Avant Qu’il Ne Jalouse

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CHAPITRE CINQ

Mackenzie commençait à pouvoir remettre ses vêtements d’avant la grossesse, et ses visites régulières à la salle de gym lui donnaient l’impression que retrouver sa forme physique d’il y avait environ un an pourrait ne pas être aussi difficile qu’elle le pensait. Elle était presque complètement remise de sa césarienne et commençait à se souvenir de ce à quoi ressemblait sa vie avant qu’elle dédie chacune des cellules de son corps au développement de son fils.

Le congé maternité de Mackenzie approchait chaque jour davantage de son terme et elle se rendait progressivement compte qu’il allait être plus difficile de retourner travailler qu’elle ne l’aurait cru. Mais même avant ça, le dilemme de sa mère continuait à la hanter. Le sujet avait fait surface dans ses conversations avec Ellington depuis son dernier cauchemar mais elle s’était efforcée de ne pas agir impulsivement. Après tout, il n’était pas normal pour elle d’avoir autant envie de voir sa mère. Elle évitait en général toute interaction avec elle, ou même toute conversation, à tout prix.

Mais maintenant, alors qu’il lui restait seulement huit jours de congé maternité, elle devait prendre une décision. Elle avait utilisé Kévin comme excuse principale pour ne pas sauter le pas mais il allait à la garderie depuis une semaine maintenant et semblait s’adapter aisément au changement.

D’ailleurs, dans son cœur, sa décision était déjà prise. Elle était assise face au bar qui séparait la cuisine du salon, déjà certaine de se lancer. Mais partir pour de bon ne revenait pas au même qu’accepter l’idée du voyage.

- Puis-je te poser ce qui risque de te sembler une question stupide ? demanda Ellington.

- Bien sûr.

- Quel est le pire scénario ? Tu y vas, c’est gênant, et il ne se passe rien. Tu reviens pour retrouver ton adorable bébé et ton mari sexy à s’en pâmer et la vie reprend son cours normal.

- J’ai peut-être peur que ça se passe bien, suggéra Mackenzie.

- Je ne parierais pas sur ça, je dois dire.

- Et si tout se passe bien, et si elle veut faire à nouveau partie de ma vie ? De nos vies ?

Kévin était installé dans son transat, il contemplait un mobile de petites créatures aquatiques au-dessus de sa tête. Mackenzie le regarda en terminant sa phrase, en s’efforçant d’éloigner l’image de sa mère, dans ses cauchemars, assise sur ce maudit rocking-chair.

- Tu t’en sortiras seul avec Kévin, ici ? demanda-t-elle.

- Je pense pouvoir le gérer. Nous passerons du temps entre mecs.

Mackenzie sourit. Elle tenta de se remémorer comment était Ellington quand elle l’avait rencontré pour la première fois il y avait presque deux ans et demi, mais c’était difficile. Il avait incroyablement muri, mais en même temps, également réussi à être plus vulnérable avec elle. Jamais il ne lui aurait montré un côté aussi tendre ou aurait joué à l’imbécile devant elle quand ils s’étaient rencontrés.

- Alors je vais le faire. Deux jours, c’est tout – et c’est juste pour éviter deux avions dans la même journée.

- Ouais. Réserve une chambre d’hôtel. De bon standing, avec une baignoire. Fais la grasse matinée. Après six mois d’apprentissage de la maternité et un cycle de sommeil complètement perturbé, je pense que tu l’as bien mérité.

Ses encouragements étaient sincères et même s’il ne s’étalait pas, elle le comprenait. Grosso modo, il avait abandonné l’idée que son fils grandisse avec une figure normale de grands-parents. S’il l’aidait à se réconcilier avec sa mère, Kévin pourrait peut-être avoir une sorte de grand-mère normale. Mackenzie avait envie d’en parler avec Ellington mais décida de ne pas le faire. Peut-être après son retour, quand elle en aurait le cœur net.

Elle récupéra son ordinateur, s’assit sur le canapé et se connecta à internet pour acheter son billet d’avion. Lorsqu’elle termina de remplir toutes les informations et donna le dernier clic de souris, elle eut l’impression que tout le poids du monde s’ôtait de ses épaules. Elle contempla Kévin, encore dans son transat, et lui adressa un sourire éclatant, puis colla son nez à celui de son fils. Il la récompensa avec un sourire de plus en plus franc.

- OK, s’écria-t-elle en regardant Ellington. (Il était toujours dans la cuisine, occupé à nettoyer après le dîner). Billet acheté. Mon avion décolle demain à onze heures trente. Tu pourras récupérer le petit bonhomme à la garderie ?

- Oui. Ça donnera le coup d’envoi de deux jours de débauche masculine absolue. J’ai bien peur que tu ne nous reconnaisses plus à ton retour, ni lui, ni moi.

Elle savait qu’il faisait de son mieux pour qu’elle parte en confiance. Il y parvenait en partie, mais son esprit avait déjà dérivé vers autre chose – une dernière case à cocher avant de quitter Washington.

- Tu sais, commença-t-elle, si tu es d’accord, je pourrais même te laisser le déposer à la garderie. Je crois qu’il serait bon que je parle à McGrath.

- Tu as aussi fini par prendre une décision là-dessus ?

- Je ne sais pas. J’ai envie de reprendre. Je ne sais pas ce que je pourrais faire d’autre de ma vie, honnêtement. Mais… être mère… je voudrais donner à Kévin tout ce que je n’ai pas eu de mes parents, tu sais ? Et si nous restons tous les deux des agents actifs du FBI… quel genre de vie aura-t-il ?

- Ce n’est pas rien, confirma Ellington. Je sais que nous en avons déjà parlé plusieurs fois mais je ne pense pas que ce soit une décision que tu doives prendre maintenant. Je pense que tu as raison, parle avec McGrath. Il est impossible de savoir ce qu’il a dans la tête. Il y a peut-être un moyen. Peut-être un… je ne sais pas… un rôle différent ?

- Par exemple, en arrêtant d’être agent ?

Ellington haussa les épaules et s’avança pour s’asseoir à côté d’elle.

- C’est la raison pour laquelle j’ai l’impression de comprendre ce que tu traverses, commença-t-il en lui prenant la main. Il m’est littéralement impossible de t’imaginer autrement que comme un agent.

Elle lui sourit, en espérant qu’il sache à quel point il savait lui parler. C’était justement le type d’encouragement dont elle avait besoin pour prendre son téléphone et appeler McGrath en dehors des horaires de bureau. Elle ne l’avait presque jamais fait au cours de sa carrière – et jamais quand il ne s’agissait pas d’une affaire – mais elle en ressentit le besoin urgent, tout à coup.

Et l’urgence de la situation ne fit que s’accroître alors qu’elle écoutait la tonalité retentir.

***

Elle s’attendait à ce que McGrath soit irrité à la perspective de leur entrevue si matinale. Mais elle trouva la porte de son bureau déjà ouverte à huit heures et McGrath commodément installé. Il tenait une tasse de café à la main tout en parcourant une pile de rapports. Lorsqu’il leva les yeux en l’entendant entrer, le sourire qu’il afficha semblait sincère.

- Agent White, c’est un plaisir de vous voir.

- De même, dit-elle en s’asseyant en face de lui.

- Vous semblez reposée. Le bébé fait-il ses nuits ?

- À peu près.

Elle se sentait déjà mal à l’aise. McGrath n’était pas du genre à bavarder. L’idée qu’il soit véritablement heureux de la revoir ici lui traversa l’esprit et déclencha un accès de culpabilité lorsqu’elle se remémora pourquoi elle avait demandé cette réunion.

- Bon. Vous avez demandé à me voir et j’ai une demi-heure à vous consacrer avant ma prochaine réunion, embraya-t-il. Que se passe-t-il ?

- Eh bien, mon congé maternité arrive à son terme lundi prochain. Pour être honnête, je ne suis pas sûre d’être prête à revenir.

- Est-ce un problème physique ? Je sais que la convalescence après une césarienne peut être épuisante et prend beaucoup de temps.

- Non, ce n’est pas ça. Les médecins m’ont donné leur accord pour à peu près tout. Pour être honnête, je n’arrive pas à savoir que faire.

Les larmes qui se formaient au coin de ses yeux l’inquiétèrent soudain.

Apparemment, McGrath les aperçut, lui aussi, et fut compatissant. Il fit de son mieux pour la laisser croire qu’il n’avait rien vu tout en se penchant vers son bureau pour lui parler. Il détourna le regard pour la laisser essuyer discrètement ses larmes avant qu’elles ne coulent.

- Agent White, je travaille pour le FBI depuis presque trente ans maintenant. Depuis que je suis ici, j’ai vu un nombre incalculable de femmes agent se marier et avoir des enfants. Certaines ont quitté le FBI ou, du moins, ont souhaité assumer un rôle entraînant moins de risques. Je ne peux pas affirmer que je comprends ce que vous traversez parce que ce serait un mensonge. Mais je l’ai observé. Parfois avec des agents dont je n’aurais jamais pensé qu’ils partiraient. Est-ce que vous vouliez me dire ?

Elle acquiesça.

- J’ai envie de revenir. Ça me manque… plus que je ne serais prête à l’admettre. Je ne sais sincèrement même pas ce que je vous demande. Peut-être quelques semaines supplémentaires ? Je sais que ça signifierait demander une espèce de privilège spécial mais je suis incapable de prendre une décision maintenant.

- Le mieux que je peux faire, c’est vous donner une semaine supplémentaire. Si vous la voulez. Ou vous pouvez revenir et je peux vous assigner un travail de bureau. Recherche, numéros, surveillance mobile, quelque chose comme ça. Ça vous intéresserait ?

Honnêtement, rien de tout cela ne l’intéressait. Mais c’était déjà quelque chose. McGrath lui donnait la preuve qu’il existait plusieurs options disponibles pour elle et elle avait besoin de le savoir.

- C’est possible.

- Eh bien, prenez le week-end pour y réfléchir. Vous devriez peut-être partir quelque part pour faire le tri.

 

- Oh, je vais quelque part, justement. Je retourne au Nebraska pour une visite.

Elle ne comprit pas pourquoi elle venait de lui confier cette information. Elle se demanda si McGrath avait toujours été aussi ouvert à la discussion ou s’il s’était adouci, pour une raison ou une autre, et semblait désormais plus accessible. C’était étrange. Elle s’était absentée trois mois et McGrath paraissait avoir changé du tout au tout – plus affectueux, plus amical.

- Je suis heureux pour vous. Vous laissez Ellington seul avec le bébé ? N’est-ce pas un peu risqué ?

- Je ne sais pas, répondit-elle avec un sourire. Il semble impatient de faire ses preuves.

McGrath hocha poliment la tête mais il était clair qu’il avait l’esprit ailleurs.

- White… vouliez-vous me voir pour me demander conseil ? Ou juste jauger ma réaction si vous m’annonciez votre départ ?

Elle se contenta de hausser les épaules et répondit :

- Peut-être un peu des deux.

- Eh bien, je peux vous dire sans l’ombre d’un doute que je préférerais largement que vous restiez. Votre réputation parle pour vous et, même si je n’aime pas insister là-dessus, votre instinct est presque surnaturel. Je n’ai jamais rien vu de la sorte depuis que je travaille pour le FBI. Je crois vraiment qu’abandonner votre carrière si jeune serait du gâchis. D’un autre côté, j’ai élevé deux enfants – un garçon et une fille. Ils sont tous les deux grands maintenant, mais leur éducation a été l’une des expériences les plus agréables et gratifiantes de ma vie.

- J’ignorais que vous aviez des enfants.

- Je tends à éviter de trop parler de ma vie personnelle au travail. Mais dans un cas comme celui-ci, avec quelque chose d’aussi précieux que votre carrière en ligne de mire, vous donner un aperçu des coulisses ne me dérange absolument pas.

- Je vous en remercie.

- Donc… Profitez de votre week-end chez vous. Voulez-vous qu’on se voie lundi pour prendre des décisions pour le futur ?

- Ça me semble parfait, répondit-elle.

Mais lundi lui paraissait très loin. Parce qu’en se levant de sa chaise, elle savait que sa prochaine destination était l’aéroport. Et ensuite, qu’elle serait de retour au Nebraska.

Tandis qu’elle traversait le bâtiment du FBI, elle eut l’impression de se tendre un piège à elle-même. La plupart des gens étaient hantés par les fantômes de leurs passés. Mais tandis qu’elle se préparait à retourner dans le Nebraska pour revoir sa mère, Mackenzie eut l’impression que non seulement elle éveillait ces fantômes, mais qu’elle leur donnait la parfaite opportunité pour se préparer à la hanter.

CHAPITRE SIX

Il était treize heures quinze, heure du Nebraska, lorsque son avion atterrit à Lincoln. Elle avait passé presque tout le vol à planifier la suite des événements. Mais ce ne fut que lorsqu’elle entendit les pneus crisser sur la piste d’atterrissage qu’elle sut qu’elle avait simplement besoin d’agir une bonne fois pour toutes. Ce qui ne l’empêcherait pas de profiter pleinement de son tête-à-tête avec elle-même dans sa luxueuse chambre d’hôtel – qu’elle avait déjà réservée. Et elle pourrait le faire après en avoir fini avec le plus difficile.

Elle avait joué de ses connexions pour utiliser les ressources du Bureau : sa mère travaillait toujours au même endroit que lorsque leurs chemins s’étaient croisés il y avait un peu plus d’un an. Elle faisait toujours partie de l’équipe de nettoyage du Holiday Inn situé dans la petite ville de Boone’s Mill. Et il s’avérait que Boone’s Mill se trouvait à deux heures de Belton, la ville dans laquelle elle avait grandi – où elle avait décidé d’aller avant de rentrer chez elle.

Une autre impulsion la prit lorsqu’elle se faufila dans l’agence de location de voitures de l’aéroport vingt minutes plus tard. Elle savait qu’à environ une demi-heure de l’aéroport se trouvait le commissariat dans lequel elle avait commencé sa carrière en tant que détective. Elle pensa à l’homme avec qui elle avait travaillé pendant presque trois ans avant que le FBI ne lui fasse la cour. Il s’appelait Walter Porter et, même si travailler avec une femme n’était pas de son goût et en dépit de son sexisme tenace, il lui avait énormément enseigné sur ce qu’impliquait faire respecter la loi. Elle se demanda ce qu’il était advenu de lui. Il avait probablement pris sa retraite depuis, mais être de retour, si proche du poste de police, lui donna envie de prendre de ses nouvelles.

Tout doux, se dit-elle en saisissant les clefs que lui tendait une femme grognon derrière le comptoir.

Une fois sur la route, Mackenzie appela le Holiday Inn où travaillait sa mère, pour s’assurer qu’elle l’y trouverait. Au bout du compte, elle terminait une demi-heure plus tard, ce qui signifiait que Mackenzie la raterait à cause du temps de trajet. Mais ce n’était pas très grave car Mackenzie avait aussi obtenu l’adresse du domicile de sa mère.

Elle fut surprise de réaliser que les plaines et l’atmosphère familière du Nebraska la rassérénaient sensiblement. Elle ne ressentait ni anxiété, ni peur à la perspective de revoir sa mère. En revanche, Kévin lui manquait chaque fois qu’elle regardait la plaine ou le ciel. Lorsqu’elle se rendit compte qu’elle n’avait jamais été éloignée de lui pendant aussi longtemps, son cœur se serra dans sa poitrine. Pendant un instant, il devint difficile de respirer. Mais elle pensa à Ellington et à Kévin, ensemble dans leur appartement tandis que la journée touchait à sa fin. Ellington était un père extraordinaire, il la surprenait tous les jours. Elle commençait à comprendre qu’Ellington avait peut-être besoin de ce moment seul avec son fils tout autant qu’elle avait besoin de cette parenthèse pour s’aventurer dans son passé et tenter d’apaiser sa relation avec sa mère.

Si ce sont les émotions que vivent tous les parents, pensa-t-elle, j’ai peut-être été trop dure avec ma mère.

De toutes les pensées qui lui avaient traversé l’esprit lorsqu’elle monta dans l’avion à Washington, c’était celle qui lui donna les larmes aux yeux. Elle savait que son père avait affronté certains de ses propres démons, même si elle n’en avait jamais connu la nature exacte. Sa mère n’avait jamais médit à son sujet en présence de Stéphanie ou de Mackenzie. Mackenzie tenta d’y ajouter le fait que sa mère s’était retrouvée veuve, avec deux filles à élever. Il était très possible (et c’était quelque chose que Mackenzie avait déjà considéré) qu’elle ait eu une si haute opinion de son père parce qu’il était mort alors qu’elle était très jeune. Petite fille, elle n’avait jamais eu la moindre raison de douter de lui ou de le voir autrement que comme son héros personnel. Mais qu’en était-il de la mère qui s’était efforcée d’élever deux filles, avait fini par échouer, et puis avait été accablée de mépris non seulement par la communauté, mais aussi par l’une de ses filles ?

Mackenzie parvint à sourire entre les larmes qu’elle essuya rapidement. Elle se demanda si ces pensées s’éclaircissaient soudain parce que maintenant, elle aussi était devenue mère. Elle avait entendu parler des femmes dont la personnalité changeait avec leur premier enfant mais n’y avait jamais vraiment cru. Mais voilà qu’elle se trouvait dans cette situation, preuve vivante que c’était possible, puisqu’elle sentait son cœur s’adoucir en pensant à une personne qu’elle avait démonisée pendant presque toute sa vie.

Le Nebraska défilait à travers la vitre de la voiture, ramenant Mackenzie à son passé. Et pour la première fois depuis qu’elle avait quitté Washington, elle se sentait impatiente de se replonger dans ce passé, advienne que pourra.

***

Patricia White vivait dans un trois pièces à dix kilomètres du Holiday Inn où elle travaillait. Il se trouvait dans un petit complexe qui n’était pas vraiment délabré mais qui aurait clairement eu besoin d’entretien et de maintenance. Mackenzie tenait son téléphone à la main, l’adresse et le numéro de l’appartement affichés sur l’écran, obtenus grâce à ses connexions dans le département des ressources du Bureau.

Lorsqu’elle s’approcha de l’appartement du deuxième étage où vivait sa mère, elle n’hésita pas devant la porte, et ne se paralysa pas comme elle l’avait imaginé. Elle frappa tout de suite, en faisant de son mieux pour ne pas trop y réfléchir. La seule vraie question était la manière dont elle entamerait la conversation… comment elle entrerait dans l’arène.

Elle entendit des pas approcher après quelques instants. Lorsque la porte s’ouvrit et qu’elle vit l’expression de surprise sur le visage de sa mère, ce fut le moment où Mackenzie se figea. Elle n’aurait su dire quand elle avait vu sourire sa mère pour la dernière fois, mais le sourire qui illumina son visage lui donna l’impression d’être face à une autre personne.

- Mackenzie, dit sa mère, la voix tremblante d’excitation. Seigneur, que fais-tu ici ?

- J’ai profité d’un congé pour venir te saluer.

Ce n’était pas un mensonge éhonté, donc elle n’y voyait pas de problème pour l’instant.

- Sans me prévenir ?

Mackenzie haussa les épaules.

- J’y ai pensé, mais je savais aussi comment ça se passerait. Et… j’avais besoin de faire une coupure.

- Tout va bien ?

Elle semblait sincèrement préoccupée.

- Ça va, maman.

- Eh bien, entre, entre. L’appartement est sens dessus dessous mais j’espère que tu n’y feras pas attention.

Mackenzie entra et vit que l’endroit n’était pas du tout sens dessus dessous. En réalité, il était plutôt ordonné. La décoration était minimale, c’est pourquoi le regard de Mackenzie fut presque tout de suite attiré par la vieille photo de Stéphanie et elle sur la table à côté du canapé.

- Comment vas-tu, maman ?

- Bien. Très bien, en réalité. J’économise de l’argent par-ci par-là, donc j’ai fini par réussir à rembourser mes dettes. J’ai reçu une promotion au travail… ce n’est toujours pas le job de ma vie, mais j’ai un meilleur salaire et je dirige plusieurs filles de l’équipe. Et toi ?

Mackenzie s’assit sur le canapé en espérant que sa mère l’imiterait. Elle lui en fut reconnaissante. Elle n’avait jamais été du genre à dire tu ferais mieux de t’asseoir parce que cela lui avait toujours semblé bien trop dramatique.

- Eh bien, j’ai une nouvelle à t’annoncer. (Elle initia le lent processus d’ouvrir l’application Photos sur son téléphone et de chercher un cliché en particulier). Tu sais qu’Ellington et moi nous sommes mariés, n’est-ce pas ?

- Oui, je sais. C’est marrant que tu l’appelles toujours par son nom de famille. C’est un truc du travail ?

Mackenzie ne put s’empêcher de ricaner.

- Ouais, je crois. Es-tu triste d’avoir raté un mariage ?

- Bon dieu, non. Je déteste les mariages. C’est sans doute l’une des décisions les plus intelligentes que tu aies prise.

- Merci, répondit-elle. (Elle était si nerveuse qu’elle eut l’impression d’entrer en fusion lorsque les mots suivants franchirent ses lèvres) : Écoute, je suis venue parce que j’ai autre chose à partager avec toi.

Sur ce, elle lui tendit son téléphone. Sa mère le prit et regarda la photo de Kévin dans sa petite couverture de naissance, à deux jours, juste avant qu’ils ne quittent l’hôpital.

- Est-ce… ? demanda Patricia.

- Tu es grand-mère, maman.

Les larmes ne se firent pas attendre. Patricia laissa tomber le téléphone sur le canapé et plaqua ses mains contre sa bouche.

- Mackenzie… il est magnifique.

- Oui.

- Quel âge a-t-il ? Tu es bien trop en forme pour avoir accouché hier.

- Un peu plus de trois mois, répondit Mackenzie. (Elle détourna le regard en voyant la douleur marquer les traits du visage de sa mère). Je sais. Je suis désolée. J’aurais voulu t’appeler avant, pour te le dire. Mais après la dernière fois où nous avons parlé… Maman, je ne savais même pas si la nouvelle t’intéresserait.

- Je comprends, embraya-t-elle tout de suite. Et je suis extrêmement touchée que tu sois venue me le dire en personne.

- Tu ne m’en veux pas ?

- Bon dieu, non. Mackenzie… tu aurais pu ne jamais me le dire. Je n’aurais jamais su. Je pense que j’étais prête à ne jamais te revoir et… et je…

- Ne t’inquiète pas, maman.

Elle voulait faire un geste, lui prendre la main ou l’enlacer. Mais elle savait que ce serait étrange et leur semblerait forcé à toutes les deux.

 

- J’ai acheté un blender la semaine dernière, lança sa mère, à brûle-pourpoint.

- Euh… OK.

- Tu aimes les margaritas ?

Mackenzie sourit et acquiesça.

- Seigneur, oui. Je n’ai pas bu un verre depuis presque un an.

- Allaites-tu ? Peux-tu boire ?

- J’allaite, mais nous avons assez de stock dans le freezer.

Sa mère sembla d’abord perplexe puis éclata de rire.

- Désolée. Mais c’est tellement surréaliste… toi, avoir un bébé, congeler du lait maternel…

- C’est surréaliste, lui concéda Mackenzie. Tout comme être ici. Donc… où sont ces margaritas ?

***

- Ta dernière visite a été le déclencheur, enchaîna Patricia.

Elles étaient à nouveau installées sur le canapé, une margarita à la main. Elles s’étaient assises chacune à une extrémité – il était visible qu’elles n’étaient toujours pas tout à fait à l’aise avec la situation.

- Ah bon ? demanda Mackenzie.

- Tu ne cherchais pas à en imposer ou quoi que ce soit, mais j’ai vu à quel point les choses se passaient bien pour toi. Et j’ai pensé, c’est moi qui lui ai donné naissance. Je sais que je n’ai pas été une bonne mère… du tout. Mais je suis fière de toi, même si je n’ai pas grand-chose à voir avec ce que tu es devenue. Et ça m’a fait penser que je pouvais peut-être évoluer, moi aussi.

- Et tu peux.

- J’essaie, affirma-t-elle. Cinquante-deux ans et finalement solvable. Bien sûr, travailler dans un hôtel n’est pas la meilleure des carrières…

- Mais es-tu heureuse ? s’enquit Mackenzie.

- Oui. Encore plus depuis que tu es là. Et que tu m’as donné ces merveilleuses nouvelles.

- Depuis que j’ai résolu l’affaire de papa… je ne sais pas. Pour être honnête, je pense que j’ai juste essayé d’éviter de penser à toi. Je me suis dit que si je pouvais mettre ce qui était arrivé à papa derrière moi, je pouvais aussi te reléguer dans le passé. Et j’étais prête à le faire. Et puis Kévin est arrivé, et Ellington et moi avons réalisé que nous ne lui offrions pas vraiment de famille, en dehors de tous les deux. Nous voulons que Kévin ait des grands parents, tu sais ?

- Il a une tante aussi, tu sais, ajouta Patricia.

- Je sais. Où est Stéphanie ?

- Elle a finalement pris la décision de déménager à Los Angeles. Je ne sais même pas ce qu’elle fait et j’ai peur de lui poser la question. Je ne lui ai pas parlé depuis environ deux mois.

Entendre ça attrista Mackenzie. Elle avait toujours su que la stabilité n’était pas dans les cordes de Stéphanie. Mais elle n’en était jamais arrivée à penser que Stéphanie pouvait être une autre fille choisissant de vivre une vie détachée de sa mère. Assise sur le canapé, une margarita à la main, ce fut la première fois que Mackenzie se demanda ce que ressentait une mère dont les deux enfants avaient décidé que leurs vies seraient meilleures hors de sa présence.

- J’ai l’impression de te devoir des excuses, dit Mackenzie. Je sais que je t’ai mise à distance après l’enterrement de papa. J’avais seulement dix ans, donc je n’avais peut-être pas conscience de ce que je faisais mais… ouais. Je me suis contentée de continuer à te rejeter. Et voilà le truc, maman… je veux que Kévin ait une grand-mère. Vraiment. Et j’espère que tu seras d’accord pour essayer avec moi.

Patricia se remit à pleurer. Elle se pencha sur le canapé, pour s’approcher de Mackenzie et la prendre dans ses bras.

- Je n’étais pas là, moi non plus, murmura Patricia. Et j’aurais pu t’appeler ou faire un effort. Mais quand je me suis rendu compte que tu ne voulais rien de moi – même enfant – j’ai laissé faire. J’étais presque soulagée. Et j’espère que tu sauras me pardonner.

- Oui. Me pardonnes-tu de t’avoir rejetée ?

- C’est déjà du passé, sanglota Patricia, en s’écartant pour prendre une gorgée de margarita et calmer le flot de larmes.

Mackenzie sentait ses yeux s’humidifier mais elle n’était pas encore prête à être aussi ouverte devant sa mère. Elle se leva, s’éclaircit la gorge et vida le reste de son cocktail.

- Allons faire un tour, proposa-t-elle. Dîner quelque part. Je t’invite.

Une expression d’incrédulité se peignit sur le visage de Patricia White avant d’être remplacée par un sourire. Mackenzie ne se souvenait pas d’avoir déjà vu sa mère sourire aussi franchement ; c’était comme découvrir une personne différente. Et c’était peut-être une personne différente. Si elle accordait une opportunité à sa mère, elle réaliserait peut-être que la femme qu’elle avait rejetée pendant si longtemps n’était pas le monstre qu’elle pensait.

Après tout, Mackenzie n’avait plus rien à voir avec la petite fille qu’elle était à dix ans. Seigneur, elle était même différente de celle qu’elle était un an plus tôt, lorsqu’elle avait parlé à sa mère pour la dernière fois. Si avoir un bébé avait appris une leçon à Mackenzie, c’était que tout changeait dans la vie.

Et si tout changeait dans la vie, si rapidement, pourquoi pas aussi les gens ?

Bepul matn qismi tugadi. Ko'proq o'qishini xohlaysizmi?