Condamné à fuir

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CHAPITRE DEUX

Adèle laissa échapper un profond soupir d’exaspération en écoutant le grincement discret des charnières tandis que la porte de son appartement se refermait derrière elle. Après quatre heures d’interrogatoires et de paperasse ridicule, Adèle était soulagée d’être de retour chez elle.

Elle appuya sur un interrupteur et détailla l’espace exigu tout en faisant rouler ses épaules.  Elle grimaça soudain en ressentant un élancement soudain de douleur. Adèle jeta un coup d’œil sur le côté et, pour la première fois, elle remarqua une tache rouge sur le T-shirt blanc qu’elle portait sous sa veste de tailleur.

Elle fronça les sourcils. Grimaçant à nouveau, Adèle scruta son petit appartement en se dirigeant vers l’évier de la cuisine, sortant avec résignation sa chemise de sa ceinture.

Un nouvel appartement. Le bail se renouvelait tous les deux mois. Il aurait été trop onéreux de continuer à vivre dans l’ancien appartement. Après le départ d’Angus, Adèle ne recevait tout simplement pas un salaire suffisant pour pouvoir se permettre un loyer au sud de Market, où Angus et ses camarades du monde de la programmation s’étaient rassemblés. Maintenant qu’elle avait déménagé à Brisbane, elle s’était rendu compte que le changement lui était indifférent. Ce n’était pas bruyant – elle pouvait remercier ses voisins – même s’il ne s’agissait guère plus que d’un studio avec cuisine, télévision et une chambre avec salle de bain attenante. Le tout, même la télévision, sentait un peu la moisissure.

De toute façon, elle ne passait pas beaucoup de temps chez elle.

Adèle fit une nouvelle moue en déboutonnant sa chemise et en examinant la longue égratignure sur sa peau. Ses traits se durcirent lorsqu’elle se souvint. Un cadeau de la clôture métallique, sans doute.

– Maudits novices, murmura-t-elle dans sa barbe.

L’agent Masse était jeune. Il n’avait que quelques mois d’entraînement à son actif. Adèle doutait qu’elle ait été bien meilleure que lui à ses débuts, mais tout de même… cela avait été une débâcle. John lui manquait. La dernière fois qu’ils s’étaient vus, cependant… les choses étaient devenues gênantes. Elle se rappelait parfaitement la baignade nocturne dans la piscine privée de Robert. La façon dont John s’était penché vers elle, la façon dont elle avait reculé, presque par réflexe.

Adèle se renfrogna à cause du souvenir et regretta de ne pas pouvoir l’effacer immédiatement. Au lieu de cela, elle saisit une serviette en papier sur le comptoir et fit couler de l’eau chaude. Elle ouvrit le placard au-dessus du réfrigérateur et en sortit une bouteille d’alcool dénaturé. Elle humecta la serviette et appuya la lingette désinfectante de fortune sur ses côtes, en grimaçant encore une fois.

Elle se dirigea vers la seule chaise de la cuisine, s’appuya contre la demi-table entre le réfrigérateur et la cuisinière, et s’assit face au mur, tamponnant la serviette en papier qui dégageait une forte odeur contre ses éraflures. Enfin, elle laissa échapper un long soupir en se penchant en arrière.

Elle regarda vaguement en direction de la porte. Deux verrous et une serrure à chaîne équipaient le cadre métallique, vestiges de précédents locataires.

La chaise grinça lorsqu’elle ajusta sa position et appuya un coude contre la table, fixant la surface du bois lisse. Elle se déplaça à nouveau, ne serait-ce que pour entendre le craquement. L’appartement était tellement silencieux. Quand elle vivait avec Angus, la télévision était toujours allumée, ou on entendait le murmure d’un podcast venant de la chambre pendant qu’il codait. Pendant les deux semaines qu’elle avait passées avec Robert en France, elle s’était souvent retrouvée dans la même pièce que son ancien mentor, appréciant sa compagnie au coin du feu tandis qu’il lisait un livre ou écoutait des concertos à la radio.

Mais maintenant, dans ce petit appartement étouffant de San Francisco… tout était à nouveau si calme.

Adèle gigota encore, concentrée sur le grincement et les protestations de la chaise bas de gamme. Une phrase de son enfance, l’une des préférées de son père, lui traversa l’esprit. « Les choses simples satisfont les gens simples. » Comme pour manifester son désaccord, Adèle s’agita sur la chaise, écoutant une dernière fois le grincement du bois qui lui procurait un étrange réconfort, avant de serrer les dents, tout en appuyant la serviette imbibée d’alcool contre sa blessure, puis elle se releva et se dirigea en direction du couloir.

– Maudit Renée, bredouilla-t-elle.

Jason Hernandez n’aurait jamais filé si John avait été là. La France lui manquait. Après son entretien avec Interpol, elle avait passé du temps avec Robert. Un moment agréable qui lui avait fait du bien. Cela lui avait donné l’occasion d’enquêter sur le meurtrier de sa mère.

Adèle poussa la porte de la salle de bain au bout du couloir et fit face au miroir. C’était une salle de bain exiguë. La cabine de douche suffisait, car Adèle n’avait pas pris de bain depuis près de six ans. Les douches étaient bien plus efficaces. Le sergent – son père – n’avait probablement jamais pris de bain, de toute sa vie.

Elle soupira à nouveau en se déshabillant et entra dans la cabine de douche, ouvrant l’eau chaude, mais le jet était encore tiède. Un autre défaut du nouvel appartement. La pression de l’eau n’était pas non plus très bonne, mais elle devait s’en accommoder.

Alors qu’Adèle restait sous la bruine tiède, elle ferma les yeux, laissant son esprit vagabonder, au-delà des événements de la journée, des deux derniers mois aux États-Unis.

Les mots résonnèrent dans son esprit.

« …Honnêtement, c’est drôle que vous ayez quitté Paris, vous vous en rendez compte ? Surtout vu où vous travailliez. »

Elle soupira alors que l’eau trempait ses cheveux et commençait à couler le long de son nez et de ses joues par pulsations lentes et inégales, correspondant aux jets capricieux du pommeau de douche. Pourtant, elle garda les yeux fermés, tout en tournant et retournant ces mots dans sa tête. Ils faisaient écho – parfois même lorsqu’elle dormait – dans son esprit.

C’est ce que le tueur lui avait dit.

En France. Un homme qui lacérait ses victimes et les regardait saigner, impuissantes et abandonnées de tous. Elle et John avaient attrapé ce tueur en série, mais pas avant qu’il n’ait manqué tuer son père. Il avait aussi failli tuer Adèle.

Le salaud vouait un culte au meurtrier de sa mère. Un autre assassin, parmi une kyrielle d’autres.

Adèle se plaça directement sous l’eau tout en serrant les poings, jusqu’à ce que ses articulations appuyées contre le plastique blanc froid et lisse qui imitait la porcelaine pâlissent.

John avait tué le tueur en série avant qu’il ne tue Adèle, ce qui l’avait laissée avec encore davantage de questions. Elle regrettait en partie qu’il n’ait pas survécu.

Pourquoi était-ce drôle qu’elle ait quitté Paris ? Cette phrase la hantait maintenant. Elle continuait à la répéter dans son esprit. Honnêtement, c’est drôle que vous ayez quitté Paris… Surtout vu où vous travailliez. Presque comme s’il la taquinait. Il voulait certainement parler de l’assassin de sa mère.

Paris. Elle en était presque certaine maintenant. L’assassin de sa mère avait vécu à Paris. Peut-être y vivait-il encore. Il aurait quoi, cinquante ans ? Adèle secoua la tête, envoyant des gouttelettes d’eau tout autour d’elle dans la douche et sur le sol glissant.

Elle serra les dents tandis que le liquide plus tiède continuait à jaillir en jets irréguliers du plafond.

Dans un élan de frustration, elle tourna le bouton au maximum, mais l’eau ne se réchauffa pas. Adèle battit des paupières, ses yeux piquaient à cause de l’eau et du savon qui lui coulaient le long des joues. Elle toisa avec colère le pommeau de douche, la flèche pointant vers le point culminant signalé d’une entaille rouge.

– Très bien, murmura-t-elle.

Elle attrapa la poignée et la tourna dans l’autre sens. Les petites habitudes se renforçaient avec le temps. L’eau froide commença à décrire un arc au-dessus de sa tête et lui donna la chair de poule. Les dents d’Adèle se mirent à claquer, et la douleur sur son côté s’atténua lorsque son corps s’engourdit parce que l’eau froide était devenue glaciale.

Elle resta tout de même sous la douche.

Le tueur l’avait narguée. Comme s’il savait quelque chose. Quelque chose qu’elle ignorait. Quelque chose que les autorités n’avaient pas découvert. Qu’est-ce que cela avait à voir avec son lieu de travail ? C’était la partie qui la dérangeait le plus. C’était presque comme si… Elle secoua à nouveau la tête, repoussant l’idée.

Mais… et si c’était vrai ?

Et si l’assassin de sa mère était d’une manière ou d’une autre lié à la DGSI ? Peut-être pas au sein de l’agence elle-même, mais dans le bâtiment. Il y avait peut-être une proximité. Sinon, qu’avait-il pu bien vouloir dire ?

Surtout vu où vous travailliez…

L’homme sur lequel John avait tiré savait quelque chose sur l’assassin de sa mère. Mais il avait emporté son secret dans sa tombe. Et le Jardinier, l’homme qu’il avait vénéré, l’homme qui avait tué sa mère, était toujours en liberté.

L’eau froide continuait à couler le long de de ses épaules, et elle soufflait rapidement pour en supporter la température, mais refusait toujours de bouger.

Elle serait plus réactive la prochaine fois. Ils lui avaient proposé de rejoindre une unité opérationnelle chez Interpol dans le cadre d’affaires bien spécifiques. Adèle avait hâte de retourner en Europe. Elle aimait la Californie, et elle aimait travailler pour le FBI, surtout avec son amie l’agent Grant comme superviseur. Mais son désir d’élucider le meurtre de sa mère exigeait un certain niveau de proximité.

Finalement, elle appuya son avant-bras contre la porte vitrée et, haletante, Adèle referma le robinet.

 

L’eau glacée s’arrêta enfin de couler. Elle resta debout un instant, tremblotante dans la cabine de douche, tandis que l’eau gouttait discrètement.

La personne qui avait conçu cette salle de bains avait placé le porte-serviettes au dos de la porte, de l’autre côté de la pièce. Il lui fallait avancer de quelques pas pour l’atteindre et, bien qu’il y ait un tapis de bain sur le sol pour absorber l’eau, elle préférait attendre un peu dans la douche pour se sécher avant de sortir.

Elle attendit donc, plongée dans ses pensées, seulement interrompue par un frisson. Un souvenir remonta, dans lequel elle était aussi trempée et frissonnante…

Un éclair de chaleur se fit sentir dans ses joues. Elle repensa à sa baignade dans la piscine de Robert – John était venu pour une soirée…

Il était imbuvable. Grossier, odieux, agaçant, non professionnel.

Mais aussi beau, ajouta une petite voix au fond d’elle. Fiable. Dangereux.

Elle secoua la tête et sortit de la douche, faisant grincer la porte en verre et en métal qui se heurta au mur jaune ; quelques éclats de peinture tombèrent du plafond. Adèle soupira en levant les yeux. Des plaques de moisissure s’étaient formées sous le revêtement. Le locataire précédent avait peint par-dessus, ce qui n’avait servi qu’à masquer le problème.

Elle devrait peut-être envoyer un texto à John.

Non, ce serait trop familier. Un e-mail alors ? Trop impersonnel. L’appeler ?

Adèle hésita un instant et saisit brusquement sa serviette pour se sécher les cheveux. Pourquoi pas l’appeler. Elle se pencha sur le côté de l’égratignure et grimaça à cause de la blessure.

Certaines blessures guérissaient lentement. Mais d’autres fois, il était préférable d’éviter complètement une blessure. Il était peut-être préférable qu’elle n’appelle pas John du tout.

L’épuisement pesait lourdement sur ses épaules alors qu’elle traversait son appartement pour se rendre dans la chambre. Ses paupières commençaient déjà à se baisser. Trois heures supplémentaires à remplir de la paperasse et à justifier l’échange de tir l’avaient épuisée.

C’était une pensée horrible, mais Adèle commençait à souhaiter qu’une affaire surgisse en Europe.

Peut-être une affaire pas trop nocive pour autrui. Juste histoire de la faire sortir de Californie. La tirer de son appartement exigu. C’était trop calme. Pour certaines personnes, les bruits d’autres êtres humains se déplaçant, profitant de leur vie, étaient apaisants. Cela évitait les moments de solitude.

Adèle soupira à nouveau et alla dans sa chambre pour enfiler son pyjama. Elle remit un pansement sur ses éraflures et tenta de supprimer toute animosité à l’égard de son jeune partenaire. Elle se mit au lit et resta allongée immobile pendant quelques minutes.

Quand ils étaient ensemble, Angus et elle regardaient la télévision pour s’endormir. Parfois, il lisait un livre, à voix haute pour qu’elle en profite, elle aussi. D’autres fois, ils se blottissaient l’un contre l’autre et parlaient pendant plusieurs heures avant de s’assoupir.

Mais maintenant, elle était allongée dans son lit. Pas de télévision. Pas de livres. Juste le silence.

CHAPITRE TROIS

Melissa Robinson monta les marches menant à son appartement, en fredonnant tranquillement pour elle-même. Au loin, elle distinguait les cloches de la ville. Elle s’arrêta pour écouter, avec un sourire croissant. Elle vivait à Paris depuis sept ans maintenant, mais les bruits de la ville étaient toujours les mêmes.

Elle monta les marches suivantes. Il n’y avait pas d’ascenseur dans cet immeuble. Il était trop vieux. Tellement parisien, se dit-elle.

Elle sourit à nouveau en avançant lentement dans l’escalier. Il n’y avait pas d’urgence. La nouvelle arrivante qu’elle allait rencontrer lui avait donné rendez-vous à quatorze heures. Il était 13 heures 58. Melissa s’arrêta en haut du palier, jetant un coup d’œil par la large fenêtre donnant sur la ville. Elle n’avait pas grandi à Paris, mais cette ville était magnifique. Elle aperçut les vieilles structures de pierres jaunies des bâtiments plus anciens que dans certains pays. Elle remarqua l’alternance d’immeubles résidentiels et de cafés, ainsi que les rues qui sillonnaient le cœur de la ville.

Avec un autre soupir satisfait, Melissa atteignit la porte du troisième étage et tendit poliment sa main pour toquer délicatement. Quelques secondes s’écoulèrent.

Pas de réponse.

Elle ne cessa pas de sourire, écoutant toujours les cloches et observant par la fenêtre. Elle voyait le clocher de la Sainte-Chapelle s’élever en spirale à l’horizon.

– Amanda, appela-t-elle d’une voix flûtée.

Elle se souvint de la première fois qu’elle était venue à Paris. Tout lui avait semblé bouleversant. Il y avait sept ans, quand elle était une expatriée américaine, s’installant dans un nouveau pays, découvrant une nouvelle culture. Entendre frapper à la porte était une distraction bienvenue à l’époque. Melissa savait que beaucoup de ses amis de la communauté des expatriés avaient du mal à s’adapter à la ville. Au premier abord, Paris n’était pas toujours aussi accueillant, surtout pour les Américains et les jeunes en âge d’aller à l’université. Elle se souvint des deux années qu’elles avaient passées sur un campus universitaire américain. C’était comme si tout le monde voulait devenir son ami. En France, les gens étaient un peu plus réservés. C’est pourquoi, bien sûr, elle avait participé à la création du groupe.

Melissa sourit à nouveau et frappa une fois de plus à la porte.

– Amanda, répéta-t-elle.

Encore une fois, elle ne reçut aucune réponse. Elle hésita, jetant un coup d’œil dans le couloir. Elle plongea la main dans sa poche et y repêcha son téléphone. Les smartphones, c’était bien beau, mais Melissa préférait un style plus classique. Elle scruta le vieux téléphone à clapet et remarqua l’heure sur l’écran avant. 14 heures 02. Elle fit défiler ses textos et lut le dernier d’Amanda.

« Je serais ravie de te voir plus tard dans la journée. Disons à 14h ? J’ai hâte de rencontrer le groupe. C’est dur de se faire des amis ici. »

Le sourire de Melissa s’estompa légèrement. Elle se souvenait d’avoir rencontré Amanda par hasard au supermarché. Elles s’étaient tout de suite bien entendues. Le son des cloches disparaissait au loin maintenant. Sur un coup de tête, elle tendit la main et chercha la poignée de la porte. Elle la tourna et constata qu’elle n’était pas fermée à clef. Un clic, et la porte s’entrebâilla.

Melissa plissa les yeux.

Elle devrait s’assurer qu’Amanda connaissait les dangers de laisser sa porte ouverte en ville. Même dans une ville comme Paris, il fallait rester prudent. Melissa hésita un moment, en pleine crise de conscience, mais elle finit par ouvrir complètement la porte d’un léger coup d’index.

– Salut, lança-t-elle dans l’appartement plongé dans l’obscurité. (Amanda était peut-être sortie faire des courses. Elle avait peut-être oublié le rendez-vous). Amanda ? C’est moi, Melissa du forum…

Pas de réponse.

Melissa ne se considérait pas comme une personne particulièrement intrusive. Mais quand il s’agissait d’Américains à Paris, son instinct protecteur s’accentuait beaucoup. Comme s’ils appartenaient à la même famille. Elle n’avait pas l’impression de s’immiscer, mais plutôt de s’assurer qu’une petite sœur allait bien. Elle acquiesça pour elle-même, justifiant sa décision dans son esprit avant d’entrer dans l’appartement d’une femme qu’elle n’avait rencontrée qu’une fois dans sa vie.

La porte grinça à nouveau lorsque son coude frôla le chambranle, et elle s’ouvrit encore davantage. Melissa hésita et crut entendre des voix dans le couloir. Elle jeta un coup d’œil en direction de l’escalier.

Un jeune couple avançait le long de la rampe, la remarqua et, au lieu de hocher la tête ou de lui adresser un signe de la main, continua joyeusement son chemin. Melissa soupira et entra dans l’appartement – et se figea sur place. Le réfrigérateur était ouvert. Une étrange lumière jaune se reflétait sur le sol de la cuisine.

Amanda était là. Elle était assise par terre, en face du mur. Son dos était à moitié appuyé contre les placards, une omoplate appuyée contre le bois, l’autre dépassant, son bras gauche reposant sur le sol.

– As-tu renversé quelque chose ? demanda Melissa en avançant dans la pièce obscure.

Du vin s’était répandu sur le sol sous le bras gauche d’Amanda. Melissa fit encore quelques pas et se tourna vers Amanda, toujours souriante.

Son sourire se figea. Les yeux morts d’Amanda la fixaient, au-dessus d’une profonde coupure dans son cou. Du sang tachait le devant de sa chemise et continuait à se répandre sur le sol où il s’était épaissi contre le linoléum.

Melissa ne cria pas, ne hurla pas. Elle se contenta de haleter, les doigts tremblants alors qu’elle s’efforçait de mettre la main sur son inhalateur. Elle trébucha vers la porte, attrapant son inhalateur d’une main et son téléphone de l’autre.

Après quelques inspirations, elle laissa échapper un gémissement et, les doigts tremblants, elle appela le 17.

Toujours haletante, dos au mur à l’extérieur de l’appartement, elle déglutit et attendit que l’opérateur décroche. Derrière elle, elle avait l’impression de distinguer un bruit discret de liquide qui s’écoulait sur le sol.

C’est alors seulement qu’elle hurla.

CHAPITRE QUATRE

Adèle jeta un coup d’œil à sa montre intelligente, faisant défiler les différents écrans qui contrôlaient son rythme cardiaque, ses mouvements, sa musique… Elle inspira par le nez d’où elle se tenait dans l’embrasure de la porte de son appartement et consulta l’heure. Quatre heures du matin exactement. Beaucoup de temps pour faire une course de deux heures avant d’aller travailler. Elle ajusta le bandeau qui retenait ses cheveux et observa par-dessus son épaule en direction de l’évier.

Elle avait laissé son bol Mickey Mouse en plastique sur la délimitation métallique entre l’évier et le comptoir. Normalement, Adèle nettoyait toujours tout de suite. Mais aujourd’hui, dans le petit appartement tranquille…

– Ça peut attendre, lança-t-elle à la cantonade.

Le fait de n’avoir personne à qui parler, bien sûr, faisait partie du problème.

La nuit dernière, elle avait dormi seulement par intermittence. Le sommeil avait semblé l’éviter. Adèle se tenait sur le seuil de la porte alors que la montre numérique affichait 4 heures 01. Elle toisa l’évier encore une fois, marmonna des mots incompréhensibles puis entra à contrecœur dans la cuisine, saisit son bol en plastique et ouvrit l’eau, irritée. Elle rinça les restes de lait au fond, et plaça le bol dans l’égouttoir avant de se diriger vers la porte.

Mais avant qu’elle ne puisse tourner la poignée, un léger gazouillis attira son attention. Les yeux d’Adèle se dirigèrent vers la table de la cuisine. Son téléphone vibrait.

Elle fronça les sourcils. Les seules personnes qui l’appelaient aussi tôt étaient son père en Allemagne, ou son travail.

Et elle avait parlé avec son père il y avait quelques jours seulement. Elle ne fut donc pas surprise de voir un seul mot s’afficher sur l’écran bleu-vert brillant.

Bureau.

Elle décrocha alors que la vibration s’arrêtait. Adèle relut les trois mots simples en texte noir qui clignotaient sur son écran. Urgent. Venez.

Adèle retira son bandeau et s’empressa de retourner dans sa chambre pour se changer et enfiler une tenue de travail. Son jogging devrait attendre.

***

Adèle traversa le parking, passa les contrôles de sécurité en ne s’arrêtant qu’une seule fois pour déposer un café à Doug, l’un de ses amis de l’équipe de sécurité. Lorsqu’elle atteignit le quatrième étage et le bureau de l’agent superviseur Grant, elle distinguait déjà des voix à travers la porte en verre opaque.

Adèle entra et se figea.

Sur deux grands écrans fixés au mur s’affichaient des visages qu’Adèle connaissait bien. À gauche, au-dessus du bureau de Grant, l’agent exécutif Foucault, superviseur de la DGSI. À droite, près de la fenêtre qui donnait sur la ville, Adèle aperçut Mme Jayne, l’agent de liaison d’Interpol, qui avait été la première à proposer l’idée d’une unité opérationnelle internationale dirigée par Adèle.

L’agent Lee Grant, qui tenait son nom de deux généraux de la Guerre de Sécession, était installée derrière un bureau assis/debout en métal, son menton entre le doigt, l’air préoccupée. Elle jeta un bref regard à Adèle, la saluant rapidement de la main. Le bureau de l’agent Grant était sobre, avec un tapis de yoga dans un coin et une pile de DVD d’entraînement physique cachée sous un classeur en plastique bleu à côté de son bureau.

 

L’agent Grant lui désigna l’un des tabourets vides devant son bureau et attendit qu’Adèle s’assoie. Enfin, elle s’éclaircit la gorge, en opinant du chef. Elle déclara :

– Ils ont besoin de vous en France.

Adèle regarda les écrans l’un après l’autre. Les regards de Mme Jayne et de M. Foucault étaient un peu vagues, ils devaient tous les deux observer à tour de rôle les différents écrans mis à leur disposition plutôt que fixer la caméra. Pourtant, Adèle ne put s’empêcher de fouiller le regard de Mme Jayne et de l’exécutif de la DGSI, en essayant de percer leurs intentions.

– Est-ce que c’est très vilain ? demanda Adèle, hésitante.

Mme Jayne s’éclaircit la gorge et, d’une voix claire et nette, lui répondit :

– Seulement deux victimes jusqu’à présent. Je vais laisser Foucault vous donner les détails.

Mme Jayne était une femme d’âge mûr, avec des yeux brillants et intelligents derrière des lunettes à monture en écaille. Elle avait les cheveux gris et la silhouette un peu plus épaisse que la plupart des agents de terrain. Elle parlait sans accent, laissant entendre qu’elle maîtrisait parfaitement la langue anglaise, mais il ne semblait pas que ce soit sa langue maternelle.

Sur l’autre écran, les yeux sombres de l’exécutif Foucault se rétrécissaient au-dessus d’un nez de faucon ; il secouait la tête et semblait regarder à côté de l’écran – on entendait des bruits de froissement de papier.

– Oui, oui, dit-il dans un anglais très mâtiné de français. Deux morts. Jusqu’à présent. Deux Américaines, ajouta-t-il en jetant un coup d’œil à l’écran. Ou, du moins, qui étaient des Américaines.

Adèle fronça les sourcils.

– Que voulez-vous dire ?

Le regard de Foucault était mobile, mais il ne devait pas le poser sur les autres personnes présentes dans la pièce, il jetait peut-être plutôt un coup d’œil entre des parties de son propre écran d’ordinateur.

– Des expatriées, expliqua-t-il. Des Américaines qui vivaient en France. Toutes deux avaient un visa, mais demandaient la nationalité, ou du moins l’une des victimes en avait fait la demande. L’autre n’était arrivée que récemment.

Adèle hocha la tête pour montrer qu’elle avait entendu.

– Alors pourquoi avez-vous besoin de moi ?

Mme Jayne toussota. Sa voix avait pris de l’assurance, même à travers le crépitement des haut-parleurs.

– Nous avons besoin de quelqu’un qui connaisse la DGSI et que les États-Unis laissent enquêter sur les leurs en toute confiance. La nature unique des crimes pourrait aussi justifier une personne avec votre expertise.

Adèle plissa le front.

– Quelle nature unique ?

Foucault répliqua :

– Deux morts jusqu’à présent. Gorge tranchée, ouverture béante. (Il continua d’un ton sinistre) :Je vous enverrai les dossiers dès que le légiste m’aura donné son feu vert. Deux jeunes femmes, toutes deux récemment arrivées. Nous enquêtons, bien sûr, et je suis sûr que nos agents trouveront de bonnes pistes, mais… (Il fronça les sourcils, jetant un coup d’œil à son écran d’ordinateur). Mme Jayne semble penser que nous gagnerions à vous impliquer dès le début de l’enquête. Je ne peux pas dire que je suis entièrement d’accord, mais je ne vais pas non plus m’y opposer.

Adèle leva une main pendant qu’il parlait, attendant qu’il finisse. Il le remarqua et hocha la tête pour lui donner la parole.

– À quel intervalle les meurtres se sont-ils produits ? demanda-t-elle.

Le directeur répondit du tac au tac.

– Trois jours. Le tueur est rapide. À noter que nous n’avons trouvé aucune preuve matérielle sur les lieux.

Adèle gigota sur son siège, réalisant que ce tabouret ne faisait pas autant de bruit que la chaise de sa cuisine.

– Que voulez-vous dire ?

– Je veux dire qu’il n’y a pas de preuve matérielle

– Aucune ?

Le froncement des imposants sourcils de Foucault s’accentua.

– Absolument aucune. Pas d’empreintes digitales, pas de traces de cheveux ou de salive. Aucune preuve d’agression sexuelle. Les lacérations, selon le rapport initial du légiste, sont étranges. Celui qui a fait ça leur a tranché la gorge, mais l’a fait d’une main sûre – comme s’il s’agissait d’un expert.

– Et qu’est-ce que cela signifie ? s’enquit Adèle.

– Si je puis me permettre, commença l’agent Grant, parlant pour la première fois de derrière son bureau. Les coupures et les lacérations nettes portent une sorte de signature. Qu’il s’agisse d’un gaucher, de quelqu’un qui a beaucoup de force, de quelqu’un qui surplombait la victime…

Foucault acquiesça à chaque mot avant de se racler la gorge.

– Exactement. Mais ces agressions particulières ont été commises par quelqu’un qui n’avait pas du tout de signature. Il n’y a aucune preuve matérielle. Aucun signe de lutte. Pas d’entrée par effraction. Rien ne suggère un acte criminel, sauf, bien sûr, deux cadavres en plein cœur de Paris.

– Eh bien, renchérit Mme Jayne, en regardant l’écran en face maintenant. (Elle cligna légèrement des yeux avant de fixer Adèle). Êtes-vous prête à sauter dans un avion ?

Adèle adressa un clin d’œil à l’agent Grant et haussa les sourcils.

Grant hésita.

– Tu es sûre que tu n’as pas envie de passer encore deux semaines avec l’agent Masse ? lança-t-elle, d’un ton dépourvu de la moindre émotion.

Adèle leva les yeux au ciel.

Ceux de Grant scintillèrent d’amusement.

– Je prends ça pour un non. J’ai déjà donné mon accord et réaffecté Masse. Tu peux y aller.

Adèle réprima du mieux qu’elle put la soudaine montée d’enthousiasme – elle était professionnelle, après tout – mais lorsqu’elle se leva de sa chaise, elle ne put s’empêcher de ressentir de l’excitation à l’idée de rentrer en France.

– Y a-t-il autre chose que je devrais savoir ? demanda-t-elle, en jetant un coup d’œil à Foucault.

– Je vous enverrai les rapports, dit-il en haussant les épaules. Mais ils ne sont pas longs. Comme je vous l’ai dit, il n’y a pas beaucoup de preuves. Mais il y a une chose. Un détail étrange, mais certainement non dénué d’importance…

– Quoi donc ?

– L’un des reins de la première victime manquait.

Un étrange silence se fit pendant un instant, les deux écrans grésillèrent tandis que les agents du bureau de San Francisco attendaient, les sourcils froncés.

– Un rein ? répéta Adèle.

– En effet, confirma Foucault.

– Serait-ce une sorte de trophée pour le tueur ?

Le directeur haussa les épaules, son front épais se plissant au-dessus de son nez pointu.

– Eh bien, c’est pour ça que nous vous employons, n’est-ce pas ? Vous fournissez les réponses. Je pose les questions. On me dit que Mme Jayne a déjà acheté votre billet. En première classe. Le vol décolle dans l’heure.