille et des mille, de vraies et de fausses. C'est leur réputation qui les a tous perdus, ces hommes; ils se montaient la tête et se faisaient gloire ensuite de ne point laisser mentir la renommée de leur maison.



«Il s'exaltait, le petit, à ces récits tendres ou terribles, et parfois il battait des mains en répétant: «Moi aussi, moi aussi, je sais aimer mieux qu'eux tous!»



«Alors il me fit la cour, une cour timide et profondément tendre dont on riait, tant c'était drôle. Chaque matin, j'avais des fleurs cueillies par lui, et, chaque soir, avant de remonter dans sa chambre, il me baisait la main en murmurant: «Je t'aime!»



«Je fus coupable, bien coupable, et j'en pleure encore sans cesse, et j'en ai fait pénitence toute ma vie; et je suis restée vieille fille, ou plutôt non, je suis restée comme fiancée-veuve, veuve de lui. Je m'amusai de cette tendresse puérile, je l'excitais même; je fus coquette, séduisante, comme auprès d'un homme, caressante et perfide. J'affolai cet enfant. C'était un jeu pour moi, et un divertissement joyeux pour sa mère et pour la mienne. Il avait douze ans! Songez! qui donc aurait pris au sérieux cette passion d'atome? Je l'embrassais tant qu'il voulait; je lui écrivis même des billets doux que lisaient nos mères; et il me répondait des lettres, des lettres de feu, que j'ai gardées. Il croyait secrète notre intimité d'amour, se jugeant un homme. Nous avions oublié qu'il était un Santèze!



«Cela dura prés d'un an. Un soir, dans le parc, il s'abattit à mes genoux et, baisant le bas de ma robe avec un élan furieux, il répétait: «Je t'aime, je t'aime, je t'aime à en mourir. Si tu me trompes jamais, entends-tu, si tu m'abandonnes pour un autre, je ferai comme mon père…» Et il ajouta d'une voix profonde à donner un frisson: «Tu sais ce qu'il a fait!»



«Puis, comme je restais interdite, il se releva, et se dressant sur la pointe des pieds pour arriver à mon oreille, car j'étais bien plus grande que lui, il modula mon nom, mon petit nom: «Geneviève!» d'un ton si doux, si joli, si tendre, que j'en frissonnai jusqu'aux pieds.



«Je balbutiais: «Rentrons, rentrons!» Il ne dit plus rien et me suivit; mais, comme nous allions gravir les marches du perron, il m'arrêta: «Tu sais, si tu m'abandonnes, je me tue.»



«Je compris, cette fois, que j'avais été trop loin, et je devins réservée. Comme il m'en faisait, un jour, des reproches, je répondis: «Tu es maintenant trop grand pour plaisanter, et trop jeune pour un amour sérieux. J'attends.»



«Je m'en croyais quitte ainsi.



«On le mit en pension à l'automne. Quand il revint, l'été suivant, j'avais un fiancé. Il comprit tout de suite et garda pendant huit jours un air si réfléchi que je demeurais très inquiète.



«Le neuvième jour, au matin, j'aperçus, en me levant, un petit papier glissé sous ma porte. Je le saisis, je l'ouvris, je lus. «Tu m'as abandonné; et tu sais ce que je t'ai dit. C'est ma mort que tu as ordonnée. Comme je ne veux pas être trouvé par un autre que par toi, viens dans le parc, juste à la place où je t'ai dit, l'an dernier, que je t'aimais, et regarde en l'air.»



«Je me sentais devenir folle. Je m'habillai vite et vite, et je courus, je courus à tomber épuisée, jusqu'à l'endroit désigné.



Sa petite casquette de pension était par terre, dans la boue. Il avait plu toute la nuit. Je levai les yeux et j'aperçus quelque chose qui se berçait dans les feuilles, car il faisait du vent, beaucoup de vent.



«Je ne sais plus, après ça, ce que j'ai fait. J'ai dû hurler d'abord, m'évanouir peut-être, et tomber, puis courir au château. Je repris ma raison dans mon lit, avec ma mère à mon chevet.



«Je crus que j'avais rêvé tout cela dans un affreux délire. Je balbutiai: «Et lui, lui, Gontran?..» On ne me répondit pas. C'était vrai.



«Je n'osai pas le revoir; mais je demandai une longue mèche de ses cheveux blonds. La… la… voici…»

 



Et la vieille demoiselle tendait sa main tremblante dans un geste désespéré.



Puis elle se moucha plusieurs fois, s'essuya les yeux et reprit: «J'ai rompu mon mariage… sans dire pourquoi… Et je… je suis restée toujours… la… la veuve de cet enfant de treize ans.» Puis sa tête tomba sur sa poitrine et elle pleura longtemps des larmes pensives.



Et, comme on gagnait les chambres pour dormir, un gros chasseur dont elle avait troublé la quiétude souffla dans l'oreille de son voisin:



– N'est-ce pas malheureux d'être sentimental à ce point-là!



* * * * *

MADEMOISELLE COCOTTE

Nous allions sortir de l'Asile quand j'aperçus dans un coin de la cour un grand homme maigre qui faisait obstinément le simulacre d'appeler un chien imaginaire. Il criait, d'une voix douce, d'une voix tendre: «Cocotte, ma petite Cocotte, viens ici, Cocotte, viens ici, ma belle», en tapant sur sa cuisse comme on fait pour attirer les bêtes. Je demandai au médecin: – Qu'est-ce que celui-là? Il me répondit: – Oh! celui-là n'est pas intéressant. C'est un cocher, nommé François, devenu fou après avoir noyé son chien.



J'insistai: – Dites-moi donc son histoire. Les choses les plus simples, les plus humbles, sont parfois celles qui nous mordent le plus au coeur.



Et voici l'aventure de cet homme qu'on avait sue tout entière par un palefrenier, son camarade.



Dans la banlieue de Paris vivait une famille de bourgeois riches. Ils habitaient une élégante villa au milieu d'un parc, au bord de la Seine. Le cocher était ce François, gars de campagne, un peu lourdaud, bon coeur, niais, facile à duper.



Comme il rentrait un soir chez ses maîtres, un chien se mit à le suivre. Il n'y prit point garde d'abord; mais l'obstination de la bête à marcher sur ses talons le fit bientôt se retourner. Il regarda s'il connaissait ce chien. – Non, il ne l'avait jamais vu.



C'était une chienne d'une maigreur affreuse, avec de grandes mamelles pendantes. Elle trottinait derrière l'homme d'un air lamentable et affamé, la queue entre les pattes, les oreilles collées contre la tête, et s'arrêtait quand il s'arrêtait, repartant quand il repartait.



Il voulait chasser ce squelette de bête et cria: «Va-t'en. Veux-tu bien te sauver. – Hou! hou!» Elle s'éloigna de quelques pas et se planta sur son derrière, attendant; puis, dès que le cocher se remit en marche, elle repartit derrière lui.



Il fit semblant de ramasser des pierres. L'animal s'enfuit un peu plus loin avec un grand ballottement de ses mamelles flasques; mais il revint aussitôt que l'homme eut tourné le dos.



Alors le cocher François, pris de pitié, l'appela. La chienne s'approcha timidement, l'échine pliée en cercle, et toutes les côtes soulevant la peau. L'homme caressa ces os saillants, et, tout ému par cette misère de bête: «Allons, viens», dit-il. Aussitôt elle remua la queue, se sentant accueillie, adoptée, et, au lieu de rester dans les mollets de son nouveau maître, elle se mit à courir devant lui.



Il l'installa sur la paille dans son écurie; puis il courut à la cuisine chercher du pain. Quand elle eut mangé tout son soûl, elle s'endormit, couchée en rond.



Le lendemain, les maîtres, avertis par leur cocher, permirent qu'il gardât l'animal. C'était une bonne bête, caressante et fidèle, intelligente et douce.



Mais, bientôt, on lui reconnut un défaut terrible. Elle était enflammée d'amour d'un bout à l'autre de l'année. Elle eut fait, en quelque temps, la connaissance de tous les chiens de la contrée qui se mirent à rôder autour d'elle jour et nuit. Elle leur partageait ses faveurs avec une indifférence de fille, semblait au mieux avec tous, traînait derrière elle une vraie meute composée des modèles les plus différents de la race aboyante, les uns gros comme le poing, les autres grands comme des ânes. Elle les promenait par les routes en des courses interminables, et quand elle s'arrêtait pour se reposer sur l'herbe ils faisaient cercle autour d'elle, et la contemplaient la langue tirée.



Les gens du pays la considéraient comme un phénomène; jamais on n'avait vu pareille chose. Le vétérinaire n'y comprenait rien.



Quand elle était rentrée, le soir, en son écurie, la foule des chiens faisait le siège de la propriété. Ils se faufilaient par toutes les issues de la haie vive qui clôturait le parc, dévastaient les plates-bandes, arrachaient les fleurs, creusaient des trous dans les corbeilles, exaspérant le jardinier. Et ils hurlaient des nuits entières autour du bâtiment où logeait leur amie, sans que rien les décidât à s'en aller.



Dans le jour, ils pénétraient jusque dans la maison. C'était une invasion, une plaie, un désastre. Les maîtres rencontraient à tout moment dans l'escalier et jusque dans les chambres des petits roquets jaunes à queue empanachée, des chiens de chasse, des bouledogues, des loups-loups rôdeurs à poil sale, vagabonds sans feu ni lieu, des terre-neuve énormes qui faisaient fuir les enfants.



On vit alors dans le pays des chiens inconnus à dix lieues à la ronde, venus on ne sait d'où, vivant on ne sait comment, et qui disparaissaient ensuite.



Cependant François adorait Cocotte. Il l'avait nommée Cocotte, sans malice, bien qu'elle méritât son nom; et il répétait sans cesse: «Cette bête-là, c'est une personne. Il ne lui manque que la parole.»



Il lui avait fait confectionner un collier magnifique en cuir rouge qui portait ces mots gravés sur une plaque de cuivre: «Mademoiselle Cocotte, au cocher François.»



Elle était devenue énorme. Autant elle avait été maigre, autant elle était obèse, avec un ventre gonflé sous lequel pendillaient toujours ses longues mamelles ballottantes. Elle avait engraissé tout d'un coup et elle marchait maintenant avec peine, les pattes écartées à la façon des gens trop gros, la gueule ouverte pour souffler, exténuée aussitôt qu'elle avait essayé de courir.



Elle se montrait d'ailleurs d'une fécondité phénoménale, toujours pleine presque aussitôt que délivrée, donnant le jour quatre fois l'an à un chapelet de petits animaux appartenant à toutes les variétés de la race canine. François, après avoir choisi celui qu'il lui laissait pour «passer son lait,» ramassait les autres dans son tablier d'écurie et allait, sans apitoiement, les jeter à la rivière.



Mais bientôt la cuisinière joignit ses plaintes à celles du jardinier. Elle trouvait des chiens jusque sous son fourneau, dans le buffet, dans la soupente au charbon, et ils volaient tout ce qu'ils rencontraient.



Le maître, impatienté, ordonna à François de se débarrasser de Cocotte. L'homme désolé chercha à la placer. Personne n'en voulut. Alors il se résolut à la perdre, et il la confia à un voiturier qui devait l'abandonner dans la campagne de l'autre côté de Paris, auprès de Joinville-le-Pont.



Le soir même, Cocotte était revenue.



Il fallait prendre un grand parti. On la livra, moyennant cinq francs, à un chef de train allant au Havre. Il devait la lâcher à l'arrivée.



Au bout de trois jours, elle rentrait dans son écurie, harassée, efflanquée, écorchée, n'en pouvant plus.



Le maître, apitoyé, n'insista pas.



Mais les chiens revinrent bientôt plus nombreux et plus acharnés que jamais. Et comme on donnait, un soir, un grand dîner, une poularde truffée fut emportée par un dogue, au nez de la cuisinière qui n'osa pas la lui disputer.



Le maître, cette fois, se fâcha tout à fait, et, ayant appelé François, il lui dit avec colère: «Si vous ne me flanquez pas cette bête à l'eau avant demain matin, je vous fiche à la porte, entendez-vous?»



L'homme fut atterré, et il remonta dans sa chambre pour faire sa malle, préférant quitter sa place. Puis il réfléchit qu'il ne pourrait entrer nulle part tant qu'il traînerait derrière lui cette bête incommode; il songea qu'il était dans une bonne maison, bien payé, bien nourri; il se dit que vraiment un chien ne valait pas ça; il s'excita au nom de ses propres intérêts; et il finit par prendre résolument le parti de se débarrasser de Cocotte au point du jour.



Il dormit mal, cependant. Dès l'aube, il fut debout et, s'emparant d'une forte corde, il alla chercher la chienne. Elle se leva lentement, se secoua, étira ses membres et vint fêter son maître.



Alors le courage lui manqua, et il se mit à l'embrasser avec tendresse, flattant ses longues oreilles, la baisant sur le museau, lui prodiguant tous les noms tendres qu'il savait.



Mais une horloge voisine sonna six heures. Il ne fallait plus hésiter. Il ouvrit la porte: «Viens,» dit-il. La bête remua la queue, comprenant qu'on allait sortir.



Ils gagnèrent la berge, et il choisit une place où l'eau semblait profonde. Alors il noua un bout de la corde au beau collier de cuir, et ramassant une grosse pierre, il l'attacha à l'autre bout. Puis il saisit Cocotte dans ses bras et la baisa furieusement comme une personne qu'on va quitter. Il la tenait serrée sur sa poitrine, la berçait, l'appelait «ma belle Cocotte, ma petite Cocotte,» et elle se laissait faire en grognant de plaisir.



Dix fois il la voulut jeter, et toujours le coeur lui manquait.



Mais brusquement il se décida, et de toute sa force il la lança le plus loin pos