La femme cependant, de sa bouche de fraise, En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise, Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc, Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc:
– «Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science De perdre au fond d'un lit l'antique conscience. Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants, Et fais rire les vieux du rire des enfants. Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles, La lune, le soleil, le ciel et les étoiles! Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés, Lorsque j'étouffe un homme en mes bras redoutés, Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste, Timide et libertine, et fragile et robuste, Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi, Les anges impuissants se damneraient pour moi!»
Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle, Et que languissamment je me tournai vers elle Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus!
Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante, Et quand je les rouvris à la clarté vivante, A mes côtés, au lieu du mannequin puissant Qui semblait avoir fait provision de sang, Tremblaient confusément des débris de squelette, Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer, Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.
GALANTERIES
VIII
LE JET D'EAU
Tes beaux yeux sont las, pauvre amante! Reste longtemps, sans les rouvrir, Dans cette pose nonchalante Où t'a surprise le plaisir.
Dans la cour le jet d'eau qui jase Et ne se tait ni nuit ni jour, Entretient doucement l'extase Où ce soir m'a plongé l'amour.
La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phœbé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs.
Ainsi ton âme qu'incendie L'éclair brûlant des voluptés S'élance, rapide et hardie, Vers les vastes cieux enchantés. Puis, elle s'épanche, mourante, En un flot de triste langueur, Qui par une invisible pente Descend jusqu'au fond de mon cœur.
La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phœbé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs.
O toi, que la nuit rend si belle, Qu'il m'est doux, penché vers tes seins, D'écouter la plainte éternelle Qui sanglote dans les bassins! Lune, eau sonore, nuit bénie, Arbres qui frissonnez autour, Votre pure mélancolie Est le miroir de mon amour.
La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phœbé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs.
IX
LES YEUX DE BERTHE
Vous pouvez mépriser les yeux les plus célèbres, Beaux yeux de mon enfant, par où filtre et s'enfuit Je ne sais quoi de bon, de doux comme la Nuit! Beaux yeux, versez sur moi vos charmantes ténèbres!
Grands yeux de mon enfant, arcanes adorés, Vous ressemblez beaucoup à ces grottes magiques Où, derrière l'amas des ombres léthargiques, Scintillent vaguement des trésors ignorés!
Mon enfant a des yeux obscurs, profonds et vastes, Comme toi, Nuit immense, éclairés comme toi! Leurs feux sont ces pensers d'Amour, mêlés de Foi, Qui pétillent au fond, voluptueux ou chastes.
X
HYMNE
A la très-chère, à la très-belle Qui remplit mon cœur de clarté, A l'ange, à l'idole immortelle, Salut en l'immortalité!
Elle se répand dans ma vie Comme un air imprégné de sel, Et dans mon âme inassouvie Verse le goût de l'éternel.
Sachet toujours frais qui parfume L'atmosphère d'un cher réduit, Encensoir oublié qui fume En secret à travers la nuit,
Comment, amour incorruptible, T'exprimer avec vérité? Grain de musc qui gis, invisible, Au fond de mon éternité!
A la très-bonne, à la très-belle, Qui fait ma joie et ma santé, A l'ange, à l'idole immortelle, Salut en l'immortalité!
XI
LES PROMESSES D'UN VISAGE
J'aime, ô pâle beauté, tes sourcils surbaissés, D'où semblent couler des ténèbres, Tes yeux, quoique très-noirs, m'inspirent des pensers Qui ne sont pas du tout funèbres.
Tes yeux, qui sont d'accord avec tes noirs cheveux, Avec ta crinière élastique, Tes yeux, languissamment, me disent: «Si tu veux, Amant de la muse plastique,
Suivre l'espoir qu'en toi nous avons excité, Et tous les goûts que tu professes, Tu pourras constater notre véracité Depuis le nombril jusqu'aux fesses;
Tu trouveras au bout de deux beaux seins bien lourds, Deux larges médailles de bronze, Et sous un ventre uni, doux comme du velours, Bistré comme la peau d'un bonze,
Une riche toison qui, vraiment, est la sœur De cette énorme chevelure, Souple et frisée, et qui t'égale en épaisseur, Nuit sans étoiles, Nuit obscure!»
XII
LE MONSTRE
OU
LE PARANYMPHE D'UNE NYMPHE MACABRE
I
Tu n'es certes pas, ma très-chère, Ce que Veuillot nomme un tendron. Le jeu, l'amour, la bonne chère, Bouillonnent en toi, vieux chaudron! Tu n'es plus fraîche, ma très-chère,
Ma vieille infante! Et cependant Tes caravanes insensées T'ont donné ce lustre abondant Des choses qui sont très-usées, Mais qui séduisent cependant.
Je ne trouve pas monotone La verdeur de tes quarante ans; Je préfère tes fruits, Automne, Aux fleurs banales du Printemps! Non, tu n'es jamais monotone!
Ta carcasse a des agréments Et des grâces particulières; Je trouve d'étranges piments Dans le creux de tes deux salières Ta carcasse a des agréments!
Nargue des amants ridicules Du melon et du giraumont! Je préfère tes clavicules A celles du roi Salomon4, Et je plains ces gens ridicules!
Tes cheveux, comme un casque bleu, Ombragent ton front de guerrière, Qui ne pense et rougit que peu, Et puis se sauvent par derrière Comme les crins d'un casque bleu.
Tes yeux qui semblent de la boue, Où scintille quelque fanal, Ravivés au fard de ta joue, Lancent un éclair infernal! Tes yeux sont noirs comme la boue!
Par sa luxure et son dédain Ta lèvre amère nous provoque; Cette lèvre, c'est un Eden Qui nous attire et qui nous choque. Quelle luxure! et quel dédain!
Ta jambe musculeuse et sèche Sait gravir au haut des volcans, Et malgré la neige et la dèche Danser les plus fougueux cancans5. Ta jambe est musculeuse et sèche;
Ta peau brûlante et sans douceur, Comme celle des vieux gendarmes, Ne connaît pas plus la sueur Que ton œil ne connaît les larmes, (Et pourtant elle a sa douceur!)
II
Sotte, tu t'en vas droit au Diable! Volontiers j'irais avec toi, Si cette vitesse effroyable Ne me causait pas quelque émoi. Va-t'en donc, toute seule, au Diable!
Mon rein, mon poumon, mon jarret Ne me laissent plus rendre hommage A ce Seigneur, comme il faudrait. «Hélas! c'est vraiment bien dommage!» Disent mon rein et mon jarret.
Oh! très-sincèrement je souffre De ne pas aller aux sabbats, Pour voir, quand il pète du soufre, Comment tu lui baises son cas!6 Oh! très-sincèrement je souffre!
Je suis diablement affligé De ne pas être ta torchère, Et de te demander congé, Flambeau d'enfer! Juge, ma chère, Combien je dois être affligé,
Puisque depuis longtemps je t'aime, Etant très-logique! En effet, Voulant du Mal chercher la crème Et n'aimer qu'un monstre parfait,
4 Voilà un calembour salé! Nous ne cabalerons pas contre. (Note de l'éditeur.)
5 Sans doute une allusion à quelque particularité des caravanes de cette dame. M. Prévost-Paradol l'eût avertie qu'elle dansait le cancan sur un volcan. (Note de l'éditeur.)